Chapitre 23 Clara

– Tu es prête?

Mya passe la tête dans ma chambre (enfin meublé après être allée chercher le montant d'argent légué par Léo et Louisia, il y a deux jours, après notre matinée magasinage), alors que je viens d'envoyer un texto à Maggie. Celle-ci me dit que Kat aimerait bien que je passe la voir, vu que ça fait un bon moment que je n'ai pas aller chez elle. J'ai promis à Maggie que je viendrais la chercher après l'école, tout de suite après voir déposer Mya à l'appart.

– Ouais, une minute. Je prends mon sac, pis j'arrive.

Mya entre dans ma chambre alors que je mets mon sac sur mon épaule après avoir mis mon coat de motard et d'avoir pris mes clés qui trainent sur ma table de chevet en bois d'un blanc brut, à côté de mon lit aux couvertures sombres.

– Wouah, beeindruckend, Clara, s'exclame-t-elle en me regardant de la tête aux pieds. Je n'aurais jamais cru dire ça, mais t'as trop la classe! Ton nouveau look avec l'uniforme, ça te fait ressembler à un mannequin! C'est trop bien!

L'uniforme de son établissement ressemble comme deux gouttes d'eau à mon ancien, à l'exception près que la boucle est noir, que le polo est bleu et que la jupe est carottée de bleu, de noir et de blanc. Avec mes cheveux lissés et bleus sombre aux mèches claires, le maquillage sombre dans le style gothique (que d'ordinaire, je n'aurais jamais mis), le piercing au sourcil gauche et les nombreux trous aux oreilles me changent radicalement de ma neutralité d'avant.

– Ça te va bien, toi aussi. Je trouve qu'il te met en valeur.

Elle lève les yeux au ciel, un sourire aux lèvres.

– Pas besoin de me complimenter parce que je t'ai complimenté, ma chère.

Je hausse les épaules en passant à côté d'elle.

– Je le dis parce que c'est vrai.

Nous traversons le couloir silencieux avant d'aller prendre notre lunch du midi (ce que j'ai préparé pour tout le monde, la veille). Je constate alors que les gars sont déjà partis.

– Yakim travail tôt, dis-je à Mya (en sachant que Keven a plus des heures irrégulières depuis qu'il n'a plus besoin d'infiltré l'école privée pour mecs... vu que Jake Renzer s'est complètement volatilisé) alors que nous sortons à l'extérieur et qu'elle barre la porte de l'appart.

– Je sais, dit-elle avec une expression boudeuse. Parfois, il fait des heures supplémentaires et il termine souvent tard... la plupart du temps, entre dix-huit heures et dix-neuf heures. Je n'ai presque jamais le temps de le voir. Ça lui arrive de finir plus tôt, mais c'est rare.

Donc... il part vers huit heures, ce qui veut dire qu'il commence aux alentours de huit heures et demie, vu que ça prend une vingtaine de minutes du centre à son appart.

Je jette un regard vers celle-ci alors que je sors les casques. J'ai bien vu qu'elle est folle amoureuse de Yakim, mais je crois que c'est une aussi mauvaise idée que moi d'être près de Keven... de toute façon, les deux gars semblent complètement indifférent à notre égard. Yakim a été très clair face à ma nouvelle amie (même si celle-ci s'en fiche complètement). D'ailleurs, il est toujours mécontentement quand elle le colle trop... même si parfois, il la taquine. Tout le contraire de son attitude envers moi. Il me donne l'impression d'avoir la peste... ou qu'il se méfie de moi... à moins que ma présence ne fasse que le déranger? Et je ne m'attarderais certainement pas sur l'attitude de Keven. Il tente toujours de charmer tout ce qui bouge.

– Une chose, dit Mya en me tirant de mes pensées alors qu'elle attache le casque bleu brillant autour de son visage laiteux tacheté de minuscule tache de rousseur. Yak déteste quand quelqu'un l'appel par son prénom. Tu devrais te contenter de son surnom, du moins, quand tu t'adresser à lui.

– Pourquoi, dis-je en fronçant les sourcils tout en mettant mon propre casque, camouflant ainsi mon visage à la p'tite rousse. Je l'aime bien, son prénom. Ça fait... différent de ce que j'entends d'ordinaire. D'ailleurs, d'où ça vient?

Nous avons beaucoup discuté, toutes les deux, hier, créant ainsi une certaine complicité (malgré sa première impression de moi), mais elle ne m'avait pas parlé de ça lorsque nous avions baragouiné des idées folles sur nos beaux colocs.

– De la Russie, si je ne me trompe pas. En tout cas, juste pour que tu saches, lui, il déteste son prénom... alors évite de l'appeler comme ça si tu ne veux pas qu'il te déteste plus que ce qu'il montre déjà. Il pourrait devenir complètement taré. Mieux vaut évite de le voir péter les plombs. Je n'ai pas le goût de t'emmener à l'hôpital après.

Je pince les lèvres pour ne pas pousser un rire ironique devant ces derniers mots. Bien que Yakim soit un Forès, je maitrise fort bien tout type de combats, surtout le karaté. Personne ne le sait, mais c'est un Forès qui m'a entraîné dans les différents types d'autodéfense.

– Il ne veut pas me parler de tout façon, alors à quoi bon essayer.

– Il n'aime personne, alors ne le prend pas personnel.

– Triste, dis-je avec un ton que je veux dramatique alors que nous montons sur ma bécane après avoir mis nos sacs à la place des casques.

– Quoi?

– Bein... tu as dit qu'il n'aime personne... donc, il n'aime ni sa famille ni lui-même.

– Idiote, dit amicalement Mya en me faisant une petite tape dans le dos alors qu'un léger sourire étire mes lèvres, car elle sait que je plaisante. Ça, ce sont les deux exceptions.

Contrairement à l'image que je me suis faite de ce mot lorsqu'Aya me l'avait balancé à la figure, je n'ai aucun sentiment désagréable à cet instant. Pour Mya, c'est une marque d'affection. Je l'ai appris, ces deux derniers jours. À vrai dire, il me rend étrangement heureuse. Avec elle, je ne ressens pas le besoin de faire mes marques, d'avoir l'air cultiver, comme lorsque je suis face à Maggie et Kat. Être ami avec Mya est quelque chose de simple, de léger et d'agréable. Comme si, moi, le loup solitaire, avait pu sympathiser avec un lapin qui se cache sous la peau d'un renard.

En tout cas, elle a le même sens de l'humour que moi.

La p'tite rousse me guide à travers les rues et nous arrivons en moins de dix minutes devant l'établissement vieillot (d'au moins une bonne cinquantaine d'années). Les murs extérieurs de briques fondent dans une sorte de danse de brun, une teinte délavée par-ci, un brun sale par-là. Le tout complètement dévoré par des plantes grimpantes fleurissantes à l'odeur infecte. On aurait presque dit que les mouettes du coin s'étaient passé le message pour aller pisser sur le bâtiment et les alentours.

Ils avaient tous accepté l'invitation, je pense...

Dans mon dos, Mya me dit que, d'ordinaire, elle fait le trajet à pied ou l'un de ses amis, Liam, lui faisait un lift dans sa petite Ford blanche, vu qu'il habite à quelques rues de l'appart de Yakim. Elle trépigne d'impatience de voir la tête de ses amis, de les voir jaloux d'elle, utilisant ce mot comme si elle disait pomme ou un autre truc banal.

Nous arrivons sur le stationnement réservé aux élèves sous le regard curieux des autres lycéens. Nous débarquons et enlevons les casques de nos visages avant de les ranger à la place de nos sacs.

– Mya, s'exclament des voix dans mon dos alors que je referme le banc. Qui est-ce?

Je me retourne pour voir trois mecs et une meuf, puis jette un regard à Mya alors que celle-ci a un énorme sourire fier, aussi éclatant que celui de Keven lorsqu'il voit une jolie nana.

– Salut les bouseux! Je vous présente Clara, ma nouvelle sœur.

Mya me fait un clin d'œil qui me fait rappeler horriblement les manies exaspérantes de son grand frère.

Meine Schwester, je te présente Tanya, Tommas, Jérémy et Liam.

Je lève un sourcil en me demandant comment elle venait de m'appeler. Est-ce encore un mot de sa langue maternelle? De l'allemand?

J'observe tour à tour les amis de la p'tite rousse. Liam est un Invis... c'est le seul marqué des quatre, à vrai dire. Il a des cheveux brun (tout comme Tanya et Jérémy) qui boucle légèrement et des yeux gris pailletés d'un violet fluorescent. Tanya et Tommas ont des yeux brun foncé (qu'on pourrait croire noir), tandis que ceux de Jérémy sont noisette, un peu plus vert que brun. Tommas a attaché ses cheveux blonds en une couette qui lui tombe dans le milieu du dos.

Essayant de prendre le rôle d'Aya (comme je tente de faire avec Yakim, en vain), je leur fais un sourire de travers, légèrement crispé.

– Salut, dis-je alors qu'ils me dévisagent, bouche bée.

– Je ne pensais pas à ça quand tu nous as texté qu'elle était une rigoureuse sycophante comme ton frère, dit Tanya en m'observant indiscrètement de la tête aux pieds, les yeux pétillants de malice. Elle est aussi grande que Liam et lui, une vraie girafe.

Je jette un regard interrogateur à Mya alors que nous nous dirigeons vers l'entrée des élèves.

– Ils sont au courant que Liam et moi sommes des sorciers et qu'il y a des hybrides et des animaux mythiques qui se cache dans certaines forêts. Tommas est un démarqué.

Je la regarde avec des yeux ronds.

Alors... il y a quand même de simples humains qui connaissent notre existence. Le Conseil deviendrait complètement taré s'il l'apprenait! Keven doit être au courant... il n'a donc rien dit. La menace du démarqué, de Jake Renzer, est-elle faussé? Ce qui voudrait dire que c'est le Conseil qui est en tort... et si c'est le cas... Aya avait raison... et je ne l'avais pas cru.

Mince!

Je me mordille la lèvre inférieure, perdu dans mes sombres pensées.

En voyant que je ne lui faisais pas confiance, que je ne voulais pas la croire, elle avait été blessé au point qu'elle voulait me rendre la pareille... et maintenant, si m'a réflexion est vrai... il est trop tard pour que je fasse revenir Aya... Beaucoup trop tard...

– Clara, m'interpelle Mya en agitant une main devant mon visage, me tirant de mes pensées, alors que nous sommes déjà à l'intérieur sans que j'en ai réellement eu conscience. Tu dois passer au secrétariat... pour prendre ton horaire.

– Ah... euh... ouais...

– Tu vois la porte là-bas, en face du gym?

Je tourne la tête dans la direction qu'elle m'indique, un peu plus loin dans le couloir principal.

– Ouais...

– Le secrétariat, c'est là.

– Ah... d'accord... merci...

Je me dirige lentement de ce côté alors qu'elle part dans l'autre sens avec ses amis. Alors que j'arrive à quelques pas de la porte, Mya m'interpelle de nouveau.

– Clara! Rejoins-nous devant la cafète à midi!

Je l'observe un moment pour la voir monter des marches grises à la suite des autres, alors que d'autres élèves marchent dans les larges couloirs. Inconsciemment, un sourire étire mes lèvres. Je fus un moment surprise de moi-même. Je me surprends à sourire de plus en plus sans feindre la joie, sans jouer un rôle, sans tenter d'être comme Aya... d'être Aya.

Pourtant, mon moral n'aurait dû que chuter de jour en jour.

Est-ce parce que je ne me sens plus seule?

Je secoue la tête, puis marche les derniers pas qui me séparent du secrétariat avant de cogner à la porte. Une voix féminine m'autorise à pénétrer dans la petite pièce. J'ouvre aussitôt, ne souhaitant pas m'attarder pour rien. Je fus légèrement surprise d'y trouver une jolie femme aux long cheveux châtain, à la peau claire et aux magnifiques yeux bleus aux reflets irréellement violet. Elle est un véritable contraste avec la secrétaire de mon ancien lycée qui était une petite femme joufflue avec de grosses lunettes rondes et une haleine de chèvre.

La femme devant moi, une Invis, lève les yeux pour croiser mon regard, un doux sourire sur ses minces lèvres roses. C'est étrange de rencontrer aussi banalement alors que nous nous côtoyons seulement lors des rares réunions.

Une cloche sonne.

– Bonjour, dit-elle avec son ton doux que je lui connais bien.

– Salut...

– Tu es... Clara Lynch, c'est bien ça?

– Ouais...

– Tu as changé depuis la dernière fois que je t'ai vu. Ton aura est... un peu plus sombre, mais ça se comprend.

Elle eut un petit rire qui me surpris et elle s'excuse de sa soudaine hilarité.

– Désolé... c'est que, dès que tu es entré, j'étais sûr que tu étais une tout autre personne... surtout à cause de tout ce maquillage sombre. Tu n'en mettais pas d'ordinaire.

– J'avais besoin de changement, dis-je durement, légèrement crispée.

– J'imagine, dit-elle avec une légère tristesse sans se soucier de mon ton. Nous sommes tous au courant. Pour tes parents adoptifs aussi. Tous les Invis sont d'accord pour dire que le Conseil ne met pas l'énergie à la bonne place. Pamela essais de convaincre les autres représentants de vous aider, ta sœur et toi. D'ailleurs, parlant de ta sœur, je n'ai pas vu son dossier d'inscription. Pourquoi n'a-t-elle pas changé d'établissement, elle aussi?

Elle fouille dans sa pile de papier, me laissant ainsi le choix de lui donner ou non la réponse qu'elle attend. Elle m'en tend une avec une douceur presque extrême.

Cette femme m'a toujours fait penser à un papillon qui voltige d'une fleur à l'autre. Elle possède cette beauté et cette grâce que beaucoup recherche, en vain.

– Elle a disparu, dis-je sans passer par quatre chemins.

Ce n'est pas le genre des Invis. La grande majorité parle franchement. Le reste varie selon les gènes et l'éducation.

En repensant à Aya, je me dis que j'aurais dû plus écoutés ses craintes.

– Oh oh, fait la secrétaire en secouant la tête, le visage inquiète, tout en me regardant dans les yeux. Ton aura c'est encore assombri. Ça commence à être très mauvais signe. Plus tu es négative, plus des choses négatives t'arriveront, j'en ai moi-même fait l'expérience pendant un temps. Concentre-toi plutôt sur ce qui te rend heureuse ou même ce qui te rend curieuse. Elle est peut-être infime, mais c'est bien là, la petite lumière en toi, crois-moi, je le vois bien.

– Vous distinguez les auras, c'est ça, lui dis-je en reculant de quelques pas vers la porte sans détachés mes yeux de la petite femme qui est assise devant moi.

Mon regard se promène un instant sur son bureau impeccablement ordonné comme un Intès. Son petit ordi est ouvert sur une liste de nom, alors qu'une tasse portative doit contenir du café, du thé ou une autre boisson chaude. La secrétaire, Luciana Worguing, si je me souviens bien, croise ses petits doigts minces en me regardant avec une douceur maternelle, bien qu'elle ne soit pas beaucoup plus âgé que moi. Aux alentours de vingt-six ans, si ma connaissance des Invis tient la route. Elle eut un petit sourire en me détaillant, la tête penchée sur le côté, laissant tomber magnifiquement ses longs cheveux châtains quelque peu ondulés.

– Tu auras peut-être cette capacité si tu distingues les marqués par les yeux.

Je hoche la tête avant de partir alors qu'elle me fait un petit signe de la main. Je regarde le papier dans la mienne en redressant mon sac sur mon épaule alors qu'une deuxième cloche résonne dans les couloirs vides. J'ai mathématiques enrichie (autrement dit SN, science naturel) en premier heure, suivi d'un cours de littérature, de monde et finance, puis de sport. Je pousse un soupir en me demandant pourquoi je perds mon temps à l'école à la place d'enquêter, mais je sais pertinemment qu'il me faut un peu de normalité dans ma vie. Avec cette résolution, je pars la tête haute vers le local indiqué sur le papier.


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