Tu es un sorcier, Tom

Éventré par le crochet, ses pages détrempées d'encre, le tout premier horcruxe de Voldemort ressemble désormais à un journal qui aurait connu des jours meilleurs. Sa couverture noire en cuir colle à vos doigts, et cette sensation vous dérange profondément. Elle vous rappelle celle d'une peau moite. En le feuilletant, vous vous rendez compte que çà et là, des bribes de texte ont ressurgies, comme si le journal refusait d'abandonner son propre souvenir. Cette ultime tentative de marquer les mémoires vous tire un léger frisson dans la colonne vertébrale. A quel point lire ces notes griffonnées d'une écriture tantôt rageuse, tantôt trop soignée pour être humaine, vous met en danger... ? Le nom de Ginny Weasley flotte fugacement dans votre esprit, mais cela ne vous empêche pas de tourner les premières pages et d'être irrésistiblement attiré par leur contenu.

Vendredi 31 décembre 1954,

Miss Cole a le regard rivé sur moi. Je vois ses yeux méchants loucher par-dessus la tranche de ce carnet pour tenter de lire ce que j'écris. Quelle belle attention que de nous offrir ces carnets et une plume neuve à nos dix ans. Ah, vraiment ! On s'épanche dedans librement et cette vieille fille nous coince ensuite pour nous mettre sur le bâton. J'ai compris à cette drôle de corrélation entre ce cadeau empoisonné et les punis qui suivaient. Elle attend que l'attention se relâche, que les autres imbéciles se livrent à cœur ouvert entre les lignes de ce qui devient une véritable déposition. Et là, elle les coince, et c'en est fini de la quiétude. Oh, je te vois vieille mégère. Tu trépignes, ta langue empâtée se pourlèche les lèvres tandis que tu me vois noircir ces pages. Tu anticipes, n'est-ce pas ? Le plaisir de la chasse irradie autour de ton corps déserté par les hommes et trop souvent habité de vices. Tu as hâte de plonger dans mes pensées, car je t'intrigue. Je te terrifie, mais je te fascine. Tu crois que tu vas pouvoir enfin avoir des réponses et peut-être même de l'ascendance sur moi, qui sait ? Et cette idée te comble d'une joie malsaine qu'aucun adulte ne devrait ressentir à l'idée de dominer un enfant. Mais je ne te blâme pas. Je te comprends, même. Je sais la jouissance que le pouvoir procure. Alors, non... Non, Miss aux désires malsains et à si peu de moyens pour les assouvir, je ne te juge pas. Et je joue avec grand plaisir avec toi, car tu ne liras jamais ces mots. Car, ce que Tom Jedusor désire, Tom Jedusor l'obtient. Et je désire faire de ce carnet l'instrument de ma gloire.

Dimanche 16 janvier 1955,

Jordan doit avoir beaucoup de mal à s'asseoir ! Miss Cole a fini par mettre la main sur son journal et l'a sévèrement puni. 3 jours de cachot, obligation à la confession et prière régulières et surtout : autant de coups de trique que de pages qu'il avait noircies à propos de la sienne. Je ne suis d'ordinaire pas vulgaire, mais la prose de Jordan aurait choqué le pire des loubards... Miss Cole n'a vraiment pas apprécié la façon dont il parlait d'Émilie et je peine à savoir si elle a été davantage choquée du descriptif qu'il faisait de ses seins, ou bien de ce qu'il comptait faire avec... Jordan aurait dû être plus prudent s'il avait voulu que son secret ne s'ébruite pas et faire attention à son journal... Jordan aurait aussi dû ne pas être jaloux du fait qu'Émilie souhaite maintenant m'apprendre le Latin. À cause de sa crise, Miss Cole a entravé ce projet au nom de l'égalité et plus du tiers de la bibliothèque du Révérend Ward m'est irrémédiablement inaccessible. 100 coups n'est vraiment pas cher payé pour ce qu'il m'a fait. Dommage qu'il ne puisse s'en rendre compte au milieu de ses pleurnicheries.

Jeudi 27 janvier 1955,

Il s'est passé quelque chose de vraiment étrange aujourd'hui. Miss Cole a de nouveau essayé de me séparer de mon journal et je fus, cette fois, contraint de le poser sur mon lit avant la toilette. Je l'ai fait devant Émilie qui a pu attester de mon obéissance et je suis parti en ne pouvant détacher mes pensées de mon journal bientôt profané. Qu'aurait fait cette fouineuse des infos récoltées ? Quand je suis revenu, le journal avait bien disparu, Cole était furieuse et a sévèrement réprimandé Émilie pour tout un tas de choses futiles. Elle a certainement dû croire qu'elle m'avait aidé. Moi aussi, sur l'instant. Elle semble réellement prête à tout pour moi cette jeune sœur, mais la réalité est toute autre ! J'ai retrouvé mon journal dans ma cachette secrète, sans que rien n'indique qu'on l'y ait mis. Je me trompe peut-être, mais... je crois que c'est moi qui ai fait ça. D'une façon, ou d'une autre...

Lundi 14 février 1955,

Je hais cette journée ! Miss Cole et ses sœurs sont insupportables ! Il y a celles qui sont agressives envers tout le monde par frustration, et celles qui minaudent en lisant des livres que je sais avoir peu de rapport avec Dieu. Elles me dégoûtent. Et les Jordan qui leur font les yeux doux plus encore !

Dimanche 20 mars 1955,

Je déteste Noël et ses chants dédiés à un chiard, mon anniversaire et son hypocrisie, mais ce jour... ? Ce jour-là ?! Chaque année, Miss Cole nous endimanche plus que d'ordinaire et, après l'office du matin, nous coince dans les mains un bouquet presque fané aux tiges qui grattent. Ensuite, elle nous met en rang devant la Vierge et sa statue trop parfaite pour ne pas avoir été sculptée avec des pensées outrageuses. Là, nous devons prier à voix haute. Remercier la Bonne Mère, la Sainte Mère de ses bienfaits, lui demander de nous en accorder une autre et... remercier celle qui nous a mis au monde. Et entre les reniflements des gamins qui croient encore que la leur était une sainte et les prières sans joie des plus vieux qui se sont fait une raison s'éleve ma voix. Elle est douce, claire et aimante, elle tire des larmes de joie à Émilie. Même Miss Cole approuve et ces deux niaises n'entendent pas le venin derrière le ton doucereux. Oui, ma mère, je te sais gré de m'avoir donné une vie misérable dans un établissement miteux. Je te remercie de m'avoir abandonné dans une vie pauvre et sans connaître un père qui ignore certainement que tu as rendu l'âme sur le parvis d'un orphelinat. Un père qui, disait une Miss Cole engourdie par le vin de messe, devait être beau comme un dieu tant ta laideur n'avait pas eu de prise sur moi. Un père certainement fortuné et ignorant qu'un bâtard ait été abandonné. Oui, je te remercie pour tout cela, car cela m'a rendu plus fort. Plus fort que les autres qui pensent encore à une chance d'être adopté nos huit ans passés. Plus fort que les brutes sans raffinement qui confondent force et pouvoir. Je suis spécial, mère, et si tu n'étais pas morte aux portes de cette prison, je n'aurais jamais pu apprendre à m'en libérer. Alors, bonne fête, mère. Puisse ton corps pourrir plus correctement qu'il n'a semblé vivre.

Samedi 2 avril 1955,

Billy a encore fait une réflexion sur le temps que je passe à la bibliothèque. Cette brute ne voit pas l'intérêt du savoir et a cherché à m'arracher un livre des mains. Heureusement, cette édition de Vanity Fair est solide ! Et il m'aurait déplu qu'il ne l'abîme alors qu'il s'agit du livre qu'Émilie a fait entrer en douce pour moi... Billy a intérêt à changer de souffre-douleur.

Dimanche 3 avril 1955, Ce chien est venu me chercher des noises jusque dans ma chambre et a renversé mon encrier sur le livre ! Mes draps étaient noirs d'encre et l'ouvrage fichu ! Miss Cole est entrée dans une terrible colère quand elle a vu ça et j'ai dû cacher le livre et voir Émilie pleurer quand elle a compris. Son émotion débordante m'a pris plus d'une dizaine de minutes à canaliser et je me retrouve puni pour le lit et privé du dénouement pour cette maligne de Becky ! Il va devoir apprendre la discipline de la seule façon que la vie a de le faire !

Lundi 4 avril 1955,

Miss Cole me regarde comme si j'étais un monstre et Émilie ne s'approche plus de moi. Les autres enfants chuchotent à mon passage. Billy, lui, a cessé de me harceler. Il hurle ou pleure quand on se croise. Je vais garder le collier de velours avec le grelot et le mettre dans la boîte. Billy n'en aura plus besoin, maintenant que son lapin s'est pendu à la porte de sa chambre.

Mercredi 15 juin 1955,

Cette sortie à la mer était vraiment très instructive, voire bénéfique. Billy et Jordan ne poseront plus de problème. Pas plus que Dorian. Nous avons pris le temps de nous connaître et d'établir des liens forts. Le petit lac sous la grotte était le lieu idéal pour notre pacte. Dommage que Billy ait un peu gâché l'ambiance avec ses pleurnicheries, ça ne faisait pas si mal.

Lundi 20 juin 1955,

Miss Cole nous a fait passer des examens. Aux enfants qui étaient avec moi mercredi et à moi-même. Le docteur m'a posé beaucoup de questions sur mes parents et mes émotions. Il m'a beaucoup interrogé sur mon rapport aux autres. Le lapin de Billy et l'affaire de l'encre sont revenus sur le tapin. Je ne sais pas ce que les autres ont dit, mais Miss Cole ne peut plus poser ses yeux sur moi. Je crois qu'elle a peur.

Vendredi 1er juillet 1955,

Émilie quitte l'orphelinat. Elle n'a rien dit à personne.

Lundi 18 juillet 1955,

Je le savais ! Je savais que j'étais spécial, pas juste différent. Je savais que je faisais des choses exceptionnelles. Que j'avais des capacités hors du commun. Surnaturelles. Aujourd'hui, un étrange vieil homme au regard inquisiteur et avec des manières faussement bienveillantes m'a rendu visite. J'ai tout d'abord cru qu'il s'agissait encore d'un docteur. Miss Cole est obsédée par l'idée que « quelque chose cloche chez ce garçon ». Mais tout est devenu limpide quand cet Albus Dumbledore s'est mis à parler. Il s'est présenté à moi comme le professeur d'une école spéciale. Au début, j'ai pensé qu'il s'agissait d'un pensionnat de redressement ou d'une maison de fous, mais il m'a assuré que Poudlard était une école de magie où j'étais inscrit depuis ma naissance et que j'étais, par conséquent, un sorcier. Je ne l'ai pas cru. Malgré les prodiges que je peux faire, je ne croirai jamais de but en blanc quelqu'un qui semble si déterminé à cacher sa nature. Mais, il m'a prouvé ses dires en mettant le feu à mon armoire sans lever le petit doigt. Cela a aussi révélé mes trésors et il m'a donné son premier ordre : rendre ces objets à leurs propriétaires et ne plus jamais brutaliser mes camarades. Je ne sais pas ce que Miss Cole lui a raconté, mais il était parfaitement inutile que je lui mente. Il m'apparaît à l'instant évident que j'ai commis certainement une grosse erreur en lui révélant mon secret. Ce n'est pas dans mes habitudes de fanfaronner et je pense que cette histoire de sorcellerie m'a poussé à l'orgueil. J'ai voulu impressionner cet homme et reprendre l'ascendant après qu'il m'a eu déstabilisé et sa réaction à mon secret tend à prouver que je vais devoir faire des recherches sur ça. J'espère également en savoir plus sur mon père une fois là-bas. La rentrée a lieu le 1er septembre m'a-t-il dit et je serai prochainement accompagné pour faire mes courses d'étudiant. Curieux, ce monde, pas si différent du nôtre, mais qui prévoit pourtant de financer les études de leurs orphelins jusqu'à leur majorité au lieu de les envoyer à l'usine dès leurs 14 ans. Les autres enfants du pensionnat n'auront aucun avenir. Les moins stupides parviendront peut-être à ne pas trop sombrer dans l'alcoolisme et à garder un emploi minable. Certains se reproduiront, perpétuant ainsi une lignée sans importance, quand, moi, j'apprendrai tout d'un monde extraordinaire et m'emparerai des pouvoirs sans commune mesure qu'il m'offre. Car, si sans instrument Dumbledore a-t-il pu faire ce qu'il a fait, que ferais-je, moi, avec une baguette ? Je savais que j'étais exceptionnel, je sais désormais que mon destin l'est tout autant.

Dimanche 31 juillet 1955

C'est un certain Ronan Campbell qui m'a accompagné sur le Chemin de Traverse. Il gère la bibliothèque de Poudlard et s'est retrouvé affublé d'un orphelin ayant grandi dans le monde Moldu. Le besoin d'accompagnateur est rare, m'a-t-il dit. Les autres élèves ayant tous de la famille soit en vie, soit sorcière, soit les deux. Poudlard aura donc dépêché spécialement quelqu'un pour moi. Et Campbell étant une personne très silencieuse et organisée, nous avons simplement respecté sa feuille de route qu'il semblait avoir établie pour cette journée. Il avait d'ailleurs déjà une bourse prête d'argent sorcier, correspondant précisément aux besoins notés sur la liste de fournitures. Quand je lui ai demandé d'où sortait cet argent, il a eu une grimace dédaigneuse, avant de répondre « Poudlard ». J'ai été surpris et je comprends volontiers qu'il puisse trouver cela dégradant pour sa chère école. Il manque seulement la raison évidente de cet investissement : la viabilité des sorciers. Si ce monde, hélas minoritaire sur le reste de l'Humanité, ne permet pas à ses membres d'exister, il prend le risque de disparaître. La faible quantité de personnes dans mon cas ne représente pas un coût financier outrageux... ce qui explique sans doute pourquoi les affaires achetées par l'école étaient neuves. Nous avons d'ailleurs commencé par les robes et les livres. Les premières ont été faites à ma mesure, comme à l'orphelinat, et les livres nous attendaient déjà sur le comptoir de la boutique. Je me suis surpris à espérer que Campbell souhaite y flâner, mais sa rigueur nous a ensuite conduits de boutique en boutique où chaque magasin avait laissé la pile de fournitures requises par l'école. Finalement, je n'ai été seul que lorsqu'on m'a donné ma baguette et je comprends toute l'importance de ce moment. Il intervient à la toute fin des achats et le propriétaire et artisan de la boutique vous laisse debout sous la curiosité envahissante d'un mètre ruban enchanté, tout en vous faisant essayer plein de baguettes. Au bout de la 7e, il m'en a tendu une et une grande gerbe verte et noire a illuminé la pièce. J'ai senti un frisson incroyable, l'impression d'être enfin entier et plus puissant que jamais. Malheureusement, nous n'avons pas le droit de faire de la magie en dehors de Poudlard et je me suis contenté depuis d'apprendre tout ce que je peux des livres qu'on m'a fournis pour être prêt. Hors de question de prendre le moindre retard sur les autres ! J'ai deux mois pour les lire et anticiper cette rentrée. Je ne resterai pas éternellement un simple orphelin.

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