Chapitre 34 Clara
J'ouvre mes yeux et me redresse d'un coup sec en observant autour de moi. Mon regard tombe sur le cadrage en citrine qui illumine l'étendue d'eau et de terre enneigée d'une légère lueur. Les insectes bourdonnent près de celle-ci comme le fer avec l'aimant, alors que quelques lucioles dansent ici et là. À côté de moi, Liam s'étire comme s'il venait de sortir d'un beau rêve. Je porte mon regard vers le ciel que nous pouvons à peine entrevoir à travers les épines des conifères qui protègent l'endroit des yeux indiscrets, vu de haut, pendant la saison de la mort.
En regardant autour de moi, je comprends que tous les Êtres Mythiques, les Dryades et les Hybrides sont tout aussi là que Liam pour protéger le portail de gens malhonnête qui utiliserait la porte pour des raisons malveillantes. Un Centaure nous observe avec curiosité, alors que des Sphinx, des Griffons et quelques autres se promènent tranquillement sans vraiment nous porter attention, comme s'ils jugeaient que je pouvais sans crainte être des leurs.
Une Licorne de haute taille à la robe brillante d'un blanc laiteux aux reflets argenté court au grand gallot sur la fine couche de neige pour s'arrêter à quelques pas de Liam (qui vient de se lever) et de moi avec un mugissement musical. Elle ébouriffe sa longue crinière rousse en nous montrant son dos gracile. Je jette un regard à Liam qui sourit en voyant mon expression fascinée. C'est une bête à la fois forte et élégante à la beauté unique et mystérieuse. Ses grands yeux dorés me regardent avec intelligence et douceur.
– Venez chers enfants, dit la Licorne dans nos esprits, me laissant à la fois étonnée et perplexe.
J'ignorais que les animaux fantastiques pouvaient parler...
Liam monte sans difficulté sur le dos de la bête avant de me tendre la main. Je la prends après une légère hésitation. Il me fait monter devant lui et je sens son souffle chaud dans mon cou alors que ses bras minces frôlent ma taille pour agripper la crinière scintillante de l'animal.
– As-tu déjà pratiqué l'équitation, souffle Liam dans mon dos.
– Non, dis-je en l'observant par-dessus mon épaule.
Il eut un sourire si grand qu'il semblait illuminer son visage. Or, c'est dû qu'aux reflets violet et luminescents de ses deux iris gris.
– Et bein, tu pourras te venter que ta première fois a été sur une Licorne!
Je lève les yeux au ciel alors que celle-ci s'agite, vexé d'être comparé à un animal sans caractéristique magique.
– Tu me déçois, jeune pousse, dit l'Être Mythique en hennissant. Que ressentirais-tu si je te comparais à un brin d'herbe?
Je pouffe légèrement de rire en voyant Liam grimacé.
– C'est bien ce que je pensais, dit-elle en se mettant en route vers la sortie du bois. La prochaine fois, réfléchie avant de parler, jeune pousse. Surtout si tu t'adresses à un Centaure, à un Griffon, à une Chimère, à un Farfadet ou même à une fée.
En entendant tous les noms de ses Êtres Mythiques, mes pensées dérivaient vers Aya. Elle aurait adoré cet endroit... cette petite balade... Avant qu'elle réalise à quel point elle m'enviait... à quel point elle me haïssait... avant de disparaitre de ce monde. J'espère au moins qu'elle a pu rejoindre nos parents sans accro. Elle pourra enfin leur parler sans passer à travers moi.
Malgré cette pensée, mon moral se fait plus sombre et plus triste.
J'aurais préféré qu'elle reste avec moi...
L'air légèrement froide de la nuit caresse mon visage alors que les lucioles semblent danser pour nous éclairer le chemin du retour, dans l'ombre. Je tends la main vers le ciel tout en l'observant à travers les quelques arbres dénudés de leurs feuilles rouges et dorés. Les dernières se laissent emporter par le vent, frôlant nos cheveux, nos visages et nos bras. Elles semblent briller dans le clair de lune tel des joyaux iridescents tombant du ciel sous la forme de plumes soyeuses et veloutées. J'en attrape une, mais elle s'effrite dans le creux ma peau comme de la poudre de diamant.
– C'est magnifique, n'est-ce pas, chuchote Liam à mon oreille. Les Dryades vont bientôt hiberner...
– Toi aussi?
– Quoi, moi aussi, dit-il avec un sourire dans la voix. Moi aussi je suis magnifique?
La Licorne pousse un hennissement choqué.
– Ah les enfants...
Je pince les lèvres pour ne pas sourire.
– Il est un idiot, pas vrai, dis-je en caressant son encolure.
– Tout à fait d'accord, dit-elle en mugissant de nouveau dans le son caractéristique et musical de son espèce. Tous les jeunes poulains de son âge deviennent des idiots. Ce n'est que lorsqu'ils atteignent la maturité que l'on peut juger s'ils sont vraiment des imbéciles ou non.
– Hey, s'exclame Liam. C'est faux!
La Licorne semble rire, ce qui me tire un léger sourire.
– Et pour répondre à ta question, Clara, non, je n'hiberne pas vu que je suis seulement à moitié plante.
Il eut un court silence avant qu'il ajoute:
– En revanche, j'aime bien quand quelqu'un me réchauffe, l'hivers.
Son ton coquin et suave me fait presque rire. Croit-il que je vais tomber sous son charme?
– Je crois que tu t'entendrais très bien avec Keven, dis-je avec un sourire malgré moi. Je me demande qui est le plus dragueur entre vous deux.
– Certainement pas moi, s'exclame Liam avec une outrance théâtral, exactement comme Keven l'aurait fait, alors que la Licorne beugle en secouant sa tête.
Je secoue la mienne en même temps alors qu'il rit avec légèreté, oubliant, pour le moment, toutes les folies qui se passent dans nos vies. Nous arrivons quelques minutes plus tard à la sortie de la forêt. Liam débarque de la Licorne et m'aide galamment à descendre avant que notre ami l'Être Mythique nous salue et disparaisse au grand gallot. Nous retournons vers le petit sentier, puis vers le minuscule bâtiment, à peine plus grand qu'un garage, où ma bécane est toujours stationnée. Nous enfilons rapidement les casques et montons sur ma moto, puis Liam m'indique le chemin à prendre pour me rendre à l'appart où il vit seul.
Un véritable émanciper!
En arrivant à destination, mon ami Invis me dit en rigolant que c'est bien mieux que de dormir à la belle étoile à côté de l'arbre de sa grand-mère.
Lorsque j'arrive à l'appart de Yakim, à quelques rues de celui de Liam, je suis surprise de voir celui-ci assit à la table de la salle à manger, simplement dans son short qu'il utilise comme pyjamas. L'amaryllis, tatouage uniquement des Forès, est d'une jolie couleur acajou rougeâtre sur sa poitrine du côté du cœur. Il me donne envie de suivre ses lignes et ses courbes du bout des doigts. Yakim lève les yeux de sa tasse vide alors que je referme et barre la porte derrière moi. Je jette un regard vers l'heure sur le four et constate qu'il est deux heures passées.
– Vu que tu es enfin entrée, je vais me coucher, dit Yakim en se levant précipitamment, comme s'il avait été pris en faute.
Je le retiens par le bras alors qu'il a l'intention de disparaitre dans le couloir. J'en profite du même coup pour regarder son large torse.
– Est-ce que Pavel est encore dans ta chambre, lui ai-je demandé alors qu'il a les yeux rivés sur ma main qui tient son avant-bras.
– Ouais...
Un sourire étire mes lèvres et je lève un sourcil.
– Tu comptes dormir où alors?
Yakim hausse les épaules en regardant dans le couloir noir d'encre. Je distingue à peine ses traits virils dans l'obscurité environnante, grâce à la lueur rouge sang que renvoient ses iris sombres. Je me mordille les lèvres, trouvant injuste le fait qu'il soit aussi beau et aussi inaccessible. Je retiens un soupir, puis dit:
– Tu as qu'à prendre mon lit.
Il eut un court silence alors que Yakim me lance un regard que je n'arrive pas à déchiffrer.
– Pavel et toi êtes trop grand pour dormir dans le même lit, ai-je bredouillé en tentant d'ignorer les images qui m'apparaissent dans l'esprit, lui et moi en train de dormir ensemble.
Yakim plisse les yeux alors que j'évite son regard. Mon cœur bat si fort dans ma poitrine que j'ai l'impression qu'il veut s'envoler.
– Et toi, dit-il de sa voix grave et vibrante sans me regarder alors que je lève les yeux vers lui. Tu vas dormir avec Keven?
Je le regarde un moment, surprise de son ton sombre et dédaigneux. Je lève un sourcil en me demandant si son ton montre de la jalousie ou si c'est simplement mon imagination. Je croise mes mains dans mon dos et me lèche de nouveau les lèvres avant de dire:
– Et qu'est-ce que ça ferait, si c'était le cas?
Je le regarde fixement en tentant d'enregistrer le moindre détail pouvant me prouver qu'il est bel et bien jaloux.
– Rien, dit-il presque dans un murmure inaudible en baissant les yeux vers le sol. Tu fais ce que tu veux...
Je pince les lèvres pour retenir le sourire qui commence à se former, puis, prenant mon courage à deux mains, ignorant les battements affolés de mon cœur, je me mets sur la pointe des pieds et le tire vers moi pour lui donner un bisou sur la joue.
– Bonne nuit, ai-je soufflé avant de m'éclipser dans la chambre de Mya qui dort comme un loir, emmitoufler jusqu'au menton dans une épaisse couverture florale.
Je réalise une seconde plus tard que je n'ai ni brosser mes dents ni changer mes vêtements de la journée, c'est à dire, l'uniforme scolaire toujours humide et boueux. Les pas de Yakim ne tardent pas à résonner sur le plancher, puis une porte s'ouvre et se referme. J'attends quelques minutes avant de partir discrètement dans ma chambre en utilisant mon don d'invisibilité, au cas où il ne dormirait pas encore. J'entre à l'intérieur et, heureusement pour moi, à peine s'était-il couché qu'il avait dû s'endormir comme une masse. Je prends discrètement mon pyjamas (chandail large et short) qui traine sur le bord de mon lit et en profite pour l'observer dans son sommeil.
Un gros nounours qui dort.
Il est couché sur le ventre, le visage tourné sur le côté. Il semble si bien, là, dans mon lit, que j'ai presque envie de le rejoindre sous les couvertures chaudes. Je secouais la tête, puis l'observe encore un moment. Je touche l'arrête de son nez, puis descend jusque sur le bout, même si mon doigt est encore légèrement mouillé, puis touche un instant ses lèvres duveteuses, avant de m'éclipser vers la salle de bain.
Je prends une rapide douche sous l'eau tiède avant d'enfiler mon pyjama et alors que je mets mes vêtements de la journée dans le panier à linge sale, je constate que nous sommes dû à une bonne lessive. Malgré la fatigue qui me dit que je ferais mieux d'aller dormir, je plonge les bras dans le panier et en sors la grosse pile de fringues. Je les sépare en deux piles et constate que nous avons tous beaucoup plus de frusques sombres que de claire. Je mets les fringues foncées dans la laveuse et pars la machine après avoir mis du savon. Je somnole contre la sécheuse, les quelques fringues pâles à côté de moi, alors que la brasser se récure. Lorsqu'elle est terminée, je mets le tout dans la sécheuse... puis je répète le processus avec l'autre pile de frusques, avant de finir par séparer le tout dans deux paniers propres. Un pour les meufs, l'autre pour les mecs. Normalement, Yakim s'empresse de le faire, ne voulant jamais me laisser cette tâche. Je m'étais demander s'il était plus gêné par le fait que je vois ses sous-vêtements que de voir ceux de Mya ou des miens.
C'est drôle de penser que ça fait déjà un bout de temps que je vis sous le même toit que Keven, Mya et lui... et que j'ai perdu toute ma famille... et pourtant... les recherches sur l'assassin n'avancent presque pas... alors que lui... ou eux... peuvent attaquer n'importe quand... pratiquement n'importe où... contre n'importe quel Invis...
Car c'est bien pour cette raison que le meurtrier s'en prend à moi... à nous tous.
Il doit y avoir un moyen. Un petit indice qui m'échappe. Ce que je sais, en revanche, c'est que cet homme, s'il est vraiment un homme, ou l'un de ses acolytes, me connait très bien. Trop bien même. Pus que ce que moi, je connais de cette personne en tout cas.
Keven a dit avoir vu un homme lorsque Léo et Louisia sont morts... et un homme étrange, fort probablement le même, est venu à la rencontre de Yakim pour que celui-ci finisse posséder par un démon... ce qui veut dire qu'il a peur de Yakim... et sait qu'il serait faible face à lui... donc il n'est certainement pas un Forés... ni un Vités... ni un Être Mythique... ni un Hybride... et encore moins une Dryade... ce qui nous laisse tout de même encore beaucoup de possibilité, marqué et démarqué. Et en plus, Cédrick semble persuader qu'il n'agit pas seul... même si sa théorie est un peu trop pousser, ça reste une possibilité.
Le mieux, se serait de partir à la case de départ... ce qui veut dire qu'il faut que je retourne à l'endroit exacte où j'ai découvert les cadavres de mes parents... donc dans la forêt derrière la maisonnette qui avait appartenu à mes grands-parents.
Il doit y avoir d'autre propriétaire depuis le temps...
Pas grave.
Demain, j'irais quand même. Il le faut. C'est le seul moyen. Je ne resterais pas les bras sagement croiser comme une fillette obéissante. Ça ne me ressemble pas.
En plus, demander qui est le coupable à mes parents et mes grands-parents n'a rien changé... l'assassin a toujours été méconnaissable... complètement vêtu de noir... et puis, le seul truc qu'ils se souviennent tous, à part ça, c'était que l'individu avait des yeux verts.
Je dois l'avouer... malgré tout ce qu'il a fait, ou ce qu'ils ont fait, ils sont malins. Ils ne laissent aucune minuscule preuve... mais c'est impossible qu'il n'y ait rien... du moins, pour des yeux comme les miens.
Peut-être que je ne trouverai rien... vu que ça fait douze ans... mais... il faut au moins que j'essaie.
Je papillonne des yeux en essayant de combattre le sommeil.
Il faut encore que je peaufine un plan... Je ne peux pas m'endormir tout de suite...
Malgré la lumière, mes yeux se font de plus en plus lourd. On aurait dit que mes paupières tentaient de soutenir un poids de plomb invisible... comme si la pression environnante était soudainement plus lourde, plus oppressante. Je baille à en plus finir, donnant l'impression que je crie au meurtre en silence.
Je peux bien faire une petite sieste... avant de prendre les choses en main pour de vrai... pour de bon... d'arrêter de jouer au lion et d'attendre que tout me tombe tout cru dans la bouche... comme si je n'avais qu'à tendre la main ou claquer des doigts pour que toutes les réponses m'apparaissent... viennent à moi... emporter par le murmure d'un vent qui n'existe pas vraiment... une voix qui me chuchote à l'oreille... pour me dire quoi faire... où aller.
Et enfin en finir.
Je lève mes yeux alourdit par ma somnolence alors que mes muscles sont soudainement épuisés, comme si je m'étais battu pendant des heures contre une bête géante. Je les ferme rapidement en respirant profondément.
Je ne réalise que maintenant que je me voilais la face. Voler des enquêtes sous-prétexte de vouloir récupérer le dossier de ma famille ne me sert à rien... depuis le début, j'aurais dû chercher par moi-même.
Je jouais à la lâche.
Demain... peut-être que j'irais voir où tout à commencer...
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