Chapitre 1 : Le retour

La tête baissée, couverte d'une capuche sombre, et les mains dans la poche centrale d'un sweat-shirt trop grand pour ma taille, je m'avance timidement au milieu de la foule qui remplit le parking du sanctuaire Musashi. J'entends les plus curieux me demander de révéler mon identité, s'approchant de moi d'un pas intimidant. Je tire quelques fois sur ma capuche, évitant de laisser dépasser mes mèches de cheveux bruns ou même de laisser mon visage se découvrir, intimidée par les insultes qui visent à me rabaisser encore plus que je ne le suis déjà.

Mon corps tout entier me criait de faire demi-tour dès que possible, mais mes jambes tremblantes suivaient sagement les pas du grand blond qui arborait un tatouage à l'effigie d'un dragon noir sur la tempe. Voyant un petit groupe se former autour de moi, il me tendit son bras, m'accueillant au plus proche de lui, contre son flan. Maintenant logée sous son épaule, il m'aida à monter les dernières marches des escaliers pour me guider jusqu'au garçon qui se tenait fièrement là-haut tel un Roi ; Manjiro Sano. Ce dernier ne sembla pas me reconnaître, toujours cachée sous ma capuche, ce qui le poussa à arquer un sourcil d'incompréhension lorsque nous passons devant lui. Ces yeux sombres s'attardèrent sur nous quelques secondes, nous regardant chacun notre tour et, sans dire un mot, il donna finalement une œillade confuse à celui qui m'accompagnait. Celui qui m'avait recueilli auprès de lui ne broncha pas et se posta derrière Manjiro, me gardant sous son bras, à l'abri des regards indiscrets.

Manjiro fit mine de ne pas se laisser déconcentrer et se racla la gorge avant de débuter leur réunion, sa voix brisant le silence de plomb qui régnait dès lors qu'il s'était avancé en haut des escaliers pour poser un regard sur le groupe d'adolescents qui se tenaient debout sur la place principale du sanctuaire en contre-bas.

 Quand tout le monde sera parti, il t'écoutera, me murmure le grand blond. Sa tresse qui rassemblait ses longs cheveux blonds tomba sur le côté lorsqu'il me zieuta d'un air inquiet.

 Ça va aller, dit-il d'un ton assuré en resserrant son étreinte autour de mes épaules.

Encore sous le choc, je ne réponds rien. Sa dernière phrase sonne comme une promesse désespérée et ma raison me hurle de ne pas y croire un seul instant. Non, ça ne va pas. Mes jambes tremblent encore par moment, encore de terreur et de fatigue. Malgré le bas de survêtement ample qui les couvrent, il le remarque rapidement et ne peut s'empêcher de laisser ses doigts caresser mon épaule, sûrement pour essayer de m'apaiser. Étonnamment, mes jambes se calment jusqu'à arrêter de trembler quelques minutes plus tard.

À la fin de la réunion, lorsque Manjiro leur ordonne de se rentrer, tous les garçons partirent en quelques minutes en chevauchant leur moto. Le sanctuaire se vida de tous les bosozoku dans un vacarme de moteurs, laissant le calme reprendre possession du lieu sacré. Seul un petit groupe de quelques privilégiés resta sur la place, se chamaillant à coups de tapes sur la nuque ou sur l'épaule. Les cinq garçons semblaient s'échanger quelques mots, nous lançant des œillades curieuses, avant de se décider à monter les dernières marches pour nous rejoindre. Trois d'entre eux restèrent à l'écart tandis que les deux derniers s'avancèrent finalement vers nous, accompagnés de Manjiro qui affichait son mécontentement de ne pas avoir été prévenu de ma venue. L'un de ses accompagnateurs était plutôt grand et sa longue chevelure de jais cachait les traits de son visage tandis que l'autre, suivant fidèlement les pas du premier, présentait un dégradé blond et un visage angélique malgré son regard méfiant, m'analysant de haut en bas sans aucune une once de gène. Intimidée, je faisais attention à ce que la capuche me reste bien sur la tête, cachant mon visage tant que je le pouvais.

 C'est qui lui ? demande sèchement Manjiro en me pointant du doigt, arrivant bientôt à notre niveau.

Il n'avait pas beaucoup changé par rapport à mes souvenirs, malgré que ces derniers dataient de deux ans. Son visage était toujours aussi enfantin malgré ses traits tendus, sa tignasse blonde avait poussée jusqu'à ses épaules et était coiffée d'une demi couette qui maintenait ses mèches rebelles vers l'arrière, son corps semblait aussi plus musclé et il fallait avouer que j'étais maintenant plus petite que lui. Il se posta de manière nonchalante devant moi, croisant ses bras contre son torse et gardant le menton haut. Son regard sombre semblait transpercer tout mon être. Il était de loin le plus imposant de tous malgré sa taille – plus petite que la moyenne masculine.

 Alors Draken ? surenchérit le garçon aux longs cheveux de jais. Depuis quand tu ramènes des gars externes aux réunions du Toman ?

 Ouais, présente toi mec ! m'ordonne le blondinet aux yeux d'un vert perçant.

 Mikey... déglutit Draken en cherchant ses mots.

Face au manque d'explication, Manjiro, encore surnommé Mikey, continue de s'approcher de nous et d'un pas timide, je me cache petit à petit derrière le dos du grand blond dénommé "Draken".

 Sérieux ? s'esclaffe celui aux longs cheveux noir. Tu te caches ? On vient de te dire de te présenter, t'es sourd ?

Mon comportement apeuré semblait animer en lui un instinct de prédateur, comme si je ne représentais qu'une petite proie facile à ses yeux. Je lançai un regard désespéré au tatoué, m'agrippant à son haut d'uniforme noir.

 Ta gueule Baji ! l'arrête Draken d'un ton sec, levant son bras vers lui pour lui barrer la route alors qu'il s'approchait de moi. Je m'empêche de réagir à ce nom qui m'est familier, baissant de nouveau la tête pour regarder mes pieds.

Cela semble convaincre le brun répondant au nom de Baji, puisqu'il se renfrogne directement, avant de s'arrêter dans son élan. Il fronce les sourcils et souffle du nez, montrant sa frustration de ne pas pouvoir continuer son intimidation. Son aura animale me parait être indomptable.

 Draken, reprend Manjiro, explique toi. Ça ne te ressemble pas.

C'est compliqué...

 Alors je vais te simplifier la tâche !

D'un pas rapide et furtif, Manjiro contourne Draken et se retrouve face à moi, toujours le visage caché dans l'ombre que m'offre la capuche de mon sweat-shirt. Je détourne le regard directement pour éviter qu'il ne me reconnaisse, mais avant même que je ne puisse lâcher un souffle, il retire brusquement ma capuche d'une main habile, découvrant mon visage blessé de plusieurs égratignures récentes.

 Alors quel con se cache sous la jupe de Draken ? rit Baji prêt à en découdre.

Lorsque mes cheveux bruns furent découverts sous les yeux des quatre garçons autour de moi, Baji fut pris d'un hoquet de surprise, lui arrachant son sourire vaurace.

 Tu veux plutôt dire "quelle conne" ! s'esclaffe le blondinet en riant, tapant sa main dans le dos de Baji encore sous le choc. C'est une meuf !

La remarque du blondinet attira la curiosité des trois autres garçons restés à retrait, qui se décidèrent à venir voir ce qu'il se passait. L'un d'entre eux était très grand, plutôt élancé et abordait un regard froid, presque vide. Les deux autres étaient plus petits que lui mais ils étaient tout aussi intimidants. Le rouquin arborait un sourire diabolique tandis que l'autre, un peu plus grand, présentait des sourcils rasés et des cheveux colorés d'un gris argenté.

Découverte de ma capuche devant le groupe d'adolescents, il fallut quelques secondes à Manjiro pour réaliser que c'était bien moi qui se tenait devant lui. Malgré le peu de lumière que nous offraient les lampadaires du sanctuaire, je devine facilement la colère qui prit possession de son corps à cet instant précis. Il se retourna brusquement vers Draken pour le fusiller du regard.

 T'es malade ou quoi ? hurle-t-il soudainement sur le grand blond, brisant le silence qui avait pris place entre nous tous.

Commence pas à gueuler, je n'ai pas eu le choix ! rétorque Draken en criant aussi fort que son ami.

 Mais putain, tu te fou de moi ? Pourquoi tu l'as amené ici ? T'es con ou quoi ? continue de se révolter Manjiro sans m'adresser un seul regard.

 La ferme Mikey, je te dis que je n'ai pas eu le choix !

Après une œillade assassine envers Draken et sûrement à court de réponse, Manjiro se détourna de lui pour me faire enfin face. Il souffla longuement en serrant les poings avant de les desserrer pour relâcher la pression qui se logeait dans ses articulations, et il me regarda silencieusement, se calmant peu à peu. Sa bouche était pincée et son regard était sombre mais je percevais malgré tout une lueur de pitié, ce qui me rassura pour la suite des évènements. Après m'avoir zieuté rapidement, ses pupilles noires s'attardèrent finalement sur mon visage abîmé par quelques égratignures, bloquant un instant sur le sang séché de ma lèvre inférieure et sur mes yeux humides. Il fronça les sourcils, prit le temps de me regarder de la tête aux pieds, analysant de lui-même la situation qui m'avait mené jusqu'à eux ce soir.

 Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? demande-t-il sèchement à Draken.

Je ne saurais expliquer pourquoi il continuait à discuter avec la grande perche blonde comme si je n'étais pas vraiment en face de lui. Malgré le mal que son ignorance volontaire incrustait dans ma poitrine, j'étais toujours dans l'incapacité de sortir le moindre mot de ma bouche pour prendre ma défense.

 Je t'ai dit que c'était compliqué, réplique durement Draken.

Leurs amis regardaient la scène avec recul. Aucun d'eux n'osait se mêler de leur discussion, comme si leur avis ne représentaient rien. Lorsque l'échange entre Manjiro et Draken sembla un peu se calmer, le garçon aux longs cheveux noirs se risqua à s'avancer de nouveau vers moi.

 T'es qui au juste ? renchérit le dénommé Baji en essayant de s'approcher de nouveau vers moi.

Draken eut un mouvement en avant, sûrement encore sur ses gardes concernant les intentions du brun. Il s'arrêta net en arrivant au niveau de Manjiro, se retrouvant tous les deux face à moi. Je baissai la tête par réflexe, intimidée qu'autant de regards me soient adressés et incapable de sortir le moindre mot de ma bouche.

 Je... bégaie-je toujours le visage baissé. Mes doigts d'entremêlés entre eux, dans les manches de ce pull trop grand que je portais pour tenir chaud.

 Ayame ? demande le garçon d'un air incrédule, laissant ses bras tomber le long de son corps.

Je relève la tête d'abord vers Manjiro à l'entente de mon prénom, un air renfrogné toujours accroché à son visage, puis vers Baji qui affichait un grand sourire, révélant ses canines proéminentes.

 Baji... Keisuke ? je demande en fronçant les sourcils, restant bouche bée.

 Qu'est-ce que tu fais là ? me demande-t-il pour briser soudainement la glace, comme si de rien était.

 Je me demande la même chose, répond sèchement Manjiro en lançant un coup d'œil sévère à Draken.

 Je l'ai trouvé dans ta ruelle, c'est bien ta voisine, non ? demande Draken à Manjiro.

 Ayame ? Qu'est-ce qui t'ai arrivé ? me demande à son tour Keisuke.

Je... Je ne le connais pas, c'est juste... J'ai vu sur ses mains, pêché et châtiment, je réussis à dire d'une manière saccadée dans un souffle court.

L'ambiance s'alourdit comme si le ciel se chargeait d'un orage violent, juste à l'entente de ces deux mots. Les sept garçons en face de moi se crispèrent et leur regard se portèrent directement vers leur chef. Ce dernier tiqua de la langue, tourna sur lui-même en faisant quelques pas au milieu des autres, qui eux ne semblaient plus souhaiter intervenir, puis il s'arrêta finalement devant Draken.

 Ramène-la chez elle, lui ordonne-t-il.

 Non, impossible, répond simplement le grand blond d'un air déterminé.

Il ne faut pas qu'elle reste ici, c'est trop risqué ! s'exclame le plus petit des deux.

 Mais tu réfléchis deux minutes ? Il est venu l'agresser devant chez elle, t'as pas vu sa tronche ? s'écrie Draken, bousculant le garçon d'une tape brusque dans le dos pour le forcer à se rapprocher de moi. Regarde son visage abruti !

Ses grands yeux sombres se posèrent de nouveau sur moi. Son visage sembla s'adoucir quelques secondes à la vue de mes égratignures, prenant conscience peu à peu de ma souffrance.

 Laissez nous un moment, indique Manjiro d'une voix ferme et ses amis s'exécutent sans un mot de plus.

Je regarde le garçon au tatouage de dragon s'éloigner, perdant le peu de soutien qui m'était accordé jusque là. Je ne veux pas faire face à Manjiro seule, pas après ses deux ans d'absence.

 Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demande-t-il d'une voix soudainement plus douce, son regard semblait m'implorer de lui parler.

Je ne réponds pas tout de suite. Par quoi commencer ? Cela fait maintenant deux ans que nous ne nous sommes plus adresser la parole sans aucune explication, qu'est-ce qu'il espère de moi aujourd'hui ? En repensant à tout ça, un sentiment d'injustice m'envahit et attise soudainement ma colère qui se rajoute à ma tristesse. Je serre les poings pour m'empêcher de lui hurler dessus, cherchant mes mots avec soin.

 Tu connais celui qui m'a agressé ? je lui demande, évitant sa question pour le moment.

 Je pense savoir, oui.

 Et tu vas m'expliquer ce qu'il se passe ? Tout le monde semble connaître ce gars. Je n'ai fait que répéter les mots que j'ai lu sur ses mains... C'est qui au juste ?

Malgré mon sentiment de colère qui se logeait peu à peu dans mon cœur, ma voix se faisait de plus en plus faiblarde et cassée. Il hocha mécaniquement la tête, ne lâchant pas son regard du mien. Il semblait chercher ses mots.

 Ce gars est venu devant chez moi, je lâche finalement. Je ne sais pas qui c'est, mais lui semblait savoir qui j'étais, et là tes gars tirent une tronche de six pieds de long rien qu'en entendant "péché et châtiment" ?

Manjiro reste silencieux, ce qui me laisse le temps de choisir mes mots sans précipitation.

 Il m'a dit qu'il devait attirer ton attention pour commencer une vengeance, dis-je en réprimant mes pleurs. Il m'a frappé au visage et au ventre jusqu'à ce que je me mette au sol en le suppliant d'arrêter. Il est parti sans rien me dire d'autre après s'être défoulé sur moi. Je crois que ton ami, Draken, m'a reconnu, il est venu m'aider et m'a directement conduit ici quand il m'a trouvé devant chez moi.

 Je suis désolé, dit-il après un long silence. Ce n'est pas de ta faute.

Sans crier gare, son corps se rapprocha du mien et ses bras m'enlacèrent familièrement. Comme en pilote automatique, mon corps lâcha totalement prise à son contact, laissant échapper mes larmes au creux de son épaule.

 Pourquoi il m'arrive ça ? je demande en pleurant. C'est qui ce gars ?

 Shuji Hanma, murmure-t-il les dents serrées.

 Il était effrayant... Je ne veux plus le revoir, s'il te plait.

 Je vais régler ce problème, murmure-t-il en laissant ses mains se balader sur mon dos.

Ce contact était le premier que je recevais de Manjiro depuis deux ans, depuis qu'il avait décidé de m'ignorer du jour au lendemain. Et maintenant que j'étais dans ses bras, logée contre son torse chaud, apaisée par ses caresses familières qui faisaient frissonner ma colonne vertébrale, tous mes questionnements sur notre rupture amicale sont remontés dans mon esprit. Qu'est-ce qu'ils les avaient poussés à m'écarter de leur vie ? Et surtout, qu'est-ce qu'il s'était passé en mon absence pour que nous en arrivions là ?

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