Chapitre 2

Je me lève, la couverture par terre, les cheveux en pétard, pas démaquillée ni changée... et d'une puanteur à effrayer la faucheuse.

Je suis sûr que j'ai une mine horrible.

Hier soir, j'étais trop fatiguée pour faire quoi que ce soit, excepté dormir.

Je ne devrais plus rentrer à deux heures du matin, un jour d'école... surtout pas pour encore aller flâner avec des gars du cégep...

Bon... d'accord... peut-être une toute dernière fois... mais pas plus. Il faut quand même savoir profiter de la vie... surtout si on a l'air d'une gamine comme moi... une petite poupée qui semble trop fragile... qui peut se briser à tout moment...

Ironique.

J'ai un sale caractère quand je m'y mets...

Contrairement à moi, ma mère était douce comme un agneau. Même en apparence, nous étions complètement opposé. Elle avait de magnifiques cheveux bruns bouclés, une peau caramel que je lui enviais et des yeux gris orageux comme elle se plaisait de dire.

Elle est décédée quand j'avais huit ans. Les seuls souvenirs qu'il me reste d'elle sont rattachés à la bague bleu saphir que je porte partout. Même quand je dors. Même quand je me lave. Je ne l'enlève jamais. Jeanne me l'avait donné lors des funérailles à ma mère en me disant qu'il me revenait de droit.

Mon père travaille dans l'armée du Canada... mais je ne sais plus à quel poste. Je sais simplement qu'il a une position importante. De ce fait, il n'est presque jamais à la maison... comme lors des funérailles de ma mère...

C'est donc Jeanne, ma nounou depuis que j'ai vu le jour qui allait me gronder si elle savait que j'étais entrée aussi tard.

Elle l'avait déjà fait par le passer et le refera certainement... mais chaque fois, elle rit, donc cela n'aidait en rien à sa crédibilité.

Je traverse ma chambre d'un pas endormit et grogne en voyant l'heure alors que je viens de prendre mon téléphone.

Sept heures et demie.

Comme d'habitude, je suis suivie par Rosie, mon petit Toy Terrier Russe au doux pelage noir et brun. Je me glisse comme une ombre dans le couloir rempli de photo de moi à tout âge avec mes trop nombreux amis. Je marche avec empressement pour entrer dans la salle de bain de cet étage.

Je ne veux surtout pas me remémorer tous ces visages devenus haineux à mon égard... Trop lourd pour mon petit cœur...

Je ne sais même pas pourquoi nous les gardons accrocher. Ces souvenirs sont devenus plus douloureux qu'heureux.

Je m'observe un instant dans le large miroir de la salle de bain qui renvoie mon reflet matinal. Mes trop long cheveux blond-blanc sont gras. Mes yeux bleu pâle sont cernés et ma peau ivoire, presque aussi fade que la neige, a une teinte maladive.

Je prends une douche chaude... espérant me réveiller un peu... pour ensuite me remaquiller, me coiffer et mettre mon uniforme scolaire monstrueusement laid.

À chaque fois, j'ai la même envie... le découper en petits morceaux pour ne plus avoir à supporter cette laideur.

Pourquoi une beauté tel que moi devrait porter un chandail gris avec une jupe carottée bleu ciel, vert kiwi, jaune fluo et rouge bourgogne?

L'horreur.

Ce ne sont même pas des couleurs qui vont bien ensemble. Le designer avait s'en doute voulu faire quelque chose d'original, mais le résultat n'est pas aussi bien qu'il a dû se faire croire.

En descendant les escaliers, un peu plus loin dans le couloir, je tends l'oreille pour savoir si Jeanne est en bas. N'entendant rien, j'entre dans la cuisine et prends trois muffins au son d'avoine encore tout chauds qui sont sur notre grande table vitrée. Je les prend pour mon déjeuner, même si Jeanne ne serait pas contente que j'ai déjà pigé dedans.

Ma nounou privilégie les aliments sains... habitude que ma mère lui a donnée... et puisque nous n'avons plus vraiment le temps de faire des activités physiques depuis le décès de celle-ci... et bien, Jeanne prend encore plus de précaution. Il faut dire aussi qu'elle et Lucian, son mari et mon fidèle chauffeur, ont dépassé depuis longtemps le stade de jeunesse.

Je range en vitesse mes petits gâteaux dans un sac en papier, puis dans mon sac en cuire tout en marchant vers l'entrée le plus silencieusement possible... mais... c'est peine perdue... les vieilles planches grincent sous mes pieds comme si le monde se craquait à chacun de mes pas.

Habitude très agaçante.

Nous vivons dans un vieux manoir en bois de chêne qui date de tellement longtemps que je ne sais même pas quand il a été construit. En plus, les griffes de Rosie sur le planché n'aident pas le moins du monde pour garder sous silence mon passage.

Des pas s'approchent dans mon dos et je sais qu'il s'agit de ma nounou sans même regarder.

- Angélique, commence Jeanne alors que je me retourne lentement pour la regarder avec un sourire innocent. Tu devrais te dépêcher, Lucian est déjà prêt à t'emmener à l'école.

- D'accord, dis-je en acquiescent.

Elle se tient au bas de l'escalier aux différentes teintes de brun doré, m'observant avec son éternel regard maternel. Jeanne est une petite femme de soixante ans qui est plutôt en forme pour son âge, du moins, en général. Ses cheveux gris sont toujours attachés en une longue queue de cheval et ses quelques rides font penser qu'elle n'a que dans la cinquantaine.

Son tablier violet, sur lequel il est écrit « le chef est sur la place », est taché de farine et de tache de fruit frais. Elle adore préparer des pâtisseries santé, surtout pour Lucian et moi, gloutons comme nous sommes. Il lui arrive aussi d'en faire pour nos voisins, même s'ils habitent à plusieurs kilomètres d'ici... et parfois pour sa fille unique et ses petits-enfants. Ma nounou va généralement en vélo porter des sucreries équilibrées aux voisins, ce qui la maintient en forme, en plus des tâches ménagères qu'elle fait de temps en temps avec Lucian.

Elle adore porter des jupes longues et des petits chemisiers en dentelle quand elle a une soirée romantique avec son adorable chéri. Cet homme, c'est le plus doux, le plus attentionné et le plus romantique que j'ai pu rencontrer (contrairement à mon père). Il a quelques années de plus que Jeanne, mais lui non plus ne fait pas son âge. C'est un homme grand et robuste qui effraie les enfants de bas âge à cause de sa tête chauve et de sa longue barbe grise. Ils ne savent pas que c'est quelqu'un d'adorable qui aime rendre service. Comme on dit si bien, on ne doit pas juger par les apparences, car elles peuvent être trompeuses... C'est justement sa devise.

- Aller, ouste, me dit Jeanne avec son doux sourire.

Je lui souris, caresse la petite tête de Rosie et me dépêche de sortir de la maison pour rejoindre Lucian. Celui-ci m'attend, comme à son habitude, à côté de la porte passager de la Honda que mon père lui avait acheté. C'est pour qu'il puisse m'emmener partout où j'en ai envie, puisque mon géniteur ne le fera jamais. Évidemment, il peut aussi l'utiliser pour autre chose... par exemple, une soirée romantique avec Jeanne. La voiture est noire et équipée de gadgets ultra sophistiqués, tout ce qui représente mon père, inutile et exagéré. Et pourtant, j'ai malheureusement hériter de son côté cupide et cossu.

- Salut, dis-je en arrivant à côté de Lucian. Tu n'as pas trop attendu j'espère.

- Non, dit-il en souriant, même si je sais qu'il ment.

Mon chauffeur m'ouvre la porte de sa façon galante comme si j'étais une princesse. Il me fait une révérence ridicule, ferme la portière, puis marche d'un pas étrange jusqu'au côté conducteur. J'éclate de rire devant son grand sourire fier... en sachant que c'est exactement son but. Lucian démarre la Honda et nous nous dirigeons vers mon école secondaire en écoutant des chansons énergiques que nous chantons à tue-tête, les vitres baissées.

Les autres conducteurs nous regarde croche, mais on s'en fiche.

Dans mon établissement, nos options sont très larges... sans doute parce que nous sommes presque deux milles élèves, même si nous sommes dans un coin plutôt campagnard. Moi, je suis dans l'option théâtre, parce que j'adore écrire des scénarios et jouer différents rôles. Sur un lieu de tournage, je deviens la fille très sérieuse et parfois un peu trop perfectionniste. En dehors de ces moments, je suis une fille plutôt folle et très enjouée... du moins... c'est ce qu'on me dit. D'autres disent que je suis simplement une idiote. Ceux-là, je me contente de les ignorer.

En arrivant devant l'école, Lucian baisse le son de la musique et me dit: « À ce soir » avec son grand sourire. Je sors de la voiture avec la même expression et lui fais au revoir de la main tout en marchant vers l'entrée. J'entre à l'intérieur en suivant le troupeau d'élèves qui se bousculent pour entrer les premiers.

Chaque option a sa section dans l'établissement. D'un côté (à gauche), les options artistiques (théâtre, arts visuels, sports et musique), de l'autre (à droite), les options plus intellectuels (tout ce qui se rapporte à la science, aux mathématiques... à la logique quoi, pas du tout fait pour moi).

L'entrée est un endroit vaste et nous pouvons voir la pancarte accrochée au plafond qui nous indique le couloir et l'étage à prendre pour se rendre à notre section. C'est un peu comme dans un Cégep, mais en moins complexe, car il n'y a pas de bâtiment rajouté.

La cafétéria, grande et spacieuse, est au deuxième étage, juste au-dessus de l'entrée principale. La bibliothèque est au troisième avec la même superficie (où les rats, "intello", ont répandu leur territoire). Il y a cinq étages, une pour chaque option.

Les gymnases, les sales d'entrainement, la piscine et les locaux de danse sont au premier. Les locaux d'arts visuels se trouvent au deuxième. L'amphithéâtre et les salles de théâtre sont au troisième. Les classes utilisées comme salle de cinéma sont au quatrième (c'est un petit plus pour ceux de théâtre et musique). Pour finir, les locaux de musique sont au cinquième, parce qu'il y a des pièces insonorisées, donc ils ne dérangent personne.

Je me dirige vers mon casier au quatrième étage et grogne à chaque marche que je monte. À chaque fois, j'ai l'impression qu'il n'y a aucune fin à ces escaliers... je plains ceux qui doivent monter encore plus haut.

Je suis en train de farfouiller dans mon casier et de suer à grosses gouttes quand Béatrice, Catherine et Danaëlle (mes trois meilleures amies depuis que je suis au secondaire) s'approchent de moi en me saluant.

- Ma belle, pas trop fatiguée j'espère, me demande Béa en me prenant dans ses bras de plus en plus squelettiques.

Je me demande parfois si elle est malade et qu'elle ne veut pas nous le dire.

- Yo Ange, ajoute Cat avec une grimace en me regardant beaucoup trop près. Tu fais vraiment peur à voir. Tu as l'air encore plus d'un mort-vivant que d'habitude.

Je me retiens de justesse de ne pas grimacer et force un sourire à se dessiner sur mes lèvres.

- Viens avec moi, je vais arranger ça, dit Dana en me prenant le visage entre ses mains de porcelaine. Je vais te transformer en princesse des morts.

- Ça va, ça va, dis-je en me dégagent lentement d'elle, un peu agacée.

Elles doivent penser ça parce que quand les choses deviennent trop compliqués, mon cerveau se met automatiquement en mode off.

- Je suis sûr qu'elle a rêvé de Justin le peu qu'elle a réussi à dormir, dit Béa avec un grand sourire tout en me donnant un petit coup de coude de son os dur.

- Ça n'a rien à voir avec Justin, dis-je en fronçant légèrement les sourcils, sachant qu'elle était d'ordinaire plus discrète que ça.

En générale, c'est elle la plus discrète de nous quatre...

- Tu es sûr, s'entête Béa en me faisant des gros yeux, expression qui n'est pas dans ses habitudes. Tu étais soûle... tu ne t'en souviendrais pas. Il me semble qu'il t'a reconduit chez toi hier et ça fait déjà trois mois que vous êtes ensemble.

- Nous n'avons rien fait, ai-je soupiré en évitant son regard intense.

Non mais franchement. Comme si j'allais me donner aussi facilement. Je n'oserais pas même si c'était le mec le plus canon de la terre. Il y a une limite au bon sens quand même.

En plus, nous n'avons même pas encore échanger notre premier baiser. Il garde toujours une certaine distance entre nous.

- Tient, dit Dana d'une voix mielleuse en battant des cils de manière un peu trop superficielle. Quand on parle du loup.

Cat pointe au loin en se léchant les lèvres et je vois la tête blonde de Justin qui vient vers nous. Ses yeux vert pâle croisent les miens et son sourire charmeur s'élargit à mesure qu'il avance vers nous. Un sourire naïf étire mes lèvres et je lui fais un petit signe timide de la main.

- Salut beauté, me dit-il en me prenant par la taille pour me rapprocher de lui.

Justin fait partie de l'équipe de hockey et est le co-directeur du journal du lycée avec moi, alors qu'il étudie dans un truc en science.

- Salut, dis-je en traçant les traits de son visage avec mon doigt, hypnotisée malgré moi par sa beauté hors du commun des mortels.

Et j'exagère à peine.

Si les dieux existaient, il en serait clairement un.

Nous sortons ensemble en partie parce qu'il est populaire du côté intellectuel et moi, du côté artistique. Nous en avons longtemps parlé sur le type de relation que nous alions partager et nous sommes d'accord pour garder un certain espace personel, mais...

Il me donne quand même le vertige quand il est aussi près.

Il se penche doucement et m'embrasse le front. Un frisson me parcourt le corps et je résiste à l'envie de lui en demander plus. Je me mords la lèvre quand il s'éloigne et nous salut.

- Tu devrais faire le premier pas, marmonne Cat en le regardant avec adoration.

- Oui, s'exclame Béa en sautillant avec une joie excessive qui n'est pas dans ses habitudes. Embrasse-le la première!

- Pff, fait Dana pour me taquiner. Ange n'est même pas game de le faire.

- Vous allez voir, dis-je d'un air faussement sérieux en levant la tête de défi. La prochaine fois, je lui saute dessus.

Elles éclatent de rire et je m'y mets moi aussi sans enthousiasme. Depuis, quelque temps, elles agissent étrangement. Comme si, tout le temps qu'on était amies, elles avaient joué la comédie.

Est-ce parce que j'ai fini par leur avoué que je suis une sorte de voyante? Est-ce pour cela qu'elles m'associent directement avec la mort comme si ça ne m'atteignait pas.

Ne me dites pas que je suis une descendante de la faucheuse quand même!

Si c'est le cas... ça serait dû côté à mon père... en fait, non... il me prend pour un monstre...

- Ah, c'est vrai, commence Cat avec un grand sourire, me tirant de mes sombres pensées sur l'origine de ce don dérangeant. Comme nous sommes vendredi et que c'est ma fête, que diriez-vous qu'on aille voir le nouveau film d'horreur qui est au cinéparc se soir.

Horreur...

- Pourquoi pas, roucoule Béa comme si ces trois-là se mettaient soudainement contre moi pour une raison que j'ignore. De toute manière, c'est toi qui gères notre planning et moi qui invite les garçons.

- Ouuuuuiiiiii, s'exclame Dana tout excitée. Ça va être d'enfer! Qu'est-ce que t'en pense Ange? Tu crois pouvoir te retrouver dans un film de zombie!

Trois têtes extraverties se tournent vers moi d'un seul mouvement.

Cat a-t-elle fait exprès?

À moins que, comme d'habitude, je vois le mal partout.

Voyant le malaise que ça me donne, Cat semble se dépêcher de me promettre que c'est un film policier et non d'horreur et, plus important, qu'il n'y a pas de zombie.

Je grogne un « okey » au même moment que la cloche sonne. Cat nous montre son cellulaire, puis elle nous envoie en texto les détails. Les filles partent pour leur cours en parlant du film. Je prends mes cahiers pour mon cours de français tout en bouffant le muffin aux carottes et l'autre aux bananes le plus rapidement possible... en tentant d'éviter de m'étouffer avec.

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