Chapitre 46 Yakim

Le visage de Clara se décompose et je fais un pas pour voir par-dessus son épaule tremblante.

– C'est le père de Keven et Mya, lui, dis-je en pointant l'homme aux cheveux plus roux que brun avec des yeux verts délavés.

– Je l'ai rencontré à deux reprises, marmonne Clara d'une voix bloquée par l'émotion. En fait, non... trois. Je crois bien que c'est lui qui a tenté de me tuer...

– Attend une minute, ai-je murmuré en me rappelant ce que Maggie m'a dit la dernière fois que je l'ai vu. Quand est-ce que tes parents sont décédés?

– Le sept juillet 2007, pourquoi?

Je fronce les sourcils alors que mes pensées se bousculent.

– Est-ce que l'un d'eux était le représentant des Invis à ce moment-là?

– Oui... ma mère... mais... où veux-tu en venir?

– Maggie m'a dit que son oncle est mort lorsqu'elle n'avait qu'un an, ce qui veut dire, il y a douze ans... dans la même année que tes parents.

Clara me regarde, les yeux grands ouverts, alors qu'elle semble comprendre ce qui m'a traversé l'esprit.

– Ils... sont morts la même année, marmonne-t-elle, choquée.

– Maggie m'a dit qu'il est arrivé quelque chose de semblable à son grand-père et son oncle. C'est le Conseil qui a mis à mort Marc Clinton.

– Mon grand-père représentait les Invis quand celui de Maggie est décédé... et quelques mois plus tard... ma grand-mère et lui sont morts...

– Il semblerait qu'Émile et Katerine se sont d'abord alliés pour venger l'oncle de Maggie. Comme Émile est un Ouïrès... il ne peut rien dire au Conseil des cinq. Il y a ensuite eu le cas de Marc Clinton, alors ils s'en sont pris à tes grands-parents.

– Et il y a trois ans, elle a rencontré Brigitte, une Visis qui travaille dans la police... et Luciano... un Odos. Kat a donc eu l'ambition d'exterminer les Invis... et sans doute les Télès, pour que les Intès soit au top... et elle offrirait une place au Conseil à ses trois acolytes.

Il eut un moment de silence avant que la plus grande des deux devochka fasse un commentaire.

– C'est bien beau que vous ayez réaliser à quel point vous avez une mentalité médiocre... et que vous ne saviez pas tout ça avant, mais on a des chats à fouetter, Ange et moi.

Je serre les poings pour ne pas lui en lancer un contre son visage poupin, alors que l'autre petite poupée lui donne une tape sur le bras.

– Arrête de rabaisser les autres.

– Je veux simplement qu'on finisse rapidement cette saleté pour aller rejoindre Edward et Jake.

– Je sais... je voudrais être avec Tchad chaque seconde de ma vie! Mais que veux-tu? On n'y peut rien... à moins que tu aurais préféré recevoir la foudre de Zeus?

– Peut-être bien, marmonne la devochka aux yeux rose agressants. Il nous a tellement traité comme de la crotte parce qu'on a échoué notre première mission.

– Tant mieux pour toi si tu te soulages sur nous, dit Clara en fermant l'album, puis en me prenant la main. Direction chez le maire. J'espère qu'on y arrivera à temps.

Nous sortons à l'extérieur et je remarque que le ciel gris s'est encore plus obscurci. Je sens (au sens propre) qu'il y aura bientôt une tempête de neige... voir de la grêle... encore.

Les deux doch sortent de nouveau leurs ailes alors que Clara et moi embarquons dans ma Lamborghini. Nous roulons jusqu'à la baraque géante du maire, alors que la tempête éclate. De gros cotons qui tombent à en rendre aveugle un Visis.

Clara et moi débarquons en vitesse en voyant la grande porte débarquée de ses gonds, pendant lamentablement sur le côté. Les deux devochka se laissent tomber près de nous et rétracte leurs membres d'animaux.

– Vous sentez quelque chose, leur demande Clara, alors que nous nous dépêchons d'entrer, autant pour nous sauver de la neige qui nous fouette le visage que pour rejoindre le maire et sa fille avant qu'il ne soit trop tard.

– Ils sont bel et bien là, marmonne la plus petite des deux blondinettes. Sept démons, pour être exacte.

Nous débouchons dans une vaste salle où il y a toutes sortes de peinture (qui me semble étrangement macabre pour ce qui se passe en ce moment-même), avant de suivre les deux poupées dans l'escalier en colimaçon. Celui-ci fait face à un long et large couloir dont les lumières des plafonniers clignotent de manière chaotique et irrégulier, chacun par intermittence.

Lorsqu'une planche de bois craque sous mon poids, les trois doch se retournent pour m'envoyer un regard de reproche, comme si j'avais la capacité d'être aussi petit, menu et discret qu'elles, mais que je n'en usais pas. Je perçois dans le regard de Clara qu'elle a presque envie de me demander de les attendre là, mais heureusement pour moi, celle-ci ne dit rien.

Lorsque nous arrivons à l'intersection de deux couloirs aussi étrangement mal éclairés que celui que nous venons de quitter, des murmures brouillons parviennent jusqu'à nous, l'éco rebondissant contre les murs tantôt noirs tantôt blancs.

Il y a de grandes fenêtres qui parcours les deux côtés du passage, nous permettant de voir la force du blizzard, si puissant qu'il fait presque trembler le bâtiment.

Si la neige finit par devenir de la grêle, je crois bien qu'il ne restera plus de vitre lorsque nous rebrousserons chemin.

La plus grande des deux devochka s'arrête net et lève une main pour nous immobiliser. Elle tourne son regard rose vers nous et dit : « Préparez-vous à courir, ils ne sont qu'à quelques pas. » sans même avoir bouger les lèvres.

Pendant une seconde, je crois avoir halluciné, mais son regard dissipe mon doute.

Cette doch m'a clairement parler.

– Vous êtes réceptifs, chuchote l'autre, tellement bas que je dois lire sur ses lèvres pour comprendre. Parfait.

« À trois, on court. » dit-elle, elle aussi, sans bouger les lèvres, ce qui me perturbe plus que ce que j'oserais admettre.

C'est un drôle de sentiment de se sentir inférieur à une micro-bactérie.

Je me sens comme un dauphin à côté d'un épaulard qui se cache sous l'apparence d'un fretin. Je le domine, puis quand je m'en attends le moins, je suis choqué par la puissance face à moi.

« Trois » fait une voix féminine dans mon esprit sans que je me sois rendu compte du décompte.

Les trois devochka partent à courir et je les suis avec un brin de retard, mes pas lourds dominant presque le bruit du vent comme le tonnerre qui arrive soudainement.

Il y a au moins une bonne chose à ça. Les sept fraudeurs sont figés d'étonnement... enfin, tous sauf le père de Keven et Mya, dont le regard fou se dirige vers le maire. Celui-ci se dresse devant sa fille, habillé, comme d'habitude, avec effervescence... complètement dépareiller. Il me fait penser à un gamin qui cherche le style vestimentaire qui lui convient. Le maire porte un pantalon skinny beaucoup trop serrer, des bas de nylon qui lui monte à mi-mollet, une chemise arc-en-ciel trop large, une blouse en laine, une cravate décolorée et des lunettes fumée à monture léopard... le tout, agencer à un éventail fait en fausse plume de paon qu'il tient comme s'il avait l'intention de l'utilisé comme arme. Ses cheveux noir grisonnant son envoyer vers l'arrière et ses yeux noisette son grand ouvert comme des soucoupes.

J'ai presque envie d'éclater de rire devant la scène qui se joue... sauf lorsque, d'un rapide lancer, Émile Westscott balance son poignard vers le maire. Le temps parait s'arrêter avant que le cri suraigu de la fille du représentant des Télès résonne, tel une sirène d'alarme pendant une nuit paisible. Le maire s'écroule contre celle-ci, alors qu'elle tente de le maintenir sur pied, puis le lanceur de dague succombe en crachant du sang, l'arme argenté de la doch aux yeux rose en plein dans l'abdomen.

Katerine Volling tente de se sauver en passant à côté de moi, mais d'un geste vif, je l'attrape par le cou et le casse sans avoir eu besoin de beaucoup de force. La vieille tombe à mes pieds alors que Maggie hurle. L'odeur du sang me monte à la tête et me fait chanceler. Du coin de l'œil, la plus petite des jumelles tranche la tête de Brigitte, puis celle de la mère de Maggie avec une longue épée en argent. Le sang gicle sur le sol et les murs. Les têtes tombent et des bestioles noires violacées, gluantes et visqueuses en sortent en se tortillant, tachées d'un épais liquide rouge.

Ma nausée augmente et mon estomac se tord alors que mes yeux croisent leur regard éteint.

Mais le carnage ne s'arrête pas là.

Clara saute sur Maggie, la cloue au sol et la maintient dans le lac rouge qui coule de la tête et du corps de sa mère. Alors que la petite Maggie crie, pleure et se débat, Clara cogne son crâne contre le plancher de bois, encore et encore, le regard remplit de haine et de douleur.

La devochka aux yeux rose extermine les deux derniers hommes avant qu'elle et l'autre petite tranchent en deux les drôles d'araignée extra-nircienne, laissant des points noirs violacés sur les planches de bois.

Puis tout s'arrête.

Seuls les souffles saccadés et les pleurs de la fille du maire nous prouvent que nous ne sommes pas prisonniers d'un cauchemar absurde et morbide... mais c'est encore plus cauchemardesque de se dire que c'est la réalité.

Je m'accotte contre le mur alors que Clara se relève du corps inerte de son ancienne meilleure amie.

Je n'aurais jamais pensé que la fillette souriante et enjouée que j'avais connu finirait ainsi, le crâne bousillé par la doch qui me plais.

La vie est tellement ironique.

Une personne en qui tu as toujours eu confiance n'avait pour but que de te faire du mal.

– Ça été beaucoup plus facile que ce que je pensais, dit la devochka aux yeux rose, alors qu'elle écrabouille le dernier parasite qui fait un horrible bruit de succion. Les habitants de ce monde sont-ils tous aussi faible?

– Il y a des Êtres Mythiques et des Hybrides, commence Clara en fixant d'un regard froid le corps de Maggie. Mais certainement pas assez puissant pour se battre contre des princesses de guerre comme vous deux.

– Moi, je veux bien être juste la princesse, dit la petite blonde en faisant disparaitre son arme tachée de rouge et de noir violet.

Elle se tourne vers l'autre doch qui observe la pièce d'un air ennuyé.

– On fait quoi? On les brûle?

La devochka aux iris rose se contente d'un haussement d'épaule, alors que Clara se dirige vers la fille du maire qui semble là sans y être. Clara s'accroupit et lui arrache le corps de son père des mains.

– Il est mort Élizabeth, dit-elle avec une froideur que j'ai quelques fois eu l'occasion de voir chez elle. Yakim? Emmène-la à l'extérieur, tu veux.

Je lève un sourcil, puis pousse un soupir lorsque nos regards se croisent.

Je ne peux vraiment pas lui résister...

– Va pour le feu, finit par dire la plus petite des blondinettes, alors que je soulève la doch aux cheveux noirs qui me fait penser à un zombie... ce qui est compréhensible, vu ce qu'il vient de se passer.

Elle se tient si mollement que je me demande un instant si elle n'est pas un invertébré.

Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule pour constater que Clara me suit dans le couloir et je vois du même coup les deux devochka venu de Terre fermer les yeux. À ma grande surprise, de la fumée commence à apparaitre autour des corps avant qu'ils ne prennent feu.

Les deux petites blondes nous rejoignent en vitesse, alors que la pièce commence à brûler au point de finir en cendre.

– Dépêchez-vous, nous presse la doch aux iris rose en passant à côté de nous avec l'autre. À moins que vous vouliez finir griller vivant.

– Très peu pour moi, marmonne Clara en pressant le pas.

Nous accélérons la cadence pour sortir à l'extérieur alors que le feu devient de plus en plus dense.

– Qu'est-ce qu'on fait avec elle, ai-je demandé en déposant la fille du maire dans l'allée, à plusieurs pas de ma caisse.

Les trois doch la regarde alors qu'elle s'étale comme une morte, presque trop sous le choc pour continuer à respirer.

– Laissons la là, dit Clara en se retournant pour se diriger vers ma Lamborghini. Lorsque les voisins vont se rendre compte que quelque chose ne va pas, ils vont appeler les pompiers. Nous devrons être loin à ce moment-là.

Son ton me dit qu'elles se connaissent plus que par simple nom.

Je pousse un soupir en jettent un regard vers la devochka amorphe.

– Nous, nous partons pour faire notre rapport, dit la plus petite avant de faire apparaitre de nulle part un portail.

Elles sont vraiment puissantes... j'ai l'impression que ma force supérieure n'est qu'une mauvaise blague comparée à ce qu'elles sont capables de faire.

La doch aux yeux rose s'y engouffre sans un aurevoir, alors que l'autre se contente d'un signe de la main, d'un sourire et d'un « Je vous souhaite une bonne vie. » avant de disparaitre, puis le portail aussi.

Clara et moi montons dans mon char et je démarre en lui jetant un regard, attendant ses prochaines instructions.

– Allons au poste, marmonne-t-elle, le regard fixé en avant comme si elle se voyait encore en train de tuer Maggie. Allons dire à Cédrick que c'est enfin fini... qu'il peut fermer le dossier...

Je la regarde un moment alors qu'elle a une expression lointaine, presque absente, puis je pousse encore un soupir et fais marche arrière.

Nous roulons dans un silence pesant jusqu'au grand poste. Lorsque je me stationne, Clara sort avant même que j'aie coupé le moteur. Je me dépêche de la rejoindre en constatant que la tempête de neige s'est amoindrie.

Nous entrons dans la chaleur du poste alors que certains de mes collègues remplissent de la paperasse. Clara se dirige vers les bureaux des supérieurs et s'arrête un instant devant l'avant dernière porte, comme si elle avait oublié que Cédrick est devenu le big boss du grand poste depuis la mort de Richard.

Elle baisse un moment la tête avant de la redresser et de partir vers le nouveau bureau du représentant des Forès. Sa posture rigide me dit qu'elle prend sur elle pour ne pas éclater en sanglot. Je lui prends la main alors qu'elle cogne à la porte. Nous attendons un instant avant que mon nouveau big boss nous ouvre. Cédrick nous observe attentivement, les sourcils froncés.

- À voir vos têtes, il s'est passé quelque chose.

- C'est fini, marmonne Clara en me serrant la main, comme pour retenir les émotions chaotiques qui la gagnent. Ils sont tous morts... tous les assassins... et Liam...

Clara éclate finalement et pleure à chaude larme alors que je la prends dans mes bras pour lui offrir du réconfort.

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