Chapitre 2 : La promesse

Je réunis mes forces pour affronter mes derniers heures de cours supplémentaires malgré mon corps qui me tiraille et mon esprit qui semble n'avoir que deux mots en mémoire – Crime et Châtiment. Des courbatures m'empêchent de me détendre, me tenant droite comme un i sur ma chaise de bureau, tandis que les ecchymoses qui commencent à apparaître sur mes bras et mes côtes m'arrachent quelques grimaces. J'avais fait attention à cacher ces dernières d'une chemise à manches longues même si la température du début de ce mois d'Août frôlait largement les 35°C.

Lorsque la sonnerie de fin de la dernière heure se fit entendre, le collège sembla être pris d'un tremblement de terre. Les couloirs se remplirent soudain d'élèves agités. Tout le monde semblait vouloir profiter au plus vite de ce dernier mois de vacances.

 Ayame, m'interpelle ma professeure d'anglais lorsque je passe devant elle, prête à sortir de ma salle de cours.

— Oui ?

 Je voulais te féliciter pour ta dissertation, continue dans cette lancée et je ferais une lettre de recommandation pour appuyer ta candidature en lycée international, me dit-elle dans un large sourire.

 Merci beaucoup Madame, c'est très gentil.

 Profite bien de tes vacances. Je te rajouterais quelques devoirs dès Septembre pour te préparer au test TOEIC.

Je la remercie encore une fois, m'inclinant devant elle, avant de sortir de la salle. Je rejoins d'un pas rapide mes camarades de classe qui m'attendent aux casiers. Ils étaient en cours supplémentaires avec moi pendant ces deux semaines. Je récupère mes chaussures et les échange contre les chaussons que je portais durant cette journée.

 Enfin les vraies vacances, se réjouit Miyo, notre déléguée et aussi notre représentante d'élèves.

 Ouais, se lever aussi tôt pendant les premières semaines d'Août alors que certains sont en vacances depuis Juillet, ça fait chier...

 C'est sûr, me répond-elle en soufflant d'exaspération.

 Mais c'est toujours mieux que de venir pour des rattrapages... j'admets en zieutant les autres élèves venus pour des sessions de cours particuliers.

 Oui, ces deux semaines étaient tout à notre avantage.

 Tu passes le TOEIC, d'ailleurs ? je lui demande par curiosité en enfilant mes chaussures.

 Non, je n'aurais pas un bon score de toutes façons, rit-elle. On se voit dans deux semaines, en Septembre ?

 Ouais, passes de bonnes vacances ! je lui réponds d'un signe de la main pendant qu'elle s'éloigne, prenant mes chaussons dans mon sac avant de refermer mon casier à la hâte.

En sortant, j'aperçois Emma qui m'attend devant le portail, appuyée nonchalamment contre un muret. Elle tient dans sa main ses chaussons d'école dont la semelle bleue, spécifique aux élèves de quatrième, se marie parfaitement avec ses cheveux blonds. Son air renfrogné disparait à l'instant où elle m'aperçoit, m'interpellant pour la rejoindre au plus vite.

 Ça va ? je lui demande en sachant pertinemment que les rattrapages qui lui ont été imposés ont gâchés son mois de Juillet.

Elle hausse les épaules en soufflant bruyamment.

Au moins, j'ai pu rattraper mes notes du premier trimestre. Et toi, tu tiens le coup ? me demande-t-elle d'un air inquiète.

 Hm, je veux juste rentrer chez moi et dormir.

Le chemin fut de courte durée, accompagnée d'Emma qui me racontait comment elle avait dû recaler un garçon de troisième et un autre de quatrième dans la même journée. Elle "voulait attendre le bon" mais mon intuition me laissait penser qu'elle avait déjà quelqu'un en tête en disant ces mots. En arrivant dans notre ruelle, une demi-douzaine de moto étaient garées devant chez nous.

 Les gars sont là ? s'étonne Emma. Tu penses qu'il y a Draken ?

Soudain, toutes les fois où la blonde me parlait d'un "grand blond avec un tatouage" ou encore d'un fameux "Draken" avec la bouche en cœur me frappèrent l'esprit. Maintenant que je pouvais poser un nom sur ce visage qui m'avait intimidé de loin depuis l'école primaire lorsque je le voyais avec Manjiro, je pouvais faire le lien avec la volonté d'Emma qui "attendait le bon".

 Ah, mais oui, d'accord, dis-je simplement un lançant un regard lourd de sens à mon amie.

 Quoi ? Je demande juste ça comme ça, dit-elle en balayant ses cheveux épais dans son dos d'un geste de la main, faignant l'indifférence.

Je réprime un petit rire moqueur face à son visage rosie de gêne, prise la main dans le sac. Avant de pouvoir répliquer, nous nous faisons couper dans notre demi confidence par une voix masculine.

 Yo les filles, nous salue le blondinet de la veille.

Ses yeux avaient une lueur verte étincelante sous les rayons du soleil couchant.

 Salut Chifuyu, lui répond Emma.

Moi je reste là, incapable de faire un pas de plus. Je le regarde un instant, habillé de son uniforme noir dont les inscriptions dorées mettent à l'honneur le manifeste du gang de bosozoku dont il fait parti. La broderie des manches indiquaient son rang de Vice-capitaine au sein de la première division tandis que le nom complet du Toman était inscrit sur le dos – Tokyo Manji Kai.

 Enchanté, dit-il en tendant sa main devant moi, un large sourire angélique accroché au visage.

 Enchantée, je murmure timidement.

 Désolé pour hier soir, je ne voulais pas te faire peur, s'excuse-t-il d'un air coupable, un léger rire rauque sortant d'entre ses lèvres.

— Pas de soucis, je réussis à lâcher sans bégayer.

Emma nous ouvre le chemin en se décidant à rentrer chez elle, s'annonçant juste après avoir retirer ses chaussures dans le hall d'entrée de la maison traditionnelle qui appartenait à la famille Sano. Je fais de même en gardant Chifuyu à l'œil, dont le poste au sein du Toman m'intrigue.

 Tu fais parti de la première division ? je lui demande timidement.

Le blondinet ne répond pas tout de suite, baissant bêtement son regard sur les inscriptions dorés de ses manches d'uniforme.

 Enfin, oui, c'est évident, je lui fais remarquer en plissant mes lèvres dans un sourire gêné. Je voulais savoir si tu faisais bien parti de la division de Keisuke ?

 Tu connais Baji ? s'exclame-t-il avec de grands yeux pétillants.

 Oui, on peut dire ça...

 On peut dire ça ? répète une voix derrière nous d'un ton faussement indigné.

Nous nous retournons tous les trois pour faire face à Keisuke, sortant du couloir qui menait aux chambres. Maintenant que je le vois en face de moi, éclairé d'une lumière artificielle et non pas par les faibles lampadaires du sanctuaire, je peux affirmer qu'il n'a pas beaucoup changé, surtout en ce qui concerne ses traits caractéristiques. Enfin, il est à présent plus grand et imposant, avec des cheveux plus longs et ondulés, mais son aura est restée authentique. Ses traits de visage, quoique plus matures, me restent familiers et son large sourire, montrant fièrement ses canines proéminentes, me fait louper un battement lorsqu'il arrive à notre niveau. Je me maudis intérieurement de me laisser dominer par mes hormones, me raclant la gorge pour briser le silence que j'avais installé.

 Ayame est une amie d'enfance, explique-t-il à Chifuyu, on faisait du karaté ensembles pratiquement tous les jours quand on était gosses !

Je n'ajoute rien de plus, ne souhaitant pas particulièrement m'attarder sur une période de ma vie où j'ai eu l'impression de perdre mes meilleurs amis un à un. Contrairement à mon humeur qui se fane quelque peu aux souvenirs de cette époque, le regard de Chifuyu laisse percevoir une lueur de curiosité à l'entente de cette anecdote. Il semble accorder une grande importance aux paroles du garçon aux longs cheveux noirs.

 Et toi, comment tu as connu Keisuke ? je demande à Chifuyu.

 L'année dernière, je me suis retrouvé dans sa classe pour ma rentrée en cinquième.

 En cinquième ? je répète d'un air confus.

 Ouais, j'ai redoublé, grommelle Keisuke en croisant les bras, levant les yeux au ciel avant même qu'on ne lui reproche quoique ce soit.

Je laisse un rire timide m'échapper, amusée de sa réaction. Je n'imagine même pas la réaction de sa mère lorsqu'elle l'a appris.

 Et du coup, vous êtes tous les deux dans la même division ? je conclus en laissant mon regard s'attarder sur les coutures dorées de l'uniforme de mon ami d'enfance qui indique sa place au sein du Toman.

 Oui, je suis chef de la première brigade et Chifuyu est mon second.

 Sinon, qu'est-ce que vous faites là ? Vous êtes que tous les deux ? nous coupe Emma, incapable de rester dans l'ignorance de la présence de Draken plus longtemps.

 On trainait dans la chambre de Mikey en vous attendant. Je voulais discuter avec Ayame et je savais qu'elle rentrerait avec toi, explique Keisuke, son visage soudain crispé.

Sur ces paroles, je propose à mon ami de le suivre dehors. Je me doute de ce qu'il va me demander, de ce qu'il va soulever. J'ai la gorge sèche. Le simple fait de lui dire bonjour après deux ans de silence me fait déjà mal au cœur, alors mon estomac se noue lorsque nous nous retrouvons seul à seul dans la ruelle. Encore en jupe d'uniforme, je m'assois sur le muret qui sépare la porte d'entrée de la famille Sano de la mienne. Je fais attention à garder les cuisses serrées. Keisuke me rejoint d'un pas trainant avant de se laisser tomber contre ce même muret, ne gardant que quelques centimètres pour nous séparer.

 Alors ? Tu veux savoir quoi ? je demande directement pour éviter qu'il ne se retrouve à tourner autour du pot.

 Je voulais savoir comment tu allais après ce qu'il s'était passé. Pourquoi tu réagis comme ça ? me demande-t-il en croisant les bras, encrant son regard droit dans le mien.

 C'est juste que ça me fait bizarre de te parler comme si nous étions encore amis. Désolée... je souffle en baissant la tête, n'ayant pas le courage de garder le contact visuel aussi longtemps.

 Tu sais, je me suis inquiété toute la journée, avoue-t-il. T'avoir vu dans un tel état hier soir, au sanctuaire... Je ne m'y attendais pas.

 Désolée... je répète doucement. Je suis en colère et je... Je ne sais pas quoi penser de tout ça.

 Tu as le droit d'être en colère ! s'exclame-t-il en tapant du poing sur le muret en béton. À ta place je lui ferais manger mon genou !

 Mais tu n'es pas à ma place... je murmure les dents serrées. Je ne comprends pas ce qu'il s'est passé, ni ce qu'il semble être entrain de se passer puisque j'ai compris que vous connaissiez ce mec, hier soir.

Il ne répond pas tout de suite, laissant sa respiration sifflante lui échapper du nez. Il baisse la tête, étudiant ses bottes de motard quelques secondes, puis son regard revient sur le mien. Je sais à son expression qu'il s'en veut plus que nécessaire.

 Oui... dit-il dans un murmure. Il fait parti d'un gang ennemi au Toman, le Moebius.

J'hoche la tête, silencieuse, puis ma main se glisse vers ma bouche. Avant même de le remarquer, je sanglote discrètement en couvrant mes gémissements par ma main. Je le sens se crisper une seconde puis il se décide à me faire face. Son corps tout entier se penche vers moi et il laisse glisser son bras derrière mon dos. Il me tire doucement contre son torse, son autre main se logeant dans mes cheveux. Je me laisse faire, guider par ses bras musclés, sa poitrine accueillant ma joue chaleureusement.

 Tu veux me raconter ce qu'il s'est passé ? Mikey n'a pas voulu parler à ta place.

Je reste silencieuse pour me calmer petit à petit de mes sanglots. J'aurais pensé que Manjiro lui aurait tout raconter. Après tout, Keisuke et lui sont meilleurs amis depuis l'enfance.

 Tu n'es pas obligé de m'en parler, me signale-t-il en me sortant de mes pensées. Tu dois être encore sous le choc.

 J'aimerais juste savoir ce qu'il se passe... Pourquoi un ennemi du Toman est venue s'en prendre à moi ? Qu'est-ce que j'ai avoir dans tout ça ?

Instantanément, il crispa son étreinte, me serrant encore un peu plus contre lui. Son torse était chaud et son cœur battait de manière lourde et ralentie.

 Je ne peux pas te le dire... dit-il contre mon oreille. Ça ne te rendrait pas service.

Je me défais de son étreinte d'un geste brusque en relevant la tête vers lui. Il se recule, gêné de la proximité de nos visages. Je fais la moue, mes sourcils sont froncés et mon regard noisette soutien fermement le sien.

 Si je te le dis, Mikey va me tuer... Il ne veut pas... Il ne veut pas que tu sois impliquée dans tout ça, bougonne-t-il en faisant de grands gestes, essayant de mimer la proportion de "tout ça".

 Keisuke... je marmonne, et le garçon s'arrête de gigoter pour me regarder silencieusement en entendant son prénom traverser mes lèvres. Je suis déjà assez impliquée, tu ne crois pas ? C'est moi qui me suis fait lyncher hier soir, non ?

 Avec ton caractère, je peux être sûre de te retrouver entrain de fouiner... Et ça te mettrait en danger, ces gars-là ne rigolent pas.

 Je te promets de ne pas me mettre en danger, ni de faire quoique ce soit de stupide.

Il ne dit rien, son sourire narquois et son sourcil arqué sont suffisants pour me faire comprendre qu'il ne me croit pas une seconde.

 Ayame, laisse nous gérer ce problème en interne, marmonne-t-il en se reposant contre le muret.

 En interne ?

— Ça concerne le Toman, pas toi. Et si en plus Mikey ne veut pas t'impliquer davantage, alors je dois m'en tenir aux ordres.

Je reste bouche bée. Comment ça les ordres de Mikey ? Il se prend pour qui, lui ?

 Je peux te dire qu'une seule chose. J'ai un plan. Donc laisse-moi faire, OK ?

J'hoche simplement la tête, comprenant que je ne pourrais pas tirer plus d'informations au garçon. Il me tend sa main, que je prends pour m'aider à descendre du muret, et il la garde au creux de la sienne. Je le regarde un instant, surprise par son contact doux, et remarque que son regard est rempli de détermination et de rage. Peinée par la circonstance qui nous a réuni, je me jette de nouveau contre son torse, reprenant la place chaude qui m'était accordé tout à l'heure. Malgré sa force et son torse beaucoup plus musclé qu'auparavant, je ne sens aucune différence entre ce câlin et ceux qu'il me faisait lorsque nous étions enfants.

 Tu m'as manqué, tu sais, dit-il doucement, son menton posé au dessus de mon crâne.

 Alors pourquoi tu n'es jamais revenu ? je demande d'une voix étouffée, ma joue collée contre sa poitrine.

 J'avais honte, avoue-t-il. Je ne voulais pas prendre le risque que tu me rejettes, parce qu'au fond, j'aurais compris que tu le fasses.

 Tu me manques depuis deux ans Keisuke. Et je me suis demandé tous les jours ce que j'avais fait de mal pour que tu partes comme ça.

Au regret de ma curiosité, il ne répondit pas, resserrant simplement son étreinte pour me garder prêt de lui. Même en le connaissant depuis que nous sommes enfants, je ne peux pas être sûre de la signification de ce moment. Après l'avoir perdu pendant si longtemps, je ne voulais pas seulement espérer, mais savoir, si je pouvais de nouveau compter sur lui ou non.

 Je dois comprendre quoi ? je demande en gardant ma tête enfouie contre son torse, timide de le regarder dans les yeux.

 Que je suis désolé, que je regrette de t'avoir traiter comme si tu ne m'importais pas.

 Mais... ça nous mène à quoi ?

 Ça, c'est toi qui vois.

 Alors ne me lâche plus jamais comme tu l'as fait... pas sans une explication.

 Promis Ayame, dit-il en se séparant de moi, m'offrant son plus beau sourire qui présentait fièrement ses canines pointues. Je me suis sentie soudain moins seule. J'avais oublié ce que représentait sa présence à mes côtés, sa protection, sa loyauté. Keisuke me proposa de rentrer pour rejoindre les autres, mais j'ai gentiment refusé pour rentrer chez moi et me reposer.

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