Chapitre 22: Je t'ai vu
La voix enfantine annonça la fermeture des portes dans quelques minutes avant de leur diffuser une douce mélodie censée les motivés.
Il était vendredi matin et en silence, regroupés les uns contre les autres la foule se déplaçait. Une main froide lui mit une claque dans le dos avant que la voix d'Eda ne vienne accompagné de ses barrissements habituels.
-Tu es glacée ! Frémit Sixtine en retirant doucement sa main.
-C'est normal pouffa-t-elle. Je suis allée dehors cette nuit et vue qu'il fait froid eh bien...
-Tu es allée dehors ?
-Oui,répondit-elle, enfin dehors est un bien grand mot !!! Dans la cour centrale plutôt ! Tu sais d'habitude, elle est tempérée,fermée grâce à un toit en verre... Mais là non. Sauf le toit.C'était comme un rêve, le froid s'emparait de moi, j'entendais le vent siffler. J'avais l'impression d'être dehors ! Ça fait longtemps qu'on est ici ? On est quel jour déjà ?
-Eda !Tu n'aurais pas dû...
-Tu m'accompagnes ?
-Où ça ?
-Dehors...Eda s'appuya sur elle tremblante.
-Tu brûles de fièvre et tu trembles.
-Toiaussi, tu trembles... Tu étais là cette nuit ? Sixtine s'accroupit sur le sol avec son amie dans les bras, les enfants se faisaient de plus en plus rares et les seuls passés pressés. Eda la fixa avant de terminer sa phrase sur un ton plus sérieux. À moins que tu es peur de moi...Me trouves-tu folle ?
-Arrêtes dit-elle froidement un sourire pincé en coin. Elle se leva froissée laissant Eda sur le sol en étirant le rebord de sa jupe nerveusement.
-J'y vais annonça-t-elle le plus calmement possible.
-Je veux voir ma maman, elle me manque et Colin aussi.
-Colin? Qui est Colin demanda épuisée Sixtine.
-Tu n'es pas partis ! S'exclama-t-elle joyeuse. C'est mon frère jumeau. Sa tête tapa lourdement contre le sol pendant qu'un bruit sourd annonçait la fermeture définitive des portes.
-Eda !Lève-toi ! Vite, les portes se sont fermées, Eda ! Elle rampa sur le sol, le long tunnel était devenu noir, plus aucune lueur ne transperçait l'obscurité totale. Puis, la peur prit place ; elle distingua vaguement quelques contours au bout de plusieurs minutes cherchant Eda en vint. Elle hurla de nombreuses fois jusqu'à enfin trouvé, son corps affalé sur le sol. Elle le secoua vivement essayant de la faire réagir en vint, le corps glacé de son amie flottait dans ses bras. Elle attrapa son poignet et écouta son pouls, il était lent, trop lent... Elle paniqua une seconde fois et se précipita le plus rapidement possible vers les portes.
Ses poignets s'écrasèrent sur les portes métalliques et ses cris furent muets. Elle tapa une dernière fois en les injuriant, les poignets gonflés et saignants sur la barrière de métal et miraculeusement, la porte se cabossa de manière vulgaire. Elle tapa encore plus vite, encore plus fort mais pour seul résultat :ses doigts produisirent un bruit écœurant avant de devenir extrêmement douloureux et qu'elle laisse tomber ses bras lourds le long de son corps. Un détail lui revint subitement, elle avança déterminée scrutant les parois, minutieusement du long tunnel. Il y avait des caméras, auxquelles M. Brown était sans cesse relié. Il suffirait de faire un signe. Ce ne fut pas difficile à trouver presque la totalité des murs en étaient recouverts un petit clignotant rouge dévoilait leurs présences et puis même les yeux fermés, on le sentait. On entendait leurs petits tintements où qu'on aille. Elle se planta près d'Eda, en face d'une caméra et fit de grands signes.
Au début, elle resta calme, patiente, parlant doucement clairement puis peu à peu elle agrandit ses gestes avant de se mettre à hurler sans succès. C'était si étrange. À la fois, elle voyait les caméras mais en plus elle avait la sensation d'être vue et pourtant personne ne venait. Elle s'assit près d'Eda, les yeux écarquillés essayant de distinguer les formes autour d'elle avant d'épuiser sentir le sol s'ouvrir sous ses pieds. Un pincement de cœur. La chute.
*
Elle se releva soudainement, les lumières s'étaient allumées. Elle s'avança pleine d'espoir près de la porte métallique cabossé.Elle colla son oreille et attendit, de petites vibrations faisaient trembler les portes en métal.
-Bonsoir !La voix produit un bruit désagréable et les portes s'ouvrirent.Les enfants marchèrent groupés et serrés. Elle essaya de les interpeller avant de rejoindre Eda toujours étendue sur le sol ;son visage était extrêmement pâle et ses joues naturellement rosées avaient pris une couleur fade. Elle releva la tête et écouta sa respiration : rien.
Morte ?
Sixtine secoua vivement le corps inerte, et n'ayant aucune réponse, le prit dans ses bras avant de se mettre à courir à contre-sens,bousculant les autres enfants. Elle arriva essoufflée et interpella Mme. Cresu qui était en pleine discussion avec M.Piaf et M.Brown, en l'entendant gémir elle se retourna et lança un regard interrogatif au corps d'Eda qu'elle serrait dans ses bras.M.Brown s'éclipsa rapidement, adressa un signe à Mme. Cresu et demanda à Sixtine de le rejoindre dans son bureau.
Mme.Cresu fit apparaître un matelas gonflable ainsi qu'une couverture tandis que M. Piaf s'occupait d'appeler l'infirmerie. Lorsque l'appel fut terminé, elle obéit à contrecœur et se rendit porte n°5. M.Brown était debout le buste avachis sur sa fenêtre passant ses doigts sur ses tatouages. Un coté de son corps était entièrement recouvert de symboles sans couleurs ; de petites spirales, des labyrinthes, des signes et parfois même des morceaux de visage.
Dans son bureau, il y avait une seule fenêtre ; une toute petite fenêtre avec des barreaux. C'était la première fois qu'elle envoyait une dans le bâtiment des informelles.
Le reste de la pièce était rempli d'écrans qui diffusaient la totalité du bâtiment des informelles, des deux longs tunnels ainsi que des dortoirs grâce aux zoupt's et caméras. Une pensée lui vint soudain à l'esprit, il y avait quelque chose d'étrange.Comment M. Brown avait-il fait pour ne pas la voir ? À quoi servaient ces caméras si elles ne pouvaient pas prévenir en cas d'accident ? L'avait-il volontairement ignoré ?
-Sixtine ?M. Brown l'interpella surpris avant de s'asseoir en grommelant sur son bureau. Puis il lui déballa sans faire de pause toutes les lois qu'elle ne devait pas enfreindre ainsi que tous les obligations qu'elle avait : « écouter ces supérieurs» « être loyale» « être honnête » ect... Avant de lui faire comprendre, plus explicite on ne peut pas, qu'elle avait enfrein plusieurs de ces lois en séchant les cours de la journée.
Elle posa sa tête dans ses épaules et essaya d'écouter avec le plus d'attention possible le long discours, qu'il beuglait en ajoutant sans cesse des « Tu vois ? » « Tu comprends ? » à la fin de ses phrases. Elle perdit le fil au bout de quelques minutes et lui aussi d'ailleurs, car il se répéta souvent et finit finalement sa phrase par un geste de la main. Elle le fixa avec attention.
-M.Brown...
-Professeur M. Brown !
-Professeur M. Brown, il y a des tonnes de caméras ici...Commença-t-elle tremblante.
-Oui et ...Soupira-t-il , je suppose que cela n'a rien à voir avec ce que je viens de vous dire. Allez au fait, vous m'épuisez.
-Bien...Professeur M. Brown. Elle inspira profondément. Vous m'avez vu n'est-ce pas dans le tunnel ?
-Oui.Ses yeux se remplirent de larmes et elle le dévisagea avec colère.
-Pourquoi n'avez-vous rien fait ? Maintenant... Elle... Elle est...Les larmes se déversèrent sur ses joues.
Il rit passa ses doigts sur la bordure du bureau et se leva en annonçant.
-La séance est terminée. Sortez. Elle dévisagea l'homme avec rage et se dirigea vers la porte pressée. Il fallait qu'elle aille voir son amie. Elle retraversa le couloir et courut salle n°2 pour rejoindre Mme Cresu et savoir comment allait Eda. Il n'y avait personne. Elle sortit et se dirigea vers la porte suivante.
-Que faites-vous ici ? À quelques mètres d'elle dans la même pièce se trouvait Mme Cresu. Sixtine tourna la tête et l'aperçut devant elle.
-Vous m'avez fait peur !
-Répondez à ma question !
-Je vous cherchez justement.
-Finalement,je vous ai trouvé. Dit-elle avec sa froideur habituelle. Mme Cresu avait les cheveux lisses et très longs, attachés en tresse. C'était une jolie brune aux yeux verts qui ne devait pas faire plus d'un mètre soixante. Elle tremblait tout le temps. Mais derrière une femme frêle et mince, Mme Cresu était très stricte et ne cédait quasiment jamais.
Sixtine l'interrogea inquiète sur son amie, elle n'en savait rien et l'avait entraperçut la dernière fois, allongée sur le sol alors que les infirmiers s'activaient autour d'elle. Devant son désespoir, elle lui indiqua le numéro de la tente où elle avait été transportée et ne s'intéressa pas plus à elle. Mme. Cresu tourna sur elle-même et repartit difficilement dans sa robe cuir étroite qui couinait à chaque pas.
-Eda...Eda réveille-toi...Pardonne-moi de ne pas t'avoir crue...Eda ! Les larmes coulèrent de nouveau sur ses joues.
-Eh bien ne la secouez pas comme ça !! Elle vient de perdre connaissance !
-Elle va bien alors ? Elle n'est pas...Elle n'est pas morte !Des larmes chaudes continuaient de couler.
-Paralysie des poumons ainsi qu'un plutôt gros malaise qui aurait pu se transformer en coma, je n'irais pas jusqu'à « bien »mais disons qu'elle s'en sort. Le petit homme de la taille de son pouce voleta dans les airs en faisant le tour de Sixtine.
-Tu me dis quelque chose ! Marmonna-t-il dans sa barbe.
-On s'était déjà vu...J'étais venue une fois, j'avais des vomissements, je ne me sentais pas bien. Elle s'arrêta pétrifiée par ce qu'elle venait de voir - Pouvait est-ce être réel ? -avant de recommencer à parler encore plus vite pour troubler son malaise. Maintenant ça va mieux, mais j'ai mal à la tête ;ça fait des petits bourdonnements. Ses lèvres tremblèrent et elle continua s'inventant toujours plus de symptômes pour captiver l'attention de la petite fée. Le bonhomme semblait donner toute sabonne volonté au point qu'après avoir englouti une bonne grosse dizaine d'informations, il devint tout rouge et montra son agacement en faisant grincer ses dents les unes contre les autres.
-Je vais te demander de partir, j'ai du travail et Eda n'est pas totalement rétablie. Il la coupa brusquement sans hausser le ton en faisant des pauses entre chaque mot, calmement. Elle reprit son souffle comme après une longue course et dit à son tour de manière plus posé et clair.
-Je préférais rester.
-De toute façon, j'ai du travail... Je repasserais sûrement dans une heure ou peut-être deux. Il se forçait de sourire malgré son visage qui virait au violet. Sixtine le lui rendit. Une fois sortit,elle s'agenouilla au chevet d'Eda bouleversée. Elle venait d'avoir une vision. Les ombres malheureuses dansaient encore sous ses paupières, sûrement le fruit de son imagination, pourtant pendant quelques secondes tout lui était paru si vrai. Elle se gratta une croûte que lui avait laissé la séquestration de sa tante et fixa Eda, un sourire tendre se dessinant sur ses lèvres à la vue de ses paupières qui se soulevaient lentement.
-Tu as l'air en forme...
-Menteuse ! Répondit Eda, sinon que ferais-tu larmes aux yeux à mon chevet ?
-Je réfléchissais !
-Ah, ça t'arrive ? Elle rit, avant de prendre un air plus grave. Toi non plus...
-Moi non plus quoi ?
-Tu n'as pas l'air en forme. Sixtine sourit sans essayer de dissimuler le sang séché sur ses doigts, ses yeux rougis ou encore les croûtes que lui avait laissé sa tante sur les poignets et les chevilles, se contentant pour réponse, de passer ses doigts dans les boucles blondes qui s'étaient aplatis sur l'oreiller. Eda l'observa de ses yeux d'enfants ; d'habitude si pétillants d'un regard plat voire même triste, lui arrachant ainsi une nostalgie soudaine : ce regard triste lui rappela ce même regard avec lequel son père regardait mère à l'hôpital :d'un œil évasif, triste, fatigué. Peut-être celui-ci ne voulait pas dire autant mais il était tout aussi profond.
Eda frissonna avant de se lever lentement, épuisée.
-Tu crois qu'ils sont au courant ? Sixtine ignora la question,bien sûr qu'ils l'étaient, ils étaient au courant de tout, ne manquaient plus qu'ils se manifestent.
-C'est quoi ? Elle passa ses doigts sur l'épaule gonflé d'Eda.
-Je ne sais pas avoua-t-elle. J'ai dû me réveiller avec. Je crois qu'ils m'ont injecté un truc. Un médicament sûrement. Sixtine n'en était pas si sûre, l'épaule était gonflée et pas vraiment belle à voir. Elle l'aida à se relever, passa son bras sous le sien et la transporta hors de la tente. Elles inspirèrent cet air synthétisé auquel elles s'étaient habituées à remplir leurs poumons. Quelle était la différence ? Il était lourd mais très pauvre. Elle recommença à marcher avant de pousser la porte des informelles. Il n'y avait personne et le mignon secrétaire était sur le point de finir sa journée. Elle traîna Eda dans le bureau de M. Brown qui visiblement n'était plus là ce qui finalement n'était pas plus mal...Elles tournèrent en rond pendant plusieurs minutes avant de renoncer et de s'asseoir contre une porte.
-Tu as dit que tu étais allée dehors chuchota-t-elle.
-Oui et ? Les mots tremblèrent fragiles dans sa bouche,contrairement à la déclaration joyeuse qu'elle avait faite tôt dans la matinée. Alors quoi ? Les lèvres d'Eda vibraient sans produire de son et il fallait plisser les yeux pour comprendre ses mots.
-Je veux y aller.
-Non.
-Non ?
-Non.
-Mais tu m'as dit ce matin que c'était génial, tu m'a même proposé devenir avec toi ! Écoute... Ça fait des jours qu'on est ici bientôt une semaine, tu t'imagines ce que c'est une semaine ?C'est rien et c'est tout à la fois, qui sait, qu'il n'y a pas eu un énorme tsunami ravageant tout sur terre ou même des attentats ? Et nous nous sommes là avec des dirigeants cinglés qui nous oblige à vivre dans l'ombre à se lever à la même heure à se coucher encore à la même heure. Alors que nous sommes juste différents !Nous ne sommes pas des bêtes de foires !
-Des bêtes de foires ? C'est ce que nous sommes dehors ! Ici nous sommes à notre place ! Loin de ceux qu'on aime certes mais chez nous...De quoi t'inquiètes-tu ? Je ne sais pas ce qui m'a pris ce matin, mais tu as bien vu dans quel état je me suis retrouvé après !
-Je m'inquiète là, maintenant ; pour toi Eda, mon amie... J'ai l'impression d'entendre M. Brown ! Tu n'es pas comme eux !S'exclama Sixtine en lui attrapant les mains. Nous ne sommes pas à notre place, tu le sais très bien alors enfreindre les règles ça ne peut nous faire de mal.
-Écoute dit-elle d'un murmure fin, ils nous logent, nous nourrisse, nous protège, nous enseigne à comprendre et maîtriser la magie et tout ça en contrepartie de quelques règles...
-On dirait une vielle ! Fit Sixtine en tournant la tête. Et puis on ne l'a même pas ce bouquin ! Elle se leva d'un bond et tira son amie par le bras qui s'adoucit contre son gré.
-Bon,Ok, on y va.
-De toute façon tu n'avais pas le choix.
*
La fête semblait s'achever dans le réfectoire une fête de fin de semaine où tous les informelles et dirigeants s'étaient réunis.Les deux jeunes filles se recroquevillèrent, les genoux aux mentons,cachés dans l'angle de la scène en bois. Les enfants étaient heureux, ils déambulaient dans la cour, le sourire aux lèvres des bonbons à la main, riaient, parlaient comme tous les autres enfants de leurs âges. Seulement ils n'étaient pas comme tous les autres.Ils étaient trop différents pour vivre avec leurs parents.
*
-Ils sont partis ? Sixtine se retourna anxieuse vers elle. Eda ?L'interpella-t-elle en dégageant ses mains de son visage. Elle tapa sur la place vide à côté étonné. Qu'es-ce que tu fais ?
-Nous ne sommes pas à notre place alors enfreindre les règles ne peux pas nous faire de mal ! M'imita Eda en se moquant de moi.Bien sûr qu'ils sont partis sinon que ferais-je debout mes géantes oreilles au vent ? Elle rit et pivota de manière gracieuse faisant tourner ses boucles blondes et sa courte jupe. Sixtine se leva émerveillée et se mit à sa hauteur. Une brise fraîche caressa son visage, l'adoucissant. Elle avait raison : ici en pleine nuit on se sentait dehors, libre. Elles s'allongèrent sur le dos au milieu de la cour, observant ce toit en verre quasiment invisible par lequel on apercevait la lune.
-Tu as raison. Murmura Sixtine pour ne pas briser la douceur du moment.
-J'ai toujours raison... ! Mais pourquoi ?
-Ici,on se sent libre. Eda sourit tout en fixant du coin de l'œil un petit clignotant rouge, qui signifiait qu'elles n'étaient pas seules. « À quoi bon ? » Sixtine se tourna espiègle vers Eda avant de se mettre à courir vers le réfectoire à toute allure sous son regard surpris et amusée.
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