En piste
Après une heure de préparation, qui consiste à prendre une douche, se maquiller, se coiffer et essayer trois robes différentes avant d'opter pour celle qui me déplaît le moins, je suis enfin autorisée à sortir de ma chambre. Je tire sur le bas de la robe que je porte tout en précédent Sophia dans le couloir.
— Si tu continues à tirer dessus, tu vas te retrouver les seins à l'air, elle me gronde avec toutefois une certaine dose d'amusement dans la voix.
— Tu ne mets vraiment rien de plus long ? je demande en tirant une dernière fois.
La seule robe qui ne me donnait pas l'impression d'être un éléphant saucissonné est celle-ci et elle ne me plait toujours pas. Toutes les autres robes étaient très moulantes, celle-ci l'est un peu moins, avec un jupon qui ne m'arrive qu'à mi-cuisse. Autant dire que je vais éviter le plus possible de m'assoir, si je ne veux pas que quelqu'un louche sur mes sous-vêtements. Le haut de la robe est un bustier qui tient par miracle avec des ficelles dans le dos pour le fermer, ou décorer, je ne sais pas. Le tout est dans une couleur prune qui me va bien au teint, et qui fait étrangement ressortir mes yeux bruns. Sophia a ramassé mes cheveux châtains en un chignon lâche sur le haut de ma tête, laissant échapper quelques mèches.
— Je ne peux pas y aller en jean ? je grimace.
— Arrête de te plaindre ! Et mets ces foutus chaussures !
Elle n'est pas contente. Je crois que je vais arrêter de râler avant qu'elle ne me donne une fessé. Elle en serait capable, j'en suis sûre. Je soupire et pose devant moi les chaussures à talons qu'elle m'a prêtées. Elle m'a dit que les miennes, la seule paire que j'ai ramenée, n'étaient pas assez hautes. Alors je me retrouve avec une paire d'escarpins noirs aux talons scintillants de dix centimètres.
— Je vais voir où en est Elise, elle m'informe en passant à côté de moi pour entrer dans la chambre au bout du couloir.
Je m'appuie contre le mur pour ne pas perdre l'équilibre et glisse mon pied dans la première chaussure. La porte d'en face s'ouvre et je ne prends pas la peine de lever les yeux avant de glisser mon autre pied dans la seconde chaussure.
— Tu viens de prendre dix centimètre d'un coup, dit Drew toujours debout dans l'encadrement de la salle de bain.
— Tu ne crois pas si bien dire, je marmonne en testant la stabilité de mes chaussures, faisant quelques pas en ronds les yeux toujours fixés sur mes pieds.
— Cette robe est... courte.
Je remue mes chevilles, une après l'autre. C'est un véritable exercice de porter des talons hauts.
— C'est ce que je répète à Soph depuis une demi-heure, je ronchonne.
Satisfaite de ne pas être tombée, je lève enfin les yeux vers Drew et me fige. Douché, rasé, coiffé, vêtu d'un pantalon noir et d'une chemise bordeaux, il a l'air d'un mannequin. Les premiers boutons de sa chemise laissent voir sa peau légèrement bronzée, les mains dans les poches, Drew m'adresse un léger sourire. Il est fabuleux ! Quand je laisse mon souffle m'échapper, je me rends compte que j'avais retenu ma respiration. Son expression change et il fronce légèrement les sourcils.
— Ça va ?
Je cligne des yeux deux ou trois fois pour revenir de mon état d'admiration presque digne d'une groupie de boys band et hoche la tête.
— On y va ? crie Sophia en sortant de la chambre d'Elise sans même nous regarder avant de descendre les escaliers.
Et même si elle l'avait fait, je ne l'aurais pas vu. Je ne peux pas décoller mon regard de Drew. Toujours le sourire au coin des lèvres, il tend une main vers le couloir pour me dire de passer devant. Je m'exécute, les joues en feu d'avoir été prise en flagrant délit d'admiration impudique. Je me tiens à la rampe pour ne pas glisser dans les escaliers, quoi que, ça me donnerait une excuse pour ne pas sortir. On ne peut pas danser avec une cheville tordue.
— Tess ! Tu es superbe ! s'exclame Jules avec un large sourire.
Je suis en bas des escaliers et le miracle, ou la catastrophe, ne s'est pas produite. Derrière lui, Stuart hoche la tête sans rien ajouter alors qu'Elise m'adresse un large sourire. Sophia donne un coup de coude à Jules, un peu boudeuse, et il passe un bras autour d'elle pour le serrer contre lui.
— Mais pas autant que toi, mon cœur, il ajoute avant de l'embrasser.
Ils ne peuvent pas passer plus d'une demi-heure sans avoir les lèvres collées ces deux-là ? Je retiens l'expression de dégoût qui menace apparaître sur mon visage et tourne la tête vers Drew, toujours debout derrière moi, à fixer... mes fesses ? Ses yeux remontent lentement le long de mon dos vers mon visage et il prend un air surpris, sans doute d'avoir été pris en flagrant délit, puis désolé. Mais il ne dit rien.
— Bon, nous on va avec Elise et Stuart. Vous prenez la voiture de Drew, annonce Sophia en nous pointant du doigt.
Mes yeux deviennent ronds, et Elise m'adresse un regard interrogateur avant de regarder Drew. Comment ose-t-elle me laisser seule pour aller je ne sais où, avec un mec que je connais depuis à peine quelques heures ? Bon d'accord il est vraiment beau, mais quand même !
— Enfin si ça vous va, ajoute Elise dans son éternel besoin de se soucier de tout le monde.
La main de Drew se pose sur mon épaule nue et je me fige. Je ne m'y attendais pas et j'avoue que je ne sais pas quoi en penser. Sa main est presque brûlante sur ma peau fraîche et je sens les frissons parcourir tout mon bras.
— Oui, ça me va, il dit d'une voix qui ne révèle aucune émotion. Allons-y.
Il serre légèrement mon épaule avant de retirer sa main. Je n'ose même pas me tourner pour voir l'expression de son visage. Je me mords la lèvre et prend mon manteau. Arrête de te poser des questions Tess, il a juste voulu être gentil, je me sermonne alors que je passe mon manteau sur mes épaules. Drew ouvre la porte et je le suis jusqu'à sa voiture dont il m'ouvre la portière.
— Merci, je marmonne en grimpant dans le 4x4 avec un peu de difficulté à garder ma robe assez basse.
Elle ne dépasse même pas de mon manteau ! Mon dieu, je ne vais pas finir cette soirée avec ma dignité. Drew fait le tour et s'installe derrière le volant. Dans le silence le plus solennel, il démarre la voiture et commence à rouler vers le portail qui s'ouvre à notre approche et suit la voiture de Stuart qui s'engage sur la route.
— Tu crois qu'ils le remarqueront si je ne fais que te déposer et rentrer ?
Je tourne des yeux à la fois curieux et menaçants vers lui. Puis je me souviens du bouton qui verrouille les portes, j'appuie dessus et lui sors la même phrase que celle qu'il m'a dite plus tôt.
— Si je suis coincée avec eux, tu es coincé avec eux.
Son visage se détend, mais sa bouche devient une fine ligne, je n'avais pas remarqué qu'il était contrarié à ce point. Il appuie à nouveau sur le bouton sans me regarder.
— Ne touche pas à ma voiture, il grogne.
Il plaisante ou il est sérieux ? J'ai beau scruter son profil, je n'arrive pas à savoir. Je déglutis avec difficulté et essaye de garder mon calme. Il ne m'a pas engueulée, il est juste du genre à ne pas aimer qu'on touche à sa voiture, ce n'est rien. Ce n'est pas la fin d'une amitié qui de toute façon n'existe pas. Ou pas encore. Je ne le reverrai sans doute plus avant le mariage qui aura lieu je ne sais quand, alors je n'ai pas besoin de paniquer à l'idée qu'il me déteste, n'est-ce pas ? Ou du moins, l'idée qu'il ne m'apprécie pas. Jules sera déçu mais ce n'est pas de ma faute.
J'inspire profondément pour dénouer mes nerfs. Il faut vraiment que je me calme et arrête d'imaginer tout et n'importe quoi.
— Tu sais où nous allons ? je demande d'une petite voix hésitante.
Il secoue la tête, les lèvres pincées. Bon, il n'a pas envie de discuter. D'accord, passons le reste du voyage dans ce silence pesant et inconfortable.
Après une vingtaine de minutes de route, nous nous arrêtons enfin sur le parking du club. Il y a une file monstrueuse devant la porte. Je ne suis pas prête à faire la queue dans ce froid ! Je serais congelée avant même d'avoir atteint la porte. Le temps que je me décide à sortir, Drew a déjà fait le tour et m'ouvre la portière. Il me tend une main pour m'aider et je le remercie avec un petit sourire piteux. Je n'arrive pas à le cerner et ça m'embête. Habituellement je comprends vite et facilement les gens, mais là, je suis perdue. Un moment il est froid et silencieux et juste après il est galant et presque chaleureux. Si son visage n'était pas aussi inexpressif, je pourrais croire à ses yeux qu'il est détendu, mais là j'ai vraiment du mal à savoir ce qu'il ressent ou pense. Alors que nous rejoignons les autres, il pose une main dans mon dos. J'essaye de ne pas me figer cette fois et fais comme si c'était normal.
— Qu'est-ce qu'il fait froid, je me plains alors que nous suivons les autres vers l'entrée.
— Ne t'inquiète pas, me dit Jules, il fait beaucoup plus chaud dedans.
— A condition qu'on entre, je marmonne.
Contrairement à ce que je pensais, Jules nous dirige tout droit vers la porte, discute deux secondes avec le videur qui lui serre la main et nous laisse entrer. Drew croise mon regard surpris et hausse les épaules en réponse. Il ne comprend pas plus que moi pourquoi Jules peut nous faire entrer aussi facilement. Je laisse mon manteau aux vestiaires et effectivement, en plus de la musique assourdissante, il fait très chaud. Je suis bien contente que la robe soit aussi courte en fin de compte. Mais je tire quand même dessus alors que nous approchons d'une table entourée de fauteuils, avec inscrit « réservé ». Je croyais qu'ils avaient décidé de sortir sur un coup de tête ?
— Vous avez prévu votre coup depuis combien de temps ? je demande à Sophia alors que je m'assois à côté d'elle.
Je me mets au bord du fauteuil pour que ma jupe remonte le moins possible. Elle me sourit de toutes ses dents. Jules nous commande des boissons, la serveuse est aux petits soins avec lui, comme si c'était le roi du monde, ou le propriétaire des lieux. Et soudain je me demande s'il ne l'est pas, en fin de compte. Après tout, je sais que Jules est le fils d'un riche entrepreneur du coin, mais je n'en sais pas beaucoup plus. Il travaille pour son père, mais je ne sais pas exactement ce qu'il fait. Je me penche de nouveau vers mon amie juste après qu'elle ait avalé une gorgé de champagne.
— Il est à Jules ce club ?
Elle sourit mais secoue la tête et se penche à son tour pour me répondre.
— Il est à un de ses collaborateurs, elle répond.
Je hoche la tête et dévisage Jules quelques secondes. Je me rends compte qu'il doit avoir pas mal de relations, et sans doute plus d'influence et d'argent que je ne le pense. Après tout, le chalet ne doit pas être donné, c'est du grand luxe. Et il ne nous a même pas demandé une contribution.
Un coup de coude me sort de mes pensées alors que Sophia se lève et me tend la main.
— Il est temps d'aller danser.
Je sais que je ne vais pas y échapper, et j'avoue qu'avec les deux verres de champagne que je viens de boire, j'ai moi aussi envie d'aller danser. Alors avec un large sourire, je prends sa main et l'accompagne, ainsi que Stuart et Elise, sur la piste de danse. La foule se referme autour de nous et je commence à me déhancher en rythme, oubliant que ma robe et trop courte et que mes chaussures sont trop hautes. Sophia se réjouit de me voir profiter de la soirée comme j'en ai l'habitude et nous nous amusons à danser ensemble. Levant les mains, je ferme les yeux et me laisse emporter par la musique. Bien décidée à profiter de la soirée, je laisse les basses me porter où bon leur semble et oublie tout ce qui m'entoure. Des mains se posent sur mes hanches, mais je ne réagis pas. Je continue à danser alors que la personne derrière moi se colle à mon dos. C'est plutôt agréable même, de sentir ces mains fortes sur mes hanches et le rythme qu'elles prennent en suivant les miennes. Je m'apprête à rejeter ma tête sur son épaule, mais son parfum mélangé à sa sueur m'arrive au nez et je retiens une grimace. Il y a des épices là-dedans, beaucoup trop d'épices, ça me pique le nez. Je fais un pas en avant, mais il me suit, alors je me retourne et vois le grand blond aux traces de lunettes de ski sur le visage qui me regarde avec des yeux embrumés par l'alcool et un sourire fatigué. Je secoue la tête et le repousse gentiment des deux mains, posées sur son torse. Il fait une moue triste mais n'a pas l'air assez adorable pour que j'en aie pitié. Alors je secoue à nouveau la tête et me retourne vers Sophia pour danser avec elle. Elle penche la tête, l'air réprobatrice mais je hausse les épaules. Je sais ce qu'elle pense, à chaque fois qu'un homme vient se coller à moi ou m'aborde dans une soirée, je lui trouve un défaut. Je n'y peux rien, quand ça ne colle pas, ça ne colle pas et je n'ai pas envie d'être de ces filles qui collectionnent les aventures en espérant tomber sur le bon.
Nous continuons à danser, boire, peut-être un peu trop pour ma part, et repousser les hommes qui nous abordent. À un moment, Jules nous a rejoints, mais Drew est resté à notre table et Stuart est allé lui tenir compagnie, alors j'ai dansé avec Elise. Mais à force de boire, je ne suis plus vraiment capable de reconnaître la musique et je danse comme mes jambes me laissent faire. Mes pieds me font affreusement mal et ma tête me tourne un peu. Je pense qu'aller m'assoir un moment ne me fera pas de mal, juste pour retrouver l'équilibre. J'arrive par miracle à retrouver mon chemin, toute seule, jusqu'à notre table, mais je m'affale lamentablement sur le fauteuil à coté de Drew. Je tends la main vers un verre, je crois que c'est du champagne, mais Drew me le prend des mains avant qu'il n'arrive à mes lèvres. Quoi ? C'était son verre ? Je fronce les sourcils avec une expression un peu boudeuse.
— Assez d'alcool pour toi, bois ça.
Il me tend un verre d'eau. Il ne veut sans doute pas que je vomisse dans sa précieuse voiture. Je grimace un sourire et bois une gorgée. Il secoue la tête.
— Bois tout.
— Pas besoin, je n'ai pas soif.
Il repousse le verre vers ma bouche.
— Bois, tu me remercieras demain.
Ou c'est toi qui me remercieras de ne pas avoir vomis dans ta voiture. Je vide le verre mais je ne vois pas de différence, sauf que maintenant je dois aller aux toilettes. Je me lève, trop vite, et cherche mon équilibre. Des mains fermes m'attrapent les hanches. C'est agréable, plus agréable que le blond de tout à l'heure. Sans me lâcher, Drew se lève et se penche tout près de mon oreille. Je me laisse aller contre lui sans vraiment chercher à me retenir.
— Tu devrais attendre un peu avant de retourner danser.
Je ferme les yeux et inspire. Il sent bon. Je n'ai même pas honte d'avoir clairement l'air de le renifler, même si c'est loin d'être aussi explicite que cela.
— Je dois aller aux toilettes, je réponds en ouvrant les yeux.
Son regard plonge dans le mien et pendant quelques secondes, j'ai l'impression que le temps s'est arrêté. J'ai beaucoup plus chaud que sur la piste d'un coup.
— Tu vas pouvoir y aller toute seule ?
Il lève un sourcil dubitatif et je ris comme une idiote.
— Tu ne peux certainement pas venir avec moi.
Il m'adresse un regard entendu, mais je ne sais pas ce qu'il veut me dire. Il serait capable d'y aller avec moi ? Nooonnn ! Même s'il est flic il sait que ça serait tout à fait inapproprié.
— Je peux au moins t'accompagner jusqu'à la porte.
Ah oui, effectivement. Il n'attend pas de réponse et me tenant par le coude, il m'accompagne à travers la piste pour rejoindre les toilettes près de l'entrée. Je trébuche une ou deux fois, mais arrive finalement jusqu'aux toilettes.
— Je t'attends ici.
J'ai l'impression qu'il me parle comme si j'étais une petite fille capricieuse. J'ai bien envie de lui tirer la langue, mais je me retiens. Il m'en veut parce que je m'amuse ? Mais de quel droit il me le reproche ? S'il ne veut pas que je rentre avec lui parce qu'il a peur que je salisse sa voiture, je peux très bien rentrer avec les autres.
Légèrement sur les nerfs, j'entre dans les toilettes et en ressors quelques minutes plus tard, la vessie vide et le visage un peu rafraîchit avec de l'eau. Mon esprit en revanche est encore totalement embrumé par l'alcool. Je fusil Drew du regard alors qu'il se redresse. Sans le laisser me tenir comme avant, je m'avance et essaye de marcher aussi vite que mes talons me le permettent pour retrouver notre table. Je ne m'assois pas, prend un verre et le vide d'un trait, puis retourne sur la piste. L'alcool va faire effet dans peu de temps alors je retrouve Sophia et Jules et danse comme si j'étais seule au monde.
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