Chapitre 25: Mes démons du passé
Le soleil avait commencé à doucement s'affaiblir et à la place le vent frais se glissait dans ma robe abîmée, rapportant avec lui toutes les saveurs de l'hiver. J'avançais, avec encore quelques pommes à la main vers un nouveau marché. J'observais, retenais tout ; pour faire du présent des souvenirs que plus tard, je pourrais contempler, et des pièces dans mon esprit vide.
Chaque marché avait sa propre personnalité : certains étaient grands, spacieux, attiraient beaucoup de monde, avaient une bonne réputation et leurs propres règles, tandis que d'autres, vagabondait de droite à gauche, chaleureusement et vendaient des produits bas de gamme à quelques deniers...
Je traversai la route à tout enjambé pour rattraper Bouclette qui s'était dangereusement engagée dans l'avenue noire de monde. Bousculant quelques passants, je m'engageai à mon tour courant après le mouton. J'accélérais, passai devant une voiture bousculant malencontreusement l'homme noir qui la transportait avant de sauter sur Bouclette qui s'était visiblement arrêté pour brouter à côté d'une flaque de boue.
-Méchante bête, articulais-je plongée dans la boue qui recouvrait mes vêtements et ma peau. Allez, viens, on y va. Je reçus une violente claque dans le dos avant de me retourner encore sonner par la force du coup que je venais de prendre.
-Madame, hurla la femme qui venait de descendre de la voiture, vous n'avez pas honte de... De... Elle resta ainsi sans cligner des yeux pendant plusieurs secondes avant de me prendre dans ses bras en frottant doucement là où elle m'avait laissé un hématome.
-Bertille ! Je suis si heureuse de vous revoir et désolé pour enfin... J'étais légèrement énervé s'excusa-t-elle avant d'émettre un petit rire gêné.
-Je ne suis pas Bertille, répondis-je fermement. Je m'appelle Arisul Waiteberg. Elle balaya quelque chose imaginaire de la main avant de me reprendre dans ses bras.
-Vous m'avez tellement manqué, en plus après la mort de Monsieur, j'ai eu du mal à... Elle se mit à pleurer. Peu importe, finit-elle par ajouter. Je me dégageai de ses bras pour la repousser de manière violente.
-Excusez-moi, je ne vous connais pas dis-je, en essayant d'être le plus convaincant possible. Bien sûr que je me rappelais d'elle, je l'avais aperçu à la demeure, mais je ne souhaitais pas la revoir. J'attrapai Bouclette et repartis tout lui envoyant des signes polis de loin.
-On s'en est tiré de peu vilaine ! Murmurais-je au mouton, qui repartait plein d'énergie.
Une image me revint brusquement ; celle de l'homme allongé sur le sol, mort. Je frémis en sentant des mains m'attraper, les mains lisses de la femme me serrer. Elle me redirigea vers une voiture, doucement salissant à son tour sa robe jaune citron. Malgré mon entêtement, elle me fit calmement monter dans la voiture, payant derrière elle, l'homme noir qui l'avait amené.
-Il est à toi le mouton ? Je lui souris, et pris Bouclette dans mes bras en guise de réponse au grand désespoir de celle-ci qui regarda le petit mouton avec dégoût. La voiture démarra cette fois tirée par des chevaux et passa devant l'homme noir en train de boire qui en m'apercevant me fit signe. Je le reconnus et soulevai la poignée de la porte. Mon pied frôla le sol en chauffant ma paume de pied avant qu'elle ne m'attrape par le bras.
- Je vais m'occuper de toi maintenant. Je lui souris tristement et m'enfonçai dans le siège moue aux côtés de Finette qui mettait ses gants noirs velours avant de plonger à son tour dans le siège moelleux.
Le cheval hennit et s'arrêta, je posai mon pied dans une flaque de boue avant de soudainement m'arrêter en voyant les mêmes images défiler sous mes yeux : moi dans une assez jolie robe grise descendant d'une magnifique voiture, perdu devant l'immense demeure mais surtout trempée de boue. Le coché repartit me salissant une seconde fois.
-Moi, qui pensais que ça ne pouvait pas être pire ! S'exclama-t-elle en me regardant de haut en bas. Vous venez ? C'est vrai que mon état était laborieux ; non seulement ma robe était tellement trempée qu'elle collait à ma peau, mais en plus mes cheveux s'étaient plaqués sur mon crâne. Je n'osais même pas entrer dans la maison et restai au palier pendant que la boue continuait à dégouliner le long de ma robe et de mes cheveux. Après un soupire Finette m'affirma à contre cœur que cela n'avait rien de dramatique et que de toute manière, je devrais à un moment où un autre entrer.
Des images s'imposèrent à moi une nouvelle fois. J'avais l'impression de vivre la même chose dans deux moments différents à la fois. Le puzzle de mon passé commençait à se former douloureusement dans mon esprit. Je suivis Finette vers la salle d'eau, laissant des empreintes sur mon passage et une fois arrivé un large sourire se dessina sur mes lèvres. À peine eut-elle finit de couler le bain que je plongeai dedans. La robe ainsi que mes cheveux noircirent assez vite l'eau claire et elle dût revenir une bonne dizaine de fois pour changer l'eau avant qu'elle ne reprenne une couleur à peu près normale.
Mais le plus grand bonheur était, que la pièce n'était pas hantée de fantômes, ni de souvenirs errants. Je me laissai peu à peu engloutir. Avant de sortir détendue et d'enfiler une serviette par-dessus ma robe trempée. Je suppose que ce fût au bruit de l'eau qu'elle se repéra, car dès qu'il cessa elle arriva en courant pour me conduire jusqu'à une chambre. Dés lorsque je sortis de la salle d'eau les images me montrant mes déplacements dans le couloir, jusqu'au dernier lors de mon escapade, les angoisses et les joies réapparaissaient soudain dans mon esprit. Leurs brutalités et spontanéités les rendaient fatigantes, douloureuses et récurrentes. Elles s'immisçaient dans mon esprit avec une telle force, que j'eus dû mal à continuer à marcher droit tout en tenant ma serviette, sans tomber. J'avais donc bien habité ici.
En arrivant dans la pièce, de nouveaux souvenirs s'accumulèrent, toujours plus nets, plus vifs, à un point que je me dis, que bientôt, ils s'entremêleraient avec la réalité, et je ne serais plus s'il est matin ou le soir.
Je me jetai sur le lit avant que je ne heurte fort le sol, du moins assez, pour me vider l'esprit quelques minutes et apercevoir Finette avec un visage tordu m'aider à m'allonger sur le lit.
-Tu es sûr que tu vas bien ? Me demanda-t-elle en glissant ses mains lisses sur mon front. Tu m'as l'air, comment dire...perdu. Je lui souris en me faufilant sous la couette. C'est parce que tu as dormi dehors ? Ça du être une expérience traumatisante !
-Non, je n'ai pas... M'exclamais-je avant de me rendre compte que j'en avais dit trop. Je n'avais pas envie qu'elle me retrouve.
-Ah bon ?
-Non, enfin, je veux dire oui, ça était assez bouleversant. Elle me remonta encore la couette jusqu'au menton, m'embrassa sur le front et ressortit en m'envoyant un petit baiser du bout des doigts. Je fermais les yeux, puis les rouvrais sans cesse, les images défilaient de toute manière, que mes yeux soient ouverts ou fermés. Je finis jusqu'à envier cet esprit vide, et me promis de ne pas tarder à mettre fin à mon cauchemar, en quittant cette maison dé que possible. Mais à peine, j'eus fermé les yeux que mes fantômes revinrent encore me hanter.
*
Cela devait faire trois jours que j'étais revenue, et à mon grand désespoir, je n'avais pas pu fuir la vigilance appliquée de Finette et à la place m'y étais même attachée. Son visage de poupée et ses douces intentions m'avaient empêché de devenir totalement folle. Elle me faisait sortir souvent bien sûr, mais ne me quittait pas d'une semelle en serrant fort mon poignet. Pour Bouclette, il n'y avait aucun problème, elle me suivait partout et passait son temps à profiter de la grande maison pour courir, y faire ses besoins et se frotter dans les nombreux tapis et paillassons. De temps en temps, elle couinait et je ressentais alors une pointe de culpabilité de l'avoir égoïstement arrachée à son maître.
Aujourd'hui, de beau matin, Finette était partis au marché seule et m'avait enfermée à clé dans la grande maison. L'angoisse de me retrouver une nouvelle fois seule avec mes démons me rendit nerveuse.
Des cognements résonnèrent contre une des fenêtres plusieurs fois et je finis par y aller. L'homme noir était en train de lancer des cailloux ainsi que quelques brindilles sur la seule fenêtre sans barreaux ; celle du salon. Je le dévisageai des yeux, avant de la briser à mon tour et de sauter sans réfléchir à travers. Avant que je n'ai pu vraiment descendre Bouclette commença à me brouter le bas de ma robe bleu, mais trop pressée, je repartis sans le mouton et m'enfonçai dans les jardins pour rejoindre la sortie. Il n'en restait d'ailleurs plus grand-chose ; les fleurs étaient fanées et la rosée des matins s'était congelée sur les pétales de rose mortes.
Je lui sautai dans les bras et le serrai fort. Il était mon sauveur, mon héros, il était celui qui m'avait sortit d'ici. Pourtant même dans les jardins, les images revenaient me laissant à chaque fois derrière une sensation de nausée désagréable.
-Coumu vas-tu ?
-Bien, bien, répondis-je un immense sourire aux lèvres et toi ?
-Souper ! Dit-il en m'attrapant par la main. Sur ceux, il me sourit et nous nous dirigeâmes vers sa petite chaumière.
*
En m'apercevant, je crus qu'elle allait faire un arrêt cardiaque. Ses yeux sortaient quasiment de leurs orbites et elle m'arracha des bras de son mari violemment, en l'emmenant au jardin. Des cris s'élevèrent depuis l'arrière ferme, des cris aigus ceux de sa femme avant que l'homme ne revienne et m'explique tant bien que mal en français, que je ne pouvais pas rester ici plus longtemps. Prise de dépourvue, je le serrai dans mes bras. Avant que sa femme ne me regarde énerver et ne me mette à la porte. Elle devait encore beaucoup m'en vouloir de ne pas être revenue et avait réussi à le convaincre de me laisser tomber.
-Arisul ? Je me retournai et aperçus l'homme qui se tenait près de la porte. Je lui souris et lui fit signe que ça irait, mais il me rattrapa par le bras et prononça une nouvelle fois mon prénom.
-Ne t'inquiète pua dit-il en serrant mon bras, je vou tu cacher.
-De ta femme ? Demandais-je surprise, mais où... où je vais aller ? Il me fit repasser par-derrière et m'amena dans l'enclos de l'arrière-cour. Il tapota sur la paille et me proposa de dormir ici en caressant gentiment son poney.
-Merci monsieur, merci pour tout. Dis-je avec un accent déplorable. Il me sourit et me tapota l'épaule avant d'ajouter :
-Moi, c'est pas mousu, c'est Alfred. Et repartis me laissant seule sur la paille. De toute manière, je ne pourrais pas rester ici éternellement, et il faudrait que je m'occupe si je ne veux pas croiser sa femme. Après une brève hésitation, je conclus que travailler serait la meilleure solution et le plus tôt serait, mieux ça irait. Ça éviterait de risquer de croiser sa femme à longueur de journée et me permettais bien sûr de faire des économies. À peine la décision prise que je me faufilais hors de la petite chaumière pour commencer ma recherche. Je m'éloignai des grandes avenues qui semblait ne m'apporter que des soucis pour me faufiler dans des endroits plus calmes et discrets. Je toquai à tout type d'endroits que ce soit des auberges, des restaurants, des cafés, des écoles sans rien trouver. Les rues avaient beau être bien jolie à regarder, y travailler paraissait bien moins simples que ça en n'avait l'air. «On n'engage pas de femmes» Répondaient la plupart, « Tu ne parles même pas français comment veux-tu servir mes clients», avait répondu une propriétaire débordée, avant de me claquer la porte au nez.
Je ne me décourageais pas, mais fatiguée décidai de rentrer et de retenter ma chance demain dans un autre quartier. Lorsque je retrouvai Alfred le soir, je lui parlai de ma proposition et il acquiesça enchanté avant de m'annoncer qu'il avait beau essayer de convaincre sa femme, rien n'y faisait, et même après avoir discuter pendant des heures elle refusait catégoriquement, de peur que cette fois, je m'en aille avec le poney.... Nous nous échangeâmes des mines désolés avant d'acquiescer une nouvelle fois sur l'idée du travail qui me permettrait de rester discrète et de m'occuper, mais encore fallait-il déjà que j'en trouve.
La paille m'engloutit donc, avant de me transporter dans les bras de Morphée, accompagnée du fin chatouillement que produisait le foin sur ma peau.
J'avais froid et je grelottais ; il neigeait. Je n'avais jamais vu la neige et me relevai péniblement. La neige tombait sur mon visage avant de fondre sur peau et les gouttes glacées ruisselaient long de mon corps. Je me faufilai dehors et entraperçus la femme d'Alfred sortir au même moment que moi, que par miracle, je ne rencontrai pas. Malgré ma robe trempée et gelée, je sentis que j'allais passer une assez bonne journée du moins qu'elle ne pouvait pas être pire qu'hier. J'échangeai quelques mots avec un fleuriste qui déjà avait du mal avec l'arrivé de l'hiver, et me fit comprendre qu'à cette saison prendre une assistante sous son aile serait beaucoup trop de travail. Puis ce fut le tour d'un boulanger débordé, d'un aubergiste énervé et pour finir d'un artisan solitaire. Je m'enfonçai une nouvelle fois dans la neige en marchant vers la chaumière. Décidément, les mauvaises journées s'enchaînaient et les mauvaises rencontres aussi. En arrivant, j'aperçus la femme d'Alfred accompagnée de quelques amies qui remplissaient peu à peu le salon et bouclaient l'entrée de l'arrière-cour : impossible d'entrer. Je soupirai et m'assis sur un banc à quelques mètres à peine de la maison. J'avais froid et mes dents s'entrechoquaient entre elles. J'étais simplement habillé d'une robe bleu pâle ainsi que d'un fin gilet et la neige recouvrait mes jambes. Les minutes semblaient être des heures et lorsque j'aperçus Alfred, je crus voir un miracle. Je me jetai sur lui, bras ouvert.
-Tu fais quoua tout sul dehors ? Je ne compris pas la tournure de la phrase, mais continuai à l'enlacer de mes bras. Pour moi, il était comme un père. Il me fit rentrer contre le gré de sa femme et me fit bouillir une soupe de maïs devant ses invités qui furent assez gênées de ma présence : elles s'échangèrent des regards appuyés et arrêtèrent de discuter. Il mit le mixage dans un bol en bois, attrapa une cuillère et me fit ressortir par la porte principale et rentrer dans l'enclos. Je grimaçai en remuant le liquide chaud dans son récipient : il me rappelait vaguement quelque chose. Je posai mes lèvres sur le bol brûlant et aspirai lentement la soupe de maïs ; elle était fade et remplit d'eau. Quelle horreur ! Son seul atout était, qu'en quelques gorgées, on avait l'impression d'en avoir engloutis deux bols. Je fixai ce liquide transparent qui reflétait mon visage en aspirant une dernière gorgée avec dégoût : pire encore plus on s'approchait du fond plus ce goût fade devenait amer. Je reposai mon seul repas de la journée dégoûtée et fis signe à Alfred de partir. Le clocher sonna seize heures quelques minutes après qu'il soit reparti. Je m'assis au milieu des animaux, avant de me mettre à les caresser, ils seront sûrement mes seuls vrais compagnons pendant un bout de temps, du moins le temps que je réunisse assez d'argent pour partir d'ici. Même si je ne regrettais aucunement de mettre échapper de la vigilance de Finette et de mes démons, il est vrai qu'assise dans le foin, cachée dans un enclos pour cheval, je réalisais quand même le confort que j'avais dans la maison.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top