Chapitre 36 Clara
Maggie et moi sommes penchées sur les vers que m'avait blatéré la Harpie, il y a déjà trois jours. Mon amie lit attentivement la potentiel prophétie que j'ai réussi à écrire sans omettre un seul mot. Sa concentration est tel qu'elle semble faire abstraction au monde réel, moi y compris. Je la regarde avec un brin d'exaspération, car elle est dans la même position depuis au moins une demi-heure, voir une heure. Je peux gigotter autant que je le veux et faire des singeries à côté d'elle, mon amie est trop concentrée pour s'en rendre compte.
– Alors, lui ai-je demandé, incapable d'attendre plus longtemps, alors que Maggie fronce les sourcils pour la dixième fois.
– C'est bizarre... je n'arrive pas à tout comprendre... comme les « sentinelles aériennes » dans l'avant dernier ver.
Je regarde la ligne qu'elle pointe, puis me creuse les méninges pour en trouver un sens quelconque.
– Crois-tu que ça pourrait désigner deux Hybrides ailés? Ou plus précisément des... Harpies?
Maggie hausse les épaules, puis mordille de nouveau son stylo, habitude qu'elle a lorsqu'elle est concentrée.
– Peut-être... mais je suis presque sûr que ça veut dire autre chose.
– Au pire, dis-moi ce que tu peux, puis nous irons voir Kat après, pour nous aider à éclaircir tout ça.
Maggie hoche la tête et relit une autre fois toute la strophe.
– « Lors du zénith de la lune noir et de l'étoile mourante. » Je pense que se sera pendant une nouvelle lune, au moment exact lorsqu'elle sera à son point le plus haut dans le ciel... donc au milieu de la nuit, la suite arrivera.
Je lève un sourcil alors qu'elle me jette un regard confiant.
– Et la nouvelle lune, c'est dans à peu près deux semaines. C'est pour bientôt.
– Mais attention, dit Maggie en me pointant avec le bout mâchonné de son crayon. Il semble y avoir deux choses qui se passeront à deux moments différents.
Je la regarde en me redressant alors que mon amie s'installe plus confortablement dans son lit, avant de me montrer la sixième et la septième ligne.
– Ces deux-là, je pense qu'ils vont ensemble. Regarde. « Le dernier espoir tu trouveras, parallèle à l'équinoxe du temps. » Mais j'ignore ce qu'ils cachent. Quel sera ton dernier espoir? Et parallèle à l'équinoxe du temps? L'équinoxe, c'est quand le jour et la nuit ont la même duré de temps, mais pourquoi préciser que c'est sur le temps?
– Mag, ai-je marmonné en lui donnant une petite pichenotte sur le front, un peu exaspérée, en levant les yeux au ciel.
– D'accord, d'accord, rigole-t-elle en se frottant où mes doigts ont laissé une marque. Je te dis ce que je sais sans trop me poser de question.
– Temps mieux, comme ça, nous irons voir Kat plus vite pour les choses que tu ne comprends pas.
Elle me fait un petit sourire avant de replonger dans son analyse.
– Donc, j'ai dit que le premier ver veut dire que ça se passera au milieu de la nuit, pendant une nouvelle lune. Ensuite, ça dit : « Vole jusqu'au repère ancien où se trouve la clé. » Je me suis dit que ça pourrait être la maisonnette de tes grands parents et que là, tu trouveras quelque chose. En revanche, je ne vois pas le rapport avec le second ver : « Aveugle devant la face caché. » Comment une Invis comme toi qui voit l'invisible peut-elle être aveugle devant quelque chose?
Je hausse les épaules alors que Maggie secoue la tête tout en fronçant les sourcils.
– Et puis : « Le feu brulant du dernier soupir. » C'est impossible que ce soit ta mort vue que la prophétie continue... mais c'est clairement la fin de quelque chose... « La vérité prisonnière dans les entrailles profondes. » Les entrailles peuvent avoir plusieurs signification... est-ce physique, comme creuser dans la terre, ou spirituel, donc quelque chose qui se cache au plus profond de quelqu'un...
Je soupirs en voyant que mon avertissement à dire ses questionnements à haute voix n'a servi à rien.
– J'n'en sais rien.
– Et puis le dernier ver : « Les âmes brisées trouveront route vers l'ombre du malheur. » J'imagine que l'assassin n'agit pas seul, c'est pour ça que c'est écrit « les âmes brisées ». Donc ça veut dire que tu triomphes et qu'ils vont en prison.
Je lui jette un regard alors qu'elle hoche la tête avec conviction alors qu'elle marque tout ce qu'elle venait de dire sur le papier ligné.
– C'est tout?
– Oui. De ce que j'ai compris en tout cas. Les phrases à double sens, c'est le domaine de grand-maman Kat.
Je hoche à mon tour la tête, puis regarde l'heure sur mon cellulaire. Quatorze heures.
– Tu crois que Kat est chez elle? Je sais que nous sommes samedi, mais elle pourrait tout de même avoir un client.
– Je crois bien qu'elle y est, dit Maggie en pliant la feuille pour la mettre dans son petit sac noir qu'elle a toujours sur elle, lorsqu'elle sort, à l'exception de l'établissement privé.
– Tu m'accompagnes pour aller la voir?
– Évidemment, s'exclame-t-elle comme si c'était une évidence. Il n'est pas question que je perde une miette de l'analyse qu'en fera grand-maman Kat!
Nous sortons de sa chambre et nous nous dirigeons vers l'entrée de sa maison. Mon amie crie à ses parents que nous sortons, puis nous allons à l'extérieur. Nous nous dirigeons en silence vers ma bécane, stationnée à l'arrière des deux berlines de ses parents. J'observe un moment le ciel gris de l'après-midi. L'odeur de la pluie se fait de plus en plus forte, prévenant ainsi ceux qui s'attardent pour le percevoir qu'un déluge approche. Un grondement retentit alors que nous prenons nos casques, les mettons et montons sur ma moto. Je démarre alors que Maggie s'accroche à mes épaules.
Nous zigzaguons à travers les rues et les véhicules, dont les conducteurs me traitent de folle, alors que je me glisse comme une ombre dans les espaces exigües entre les différents types de transport. Je sens plus le rire de Maggie que je l'entends dans toute la cohue bruyante de vrombissements, de klaxons et d'injures de gens grognons et énervés. Je finis par tourner sur la rue de la maison de Kat et lorsque nous arrivons, je remarque une BMW noir aux fenêtres teintées stationnée devant la petite bâtisse. Je sais de source sûre qu'il n'appartient pas à Kat, car elle avait vendu la sienne quelques temps après la mort de son mari. Ce véhicule-ci m'inspire quelque chose d'étrange. Une aura malveillante semble en emmener. C'est pourtant un moyen de transport comme un autre.
« On peut cacher toutes sortes de chose dans ce genre de voiture », dit une voix dans mon esprit qui a les intonations grave de mon père.
Nous nous stationnons et je jette un regard par-dessus mon épaule pour voir le visage perplexe de mon amie.
– À voir ton visage, tu ignores si c'est un client ou non, lui dis-je alors qu'elle descend, puis détache son casque en hochant la tête, les sourcils froncées.
– Elle m'a pourtant dit qu'elle n'en avait pas aujourd'hui, me répond Maggie alors que je descends à mon tour et enlève mon casque.
Je hausse les épaules en ouvrant le banc et Maggie prend son sac avant que nous y mettions nos protèges têtes. Elle part à grande enjambée vers la porte d'entrée alors que ses pieds couinent sur la mince couche de neige. Avant de marcher à sa suite, je remarque trois empruntes différente. Je les prends en photo au cas où ses visiteurs sont des gens louches et mal intentionnés, puis fais de même avec la plaque d'immatriculation.
On n'est jamais trop prudent, comme aurait dit mon père.
Léo aurait plutôt utilisé l'expression ; il est préférable d'avoir plus que pas assez.
Dans certain cas, cette phrase aurait simplement été de l'exagération... mais j'en comprends le sens... même si ça vient d'une personne matérialiste...
Je pousse un soupir et marche vers le perron alors que Maggie vient de s'y engouffrer à pas de loup, comme si elle avait l'intention d'espionner les invités de Kat, qui qu'ils soient. De mon point de vue, c'est une mauvaise idée, surtout si ces gens sont dangereux. Mieux vaut être franc qu'essayer d'être discret... car s'ils nous découvrent à essayer d'écouter quelque chose qu'ils ne veulent pas être entendu, nous serons inévitablement plus dans la galère que si nous ne savons rien. C'est pourquoi, alors que nous entendions vaguement le bourdonnement des voix, je pousse indiscrètement Maggie jusqu'au salon, ainsi, ils purent nous entendre et cesser leur babillage avant même que nous puissions discerner un seul mot... et passer la tête dans le boudoir.
Une donzelle d'une trentaine d'année et deux hommes ayant visiblement une bonne différence d'âge regardent vers nous, alors que Kat boit tranquillement une tisane. Celle-ci lève doucement les yeux vers nous en passant une main sur sa longue jupe pour la lisser. Maggie fait un petit salut de la main, alors que j'observe chacun des inconnus. La meuf, assise plus près de nous, me dit vaguement quelque chose, mais je ne me souviens pas où j'ai pu la croiser. Ses cheveux blonds délavés sont relevés en une épaisse tresse autour de son crâne, alors que ses yeux noisette et rusés nous observent de la tête aux pieds sans une once de discrétion. Son visage et sa posture laissent penser qu'elle est une femme froide, distante et peu bavarde. Ses bras longs et minces sont croisés. Son t-shirt à manches longues est moulant et son pantalon noir accentue sa taille élancée, son attitude peu encourageante et sa présence oppressante.
Le petit gonze assit près de Kat joue nerveusement avec ses larges mains aux doigts courts. Ses cheveux noirs sont mal coiffés et ses yeux brun chaud observent chaque coin de la pièce comme s'il était effrayé de les garder trop longtemps quelque part. Des cernes rendent ses iris encore plus ternes, comme s'il ne trouvait plus de raison de vivre... une chose après quoi s'accrocher de toutes ses forces. Ses habits d'homme d'affaire, gris, bleu et noir, sont complètement fripés, comme s'il s'était amusé à les rouler en boule.
Mon regard se porte ensuite vers le second hère et je le reconnu tout de suite, en raison de son regard fou et son sourire détraqué à la fois savant et inquiétant.
Émile.
Le vieux mec étrange qui était venu au café, un jour, lorsque j'avais décidé de faire plus d'heure. Il se tient debout, près de la causeuse où se trouve la donzelle aux traits figés dans un bloc de glace.
Le contraste entre les deux est flagrant.
Ses cheveux roux tirant un peu vers le brun sont lissés vers l'arrière et ses yeux verts délavés sont fixés sur moi, une lueur peu rassurante brillant dans ceux-ci. Il porte une simple chemise blanche, dont les manches sont remontées sur ses avant-bras pâles, ainsi qu'un jean bleu sel qui me donne l'impression de vouloir imiter un adolescent... alors qu'il doit avoir aux alentours d'une quarantaine d'année.
– Est-ce qu'ils sont... des clients, demande Maggie d'une voix hésitante à Kat tout en désignant d'un coup de tête les invités de celle-ci.
– Ce sont des amis que j'ai rencontré lorsque je travaillais pour Clark Mcman, il y a quelques années.
Cette histoire date de trois ans. Ce type, qui était à peine plus âgé que moi aujourd'hui, avait été accusé à tort d'un assassinat. Le véritable criminel avait fini par être arrêter, mais deux semaines après la fausse accusation.
Kat doit donc savoir que ses trois invités sont aussi des marqués.
– Brigitte, qui travaille dans la police, est celle qui avait enquêté sur le cas, ajoute Kat en désignant d'un coup de menton la meuf installée près de nous, avant de prendre une gorgé de son thé. Émile était présent car il connaissait le père du garçon et Luciano est un ancien... ami de Clark, si on peut dire.
Je salue d'un coup de tête ceux-ci alors que Maggie semble s'efforcer de sourire.
– Mes chers amis, je vous présente Maggie, ma petite fille, et Clara, celle dont je vous ai déjà parler.
Luciano semble encore plus crisper alors que j'observe son visage, puis mon attention se porte de nouveau vers Émile dont le sourire flippant ne cesse d'accroitre.
Un Ouïrès.
J'étudie ses traits qui me semble à la fois familier et étranger.
Le visage de Brigitte n'a guère changé et ses yeux vifs pailletés d'un vert intense stagnent sur moi, comme si elle essayait de me déchiffrer jusque dans mon âme.
Une Visis.
Je soutiens son regard pendant ce qui me parait une éternité, puis elle détourne le regard et prend une biscotte sur l'assiette blanche posée sur la table basse.
Je jette de nouveau un coup d'œil vers Luciano pour confirmer qu'il est bel et bien un Odos.
Je peux voir ses narines frémir continuellement, comme si, d'un instant à l'autre, il allait éternuer.
– Qu'est-ce qui vous emmène ici, en cette après-midi... frisquet et... pluvieux, nous demande Kat. Vous n'avez pas des devoir à faire?
Son ton laisse sous-entendre que nous arrivons au mauvais moment, mais Maggie ne semble pas s'en être aperçue.
– Et bien... Clara a reçu une prophétie... et nous voulions avoir ton avis sur les vers.
Je tire doucement mon amie par le bras et celle-ci m'interroge du regard.
– Nous reviendrons une prochaine fois, dis-je en les saluant d'un simple coup de tête.
Maggie fronce les sourcils alors que je l'entraine vers le vestibule dans un silence pesant. Ils vont sans doute continuer lorsque l'un ou l'autre de ses invités confirmera de notre départ.
Nous mettons nos bottes et avant de sortir, je m'attarde en voyant une grosse paire de botte noir et vieillot, qui contraste avec la paire de chaussure sophistiqué et lisse d'un bleu profond et les talons hauts chics que je n'aurais même pas soupçonné cette meuf, Brigitte, portée.
Alors que Maggie sort presque en bougonnant, je reste un instant en me demandant où je pourrais trouver ce type de chaussure qui laisse à peine une fine emprunte dans la neige. Je me penche pour en examiner une tout en approuvant le model.
Ça me donnerait quelques bons centimètres de plus, ai-je pensé avec un petit sourire tout en me rappelant mon petit jeu avec Yakim et Victor. Au moins, je suis presque sûr que Yakim éprouve des sentiments différents de ce qu'il essaie de me faire croire.
Je dois avouer que j'aime bien l'idée que je ne le laisse pas indifférent.
Je... pourrais peut-être lui demander s'il veut faire une sortie avec moi, demain... et nous pourrions en profiter pour discuter de l'enquête.
Je secoue la tête et remets le soulier à sa place avant de sortir pour rejoindre Maggie. Quelques gouttes de pluie tombent silencieusement, comme par crainte de réveiller un monstre endormit.
Je reconduis mon amie chez elle avant de décider de chercher la tenue parfaite pour ce que j'ai prévu le lendemain.
Le matin, c'est mieux.
Avant que les autres se lèvent et écoutent ma demande et la réponse, positive ou négative, de Yakim.
Je me demande quel type de vêtement lui plairait... Il semble qu'il aime la discrétion... donc je laisse tomber pour une robe... à moins qu'elle soit neutre et simple. Une jupe pourrait faire l'affaire... avec une chemise. Élégant sans paraitre vouloir trop en faire... mais... si nous finissons par faire une activité en pleine air... c'est préférable un pantalon... et puis, le temps commence à être frisquet... je pourrais peut-être mettre un legging sous ma jupe...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top