Chapitre 28 Yakim
J'écoute les tic-tacs de l'horloge en poussant un soupir. Je ne me reconnais même plus depuis ma rencontre avec Clara... je me fais penser à un gamin pleurnicheur qui ne peut pas avoir le joujou qu'il a vu en magasin parce qu'un autre à mis le grappin sur le dernier en stock. Je secoue la tête, puis jette un regard vers le mur qui sépare la cuisine de la salle à manger et le mur qui sépare la salle à manger du salon. D'où je suis, je ne peux même pas voir ce que fait Ambrose.
Je secoue la tête. J'espère que Cédrick n'entre pas bientôt... je ne voudrais pas qu'il se mette à me taquiner, maintenant que j'ai un coup de cœur pour une doch.
Un bruit assourdissant me fait sursauter et je jette un regard vers le mur. Je fronce les sourcils en me demandant ce que fabrique Ambrose. Je me lève lentement et me dirige vers la salle à manger, puis vers la cuisine alors qu'un silence pesant règne étrangement dans la demeure... seul le tic-tac de l'horloge est incessant.
– Ambrose, ai-je demandé en fronçant les sourcils alors que la pièce est sombre.
Pourquoi n'a-t-il pas pris la peine d'allumer?
Je fronce les sourcils en regardant dans la cuisine déserte. Un nouveau grincement attire mon attention vers la porte-patio dans le fond de la pièce. Je plisse les yeux en le distinguant faiblement, me demandant pour quelle raison idiote il regarde à l'extérieur, partiellement coincé dans la porte entrouverte qui laisse entrer la neige folle et un courant d'air glacé.
– Ambrose?
Il ne me répond pas... ni se retourne malgré le peu d'espace qu'il a. Je m'approche de lui en fronçant davantage les sourcils.
– Qu'est-ce qu'il y a, dis-je en mettant ma main sur son épaule froide. Qu'est-ce que tu fous? On se gèle ici.
Il ne bouge pas d'un pouce.
– Ambrose?
Je pousse à contre-cœur un peu plus la porte-patio pour lui faire plus de place et pour voir son visage. À ma grande surprise, il tombe au sol, s'étalant de tout son poids, le visage blême dans une expression d'horreur. Je recule d'un bon, le regard allant entre son corps complètement mutilé et la porte maintenant grande ouverte. Son ventre est ouvert et son torse est effiloché comme s'il avait été du fromage. Le sang coule à flot et je remarque enfin les taches qu'il a fait sur la neige, contraste effrayant entre le sombre et le pâle.
– Qu'est-ce que...
Je reste figer avant que, d'une main tremblante, je compose le numéro de Cédrick à la va vite. Il ne répond pas et je raccroche à la troisième sonnerie.
– Stroynoye... stroynoye!
Je tourne en rond, tout en me passant les mains sur le visage. Ne sachant que faire, j'appelle encore Cédrick. Il décroche heureusement à la deuxième sonnerie. J'entends le bruit du moteur en fond... il doit être en route.
– Yak? Qu'est-ce qu'il y a? Tu ne m'appelles jamais, d'ordinaire.
À mon grand étonnement et au sien, j'éclate en sanglot.
– Yak! Bon dieu! Yak! Qu'est-ce que t'as! Qu'est-ce qu'il y a!
Je renifle alors que mon corps tremble de partout.
– Ambrose...
Ma voix est faible et étouffé, presque un murmure inaudible dans l'air bruyant de la circulation.
– Ambrose? Qu'est-ce qu'il y a! Qu'est-ce qu'il a fait!
– Il... il...
– Quoi! Il quoi!
– Mertvyy...
– Hein!
– Il est... mort...
– Q... quoi...
– Il est mort...
– Où... où es-tu, là?
– Chez toi...
– D'accord... d'accord, d'accord... j'arrive d'ici dix minutes. Éloigne-toi de l'emplacement où... son corps est... et... surtout, ne touche à rien.
Il raccroche alors que je retourne dans le salon en état de choc. Je me laisse tomber, complètement amorphe, sur le divan, au même emplacement où j'étais installé plus tôt.
Qui a bien pu faire ça? Pour quelle raison? C'est inquiétant de se dire qu'un Forès comme lui a péri d'une manière aussi ironique, si inexplicable, si étrange. Est-ce un Vités qui en est l'origine? Est-ce pour ça que je n'ai rien entendu excepté son... son corps coincé qui glissait lentement?
Je me prends la tête entre mes mains, puis pousse un long soupir en tentant de reprendre un semblant de calme, en vain. Je m'essuie les yeux avec rage.
Quel slaboumnyy! Pourquoi n'ai-je pas pu naître en Ouïrès! J'aurais tout entendu! Mais... qu'aurais-je pu faire... Je n'aurais pas eu la force que je possède... à moins d'un merveilleux tour du destin qui m'aurait permis d'être les deux... ce qui n'arrive généralement pas... ou très peu... vu qu'ils finissent par devenir fous, puis crever. Je comprends dont! Comment ne pas devenir fou en entendant, en sentant, en voyant de pair avec un autre don... voir même les trois sens ensemble!
Alors que mon esprit vagabonde et se morfonde sur toutes sortes de questions... pertinente ou non, Cédrick arrive suivi par des enquêteurs et d'autres collègues. À voir son visage, je sais bien qu'il prend sur lui pour garder son sang-froid. Lorsqu'il me vit dans mon état mental épouvantable de demi-conscience, les larmes lui montent aux yeux.
– Où est-il, me demande-t-il d'une voix légèrement chevrotante.
Je fais un coup de tête mou vers la cuisine, incapable de prononcer un mot. Cédrick hoche la tête avant de se diriger de ce côté avec les autres agents. Il revient à peine quelques secondes après avant de se planter devant moi, les yeux humides et le corps raide.
– Prosti, ai-je marmonné d'une voix cassée en me passant les mains sur le visage. Je suis tellement désolé... j'aurais dû faire attention... j'aurais dû...
– Yak... tu n'y es pour rien...
– Mais si je...
– Yak...
Cédrick met une main sur mon épaule. Je relève la tête vers lui pour voir son visage ravagé par la douleur. Son premier fils est parti... sa femme est parti... et maintenant Ambrose...
Ma gorge me fait si mal que j'ai l'impression d'avoir avaler une grosse boule de plomb.
– Dit moi, commence-t-il d'une voix tremblante et étouffée. Est-ce que tu connais une jeune fille du nom de Clara Lynch?
Je le regarde un moment en clignant des yeux. Qu'est-ce que Clara a à voir là-dedans?
– Ouais... Tu parles de l'Invis?
Je ne suis même pas sûr qu'il existe une autre Clara Lynch...
Cédrick hoche la tête.
– Et quel est ta relation avec elle?
– Euh...
Pourquoi faut-il que la conversation tourne vers l'une des seules choses que je souhaite complètement effacer de ma mémoire.
– Je... l'héberge chez moi... depuis quelques temps...
– Donc vous vous côtoyez?
Je hoche vaguement la tête, ne comprenant pas pourquoi la nature de notre relation change quelque chose avec la mort d'Ambrose.
– C'est bien ce que je craignais, dit piteusement Cédrick, les épaules lâches.
Je le regarde, perdu, alors que je ne comprends rien. Que sous-entend-t-il?
Il pousse un soupir lasse tout en se passant la main dans ses cheveux poivre et sel alors que les autres s'activent à inspecter les lieux et à analyser le corps sans vie d'Ambrose.
– Je pense que... c'est une sorte de mise en garde... pour toi...
– Chto, dis-je d'une voix roque et partiellement étouffé en clignant des yeux.
– Je te conseille de rester loin d'elle... je suis sûr qu'elle est au cœur de tous les meurtres dernièrement.
Je fronce les sourcils en regardant mes longs doigts. Je savais qu'elle a quelques problèmes et qu'un fou s'en prend à ses proches... mais je ne vois pas en quoi la mort d'Ambrose a un lien avec sa famille et elle. Se connaissaient-ils? Peu probable. Ambrose m'en aurait parlé s'il avait rencontré une devochka comme Clara.
– Tu es le lien entre Ambrose et elle, Yak, dit tristement Cédrick comme s'il avait vu tout ce qui vient de me traverser l'esprit. C'est pour que tu restes loin d'elle que le ou les meurtriers s'en sont pris à mon fils et non à toi... cet ou ces personnes savent qu'il n'utilise pas son don et que toi oui. D'une manière ou d'une autre, il ou ils doivent bien te connaître... et elle également...
Je fronce les sourcils, puis frotte mes yeux humides.
– Pourquoi sembles-tu si persuadé de tout ça?
Il pousse un long soupir en croisant les bras. À cet instant, il me parait plus vieux que jamais.
– J'ai été en contact avec elle pendant un temps... c'est mon équipe et moi qui l'avons rejoint lors du meurtre de ses parents adoptifs. Elle m'a guidé vers une porte d'analyse pour leur cas avec le dossier de sa famille qui avait été mis en suspension il y a déjà quelques années. Les marques que nous avons retrouvé sur le corps des victimes étaient pratiquement les mêmes... Pour Steven Worst et Ted Kennedy aussi... deux Invis... et j'ai récemment appris par Clara qu'elle y travaillait... et maintenant Ambrose...
J'en reste longuement figé en entendant ses derniers phrases. Steven aussi! Le mec qui nous servait toujours au café, Jeffrey et moi! Et Ted Kennedy! C'était celui qu'ils appelaient Boss!
Cédrick hoche tristement la tête.
– Tu y allais souvent, n'est pas?
– C'est une plaisanterie, ai-je marmonné toujours en état de choc. Je croyais qu'ils avaient simplement fermé...
– J'aurais aimé te dire que c'est le cas... or, ce ne l'est pas...
Je pousse un rugissement colérique alors que d'autres larmes coulent sur mon visage, puis je mets ma tête entre mes mains. Il en coule autant sur le visage de Cédrick. L'inspecteur Tim, un très vieux collègue de Cédrick (depuis qu'ils ont entré dans la police en même temps, plus précisément) se dirige vers nous en gardant une expression froide et distante malgré la lueur de perturbation dans son regard gris.
– Agent Valier, agent Cohen, commence-t-il en nous saluant tour à tour. Comme pour les autres, agent Valier, nous n'avons trouvé aucune trace d'empreinte digitale excepté le vôtre, celle de la victime et... de l'agent Cohen.
L'inspecteur me regarde un instant alors que j'écoute d'une oreille, mon esprit à moitié ici et ailleurs.
– Il faudra que tu répondes à quelques questions, Yak.
– Je sais, dis-je en me redressant piteusement. Je ne peux pas dire grand-chose d'intéressant lier à sa mort... mais je vais dire ce que je peux.
L'inspecteur Tim sort un stylo et un petit carnet en cuir d'une de ses poches arrière de son pantalon skinny, prêt à y inscrire le plus d'info possible. D'ailleurs, il est déjà en train de noter quelque chose dans son carnet. Sans doute mon nom, le nom de la victime et l'heure de sa mort.
– La victime est morte aux alentours de dix-neuf heures, commence-t-il en me regardant tout en tapotant son stylo contre ses feuilles. Je veux savoir ce qui s'est passé avant, pendant et après, jusqu'à ce que nous arrivions. Tu es apte à faire ça?
– Ouais... je vais essayer...
Je l'observe un moment, puis il me fait un signe de tête.
– Je... euh... suis partie de mon appart ce matin... après une confrontation avec Clara et... j'ai passé ma journée au gym. Comme je ne voulais pas retourner chez moi pour la soirée, j'ai contacté Ambrose pour voir s'il était libre... et vu qu'il venait de terminer son cours à l'université, nous nous sommes donné rendez-vous... euh... ici. Nous sommes entrés et nous avons un peu discuté avant qu'il n'aille à la cuisine pendant que j'attendais dans le salon.
Je leur raconte la suite sans oser regarder l'un ou l'autre. À chaque fois que ma voix bloque, l'inspecteur Tim se contente de rester en silence jusqu'à ce que je reprenne une voix correcte.
– C'est bon, t'inquiète, dit-il en me tapotant l'épaule lorsque je termine.
Je hoche faiblement la tête, le regard vide tout en mettant mes mains dans mes poches de mon jean. C'est à ce moment-là, alors que l'inspecteur s'éloigne de nouveau vers la cuisine, que je me souviens d'un détail étrange que j'ai omis. Alors que Cédrick soupire d'un air lasse tout en sortant son sotovyi, je le retiens par le bras après m'être lever.
– Je viens de me souvenir d'un truc strannyy.
Il jette un regard vers la cuisine avant de porter toute son attention sur moi.
– Qu'est-ce qu'il y a?
Je déglutis en me demandant si le type que j'ai vu pouvait avoir un lien avec tout ça. Je sors la petite boîte immaculée que je lui tends. Il le prend en me jetant un regard curieux. Je me laisse de nouveau tomber sur la causeuse avant de dire:
– Il y a un type strannyy qui m'a donné ça... avant que je rejoigne Ambrose.
– D'écrire le, s'exclame de manière alarmé Cédrick. Il avait l'air de quoi!
– Il... était grand... enfin... je pourrais dire aux alentours de six pieds... et tout ce que je peux dire d'autre, c'est qu'il a des yeux verts délavés. Pour le reste, il était complètement vêtu de noir et le reste de son visage était caché. Je ne saurais dire s'il est jeune ou vieux. Mais le plus étrange, excepté la boîte, c'est qu'il a dû marcher dans mes pas, donc je ne pouvais pas vraiment savoir à quoi ressemble ses emprunts.
Le visage de Cédrick s'assombrit.
– Keven a décrit un homme semblable...
Nous fixons tous les deux la boîte dans sa main.
– Je vais garder ceci et l'analyser, okey?
Je hoche la tête en essayant de me souvenir à qui les yeux que j'avais vu me faisais penser.
– Je vais téléphoner à un de mes amis Forès, me dit-il en agitant son sotovyi dans une mine sombre. Je vais lui demander si nous pouvons rester chez lui pendant quelques jours.
Je baisse les yeux, hésitant à le suivre ou à retourner à mon appartement. Clara est peut-être en danger en ce moment... Je pousse un soupir en me passant une main dans les cheveux.
– Je ne pourrais pas rester longtemps.
Cédrick lève un sourcil avant de les froncer.
– Que sous-entends-tu?
Je le regarde un moment en soupirant de nouveau.
– C'est vrai... je ne t'ai pas dit que j'héberge mes frères...
Cédrick se retourne en secouant la tête.
– Je te conseillerais de la chasser... mais te connaissant... tu ne reviens jamais sur tes pas.
Il part d'un pas rapide à l'extérieur de chez lui, la tête légèrement inclinée vers le sol, me laissant seul dans le salon. Je pousse un soupir alors qu'un bip résonne. Je grogne en sortant mon sotovyi et j'eus envie de le lancer en voyant qu'il provient de notre cher anonyme.
« Je ne te tuerais pas tout de suite... mais bientôt, si tu ne prends pas gare à toi. Ah oui... juste une chose... oublies la maintenant... ça vaudrait mieux pour tout le monde. »
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