23 - La Grotte
***
- SITAEL - L'ange de la protection.
***
Je suis dans ma chambre, écoutant les bruits de pas de Hayden s'éloigner après m'avoir accompagnée.
- Quelle journée...
Hailey n'est toujours pas rentrée, et l'inquiétude me ronge. Je devrais peut-être partir à sa recherche, mais l'incertitude sur sa localisation me paralyse. Avec ses ailes qu'elle maîtrise à volonté, elle peut se retrouver dans les recoins les plus inattendus du ciel étoilé. D'ailleurs, les filles ne sont pas encore rentrées, sûrement encore au bal.
Je choisis de rester ici. Il y a plus de chances qu'elle revienne dans la chambre que de la retrouver dehors.
Je vais m'allonger et l'attendre, laissant mes pensées vagabonder autour de ces pâtisseries aux pommes que je n'ai pas pu savourer ce soir. Le goût de cette tartelette me hante.
GRRR
J'ai faim...
- Quelle tristesse.
Je bâille et ferme les yeux un instant pour me reposer. Cette soirée m'a épuisée, me laissant vidée de toute mon énergie.
***
J'ouvre les paupières. Tout est noir.
- Encore !
Je ne me sens pas endormie, mais il est évident que je suis dans l'une de ces visions. Au loin, une étincelle de lumière apparaît. Je m'en approche et remarque que sous mes pieds nus, le sol est froid et rocheux.
Je balance mon bras droit en l'air et touche le plafond. Puis, je tends la main vers la gauche, et je sens un mur froid. À droite, c'est pareil. Je suis dans un espace exigu, où les murs sont froids et presque humides.
Une autre vision farfelue.
- Mais où suis-je ?
Je fais quelques pas en avant, laissant ma main glisser le long du mur droit, fait de pierre. Plus je progresse, plus la lumière s'élargit jusqu'à m'éblouir. Ce sont des rayons de soleil qui m'attirent vers la sortie. Je me retourne pour regarder où j'étais, et je réalise que cet espace sombre et confiné n'était qu'un simple passage.
- C'est... une grotte, sérieusement ?
À la sortie, un grand vide s'étend devant moi. Je perçois seulement le dessus de nuages blancs. Cette mer cotonneuse s'étend à perte de vue, l'air est frais et léger.
- Marie.
Encore cette voix rauque, mais cette fois, elle résonne clairement, bien qu'un léger écho fasse vibrer mon prénom.
- Qui est là ?
Il n'y a personne autour de moi.
- Je suis là, dans la grotte.
Je fixe l'entrée. Ce qui est sûr, c'est que cet inconnu restera un mystère. Il est hors de question que je retourne là-dedans, surtout maintenant que je sais que quelqu'un s'y cache.
- Sortez de là !
- Je ne peux pas.
- Pourquoi ?
Je n'ai rien pour me défendre, et aucun moyen de m'échapper. C'est soit la grotte, sombre et menaçante, soit le grand vide derrière moi, un abîme d'incertitude.
Je me pose soudain la question : maintenant que je peux contrôler mes ailes, est-ce pareil dans mes visions ?
- Ne t'envole pas ! ordonne-t-il d'une voix appuyé.
Sa voix grave et brisée résonne dans l'écho de la grotte, me stoppant net dans mon élan. Mon dos se raidit, tandis que je fixe l'entrée de ce trou dans la roche. Une peur sourde m'envahit, me tordant le ventre. Ses mots se déposent sur ma peau, comme si mon corps leur obéissait naturellement. C'est étrange. Ce que je ressens semble anormal. Je ne suis ni frustrée ni en colère, mais cette peur initiale s'estompe, laissant place à une angoisse face à l'incompréhension. C'est déconcertant de réaliser que mon corps obéit à une volonté extérieure, comme si je perdais le contrôle de moi-même.
- Je suis enchaînée.
Enchaînée ?
- Vous êtes enchaînée dans une grotte, au milieu de nulle part ? Pourquoi ?
Des oisillons chantent... Des oisillons ? Je me souviens que ce sont les selphies qui font ce bruit-là.
- Aéphyra ? Je l'appelle, en cherchant des repères dans ce qui m'entoure.
Des petites lumières apparaissent autour de moi, puis se dirigent vers l'entrée de la grotte.
- Aéphyra, c'est bien toi ?
Pourquoi ne répond-elle pas ? Ce n'est pas normal.
- La reine des selphies est morte, me dit-il froidement.
Morte.
Ce mot résonne en moi comme un coup de tonnerre. Il fait écho dans tout mon être.
- Je ne vous crois pas. Arrêtez vos illusions avec des lucioles.
Je refuse de croire qu'elle soit morte. J'observe mes main qui commence a devenir moite et tramblante.
- Ce n'est pas un tour, mais les enfants de la reine t'attendent.
- Ils t'attendent pour me rejoindre à l'intérieur.
- Pourquoi je vous écouterais ?
- Parce que je peux t'aider.
M'aider ? Depuis que je suis dans ce monde, personne ne m'a jamais proposé d'aide.
- De l'aide, pourquoi ? Je n'ai pas besoin de votre aide. C'est plutôt vous qui en avez besoin. Les chaînes ne sont pas trop gênantes ? Je dis avec un sarcasme un peu violent, croisant les bras.
Il pouffe de rire.
- Marie, tu ne veux pas savoir qui tu es vraiment ?
Là, il capte toute mon attention. C'est l'énigme de ma vie depuis que j'ai appris que je suis un ange, et que ma famille n'est qu'une imposture.
- Vous savez qui je suis réellement ?
À cet instant, j'ai envie de le croire, mais je me souviens aussitôt que ce monde est dangereux.
- Pourquoi voulez-vous faire cela ? je reprends mes esprits.
- En échange, je te demanderai une chose.
Je le savais, rien n'est jamais gratuit.
Quoi donc ? De me libérer, je suppose ?
- De me libérer.
S'il est enchaîné, c'est sûrement pour une bonne raison.
Je le savais, c'est encore un de ces pièges. Dites-moi d'abord pourquoi vous êtes enfermé.
- On m'a enfermé pour m'utiliser.
Les lucioles s'affolent. Leur sifflement, autrefois harmonieux, devient fort, et leurs scintillements s'agitent. Dit-il la vérité ? Les selphies ne se seraient jamais montrées face à un inconnu, encore moins devant un danger.
- Aéphyra est vraiment morte ?
- J'ai une vision. Trois démons l'ont attaquée à travers la forêt et tuée. Son corps s'est désintégré en milliards de particules lumineuses qui se sont envolées au gré du vent.
- Une vision ? Vous êtes donc un...
"Les anges ne font pas de rêves, mais ont des visions", m'avait dit Hayden.
- Je suis un ange, effectivement.
C'est sans doute pour ça qu'elle ne me répond plus. Aéphyra... Je repense à elle, le regard perdu et triste.
Trois ? Était-ce ces créatures ailées qui formaient ma famille ?
"Je pensais qu'on l'avait tuée il y a des dizaines d'années", me souviens-je de la phrase de Jonn.
- C'est... c'est donc de ma faute, murmuré-je, baissant la tête. Les larmes commencent à obscurcir ma vue, avant de couler.
Je ne voulais pas le croire, mais je sens qu'il dit la vérité. Mon bras ne me brûle pas pour m'avertir d'un danger, et au fond de mon cœur, ses paroles glissent comme de l'eau le long d'une rivière.
Pour en être sûre, je dois lui demander comment la reine est morte.
- Comment est-elle morte ? demandai-je doucement.
- Des créatures malfaisantes ont su que la race des selphies n'était pas complètement éteinte, et on les a pourchassées.
Je n'arrive pas à le croire. J'ai causé sa mort. Ma famille, ou plutôt les démons qui se sont fait passer pour elle, l'ont assassinée.
Je regarde les petites créatures, et une vague de tristesse me serre la gorge, me piquant le nez.
- Qu'arrivera-t-il aux selphies à présent ?
Il soupire tristement. Entendre cela me soulage de croire qu'il n'est pas une mauvaise personne.
- Malheureusement, elles s'éteindront peu à peu.
Je les imagine comme des fleurs fanées, sans rayon de soleil, leur lumière s'estompant peu à peu. C'est trop triste.
- Il n'y a pas de successeur, n'est-ce pas ?
- Le règne des selphies se terminera avec la reine Aéphyra.
Les petites selphies, en entendant cela, voient leur lumière clignoter comme des ampoules prêtes à griller. Elles voltigent plus bas, tombant telles des pétales détachées, cherchant à caresser le sol pour toujours.
Le souvenir de notre rencontre s'infiltre doucement dans mon esprit, me permettant de l'apercevoir une dernière fois. Elle m'avait piquée au bras, et j'avais failli l'écraser sans m'en rendre compte. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres, tandis que mes yeux s'humidifient, emportés par la nostalgie de ce moment fugace et précieux.
- Et dire que j'ai encore cette marque sur mon épaule, là où elle m'a piquée.
- Une marque ? répète-t-il, curieux.
Je ne me rends même pas compte d'avoir parlé à voix haute et me sens obligée de lui donner des explications.
— Oh, lors de notre rencontre, Aéphyra me pique le bras en disant qu'on est désormais liées. C'est ainsi qu'elle me sauve de l'une de mes visions.
- Les selphies ne se lient pas aux anges ou aux autres créatures.
- Je ne saisis pas. Pourtant, elle l'a bien fait avec moi.
- La piqûre que tu ressens, c'est son partage d'âme.
Un partage d'âme ? C'est quoi ça encore ?
Les bruits d'oisillons reprennent, et leur tourbillon semble m'envelopper, un souffle léger qui s'élève autour de moi, comme une mélodie envoûtante.
- Que font-elles ?
- Elles essaient de rentrer en contact avec leur mère, la reine.
Des milliers de flocons d'étincelles tombent autour de moi, une pluie d'étoiles étincelantes, magique et envoûtante. Je lève les yeux, éblouie par cette beauté, mais la lourde mélancolie qui m'envahit me fait frissonner.
Après un moment, elles s'arrêtent et se regroupent devant l'entrée de la grotte.
- Alors ?
Leurs sifflements reprennent, plus forts, harmonieux, créant un orchestre de sons enchantés. C'est envoûtant, presque irréel.
- Une partie d'elle est en toi.
En l'écoutant je me rend compte de cette chaleur que je ressent depuis notre rencontre, serait-ce son... âme?
- Vous arrivez à comprendre leur sifflement ?
— Oui.
- Elle a dû sentir que tu n'étais pas comme les autres. Les selphies ont été attaquées et tuées par les démons. Seuls les anges ont été leurs amis et alliés. Elle a dû penser qu'une partie d'elle resterait en sécurité si quelque chose lui arrivait.
Je laisse ses paroles résonner en moi, et une étrange sensation me traverse. Comme si une vérité douloureuse se frayait un chemin dans mes pensées.
Alors, lorsqu'elle m'a dit qu'on était reliées, c'est parce qu'on avait en nous la même âme. C'est sans doute ainsi qu'elle a pu communiquer avec moi par l'esprit, être présente dans mes visions. Car elle aussi était, en quelque sorte, là.
Je croise les bras, une brise froide me fait frissonner. La réalité me frappe de plein fouet.
- Elle a eu raison de prendre cette précaution. Sauf qu'elle n'a pas prévu que ce serait moi qui lui apporterais le danger à sa porte.
— Marie ! m'appelle-t-il, la voix grave.
— Oui.
— Tu as un long voyage à faire avant de devenir celle que tu dois être. Malheureusement, je n'ai pas pu entrer en contact avec toi plus tôt, car tu n'étais pas suffisamment puissante. Ton destin t'appelle. Réponds-lui sans hésitation, crois en ton instinct, et suis-le.
- Mon destin ? Je ne sais même pas qui je suis réellement, et vous me parlez de destin.
— À la fin de ton chemin, tu trouveras la clé qui apportera toutes les réponses à tes questions.
— Comment libérer Aéphyra ?
— Tu ne peux pas le faire pour le moment. Tu es encore trop faible.
— Alors, vous, faites-le.
Il semble s'étouffer, sa voix se casse. La tension est palpable, mais je ne me sens pas prête à lui accorder ma confiance.
— Je ne peux pas non plus.
— Pourquoi ? je m'écris, la voix brisée par des larmes qui me bloquent la gorge.
— Je ne suis pas dans ma plus grande forme. Je suis prisonnier depuis bien trop longtemps.
J'ai envie de lui demander pourquoi il est enfermé, mais une peur inexplicable me serre la gorge. Peut-être que certaines questions ne doivent pas encore avoir de réponse.
Une envie irrésistible de retourner dans la grotte m'envahit. L'attraction est trop forte. Et si j'allais vérifier par moi-même ?
Je fais quelques pas, m'éloignant du bord de la falaise, et je retrouve, guidée par les selphies, l'entrée de la grotte. Je marche prudemment, me soutenant contre la roche fraîche, le scintillement des petites créatures m'indiquant où poser mes pieds. Le tunnel est long, sombre, et l'issue semble incertaine.
Plus j'avance, plus l'intérieur de la grotte semble s'élargir, jusqu'à ce que je me retrouve dans un hall vaste, presque hallucinant, comme une salle souterraine immense. Les murs sont tapissés de cristaux bleus qui scintillent comme des pierres précieuses incrustées dans la roche. Au centre, une pierre plate repose, entourée de longues chaînes rouillées plantées dans le sol. La lumière que renvoient ces cristaux peine à éclairer l'endroit. Heureusement, les selphies me guident encore, éclairant ma route de leur éclat.
- Où êtes-vous ?
— Sur la pierre au centre.
— Pourtant, je suis en face et vous n'y êtes pas.
La voix semble se déplacer, résonnant autour de moi comme un écho, mais je ne la vois toujours pas.
— Je suis bien là.
Les chaînes bougent légèrement, un bruit métallique qui me fait sursauter.
— J'ai failli mourir de peur, dis-je, serrant les dents. Vous êtes... invisibles ?
— On me cache avec un sort. Moi, je peux te voir, mais toi, tu ne peux voir que mes actions et entendre ma voix.
— Pourquoi êtes-vous prisonnier, et qui vous cache ?
— Je n'ai plus beaucoup de temps pour te répondre. Il faut que tu retiennes ceci avant que ta vision ne s'atténue, ou que moi-même je ne sois dérangé par des visites non désirées.
Je me concentre, cherchant à comprendre ce qui se cache derrière ces paroles. À quelques mètres de moi, un livre au sol attire mon attention. Il me semble vaguement familier. Plus je m'en approche, plus des souvenirs surgissent, comme un éclat de lumière dans l'obscurité.
Je le prends dans mes mains et l'ouvre.
— Le livre interdit... C'est celui qu'on m'a volé.
Des milliers de questions traversent mon esprit, mais une seule me revient sans cesse :
— Qui êtes-vous réellement ?
Il prend son temps avant de répondre. Il semble sur le point de dire quelque chose d'important, mais sa voix se brise.
Soudain, mon bras me brûle violemment.
— Un danger approche. dit-il, paniqué, comme s'il sentait la menace approcher.
— Marie, trouve-moi ! Sa voix devient presque désespérée.
Ce sont ses derniers mots avant que tout ne redevienne noir, le vide envahissant tout autour de moi.
***
Je me réveille soudain sur mon lit, trempée de sueur. Mon poignet me lance encore, la douleur persistante.
Une minute passe, puis je me lève, me dirigeant vers la salle de bain dans l'obscurité de la nuit.
Je ferme la porte derrière moi et passe mon bras sous l'eau glacée. La fraîcheur me soulage un instant.
TOC TOC TOC
Quelqu'un frappe doucement à la porte. Peut-être Hailey, enfin revenue ?
- C'est occupé !
Aucune réponse. L'eau glisse sur mon bras, apaisant la douleur, mais la sensation d'angoisse grandit en moi.
TOC TOC TOC
On frappe à nouveau.
- Marie, c'est toi dans la salle de bain ?
Quand aurai-je un moment de répit ?
Je me sèche précipitamment, les bras encore mouillés, et ouvre enfin la porte.
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