Chapitre 38 Clara
Je regarde mon cellulaire, mais je ne reçois aucune nouvelle de Maggie. Elle n'a sans doute pas encore déchiffré totalement la prophétie. Moi-même, en revenant de ma sortie avec Yakim, je m'étais tout de suite replongée sur l'analyse des vers sans pour autant découvrir un sens logique.
Une tape sur mon épaule me fait lever les yeux pour voir qu'il s'agit de Liam. Celui-ci se laisse tomber à côté de moi, à notre table habituelle, dont il venait quelque fois nous rejoindre. Edwin et Salimata sont assis en face de nous et, comme toujours, la deuxième écoute le premier jacassé, mais elle ne tend qu'une oreille pour enregistrer son monologue.
Un peu plus loin, je remarque que Mya nous envoie des regards noirs, habitude que je tente d'ignorer sans vraiment y parvenir tout à fait.
– Prêt pour la réunion, ai-je demandé à Liam en lâchant mon cellulaire pour le mettre dans la petite poche de mon sac en cuir.
– Ouais... tous les Invis trouvent étrange la mort de Steven et Ted. C'est bien pour parler de ça que tu as demandé à Pamella de faire une réunion des Invis?
Je hoche la tête en croisant mes mains sur la table.
– Yakim m'a conseillé de tous vous prévenir.
Edwin stop net son babillage pour me fixer. Même Sali semble soudainement intriguée.
– Qui est Yakim, me questionne Liam en levant un sourcil.
– Je vous en n'ai jamais parlé?
Mes trois compagnons secouent leur tête.
– Il me semble que c'est la première fois que j'entends son prénom, dit Edwin en mettant son coude sur la table, poing contre sa joue et en me fixant avec un petit sourire taquin.
– Je... c'est un... coloc, ai-je marmonné en évitant de regarder l'un d'eux dans les yeux.
Il eut un petit silence avant que Sali vienne mettre son grain de sel.
– C'est clairement son copain.
– Tout à fait d'accord, approuve Liam en me regardant, les yeux plissés, comme s'il cherchait à lire en moi.
– Est-il beau gosse, me questionne Edwin, les yeux brillants de malice.
– Quoi, réplique mon ami Invis en observant celui-ci avec un sourire carnassier. Tu as l'intention de le lui piquer s'il est canon.
Salimata jette un coup d'œil à notre ami homosexuel, alors que celui-ci éclate de rire, s'attirant des regards noirs de ceux et celles qui se trouvent aux tables près de nous.
– Tu as tout vu, hein!
– Rien ne peut m'échapper, fanfaronne Liam en levant le nez en l'air, puis en lui faisant un clin d'œil.
Les ignorants, Sali et moi replongeons dans la contemplation de notre repas du midi, tous deux végétaliens. Alors que nos deux amis jacassent aussi intensément que des mémères sur les acteurs célèbres, cherchant à savoir si certains ne seraient pas une race de surnaturel, mon cellulaire émet un bip. Je le sors pour découvrir un message de Maggie. Elle s'excuse simplement de ne pas avoir eu de temps pour continuer son analyse, ne précisant pas ce qui l'a empêché. Je fronce les sourcils en trouvant son texto inhabituel. Normalement, elle m'aurait donné une explication... et je sais clairement qu'il ne s'agit pas de devoir, car elle les avait déjà tous terminé...
Ce qui laisse une seule possibilité.
Elle est malade.
Mais il est rare pour les marqués d'avoir une quelconque maladie, dû à notre lien avec le diable, sans doute.
Enfin... à l'exception de la folie que peut emmener une trop grande puissance à un marqué.
Est-ce la folie qui commence à lui manger le cerveau?
Ça me semble peu probable... Il y a à peine deux jours, elle allait parfaitement bien...
Au pire, j'irai la voir demain...
Ou peut-être après la réunion des Invis...
À moins que j'y aille pendant mes heures de cours de l'après-midi.
Si je me souviens bien, l'établissement privé a mis un congé aujourd'hui.
– Qu'est-ce que nous avons comme cours, cette après-midi, ai-je demandé à mes compagnons en plongeant mes boulettes végé dans du sirop d'érable saupoudré d'amande et de noix de coco.
– Physique et langue, me répond Sali en mangeant du bout des dents ses rouleaux de ris, d'algue, de pois chiche et d'asperge, qu'elle trempe occasionnellement dans une sauce aux cerises.
Mes notes sont acceptables en physique et en langue, je n'ai aucun souci à me faire...
Je peux bien consentir de ne pas y aller.
– Ne me dit pas que tu as l'intention de manquer des cours, s'exclame Liam en me poussant doucement d'un coup de d'épaule. Nous sommes juste en début de semaine.
– Je n'ai pas manqué tant que ça, la semaine passée, je peux donc me le permettre.
– Qu'est-ce que nous avons récupéré à la déchetterie, se moque mon ami Invis en faisant référence à moi.
– Une épée, ajoute Edwin en entrant dans son jeu. Elle parait vieille, rouillée et en mauvaise état, mais elle reste une arme tranchante dont il faut se méfier.
– Laissez-la tranquille, les gronde Salimata alors que les gars pouffent de rire. Si tu as besoin de quoi que ce soit, Clara, je peux t'aider.
– Merci, dis-je en me levant tout en finissant à la va vite mon diner. Mais je vais seulement voir une amie.
Je ne prends pas la peine d'attendre leur réaction que je me faufile dans les couloirs jusqu'à mon casier, où je prends mon coat de cuir, avant de partir à l'extérieur de l'établissement.
Si Maggie ne me donne pas de nouvelles, j'irai les chercher.
Il tombe des gros flocons alors que je mets mon casque et enfourche ma bécane. Je sors mes gants de cuir d'une des poches de mon coat, puis les enfile rapidement en sentant le froid glacial battre contre mes doigts.
Je démarre sans plus attendre et me dirige vers la maison de Maggie, zigzagant entre les voitures qui roulent plus lentement qu'à l'accoutume. La météo va sans doute annoncer une tempête d'ici quelques heures... s'il n'y a pas une panne d'électricité avant même que le verglas et le gros de la neige soient tombés.
Je me stationne après avoir pratiquement déraper sur une plaque de glace noir et faucher un chat peu frileux.
J'arrête le moteur et débarque avant de me diriger à pas prudent vers l'entrée. Je presse la sonnette et attends en marchant sur le petit balcon pour me réchauffer les jambes, à peine protéger d'un legging et de ma jupe d'écolière.
J'attends de longues minutes dans le froid et le silence avant d'envoyer un texto à Maggie. Je tente de voir et d'écouter s'il y a un signe de vie dans la bâtisse, projetant mon esprit vers l'intérieur sans vraiment savoir ce que je fais.
Je ne perçois rien.
Pas même un mouvement.
À peine le tic-tac de l'horloge dans le salon du ré-de-chaussé.
Je reviens dans mon corps, déboussolée par cette capacitée peu commune des Invis. La projection de l'esprit est un pouvoir complexe disparue depuis longtemps de mon clan.
Nul ne sait plus comment arriver à ce stade avancé de magie.
Moi-même, je n'aurais pas dû y arriver... mais... il semblerait... pour une raison inexplicable, que je possède plus de théurgie que tous les autres... et cela, sans être atteinte de folie.
Je fronce les sourcils en regardant mon cellulaire.
Maggie ne m'a toujours pas répondu et je ne vais surtout pas patienter là, sur le perron glacé, à geler comme une petite crevette.
Je retourne vers ma bécane en mettant mon téléphone dans la poche intérieur de mon coat de cuir (que j'ai cousu, il y a déjà plusieurs jours).
Je démarre et pars vers la baraque de ma tante Pamella, à quelques avenues d'ici.
Les flocons se transforment de temps à autre en grêle, fouettant de plus en plus violemment mon casque et le reste de mon corps. Je réussis, sans avoir trop de bleu, à me rendre chez la sœur de mon père, Victor et Richard (le big boss de Yakim).
Pamella est déjà là, vu qu'elle travaille à son compte de chez elle. En gros, elle est une artiste de tout genre. Écrivaine, peintre, musicienne, etc. Il n'y a pas un type d'art qu'elle n'a pas essayé (pâtisserie et produit naturel y compris). Sa passion, c'est créé. D'ailleurs, elle a offert à presque tous les marqués de la ville une de ses œuvres, qu'il soit éphémère ou non.
Moi, elle m'a donné mon étui de téléphone, décoré d'un paysage nocturne et de violettes. Un véritable chef d'œuvre, surtout sur une aussi petite surface. Les détails sont tellement réaliste qu'on pourrait avoir l'impression d'y être, et j'exagère à peine. La pluie d'étoile qu'elle y a peint rand le tout encore plus splendide.
D'un côté, je l'envie pour cette dextérité et cette patience dont elle fait preuve.
Je secoue la tête pour chasser les pensées inutiles, puis je descends de ma moto pour ensuite me diriger vers la porte d'entrée. Je sonne et attends quelques secondes avant d'entendre la voix chantante de ma tante dire qu'elle arrive après s'être débarbouiller un peu. Lorsque Pamella ouvre la porte, je constate que ses cheveux sont attachés à la va vite et que son visage est quelque peu taché de ce qui me semble être de l'argile. Pendant un court instant, ma tante me regarde avec surprise, puis elle me laisse ensuite entrer dans la chaleur accueillante propagée par le foyer du salon.
– Tu étais en train de te faire un masque, l'ai-je taquiné en faisant un geste vers son visage rayonnant.
Pamella touche ses joues avant d'éclater d'un rire cristallin qui me tire un sourire.
– Il parait que c'est bon pour la peau. Tu veux essayer?
– Très peu pour moi, dis-je en grimaçant tout en retirant mes boots de motard, ce qui l'a fait encore rigoler.
Ma tante part vers son atelier, une pièce exclusivement pour elle et ses œuvres, et je la suis en retirant mon cellulaire de ma poche, que je garde dans ma main, puis mon coat de cuir.
– Qu'est-ce que tu fais, cette fois-ci?
– Secret, me répond-t-elle en rangeant ses blocs d'argile dans des sacs plastiques pour que ceux-ci ne s'assèchent pas et deviennent durs comme une brique. Tu le verras fini, comme tout le monde. Tu sais bien que je n'autorise personne, pas même Richard ou Victor, à voir ce que je fais avant le résultat final.
– Tu peux bien faire une exception pour moi, tante Pam, dis-je en clignant exagérément des yeux et en faisant un sourire de troll.
Elle me donne une pichenotte sur le font tout en souriant.
– Personne veut dire aucune exception, Violette.
Pamella me surnomme ainsi en raison du tatouage de cette fleur que tous les Invis possèdent à leur naissance... et la mienne est plus grande et plus mauve que les autres. Il prend d'ailleurs une grande partie de mon ventre, du côté gauche, la partie dominante de mon cerveau.
Je me rappelle que, lorsque je vivais encore avec Léo et Louisia, et que nous étions partis, Aya, eux et moi, à la plage, il y avait eu une femme qui m'avait dévisagée comme si je faisais partie d'une secte bizarre et vaudou. Léo avait fini par l'envoyer promener. Il s'était même demander si elle avait l'intention de me trucider dans un endroit public.
Mon expression s'assombrie à cette pensée et je serre les lèvres.
Il faut à tout prix que je retrouve le ou les meurtriers pour venger les miens... et plus vite ce jour arrivera, plus vite je serai soulagée d'un énorme poids...
Même si... je me finis moi-même par être pour de bon en prison pour assassinat.
– Violette?
Je lève les yeux pour voir ma tante me regarder avec de l'inquiétude dans ses yeux pareilles aux miens. Je tente un sourire, en vain. Son expression s'adoucie et elle fait un geste vers le salon. J'y vais en soupirant alors qu'elle va se nettoyer plus convenablement. Quelques minutes plus tard, Pamella se laisse tomber à côté de moi, sur son divan couleur d'herbe.
– As-tu besoin de parler, me demande-t-elle en prenant doucement ma main gauche dans les siennes, alors que je serre la droite sur mon téléphone.
– Je... je ne sais pas... je ne sais plus quoi pensé, tante Pam. Je me sens tellement perdu. J'ai l'impression de ne pas avoir le droit d'être heureuse... et... à d'autre moment, je ne ressens plus rien... ou simplement de la haine envers ceux qui... qui...
– C'est bien normal, Violette, chuchote Pamella en prenant délicatement ma tête pour la poser sur son épaule, puis me caresse les cheveux. Mais si je devais te prodiguer un conseil, tu devrais laisser court à toutes tes émotions à travers quelque chose. Un sport, un art, peu importe, mais il le faut. Ne fait surtout pas quelque chose que tu pourrais regretter. Et surtout, ne te brise pas, Violette. Ne te brise surtout pas pour quelque chose qui n'est pas ta faute.
Nous restons un moment-là, serrée l'une contre l'autre, dans un silence lourd de tristesse... et pourtant, sa présence me donne de la force. Peut-être parce qu'elle est dans une posture semblable à moi... Elle a perdu son frère... puis ses parents... Elle aurait voulu s'occuper d'Aya et moi, mais à ce moment-là, elle venait de perdre son premier emploi. C'est dans ce même temps aussi qu'elle avait décidé de travailler à son compte... ce qui n'était pas facile vu qu'elle n'était connu de personne.
Après quelques minutes à rester dans un silence apaisant, Pamella se met à me parler de mon père et de leur enfance. Elle me parle des mauvais tours qu'ils jouaient à leurs parents jusqu'à ce que Richard et Victor, puis les autres Invis arrivent.
Liam est arrivé en première, mais après mon oncle et mon... cousin, puis il y a eu Lucianna Worguing, la secrétaire de mon établissement, d'Annie, la femme de Ted, et de leur fille, Tina, qui n'a qu'onze ans.
La grand-mère d'Annie était la sœur de mon arrière-grand-père maternel... et Steven, mon ancien collègue de travail, était le cousin d'Annie et, si je me souviens bien, le demi-frère de Lucianna.
– Nous sommes réunis aujourd'hui pour discuter de ce qui s'est passé dernièrement, commence Pamella en observant tout le monde, chacun assis quelque part dans le salon. Je vais laisser la parole à Violette... enfin... je veux dire, à Clara, qui connait plus de chose que moi sur l'enquête en cours... et la mort inexpliquée de deux des nôtres... encore...
Je hoche la tête alors que Richard et Victor froncent les sourcils. Bien qu'ils soient eux-mêmes dans la police, il y a quelques informations qu'ils ne détiennent pas, comme la prophétie. Certes, il y a sans doute des infos que je ne possède pas et ne pourrais pas connaitre sans la présence de personne de la police dans notre clan.
– Je vais d'abord débuter par le commencement, dis-je en me penchant en avant, les mains jointes, les doigts croisés, tout en observant chaque Invis dans les yeux variants, pour la plupart, entre le gris et le bleu. Il y a déjà douze ans, mes parents sont morts de manière... morbide... et il y a quelques années, mes grands-parents sont décédés d'une façon similaire... puis plus récemment, mes... parents adoptifs, on pourrait dire, ont aussi été assassiné. Les enquêteurs, de ce qu'ils ont reporté, ont découvert que tous ces meurtres avaient un lien entre eux... y compris la mort de Steven et Ted... ainsi que le fils de Cédrick Valier, le représentant des Forès. De ce que nous en avons déduit, c'est que son fils était un... innocent... Il ne servait qu'à menacer un de mes amis Forès et en même temps, mettre en garde et un policier haut placé et un autre Forès qui peut nous venir en aide. Je me suis dit qu'il est logique d'exclure ce clan, car les véritables meurtriers sont effrayés par eux.
– Qu'est-ce qui te fais croire que c'est un ou des marqués, me questionne Annie en serrant Tina dans ses bras.
– J'y viens. Il est presque sûr qu'il s'agit d'au moins un marqué. Beaucoup d'information que nous possédons nous pousse à croire qu'il s'agit d'un individu minutieux et sain d'esprit.
– Sain d'esprit, me nargue Victor avec un dédain aucunement dissimuler. Il n'y a personne saine d'esprit qui ferait une chose pareille!
Mon expression s'assombrit à ses mots, mais je chasse bien vite de mes pensées la réplique cinglante qui flotte sur mes lèvres.
– Ce que je veux dire, c'est que le cerveau de cette bande doit tout calculer, tout mesurer dans les moindres détails. Ce qui veut dire?
Le regard de Richard s'illumine lorsqu'il comprend où je veux en venir.
– Mais bien sûr, s'exclame-t-il en se tapant le front. Les plus suspects pour ce poste, ce sont les Intès!
Il tape dans ses mains tout en hochant la tête, alors que lui et moi sommes les seuls à comprendre.
Après la réunion, alors que Luciana et Liam sont déjà partis, Annie descend le perron pour se rendre à sa voiture, passant à côté de moi alors que j'observe le ciel tout blanc. J'allais me diriger vers ma bécane quand la petite main de Tina agrippe la mienne. Je baisse les yeux vers la fillette qui me regarde, les yeux légèrement voilés par autre chose que le violet lumineux de ses iris bleu-gris.
– Toi et moi sommes pareilles, commence-t-elle d'une voix lointaine qui me semble venu d'outre-monde. Notre corps est jeune, mais notre âme est vieille. Elle se souvient de ce qui nous a été arraché... à la descendance et nous-même... mais elle peut toujours en user sans tourment. Nous sommes peu... nous sommes rares, mais nous sommes là, en attente de notre éveille... en attente de l'appel... en attente de l'apocalypse.
Je fronce les sourcils et Tina cligne plusieurs fois des yeux avant de me faire un grand sourire qui me laisse perplexe.
– Il faut écouter, observer et sentir tout ce que notre esprit a à nous dire... et découvrir tous les secrets bien gardés de la nature.
Elle me serre la main avant de partir en gambadant vers sa mère.
Je reste quelques secondes là, figée et étonnée, alors que la caisse d'Annie part sur la route.
– Quelle étrange petite, ai-je marmonné alors que le vent du nord vient rougir mes joues et mes oreilles.
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