Chapitre 20 Yakim
Dans le rétroviseur, je vois Clara me sourire avant de donner un autre coup de poing sur l'épaule de Keven et de partir cherche sa moto. Keven la regarde marcher avant qu'il court pour venir s'asseoir sur le siège passager. Je passe une main dans mes cheveux en essayant de comprendre le malaise qui me gagne... une émotion que je n'ai jamais ressentie auparavant me serre le cœur. Quelques choses comme la rage et l'agacement, mais d'un tout autre genre. Je laisse tomber à essayer de comprendre le sentiment désagréable qui me chicote. J'aurais voulu l'effacer, mais comme n'importe quelle émotion, je ne peux pas faire disparaitre cette sensation déplaisante. Je démarre ma caisse dans un léger vrombissement de moteur alors que Clara arrive tranquillement derrière nous. Je conduis jusqu'à mon appartement en jetant fréquemment des coups d'œil dans le rétroviseur pour voir si la miss nous suit toujours à un bon rythme. Je réalise que je n'ai aucun souci à me faire de ce côté... elle me colle dangereusement aux fesses.
– J'habite en bas, dis-je à Clara en sortant de ma Lamborghini alors qu'elle se stationne à ma gauche.
– Tu veux dire, nous habitons en bas, précise inutilement Keven en arrivant devant la moto de Clara.
Je lève les yeux au ciel alors que la miss enlève son casque qui lui masque le visage et passe ses doigts dans ses cheveux bouclés. Je pince les lèvres en détournant mes yeux d'elle. Mais qu'est-ce que j'ai, bon sang!
Mya sort de l'appartement à ce moment précis. Elle nous fait un grand sourire, ses yeux verts brillent comme du jus de cactus au soleil. Lorsque celle-ci reporte son attention sur Clara, son expression et son regard lumineux s'assombrit. Clara lui fait un signe de tête.
– Salut, moi c'est Clara.
– Je m'en fiche, dit Mya en la bousculant. Les gars, je vais rejoindre des amis. Je ne mangerais pas avec vous.
Sur ce, elle me caresse le bras avant de se mettre en mode jogging. Je la regarde s'éloigner avec exaspération alors que Keven grimace.
– Désolé pour ma schwester. Je ne sais pas ce qui lui prend. D'ordinaire, elle est sympa.
C'est vite dit. Elle déteste quand des filles nous tournent autour comme des pipelettes écervelées... Clara n'est clairement pas comme ça... mais le fait qu'elle soit une fille à suffit à Mya pour être jalouse. Jalouse d'elle par rapport à moi, bien entendu. En fait, tous les gens qu'elle voit un peu trop près de moi, elle le prend comme une menace. Elle est exaspérante. Comme si j'avais besoin d'un garde du corps pour éloigner les autres.
– C'n'est rien, dit Clara en haussant les épaules, puis en rangeant son casque après avoir pris son sac. J'ai l'habitude d'être détester, tu le sais, depuis le temps.
– C'n'est pas une bonne raison, soupire Keven en se passant une main dans ses cheveux ébouriffés.
Moi, je crois plutôt que toutes les filles l'envie, autant pour son apparence élancée, mais aussi pour son caractère de m'en foutisme. D'ailleurs, elle me surprend chaque fois. Comment arrive-t-elle à être si zen? Un rien me fait bouillir de colère et d'agacement. Je sors ses deux valises (sans oublier de refermer le coffre) et les apportent à l'intérieur (puis barre les portes à distance) après que les deux autres m'ont suivi.
– Ta chambre est dans le fond, à gauche, en face de la mienne.
Clara me fait un léger sourire avant de me donner un coup de poing sur le biceps.
– Merci, Yakim Cohen.
Je fus légèrement ébranlée par son attitude, puis je hausse les épaules pour cacher mon soudain malaise.
– Nichego...
Elle pousse ses deux valises jusqu'à la pièce en question alors que Keven se tourne vers moi, un visage tellement rayonnant de stupidité que j'aurais préféré ne pas le voir.
– T'es trop sympa!
– Je ne l'ai pas fait pour toi, ai-je grogné alors que son regard dit « pour qui alors? »
Mon durak d'ami se dépêche soudainement d'aller dans sa chambre comme s'il venait de se rappeler à quel point il est difficile d'y respirer sainement. Je secoue la tête avec un léger sourire, pensant à la tête que ferait Clara en voyant sa chambre grossièrement poussiéreuse et désordonnée. Ignorant sa soudaine urgence de propreté, je pars dans la salle de bain pour me laver les mains.
De retour à la cuisine, je farfouille dans les tiroirs et le réfrigérateur en me demandant si la devochka a des allergies alimentaires. Je décide de nous préparer des boulettes de légumineuses au curry enrobé de ris en mettant un cube de fromage au centre. Je m'attaque ensuite à une salade (laitue, tomate, concombre, carotte, radis, poivron et oignon), puis je coupe des patates pour en faire des patates au four. Dans la salade, j'ajoute de la mayonnaise épissée, un peu de moutarde et du persil frais. L'odeur des patates grillées semblent avoir attiré les ventres gargouillant de Clara et Keven. Clara parait surprise en me voyant mettre la table, mais son expression dura qu'une microseconde.
– C'est toi qui à cuisiner?
– Bein ouais... j'n'sais pas si t'as des allergies alimentaires...
– Nop, dit-elle avec un léger sourire. Enfin... pas à ma connaissance.
Ils s'installent à la table alors que je nous remplis des verres d'eau. Je les dépose sur la table avant de m'installer devant Keven.
– Merci, dit-elle en me surprenant, alors qu'elle commence à se servir dans les plats au centre de la table. Et bon appétit, les gars.
– Bon appétit, ai-je marmonné alors que Keven se sert à son tour.
Du coin de l'œil, je regarde discrètement Clara prendre une patate dans son assiette.
– Humm, c'est vraiment bon.
Elle me fait un léger sourire tout en poussant les plats vers moi, comme pour me dire « mais aller, sert toi! » Je me sers en la regardant discrètement, alors qu'une expression de bonheur se lit subtilement sur son visage à chaque bouché. Contrairement à elle, je trouve ma cuisine plutôt banale. Je mange surtout parce que je n'ai pas vraiment le choix... surtout vu ma carrure de géant.
– Je laverais la vaisselle après, si tu veux, dit la doch en me tirant sur mes pensées ridicules sur ma grandeur un peu trop agaçante.
Keven et moi la regardons avec surprise. Elle a proposé quoi!
– Pourquoi, dis-je comme l'imbécile de service.
Clara lève un sourcil, confirmant mon idiotie.
– Bein, vu que c'est toi qui as cuisiné, je vais nettoyer et Keven va essuyer et ranger. C'est normal de se séparer les tâches, me semble.
Je me retiens de pouffer de rire en voyant la mine déconfite et mal à l'aise de Keven. Étrangement, je tire une certaine satisfaction devant son incompétence. Il n'a jamais lever le petit doigt pour faire quelque chose dans l'appartement, hormis le désordre poussiéreux dans sa chambre. Je suis sûr que là, il regrette amèrement de jouer au paresseux de service.
– Keven n'a jamais fait ça, dis-je avec un sourire mesquin alors que celui-ci grimace.
– Ah bon, dit Clara en se tournant vers lui. Ça fait combien de temps que tu vis ici?
Keven me lance un regard alarmé, mais je me contente de sourire avec fierté.
– Six mois, finit par dire Keven en grimaçant de nouveau.
Clara le regarde en secouant la tête tout en claquant sa langue en signe de désapprobation, puis me jette le même regarde en continuant de secouer la tête.
– Moi qui pensait que tu avais du caractère. Je trouve que tu y vas plutôt d'une main morte pour ce qui est évident.
Ma joie retombe en chute libre en même temps que mon sourire. Vient-elle de me gronder? Mais je ne suis même pas vinovny!
– Et j'imagine que tu ne fais rien dans l'appartement, dit-elle en reportant (heureusement pour moi!) sa pique vers Keven. Et ta sœur? Elle fait quelque chose?
Ni Keven ni moi ne répondons, nous contentant de fixer nos assiettes à moitié vide. Du coin de l'œil, je vois Clara lever les yeux au ciel.
– Tu es moins responsable que je le croyais, mon cher Keven. Rappelle-moi de ne jamais entré dans ta chambre si elle est aussi poussiéreuse, crasseuse et dégoûtante que je me l'imagine.
Keven eut un petit rire en se passant une main dans ses cheveux roux. Je pince les lèvres et fronce les sourcils en le voyant crispé. Ne me dit pas que c'était pire que d'habitude...
– Elle n'était pas si sale que ça...
Clara lève un sourcil et nous regarde tour à tour, une expression neutre et froide avant d'éclater de rire, nous prenant tous par surprise, même elle. Elle passe une main devant sa bouche pour dissimuler son sourire alors que Keven et moi la regardons sans comprendre.
– Là, à voir vos têtes, c'est comme si j'étais une mère qui grondait ses gosses et c'est vraiment perturbant vu que vous êtes tous les deux plus âgé que moi. D'ailleurs, vous viviez comme ça vous chante, mais j'ai tout de même l'intention de faire ma part comme je l'avais prévu.
Elle nous regarde tour à tour avant de reporter tout son attention sur moi.
– En fait Yakim, je ne t'ai pas encore demandé quel âge tu as. Tu es plus vieux que Keven?
Je lui jette un regard, me retenant de grimacer.
– Net... j'ai vingt-deux, ai-je marmonné en me dépêchant soudainement de finir mon assiette pour ne plus ressentir ce malaise qui me déconcerte, surtout en l'entendant prononcé mon prénom comme si nous nous connaissons depuis longtemps.
Je déteste quand mon entourage devient trop indiscret et directe. Cette devochka ne fera pas exception même si mon prénom sonne bien dans sa jolie bouche. En la voyant pour la première fois, on ne se douterait pas une seconde qu'elle aime se moquer des gens. En y repensant, elle avait aussi taquiné Steven, son collègue de travail, avec Jeffrey, le mien.
Je me lève alors que Clara et Keven discute énergiquement sur les ragots qui courent dans les deux écoles privées. En voyant l'expression de celle-ci alors qu'elle parle, je sens quelque chose de désagréable me tordre le ventre. Je porte ma vaisselle sale dans l'évier en pinçant les lèvres. Je ne saurais dire quel sentiment me gagne à cet instant, mais c'est une sensation très désagréable. Comme si une main sadique me tordait les entrailles sans que je ne puisse la voir. Je pars en vitesse vers ma chambre en essayant d'ignorer la bonne humeur des deux tourtereaux.
Elle n'aura qu'à se débrouiller toute seule pour les maudites tâches ménagères!
Je grogne en m'écœurant moi-même d'être fâché en les voyant de bonne humeur.
En refermant la porte de ma chambre, je sors mon téléphone de ma poche pour voir si j'avais reçu un autre message de notre fameux anonyme... aucun signe de vie... mais ça ne veut rien dire.
D'ailleurs, Keven ne semble pas avoir reçu de menace, car il ne semble pas perturber le moins du monde... ce qui est plutôt étrange vu qu'il côtoie Clara depuis plus longtemps que moi.
À moins que le seul but de ses messages soit parce que le muzhchina ou la zhena en question à la trouille de me voir le ou la tabasser si je deviens un bon pote à Clara.
Cette simple idée me donne un sourire. C'est plus amusant que de penser que la personne s'est simplement trompée de destinataire ou de ma relation avec la doch. À l'exception d'avoir un ami commun, nous ne sommes rien l'un pour l'autre... et d'un côté, je crois que je préfère que ça reste ainsi... mais en y repensant vraiment, ça va être un peu compliquer vu que nous allons vivre ensemble.
Je pousse un soupir en me laissant tomber sur ma chaise d'ordi. Je réfléchis un moment et décide que ça sera ma soirée film, vu que je n'ai rien de prévu... comme d'habitude...
Il est près de vingt-trois heures lorsque quelqu'un cogne à ma porte.
– Ouais, dis-je en fermant mon ordinateur portable, puis en tournant ma chaise vers la porte.
Mya l'ouvre doucement avant de se faufiler dans ma chambre. Elle la referme avant de se laisser tomber sur mon lit avec une expression qui en dit long. Elle est venue pour parler de Clara.
Je lève un sourcil alors qu'elle reste en silence, le regard dans le vague, comme si elle faisait défiler un texte dans sa tête, mais ne sait pas par où commencer.
– Si tu as quelque chose à dire, dit le.
Je croise les bras alors qu'elle hésite pendant un court moment.
– C'est quoi sa raison... pour que tu aies accepté de l'héberger?
Ah... je savais que c'est de la jalousie, je suis trop umnyy.
– Ce n'est pas à moi de te parler de sa vie privée. Si tu es si curieuse, adresses toi à la personne concernée.
– Mais, marmonne Mya en baissant les yeux vers ses petits pieds, les joues légèrement rougies. Tu ne peux même pas me donner une explication pour ta soudaine gentillesse?
– Mya, l'ai-je réprimandé en grognant. Tu sais ce que je vais te dire, n'est-ce pas.
– Je sais, mais...
Sa voix se brise et ses yeux se remplissent de larme. Je pousse un soupir alors qu'elle commence à pleurer sans retenu.
– Je sais que tu es amoureuse de moi, mais je ne partage pas ce sentiment et je te l'ai déjà dit un million de fois. Et non, ce n'est pas parce que tu es encore mineur que je te dis ça. Mais si ça peut te soulager un tant soit peu, je n'éprouve rien pour Clara comme je n'éprouve rien pour aucune zhena.
Mya tente de sourire, mais elle fait plutôt une grimace. Faut dire que je viens de la repousser pour je ne sais plus combien de fois. Un jour, elle trouvera surement quelqu'un de son âge pour batifoler comme n'importe quel adolescent ringard qui ne pense qu'à l'amour.
Mya se lève en reniflant et sort à la hâte de ma chambre pour aller s'enfermer dans la sienne. Je pousse un soupir et me lève pour refermer la porte qu'elle a laissé ouverte... mais avant que je la ferme, je croise le regard de marbre de Clara à l'autre bout du couloir, à moitié sortie du salon où elle va passer la nuit. Son regard bleu, à moitié éclairé par la lumière du salon brille d'une intensité perturbante. Un étrange sentiment fait gonfler ma poitrine alors qu'un léger sourire se dessine sur ses lèvres. Elle est si belle lorsqu'elle sourire. Elle passe une main dans ses cheveux bouclés avant de souffler un « bonne nuit ». Surpris par ma propre émotion perturbante, je ferme en vitesse la porte, puis m'accote contre celle-ci, une main sur le visage. Mon cœur bat à une vitesse folle, frénétique, m'emmenant un sentiment que je n'ai jamais connu et que j'aurais préféré ne pas connaître. Une pression me serre le cœur en prenant conscience de ma soudaine maladresse.
– Churt vozmi, ai-je marmonné en levant les yeux vers le plafond. C'était quoi, ça...
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