Chapitre 7 : La prise de conscience

Le lendemain matin, je me réveille en sursaut, dans une autre chambre que le mienne. Je prends le temps d'admirer les murs de la pièce décorée de posters de motos, de voitures ou encore d'animaux exotiques, ce qui m'aide à me calmer. Le cauchemar que je viens de faire était d'un réalisme à m'en couper le souffle. En observant ce qui m'entoure, une main massant ma poitrine et l'autre encore agrippée aux draps du lit, je parviens petit à petit à reprendre une respiration plus lente. Mon regard se baisse en percevant une masse du coin de l'oeil ; Keisuke. Le garçon aux longs cheveux bruns est étalé par terre, à moitié sur son futon, encore habillé de ses vêtements de la veille. Je suppose qu'il s'est écroulé sur le matelas en rentrant dans un état d'ébriété catastrophique. Visiblement, il est rentré assez bourré pour s'endormir avec une de ses chaussures, quoi que défaite et prête à être hottée de son pied.

 Keisuke, Keisuke ! je l'interpelle en me penchant vers lui, essayant d'atteindre son épaule pour le secouer.

Je l'entends grogner avant d'ouvrir un oeil paresseux pour me regarder, se protégeant de la lumière matinale qui entrait dans sa chambre. Il se frotta les yeux en bayant et les rouvrit. Son regard s'arrêta sur mon visage, me fixant de ses pupilles noisette.

 Quoi ? grommelle-t-il d'une voix grave, encore embrumé par son réveil forcé.

 Je pense que je vais rentrer chez moi, je ne me sens pas bien, je lui explique en me redressant dans son lit.

Il me regarde attentivement, sans rien dire, puis s'étire de tout son long en baillant bruyamment. En se rendant compte qu'il s'était endormi avant de pouvoir enlever sa deuxième chaussure, il lâche un grognement contre lui-même, et la retire sans plus attendre, la balançant d'un geste sec pour qu'elle atterrisse dans un coin de sa chambre.

 Attends, deux secondes, dit-il avant de partir de sa chambre, me laissant sans aucune autre explication.

Je reste sagement assise contre la tête de lit, encore transpirante de mon mauvais rêve. Quelques secondes plus tard, il revient avec un verre d'eau qu'il me tend, pendant que je reste encore dans ses draps.

 Tu as mal à la tête ? me demande-t-il en m'observant boire le contenu de mon verre.

J'hoche simplement la tête de gauche à droite, finissant mon verre d'eau en silence.

 T'en es sûre ? Tu es toute rouge... dit-il en approchant sa main de mon visage, essuyant de délicatement une goute de sueur qui perlait sur ma tempe.

 Et toi, ça va mieux ? je lui demande en lui lançant un regard en biais, finissant mon verre d'eau d'une traite.

 Ouais, on a un peu abusé... m'avoue-t-il en remettant une de ses mèches rebelles mécaniquement derrière son oreille.

Soudain, je me souviens exactement dans quel état Keisuke m'a vu hier soir. Et je me souviens aussi de ma déclaration amoureuse. J'espère qu'il a assez bu pour oublier ce moment désastreux. Je sens mon corps rependre un coup de chaud à ce souvenir.

 Je suis désolée que tu m'aies vu vomir, hier soir, j'ai vraiment honte, je marmonne en lui rendant son verre, tout en prenant soin d'éviter son regard.

Sa main chaude entre en contact avec la mienne pour me prendre le verre, avant de le poser sur sa commode, puis il s'assoit à côté de moi. Son poids fait un peu basculer mon corps vers le sien.

 Tant que tu vas mieux, je m'en fou. Ce n'est pas comme si tu m'avais vomi dessus, dit-il en laissant échapper un rire roque de ses cordes vocales engourdies.

De nouveau, j'hoche simplement la tête en lui souriant timidement.

 J'étais juste là au bon moment, dit-il en passant sa main dans mes cheveux ébouriffés.

 Encore merci, Keisuke.

 Tu peux rester te reposer, si tu ne te sens pas de marcher jusque chez toi, me propose-t-il en se relevant. Je vais descendre voir Chifuyu et les autres pour aider à ranger.

 Non, je vais rentrer me reposer. Tout le monde a dormi chez lui ?

 Les jumeaux sont chez lui, oui. Draken est rentré avec Mitsuya au petit matin. Et Sanzu et Mikey dorment dans le salon, dit-il en balançant sa main derrière son épaule, pointant son pouce en direction de la pièce en question.

Merde. Je ne veux pas croiser Manjiro. Pas tout de suite, pas après notre dispute et encore moins dans mon état actuel. C'est la première fois que j'ai bu, donc la première fois que je me réveille imprégnée de regrets dû à l'alcool. Je n'aurais jamais dû profiter des effets de mes verres pour me disputer avec lui. Keisuke doit directement sentir mon malaise puisqu'il se rapproche de nouveau vers moi, attentif à mes réactions.

— Ça va aller ? Ne t'inquiètes pas à propos de Mikey, je ne lui ai rien dit ! m'assure-t-il en levant ses mains en l'air pour prouver son innocence.

 Oh non, je gémis en me cachant le visage avec mes deux mains, tu t'en souviens ?

 Ouais... marmonne-t-il en enfonçant ses poings dans les poches de son survêtement. Après, ce n'est pas comme si je ne l'avais pas deviné depuis toutes ces années. C'est juste bizarre de t'entendre l'avouer pour la première fois.

Il paraît aussi gêné que moi et je ne sais pas comment le prendre. Pour ne pas rester à se regarder dans le blanc des yeux, il sort de sa chambre et je me lève paresseusement pour le suivre jusque dans le couloir. Je suis toujours habillée de mes vêtements de la veille,  quoique mon tee-shirt est à présent froissé par les mouvements effectués dans mon sommeil.

 Tu as vu mon sweat ? je demande à Keisuke. Je ne l'ai pas trouvé dans ta chambre.

 Ouais, tu l'avais oublié chez Chifuyu. On te l'a ramené.

Je continue de suivre Keisuke jusqu'à arriver dans le salon. Automatiquement, mes pas se font plus légers lorsque j'aperçois Manjiro et Sanzu dormir sur le canapé. Manjiro est toujours habillé de son ensemble favori, un short en coton léger et un kimono de la même matière qu'il a dénoué pour ne pas avoir chaud pendant la nuit. Je détourne le regard en me rendant compte que je m'attarde sur ses abdominaux dénudés, sûrement le rouge aux joues.

 Tiens, me dit Keisuke en me tendant mon sweat.

 Merci.

 C'est Mikey qui y a pensé.

J'hoche doucement la tête sans dire un mot, mes lèvres s'étirant en un sourire fin et discret. Je lui prends l'habit des mains et me dirige vers Manjiro. Il s'est endormi avec un de ces bras est au-dessus de la tête, laissant sa main tomber dans le vide. Il parait tellement apaisé dans son sommeil. Les traits de sa bouille sont détendus et, pour une fois, il fait son âge. On dirait une autre personne. La même personne que j'ai connu lorsque nous étions enfants. Je dépose mon pull sur son ventre avant de rejoindre Keisuke qui m'attend pour sortir de l'appartement.

— Ça lui donnera peut être une excuse pour venir me voir et ne pas m'éviter...

Keisuke sourit en hochant la tête. Maintenant qu'il est officiellement au courant de mes sentiments pour notre ami d'enfance, autant être franche avec lui sur mes intentions.

— Ce n'est pas bête. Il a tendance à croire que tu es plus heureuse loin de nous.

Pendant sa phrase, il m'accompagne hors de l'appartement dont il ferme doucement la porte pour ne pas réveiller Manjiro et Sanzu qui dorment toujours chez lui. On continue notre chemin jusqu'à chez Chifuyu, descendant les marches du quatrième étage.

 Tu sais pourquoi il pense ça ? je lui demande timidement, suivant ses pas de prêt.

 Il te protège à sa manière, dit-il en haussant les épaules.

 Et tu n'es pas du même avis que lui ?

Il se tourne à demi vers moi tout en continuant sa marche, comme pour jauger mon état actuel, puis il se retourne de nouveau pour me tourner le dos.

— Non, lâche-t-il brutalement. Maintenant qu'on se revoit, je peux voir à quel point tu l'aimes et je ne pense pas que ce soit une bonne idée d'isoler une personne, même avec toutes les bonnes intentions du monde.

Je sens rapidement le rouge me monter de nouveau aux joues, me donnant un coup de chaud. Je déteste Keisuke pour me connaître aussi bien. Malgré son côté sauvage aux premiers abords, il est très attentionné et observateur. Après deux ans sans s'être parlés ni approchés, son côté franc peut encore me déstabiliser quelques fois.

 Tu sais, toi aussi tu m'as manqué Keisuke, je lui dis sur un ton charmeur en calant mes pas sur les siens pour marcher à ses côtés.

 Je sais, sourit-il en passant son bras autour de mon cou, me serrant quelques secondes contre son flanc pour me faire une accolade, avant de relâcher son étreinte.

Nous arrivons rapidement devant la porte d'entrée de Chifuyu, nous arrêtant pour se faire face. Le regard que Keisuke me lance me donne un frisson. J'ai un mauvais pressentiment.

 Au fait, dis-je en baissant les yeux, ton plan tient toujours pour Hanma ?

 Ouais, j'ai trouvé les informations que je voulais.

 Tu as aussi retrouvé Kazutora ?

 Oui, mais ne t'en approche pas. Même pas de loin. Je ne plaisante pas, dit-il d'un ton soudainement menaçant.

 Fais attention, s'il te plaît, lui dis-je sur un ton sévère tout en encrant mon regard dans le sien.

Il me répond d'un sourire en coin, de manière espiègle, et prend mon visage en tenaille entre ses doigts. Je me fige sous ce contact et mon regard se fait plus doux.

— Et toi, promets moi de ne pas te mêler de ce qui ne te regarde pas. Je préfère te prévenir à l'avance, mes choix ne vont pas du tout plaire à Mikey, ni à toi, ni au reste du Toman. Je te demande juste de me faire confiance, d'accord ?

Je fronce les sourcils, insatisfaite et frustrée de ce que j'entends. Mais ses yeux ne mentent pas. Je ne le ferais pas changer d'avis et il me tuera si j'en parle à Mikey ou à quelqu'un d'autre. Je ne sais même pas si Chifuyu est au courant. Sans aucune explication, j'arrive à deviner ce qu'il s'apprête à faire ; la seule chose qui pourrait contrarier Manjiro et le reste du Toman.

— Tu vas te barrer du Toman ? je demande dans un souffle, presque semblable à un murmure.

Ses doigts se resserrent sur ma mâchoire inférieure, creusant encore plus mes joues, avant de complètement relâcher sa prise pour ranger sa main dans sa poche de survêtement. À l'évidence, mon intuition est la bonne et il parait surpris.

Ce n'est pas pour tout de suite. Mais garde ça pour toi, d'accord ?

Son ton ressemble plus à une menace qu'à une question, ce qui me fait froncer les sourcils.

 S'il te plait, rajoute-t-il.

J'hoche la tête de haut en bas en silence.

 Je ne pars pas tout de suite mais fais attention à toi. Et prends soin de Mikey, il aura besoin de toi malgré ce qu'il voudra te montrer.

Keisuke m'enlaça brusquement, mettant fin à notre discussion. Ses bras musclés enveloppaient mon corps frêle et l'avaient calé contre son torse chaud. Instinctivement, mes bras passèrent dans son dos et mes doigts agrippèrent sa veste, essayant absolument de retarder le moment de notre séparation. Je viens à peine de le retrouver et je dois bientôt de nouveau le laisser partir. Je sais qu'il fait ça pour moi, et pas seulement. Je sais que tout ça à un lien direct avec Kazutora. Et même si je ne sais pas ce qu'il s'est passé pendant mon absence, je peux ressentir et imaginer à quel point c'était grave. Nous nous sommes lâchés une bonne fois pour toutes et il m'a regardé descendre les dernières marches de l'immeuble, jusqu'à ne plus pouvoir me suivre des yeux.

En rentrant chez moi, je suis directement montée prendre un bain en faisant attention de ne pas réveiller ma mère qui devait dormir. Je me suis déshabillée avant de mettre mes habits au sale et de me savonner rapidement, puis j'ai plongé mon corps nu dans l'eau chaude qui venait d'être coulée. À présent seule, mon cauchemar m'est revenue en tête. Mikey. Ou plutôt Manjiro, comme j'aime l'appeler. Il était beaucoup plus âgé, à peine plus grand que moi, et son aura semblait beaucoup plus sombre. Sa voix était grave et calme, mais cela ressemblait plus à un détachement émotionnel qu'à un apaisement. Il était froid. Son regard me détaillait de bas en haut avec dédain, de manière exagérée, sûrement pour me tenir à distance de lui. Il était intimidant.

Je plonge ma tête sous l'eau pour évacuer mes pensées intrusives, jusqu'à manquer d'air, avant de remonter en reprenant une grande inspiration. Je suis encore restée quelques longues minutes, l'eau juste sous le nez, avant de me décider à sortir pour me sécher. Une serviette autour de mes cheveux encore mouillés, je suis retournée dans ma chambre pour enfiler mon pyjama. Un bas de survêtement gris et salis par le cambouis ainsi qu'un tee-shirt large à l'effigie d'un groupe de rock, celui dont Keisuke moi sommes fans depuis petits. En balançant ma tête vers l'avant pour défaire mon nœud de serviette, j'entends mon téléphone vibré sur ma commode de lit. J'envoie mes cheveux vers l'arrière d'un coup de main pour m'empresser de répondre à l'appel. Je déglutis en sentant mes cheveux dégouliner dans mon dos, trempant le tissu qui me couvre.

 Ayame ?

 C'est qui ?

 Euh, Mikey, me répond-il hésitant.

Je loupe un battement en reconnaissant sa voix, plus fluette que dans le souvenir de mon cauchemar auquel je m'accroche depuis ce matin.

— Ah. Qu'est-ce qu'il y a ? je lui réponds d'une manière nonchalante, feignant un air détaché.

 J'ai ton pull, alors...

J'entends quelques chuchotements derrière lui. Instinctivement, je m'approche de ma fenêtre pour ouvrir les rideaux et le chercher des yeux. De mon point de vu, je peux apercevoir sa moto garée dans son jardin et je devine qu'il est dans l'annexe ou dans la chambre d'Emma, ce qui expliquerait que quelqu'un lui souffle ce qu'il a à me dire.

 Ouais, je viendrais le récupérer.

 Oh, tu veux que je le laisse à Emma ?

J'entends un bruit sourd puis un grognement de sa part. Il vient de se faire frapper ?

 T'es avec qui, là ? je lui demande en laissant un rire m'échapper.

 Draken.

 Chez toi ?

 Ouais.

 OK. J'arrive.

Sans lui laisser le temps de répondre, je raccroche pour me préparer à sortir. Au fond, j'espère que mon attitude le fait un peu paniqué. Je n'ai jamais était très entreprenante avec lui. Depuis que nous sommes enfants, je l'ai toujours suivie sagement, sans faire de vague. Dans le même sens, il a prit l'habitude d'être suivi et de prendre les décisions, aussi simples soient telles. Maintenant, je veux prendre les devants et le déstabiliser. Je ne sais pas pourquoi, mais l'avoir confronté plus âgé, même si ce n'était qu'un rêve, m'a fait prendre conscience qu'il a besoin de limites. Et je suis prête à lui en imposer. Je ne le laisserais plus choisir pour moi, ni pour nous.

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