Chapitre 21 : Douceur et boucles blondes
Je ramenai mes genoux contre ma poitrine et me blottis dans la paille mouillée. J'avais froid. Mes dents claquaient et je mordillai ma lèvre inférieure jusqu'à qu'elle soit saignante et douloureuse avant d'enfin me décider à rentrer.
Ma lèvre me lançait et me picotait. Je retournai me plonger dans la couverture, trempé avec de la paille accrochée à mes vêtements.
*
Tout comme le froid et la pluie, ce furent les rayons orangés du soleil qui me forcèrent à me mettre debout. Je tirai mes jambes douloureuses avant de brusquement me lever. Je scrutais avec attention la chaumière. Le paysage me parut de nouveau étranger mais loin de l'euphorie et la panique d'hier je me levai jovial et reposée. J'étais la dernière réveillé et la femme noire me fixa avec de grands yeux apercevant sa longue chemise trempée et recouverte de paille. Elle déposa devant moi un bol en bois remplit d'un liquide chaud. Je portai la mousse blanche à mes lèvres avant de m'exclamer « milch * » sous son rire.
-C'est quoi ça « milch » demanda-t-elle en reprenant le bol entre ses mains lorsque j'eus fini, puis sans attendre de réponse de ma part, elle m'enfila la même robe sale et abîmé qu'hier me noua les cheveux avant de m'expliquer tant bien que mal qu'elle avait besoin que j'aille au marché pour elle et de me donner de la monnaie.
Je m'avançai donc dans la grande rue. Les pieds rouges douloureux torturés par le claquement frénétique de mes sabots en bois sur le sol dur.
Malgré la fine brume qui se dessinait à l'horizon, je pus apercevoir exactement le même spectacle qu'hier, seuls les musiciens trop frisquets n'étaient pas au rendez-vous.
* LAIT en allemand
La brume se dissipa lentement, agréablement sous mes yeux et je tendis les mains pour en capturer un brin. Peut-être était-ce la même que celle qui flottait dans mon esprit brouillon ?
Lorsque j'admirai une seconde fois la rue, je pus en avoir la certitude, rien n'avait changé ; comme une pièce de théâtre joué, rejoué et surjoué, mais jamais par les mêmes acteurs. Je me fis tourner sur moi-même ce qui fit relever légèrement ma robe gracieusement. Je relevai la tête et décryptai une fois de plus le paysage : j'étais perdue. Comment avais-je pus me perdre si vite dans la foule ? Je paniquai, le bourdonnement familier de la grande ruelle me parvint aux oreilles sans me rassurer au milieu de la foule se multipliant.
-Monsieur ! J'appelai le cocher de vive voix. Il accéléra et m'éclaboussa : d'ordure et de boue. Mes cheveux se collèrent de manière visqueuse sur l'arrière de mon crâne et ma robe... et bien si l'on peut appeler cela encore une robe, dégoulina sur le trottoir.
Je hurlai d'une telle force que je me surpris moi-même de la puissance et de la tonalité assez grave de ma voix. Je m'avançai à tâtons les cils absorbé de boue m'empêchant de voir autre chose qu'une pâte lourde et boueuse. Je longeais le long du trottoir bousculant quelques personnes. Je trébuchai sur une grosse pierre et me tortillai par terre de douleur avant de m'apercevoir que je venais de perdre un de mes sabots.
-C'est pas vrai ! M'écriai-je. En me relevant, j'aperçus la masse de paires d'yeux qui m'observaient tous rieurs, moqueurs. J'en bousculai quelques-uns courus visage au vent, boitant. Il fallait que je trouve un moyen de m'enfuir de ce tas de monde, de rentrer et de me nettoyer. Mon pied nu frotta le sol jusqu'à devenir bouillant et recouvert de cloques. J'accélérai. Encore.
Je cru même m'entendre rire ; d'un rire nerveux, ou peut-être étaient-ce les autres ? Encore. Du bruit. Flou. Inspirer. Expirer. Ma tête tournait, j'avais mal au pied. Ma course s'arrêta brusquement. Soulagement. J'étais sur un pont. Je tombai. Me relevai. Repris mon souffle, me calmai, levai les yeux.
Le vent soufflait à nouveau sur mon visage, je détachai lentement mes cheveux, fis glisser le bandeau bleu entre mes doigts avant de le nouer à mon pied de manière à faire un pansement. Le pont était assez bas et ne paraissait pas d'être dangereux. Je tendis les deux bras avant de sauter. Mon corps rentra délicatement dans l'eau, enveloppé, mon bras érafla un rocher. Il saignait. J'y prêtai à peine attention et gazouillai dans l'eau comme une enfant de trois ans. J'aimais tant cette sensation-là : l'apnée. Je me laissai porter par le courant. Légère.
Je ressortis contrainte devant le soleil haut dans le ciel. J'avais perdu le second sabot et j'avançais d'un pas lourd, le sourire en coin. J'arrachai maladroitement la dentelle de ma robe et la récupérai pour en faire en bandeau avec lequel je nouai mes cheveux roux pour dégager mon visage. J'ajustai le nœud-papillon et glissai avec peine sur le sol chaud. Le vent froid vint me sécher amèrement. Cette fois aucun passant ne se retourna, loin d'avoir l'habitude de croiser des jeunes filles portant une robe brunis par la crasse et pieds nus, mais simplement que l'endroit où j'étais tombée et paraissait assez pauvre et les passant avancés pressés, indifférents. Cette fois ce fut un coché qui s'arrêta de lui-même, loin de ceux de ville : il était tiré par un mouton. Un vieux mouton crasseux, mal tondu avec de lourdes paupières et de tout petits sabots du nom de Bouclette. L'homme âgé à la longue barbe grommela me demandant de monter rapidement.
-Tu vas loin ? Tu ne parles pas français, c'est ça ? Je fis signe de ne pas avoir compris et il soupira en me faisant monter.
-Bien. L'homme donna quelques coups talons à son gros mouton et il démarra. Bouclette avait beau être grasse, sale et vielle, il faut dire qu'elle était sacrément pratique, obéissante, mais surtout presque infatigable. Elle marchait toujours au même rythme et concurrençait les autres cochés avec fierté.
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