Chapitre 40 Clara
Je marche tranquillement dans un couloir du bahut quand une bagarre éclate entre deux mecs. Lorsque je m'approche, je constate que c'est Liam qui crie tout en poussant une fille derrière son dos. Celle-ci a un visage dégoulinant de larmes et le nez qui morve horriblement, comme si son but était de se dessécher jusqu'à n'être qu'un tas de peau ratatinée.
– Qu'est-ce qui se passe, ai-je demandé à Salimata qui se tient un peu à l'écart de l'attroupement qui se forme autour du trio.
– Comme d'habitude, répond-t-elle en les observant, alors que l'autre mec envoie son poing vers le visage de Liam.
Je pousse un soupir tout en secouant la tête, alors qu'Edwin s'interpose entre eux.
Liam a le don de se mêler des affaires des autres comme si cela le concernait aussi.
Pavel arrive à contre sens avec Mya et il se met à pousser tout le monde pour faire un passage. Il a à peine besoin d'utiliser de la force pour mettre de la distance entre les autres lycéens... en partie parce qu'il y en a qui sont effrayés rien qu'en le voyant. Pavel empoigne le col de l'adversaire de Liam, alors que celui-ci se débat violemment et d'une manière complètement inutile.
– Va te cacher, minus, si tu ne veux pas te retrouver à la morgue, grogne le frère de Yakim avec un regard meurtrier tout en repoussant le mec sur quelqu'un d'autre, les faisant chuter contre le sol.
Il observe autour de lui et ses yeux durs et froid font déguerpir l'attroupement de curieux.
– Merci, mec, dit Liam avec un énorme sourire, mais Pavel l'ignore en repartant à marcher, suivit de Mya qui donne une petite tape sur l'épaule de notre ami.
– Tu as fini ton cirque, lui ai-je demandé, alors que la morveuse le remercie avant de s'en aller précipitamment.
– De quoi?
– Laisse tomber, dit Sali, alors qu'Edwin et lui s'approche de nous.
– Je dois me rendre quelque part pour une enquête, ai-je commencé en les regardant tout à tour. Quelqu'un est intéressé à m'accompagner?
Tous les trois se regardent avant de sourire avec complicité.
– Où est-ce que nous allons, me questionne Edwin en levant un sourcil.
– À la dernière demeure de mes grands-parents, ai-je sombrement répondu en me souvenant de toutes ses années que j'y avais passé. Ne soyez pas surpris d'y voir des policiers, je leur ai dit hier que j'avais l'intention d'y aller.
– Je vais enfin pouvoir rencontrer Yakim alors, répond Edwin en me faisant un clin d'œil. S'il n'est pas dans mes critères, je ne tenterai pas de te le piqué.
Salimata et moi levant les yeux au ciel alors que Liam rigole en donnant une tape dans le dos de notre ami.
– Retrouvez-moi à l'entrée du bahut, dis-je en m'éloignant vers mon casier, un peu plus loin dans le couloir, où Pavel et Mya se tiennent aussi.
Je ne sais plus depuis combien de temps elle s'est mise à suivre celui-ci comme un poussin suit sa mère, mais je suis toujours aussi surprise de voir qu'elle est la seule personne qui est tolérée par Pavel... enfin, à l'exception de Ruslan... mais ça, c'est s'il est de bonne humeur. Entre Yakim et lui, c'est comme entre chien et chat... le plus jeune cherche toujours la bagarre à son grand frère. Comme s'il voulait prouver quelque chose.
D'ailleurs, il ne semble pas du tout déplaire l'attention intense que Mya lui porte. Dorénavant, on ne voit jamais l'un sans l'autre. D'un côté, ça me soulage que celle-ci porte son amour sur quelqu'un d'autre que Yakim. Il y a, comme cela, aucune chance que notre relation déjà étrange devienne encore plus problématique.
Mya m'en veut déjà assez de m'être lier d'amitié avec Edwin, c'est suffisant pour qu'elle me parle à peine, même à l'appartement.
Elle passe la plus grande partie de son temps à bourdonner autour de Pavel.
J'arrive à côté d'eux et les salue d'un signe de tête, puis j'ouvre mon casier... qui est à côté de celui du frère de Yakim.
– Tu as l'intention de préparer quoi pour le repas de ce soir, m'interroge Pavel de sa voix bourru.
– Désoler mister stone face, mais j'ai prévu une sortie, donc je reviendrai tard.
– Quoi, s'exclame Mya avec une baboune exagérée, alors que Pavel se contente de grogner de mécontentement. Mais qui va faire à manger alors? Yak va finir vers sept heures!
– Ce n'est pas mon problème, dis-je avec un haussement d'épaule, alors que je balance mon cartable dans ma case. Vous n'avez qu'à suivre une recette simple.
Avant qu'ils n'aillent pu ajouter quoi que ce soit, j'empoigne mon sac, puis mon coat de cuir tout en troquant rapidement mes vielles converses contre mes bottes de motard. Je m'éloigne à grande enjambée, alors que Mya m'interpelle, mais je me contente de l'ignorer. J'ai mieux à faire que de les chouchoutés comme des petits chiots qui viennent de naitre. Une mission m'attend. Et plus tôt elle sera accomplie, plus vite on jettera ces criminels en prison... s'ils sont bien plusieurs à comploter. D'ailleurs, je suis encore perplexe de la trouvaille d'hier.
Un Ouïrès.
Il y en a peu dans mon entourage.
En fait... seulement Keven et Mya...
En plus, quand j'y repense, il se pourrait bien que l'auteur du crime soit celui qui a volontairement mis de l'huile sur le comptoir... pour porter à confusion et indiquer une fausse piste...
Et si c'est le cas, c'est qu'il est déjà venu au café... et qu'il savait déjà où se trouvait les huiles que nous utilisions pour préparer les déjeuners. Avoir su ce qui se passerait, boss aurait dû nous demander de prendre les informations des clients en note. Maintenant, c'est encore plus dur d'avancer dans l'enquête.
Je pousse un soupir en sortant du bahut. Les trois autres me rejoignent une ou deux minutes plus tard.
– On prend ta voiture, dis-je lorsque Liam apparait à côté de moi, marchant d'un pas léger tout en sifflotant doucement.
– Tu n'es pas venu à moto, me questionne Edwin en levant un sourcil.
– C'est trop dangereux, les rues sont gelées comme si nous étions au pôle.
– Pas de trouble, répond mon ami Invis en passant à côté de notre trio pour se diriger vers sa berline bleue. Que tout le monde monte à bord. Parer au décollage dans trois minutes.
Edwin monte à l'avant, alors que Sali et moi nous installons confortablement à l'arrière, nous emmitouflant dans la couverture doublée qui traine sur les bancs. Liam démarre et nous partons.
La dernière maison de mes grands-parents se situe en bordure de ville, au sud-ouest. En y repensant, je me demande si les bois derrière la maisonnette se relie à la forêt de Prismayfe. Je me souviens qu'elle est grande et vaste, mais j'ignore si elle domine tout l'ouest de la ville. Il nous fallut une bonne trentaine de minutes avant que Liam ne stationne sa caisse dans la rue, car il n'y a pas assez de place sur la minuscule allée qui mène au vieux foyer de mon enfance. Les deux voitures de police prennent toute la place.
– Alors c'est là où tu as vécu pendant huit ans, dit Liam, alors que nous sortons et avançons vers le perron tremblant et gelé.
– Il semblerait que personne n'y a habité depuis, ajoute Ewdin en remontant le col de son coat à fourrure.
– Qui voudrait vivre dans un endroit où il y a eu un mort, marmonne Salimata, alors que les deux mecs lui font des gros yeux avant de faire un geste plus ou moins discret dans ma direction.
Je lève les yeux au ciel avant de marcher vers l'entrée, suivie de quelques pas par les trois autres. J'ouvre la porte en bois brute qui grince comme si, d'une seconde à l'autre, ses gonds allaient lâcher, puis j'entre à l'intérieur. Cédrick Valier, l'inspecteur Tim, Jeffrey, Yakim et les deux policiers que j'ai croisé hier semblent chercher un quelconque indice. En nous voyant arriver, l'inspecteur et Cédrick nous observent en fronçant les sourcils, peu content de voir que je n'arrive pas seule.
– On peut savoir ce qu'ils font ici, m'interroge rudement l'inspecteur en faisant un geste vers Liam, Edwin et Salimata qui se tiennent derrière moi tout en observant le lieu plutôt... exigu pour dix individus.
Je hausse calmement les épaules, alors que Yakim se tourne vers moi pour me saluer d'un signe de tête. Je me dirige vers lui en ignorant les deux hommes mécontents, puis j'enlace son large bras avec les miens. Il plisse les yeux comme s'il s'attendait à tout instant que mon humeur change. Je lui fais un sourire furtif avant de porter mon attention sur les vieux meubles poussiéreux qui nous entourent.
– Vous avez trouvé quelque chose?
– Non, chuchote Yakim en se dégageant légèrement de moi. Il n'y a que de la poussière ici.
Il se frotte le nez, alors que je l'observe, me demandant s'il me boudait à cause de ce que j'ai dit hier.
C'est vrai que c'était peut-être un peu rude de ma part...
– Désolé, ai-je soufflé en serrant sa main avant de m'éloigner de lui pour examiner la maisonnette.
Comme dans mes souvenirs, la petite bâtisse est constituée de deux chambres, une minuscule salle de bain, une cuisine qui sert aussi de salle à manger et un vestibule, où Liam, Edwin et Salimata sont entassés.
– Il n'y a effectivement rien ici, dis-je après avoir fait le tour. Même pour des yeux comme les miens.
Je jette un coup d'œil à Liam et il secoue la tête en réponse à ma question silencieuse.
– Je ne sens rien, à par l'odeur du sang sèche qui a presque disparue, camouflée par l'accumulation de poussière.
– Nous avons parcouru deux kilomètres de circonférence dans la forêt derrière, ajoute Cédrick Valier. Nous n'avons rien trouver d'utile.
– Je vois, dis-je tout bas, quelque peu déçu. Ce n'est peut-être pas cet endroit...
Alors que les policiers et mes amis sortent de la bâtisse, je me sens soudainement nauséeuse et étourdie, le cœur battant à la chamade, partant à grand galop sans mon corps. Je cligne des yeux, alors qu'un mal de tête explose dans mon crâne. Je chancelle et me cogne contre le mur défraichi, alors que des bruits, des odeurs et des images viennent perturber mes sens.
Un battement de cœur, lent et régulier.
Une odeur tantôt douce tantôt âcre. Un brin sucré.
Une couleur jaune. Intense. Agressante. Lumineuse.
Ouïrès.
Il revient encore.
Ce n'est pas un hasard.
La réponse est là.
Tout près.
– Clara?
Je lève les yeux, la conscience redevenue normale, alors que Yakim m'observe, une inquiétude interrogative dans le regard. Il me prend la main et nous restons quelques secondes comme ça, dans un silence apaisant, les yeux dans les yeux.
Lorsque nous sortons, les autres policiers sont partis sans Yakim. Celui-ci fronce les sourcils avant de pousser un long soupir.
– On va manger quelque part, nous propose Edwin en jetant un regard malicieux vers Yakim avant de me faire un clin d'œil.
– Si c'est toi qui paies, marmonne Salimata en le bousculant un peu.
– Yakim évite d'ordinaire de manger à l'extérieur, dis-je en observant celui-ci qui se contente d'hausser les épaules.
– Une autre fois, dit Liam en regardant son cellulaire. J'ai... on pourrait dire, une réunion familiale. Je dois y être dans moins d'une heure.
– Dommage, soupire théâtralement Edwin. Je vais devoir, comme toujours, me contenter d'un tête à tête avec Sali... l'ennuie...
Celle-ci lui donne un coup de coude, faisant rigoler notre ami.
– Aller, dit Liam en se dirigeant vers son véhicule tout en jouant avec ses clés. Il faut que je vous dépose.
Pendant tout le trajet jusqu'à ce que Liam laisse déguerpir Edwin et Salimata dans le coin le plus délabrer de la ville, j'avais dû m'asseoir sur Yakim tant nous étions coincés à l'arrière. Heureusement que le trajet n'a pas été aussi long qu'en venant... j'aurais fini par voir vraiment mal aux fesses.
– Je vous débarque au poste où chez vous, nous interroge Liam, alors que nous approchons du lieu de travail de Yakim.
– Au poste, lui répond celui-ci en se penchant vers l'avant pour mieux parler avec Liam. Je dois y faire deux trois trucs... et puis j'ai ma voiture là-bas.
– Okey.
– Est-ce que ça te dérange de m'attendre, me demande le Forès en me regardant.
Je secoue la tête et il me fait un petit sourire avant de caresser ma joue du bout des doigts, comme s'il hésitait à me toucher. Yakim la laisse retomber sur sa cuisse en reportant son regard vers l'extérieur.
Nous débarquons quelques minutes plus tard et saluons Liam qui part dans un vrombissement de moteur. Yakim se dirige à l'arrière et je le suis en trainant les pieds, alors que des bruits, des images et des odeurs parviennent de nouveau à mes sens avec une telle force qu'ils m'en étourdissent presque. J'entends des discussions brouillons, je sens des parfums passés et je vois comme des photographies anciennes, floues et rapides qui dates peut-être de quelques jours ou de plusieurs siècles.
Je chancèle en clignant des yeux et secoue la tête pour tenter de faire disparaitre toutes ces sensations étranges. Après un moment, mes sens retrouvent leur normalité. En relevant les yeux, je constate que Yakim m'observe, figé à quelques pas devant moi.
– Est-ce que tu, commence-t-il, la lumière rouge de ses iris encore plus agressante que d'ordinaire. Ce... tu...
– Je vais bien, ai-je marmonné en m'approchant de lui avec un sourire forcé.
Je lui presse doucement le bras avant de marcher rapidement vers la porte arrière, réserver uniquement aux employés. Yakim me rattrape et enlace ses doigts aux miens. Il n'insiste pas à me poser des questions et je lui en suis reconnaissante, car sa seule présence à mes côtés me réconforte, m'apaise, comme s'il était un bouclier ou mon encre... la béquille qui m'aide à rester droite et forte.
– Si tu as besoin de parler, je suis là, dit-il doucement avant de me caresser la joue, puis d'ouvrir la porte arrière du poste.
– Je sais, ai-je murmuré alors que nous entrons dans la chaleur agréable du bureau de police.
À l'intérieur, tout est chaotique. Des policiers courent en lançant des ordres à tue-tête, tellement qu'on peut à peine comprendre ce que l'un ou l'autre dit. Certains pianotent bruyamment sur leurs claviers et d'autres discutent par téléphone en dialoguant à une vitesse hallucinante.
Déboussoler par toute cette énergie, je m'agrippe au bras de Yakim, alors que celui-ci fronce les sourcils, signe que l'atmosphère n'est pas habituel. Nous avançons rapidement vers Jeffrey qui vient de raccrocher au téléphone avec un long soupir exaspéré. Il passe une main sur son visage avant de remarquer notre présence près de lui.
– Qu'est-ce qui se passe, l'interroge Yakim en faisant un geste vers leurs collègues.
– Nouveau meurtre... les habitants de la ville sont en pleine panique... et ils cherchent à avoir des informations...
– Pourquoi, lui ai-je demandé en fronçant les sourcils. Qu'est-ce qu'il y a de spécial, ce meurtre?
Je vois Jeffrey hésité un instant avant de se lever pour aller chercher un document sur le bureau d'un de ses collègues.
– Regarde ça et tu vas comprendre, dit-il en me le tendant.
Je prends les feuilles brochées d'une main tremblante et me fige en voyant les photographies prisent des victimes.
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