Après plusieurs kilomètres de marche à travers des chemins broussailleux et fouetté par des branches basses, nous débouchons sur un vaste espace qui doit être le cœur de la forêt Prismayfe. Au centre, un étrange cadrage, qui semble fait de pierre de citrine ou de quelque chose de semblable, est entouré d'une eau tirant sur un jaune orangé tel le pelage brillant d'un tigre. Des gravures complexes décorent le cadre d'une manière magique. Un voile arc-en-ciel tournoie et ondoie dans son centre comme si cela servait de porte.

Je reste un moment-là, la bouche grande ouverte, à fixer du regard la porte dont plusieurs Invis parlaient entre eux. J'ignore même les Hybrides, les Dryades et les Êtres Mythiques qui se rapprochent silencieusement de nous.

– Est-ce vraiment...

Je ne réussis pas à le décrire avec des mots tant la beauté et la magie y sont imprégnées. Du coin de l'œil, je vois Liam sourire avec fierté.

– Exactement, ma chère. Ceci est l'une des cinq portes d'outre-monde sur Nirci. Pour celle-ci, je suis dorénavant le gardien, le Damné.

Je hoche distraitement la tête avant de le regarder en face.

– Et donc? Que voulais-tu exactement?

Son expression s'assombrit d'un coup, faisant disparaitre le mec joyeux que j'ai appris à connaitre. Les Dryades et les Hybrides de tout genre se rapprochent de nous, mais je ne leur prête guère attention. Je redoute simplement ce que Liam va me dire. Lui, à mon contraire, promène son regard sur chaque monstre qui nous entourent avant de reporter gravement ses yeux sur moi.

– Il y a eu des disparus...

Je le regarde en fronçant les sourcils. Mais encore?

– Nous croyons qu'ils ont été posséder par des démons... mais... je ne suis pas un assez puissant Invis pour en être sûr à cent pour cent... C'est pour ça que tu me sembles la personne idéal pour... les détecter.

J'ouvre grand la bouche, surprise par ce qu'il vient de dire.

Encore des maudits démons!

– Tu veux dire... des démons... possesseurs?

Il me regarde à son tour, surpris.

– Tu en as déjà entendu parler?

Je grimace en me souvenant de la chose répugnante.

– J'ai... un ami qui a failli être posséder, dis-je en frissonnant, heureuse que Yakim n'ai pas eu la chose gluante et inhumain en lui... dans son cerveau.

Liam donne un coup de pied dans le sol légèrement gelé et boueux.

– Ça veut dire qu'il en aurait d'autres, grogne-t-il en serrant les poings.

Je le regarde avec inquiétude, le ventre noué, alors qu'il s'acharne sur la terre glacée à ses pieds.

– D'où viennent-ils, au juste, lui ai-je demandé en pinçant les lèvres.

Liam me lance un regard renfrogné en piochant toujours.

– D'un monde appeler Enfer... et ils passent eux aussi par les portes... mais je n'en ai jamais vu ni senti. D'ordinaire, il y a très peu de va et vient entre les mondes, vu que peu de gens peuvent les voir. Ça fait extrêmement longtemps que les humains dans tous les mondes ont oublié l'existence de ces portes... ou portails, si tu préfères.

Je le regarde en fronçant les sourcils alors qu'il s'approche plus près de la porte magique. Je le suis, quelques pas en arrière, le regard allant entre mon ami et le portail dansant.

– Tu veux dire qu'à l'origine tout le monde y avait accès?

Liam me regarde par-dessus son épaule et hoche la tête, une expression sombre sur son visage pâle.

– À l'origine, les premiers habitants de Nirci, comme toutes les autres planètes reliées à elle, aux autres mondes, si tu préfères, venaient du même endroit... dont certains la nomme encore la toute première Terre. Dorénavant, ce monde est appelé Souterning en raison de ces déserts arides et infestés de montres des sables. Les plus vieux esprits de la nature, les plus vieilles Dryades, y compris ma grand-mère, même si à ce moment-là, elle n'était qu'une jeune pousse, ont vu les premiers arrivant débarquer sur Nirci. De ce que m'a raconter ma grand-mère, ils n'étaient pas plus d'un millième à avoir traverser les cinq portails de Nirci. Une infime partie était des surnaturels... ceux qu'y peuple maintenant Nirci. Des Êtres Mythiques, quelques Hybrides et surtout, les faibles sorciers, que nous nommons aujourd'hui les marqués en raison du sang de Lucifer qui coule dans nos veines. D'ailleurs, il est venu sur Nirci après quelques années pour offrir son sang. Les sorciers en ont pris... sans doute en pensant devenir plus puissant. La rumeur avait circulé qu'une part de son sang ou de celui d'un de ses semblables pouvait faire des miracles.

Je le regarde en plissant les yeux.

– D'ailleurs, il parait que plusieurs sortes de surnaturel auraient une part de son sang... heureusement pour nous... enfin, c'est ce qui est raconter par les ainées, c'est que nous possédons qu'une petite part de son sang de démon... mais les Invis seraient ceux qui en auraient le plus de tous les marqués.

Un frisson d'horreur me traverse alors qu'il vient de dire que nous avons du sang de démon... même si j'étais déjà au courant, j'espérais qu'il restait un doute...

– Il parait que chaque individu réagit différemment.

– Mais alors, dis-je en le regardant avec un dégoût et une crainte que j'essaie de dissimuler. Ça ne veut pas dire que nous avons utilisé son sang pour avoir plus de pouvoir... au contraire... c'était peut-être pour arrêter la magie en nous...

Liam me regarde en levant un sourcil, curieux de savoir pourquoi je viens de penser cela.

– Je veux dire que, comme tu l'as dit, si nous réagissons différemment au pouvoir du sang en nous, ça explique le trop plein de pouvoir soudain de certains marqués qui finissent fous et qui crèvent ensuite.

– Que veux-tu dire, marmonne Liam en essayant de comprendre mon raisonnement.

– Et bien, si au lieu de vouloir posséder plus de pouvoir, nos ancêtres, pour une raison inconnue, voulaient réduire leur pouvoir, ça explique que nous nous battons tous avec une part de nous-même... d'un pouvoir cacher endormi, par exemple. Et que, certains effets de ce blocage, qui n'aurait pas dû être, entraine le trop plein de pouvoir qui était caché au plus profond de ces personnes... et comme le sang du... de Lucifer sert comme bouclier, ils deviennent fou à cause du combat dans leur sang... et leur esprit...

Je fixe Liam du regard alors que ses yeux montrent qu'il doute un peu de mon raisonnement poussé loin.

– Ce n'est qu'une hypothèse, dis-je en haussant les épaules.

– Il n'y a qu'un moyen de le savoir...

– Quoi, dis-je en le questionnant du regard.

Il regarde un moment le portail tourbillonnant, puis me lance un regard espiègle en pointant du menton le cadrage face à nous.

– Tu veux y faire un tour?

Je le regarde avec surprise, puis lève un sourcil.

– Vraiment? Nous pouvons?

Il eut un petit rire qui me tire un léger sourire aux lèvres.

– Bien sûr. Ce n'est pas interdit, que je sache. Et puis, ce n'est pas parce que je suis mis humain mis Dryade, Invis et Damné que je n'ai pas le droit.

Mon cellulaire vibre dans la poche de mon coat de cuir et je suis surprise de constater qu'il y a encore du réseau, même si nous sommes loin de la ville. Keven m'a envoyé un message pour me demander où je suis sur le groupe que nous avions formé, lors de l'arrivée de Pavel et Ruslan cher leur grand frère (Maggie, Keven, Mya, Yakim, Pavel, Ruslan et moi). À en croire le message de mon ami, tous se demandent où je me trouve. Je grogne en voyant le ton empressé de son message, comme s'il craignait ma mort alors que je suis persuadée que ça ne changerait rien du tout pour lui. Ne voulant pas qu'il se prenne pour un membre parano de ma famille (genre, comme Léo le faisait), je me contente de lui écrire vaguement que je me trouve dans la forêt de Prismayfe pour une raison top secrète avant d'éteindre complètement mon cellulaire.

Je ne vois pas pourquoi il en fait tout un plat, il est à peine cinq heures et demie. Ce n'est pas comme si j'avais déserté pendant un demi-siècle. Et même si je l'avais fait, ça ne regarde que moi.

Je ne sais pas pourquoi je suis en colère que ce soit lui qui m'aille écrit. Aurais-je préféré que ce soit Yakim...

Je pousse un soupire en m'exaspérant moi-même.

Qu'est-ce qui me prend, bon sang! Je me fais penser à un chiot piteux! Ressaisis-toi ma vieille! Tu es force et contrôle! Pas une fillette pathétique et pleurnicharde! Bon sang, Clara! Reprends-toi!

– Prête, me demande Liam, me tirant de mes pensées idiotes.

Je hoche la tête en me plaçant à côté de lui. Il me prend la main avec un sourire aux lèvres en voyant mon étonnement.

– Tu ne t'habitueras jamais à toucher un humain plante, pas vrai.

– C'est une expérience... unique...

Il eut un petit rire en nous dirigeant encore plus près de la porte magique, nous plongeant les pieds et les mollets dans l'eau orangée. Une froideur et une chaleur sans dégagent avec un étrange intervalle irrégulier.

– Nous irons dans le monde où se regroupe les bons esprits... Paradis... C'est aussi là que vivent les plus puissants êtres existants.

Mon cœur bat plus fort en entendant le mot esprit.

– Je pourrais voir mes ancêtres alors!

Liam hoche vaguement la tête.

– C'est pour cette raison que nous y allons... demander la vérité sur notre sang à nos ancêtres. Mais... ce n'est pas sûr que nous les trouverons...

– Pourquoi, dis-je en tentant de cacher ma déception.

Mon ami Invis me fait un sourire énigmatique avant de reporter son regard sur l'arc-en-ciel dansant.

– Tu comprendras lorsque nous y serons.

Ces simples mots attisent ma curiosité.

– Tu y es déjà aller?

Il hoche vaguement la tête, un sourire triste aux lèvres.

– Pour voir mes parents...

– Ils sont morts aussi...

Je pince les lèvres alors qu'il se contente de sourire tout en faisant un pas à l'intérieur du voile d'eau, me tirant en même temps avec lui. Alors que j'y pénètre, un courant d'air glacé me parcourt le corps, comme si une main gelée essayait de me transformer en glaçon vivant. Je sens à peine la douceur fibreuse de la main de Liam dans la mienne alors que je ne le vois plus.

Un bourdonnement lointain de vague et de clapotis résonne dans mes oreilles comme le cri vibrant d'une chouette craintive. Une sensation étouffante me prend dans la gorge et j'eu l'impression d'être en train de me noyer. Un courant d'eau glacée me serre le cou comme un étaux lice et froid alors que mes poumons surchauffent comme si de la lave coulait en moi. Mes yeux me piquent, mais je les garde ouvert alors qu'une eau, qui est d'abord jaune orangée, devient brillante et argentée. Elle a quelque chose d'irréel et de magique, calme et fougueuse à la fois. Je me sens étrangement oppresser alors que tout mon être se sent mal à l'aise dans toute cette force magique et puissante.

Qu'est-ce qui se passe? Où est Liam?

Je ne sens soudainement plus sa main dans la mienne et la panique me gagne.

Suis-je bloquée dans le portail?

Cette idée amplifie mon affolement et je me débats avec le peu de force que j'ai en essayant de monter vers ce qui me semble être la surface... qui n'est qu'un mirage. Je regarde autour de moi le néant de l'eau argentée, alors que je tente de me ressaisir et me dire que tout cela n'est qu'une illusion dû au pouvoir de cette eau à l'énergie troublante. Tout ce qui m'entoure semble s'étendre à l'infini, peu importe de quel côté se porte mon regard. Mes mouvements me semblent atrocement lents. Une vive lumière embrouille ma vue et je ferme d'instinct mes yeux brulant.

Je n'arrive même plus à penser tellement la douleur est agaçante. J'ai l'impression que mon crâne va éclater en mille morceaux, comme du verre brisé si je tentais de nouveau de me débattre contre cette étrange puissance. Pendant un instant, je crois que le monde vire à l'envers. Je tente tant bien que mal de porter mes mains à mon cou en me disant que c'est mieux de mourir comme ça, dans cette eau calme et violente où des âmes aussi brillantes et fades que l'eau m'entourent pour me juger. De tout manière, mes mouvements sont si lent que j'aurais eu le temps de mourir un milliard de fois... prise dans un espace-temps où le temps n'existe pas vraiment... une marée infinie d'eau grise fade aux âmes en peine. Cette pensée m'effraie plus que le fait de mourir... errer à jamais dans un endroit terne et triste. Je tente de nouveau de nager vers la surface inexistante... et plus je tente de monter, plus j'ai l'impression de sombrer plus profondément dans le néant. Je ferme de nouveau les yeux avec force alors que mes poumons se remplissent de liquide glacé. Le contacte brulant qu'il laisse dans ma trachée est insoutenable. On aurait dit que le soleil s'est installé dans ma gorge comme s'il avait toutes les raisons du monde d'y être.

Puis tout s'arrête. Je cligne des yeux et respire goulument l'air fraîche en constatant que mon corps a flotté de lui-même pour atteindre la surface.

Les yeux lourds de fatigue, je regarde faiblement le ciel étrange. Un mélange de rose, de mauve, de bleu, de vert, de rouge et d'orange... comme si le ciel était un énorme arc-en-ciel et aussi intense que les lumières des yeux des marqués. On peut parfaitement distinguer la lune et le soleil, comme si on se trouvait juste à côté de ces deux astres... du moins, assez loin pour les voir en entier. Ils me font penser à deux grosses billes, l'une lumineuse, l'autre gris terne.

Je respire longuement l'air fraiche et brillante. Des paillettes semblent tombées partout comme s'ils faisaient partie de l'air. Je bouge mollement mes bras et mes jambes engourdies pour me rendre près du bord le plus près de moi. Je me retourne pour nager jusqu'au large de ce qui semble être un lac. L'eau à la teinte grise salé, brillante et brumeuse, ainsi que les astres très rapprocher ne sont pas les seules choses étonnantes de l'endroit.

Autour de Liam (qui tord ses vêtements et secoue ses cheveux brun), la terre et les arbres sont d'un bronze brillant, comme si on y avait mis une couche de vernis sur le monde entier. Les feuilles, les plantes ainsi que l'herbe, d'ordinaire vert, se démarquent plus ou moins par leur couleur argenté. Certaines plantes, qui doivent s'agir d'arbres à fleurs (ou de fleurs tout court) sont parsemer de toutes sortes de pierres précieuses. Même l'air que nous respirons semble contenir de la poussière d'étoile.

Je marche jusqu'à Liam en tordant mon uniforme lourd. Mon ami Invis me jette un regard avant de pointer de l'autre côté du lac, où l'on peut partiellement entrevoir un immense château brillant.

– Si jamais tu as besoin d'aide pour quelque chose d'urgent, de l'autre côté se trouve le palais du maître de ce monde. En général, il envoie des gens pour compenser le fait qu'il ne peut pas se permettre d'aller à droite et à gauche n'importe quand... à moins d'une apocalypse, peut-être.

Je plisse les yeux en regardant les tours que nous pouvons apercevoir.

– Je vois, ai-je marmonné en me disant que je ne vois pas pour quelle raison j'irai voir cet inconnu alors que je n'ai même pas demandé de l'aide aux gens que je connais.

J'irai voir ce type sous aucun prétexte.