Je te regarde. Sans pouvoir m'empêcher de sourire bêtement. Mes amis me regardent, les sourcils arqués. Ils soufflent mon prénom, soupirent. Ils semblent exaspérés par mon cas. Mais je suis amoureux, je n'y peux rien.

          C'est Ever qui s'avance la première vers moi, retenant ses larmes. Que se passe-t-il ? Pourquoi est-elle triste ?

          « Fried... Ecoute-moi... » commence-t-elle sans pouvoir retenir ses larmes.

          Je fronce les sourcils. Pourquoi pleure-t-elle ? Je n'aime pas la voir comme ça. Voyant que ça devient trop pénible pour Ever de parler, Bixrow prend le relais.

          « L'enterrement de Luxus aura lieu demain, lâche-t-il en baissant la tête, Je suis désolé Fried. »

           Ever s'effondre. Bixrow la soutient tant bien que mal. Je m'effondre. Fixe le sol. Me relève. Cligne des yeux. Fronce les sourcils. Sourit. Puis fait un horrible rictus. Et j'éclate de rire.

          « Luxus est juste là, pourquoi irait-on l'enterrer ? »

          Bixrow me lance un regard dépité. Il se reprend, puis lâche sur un ton encore plus grave qu'avant :

         « Luxus est mort. »

          Je souris. Mais mon sourire s'efface peu à peu, lorsque j'assimile ses paroles. Mort ? Je fais un pas en arrière. Manque de tomber en arrière. Me rattrape à la table. Fait tomber la lampe, ce qui brise l'ampoule. Et j'éclate de rire.

          « Mais enfin Bixrow ! Luxus est juste là ! » je cris en lui montrant le fauteuil où trône le blond.

          Ever échappe un sanglot, tout en plaquant ses mains sur ses lèvres. Pourquoi me regardent-t-ils effarés comme ça ? Tu es là. Juste là. Tu as toujours été là.

          « Fried ouvre les yeux bon sang ! Luxus est mort ! Depuis une semaine déjà ! Accepte-le ! Je sais que tu l'aimais à en crever mais il serait temps que tu assimiles qu'il n'est plus là ! hurle Bixrow aux bords des larmes.

          - Luxus est mort... ? »

          Ma voix est faible. Mes yeux fixe le sol à nouveau. Je m'assois sur le fauteuil en face du tiens. Je plonge mes yeux dans les tiens. Tu es là. Assis juste là. Pourquoi suis-je le seul à te voir ? Pourquoi suis-je le seul à savoir ? Pourquoi suis-je le seul à ne pas les croire ?

          Je ne lance pas un regard à mes meilleurs amis, mais j'entends qu'ils tournent les talons. Bixrow ouvre la porte. Ever me lance une dernière phrase, malgré sa gorge nouée.

          « Viens demain Fried... Je t'en prie... viens demain... » répète-elle avant que la porte ne se claque.

          Je reste un instant dans le silence, toujours les yeux dans les tiens. Et j'éclate de rire.

          « Tu entends ça Luxus ? Ils te croient mort ! Je suis le seul à savoir que tu es encore là ! Je suis le seul qui t'aime assez pour savoir que tu n'es pas parti ! »

          Le silence me répond. Tu me dévisages de tes petits yeux qui sont devenus livides. Puis tu dis :

          « Je suis mort. »

          Et ton corps s'évapore en fumée. Tombe en cendres. J'observe ce spectacle, ébahi, bouche-bée, les yeux fixes. Je me lève.

          « Non... non ! Non ! Tu n'es pas mort ! Tu n'es pas mort ! Je le sais ! »

          D'un mouvement de bras, je balaye les objets qui se trouvaient sur la table. Je retourne celle-ci. Fais tomber les lampes. Vide les étagères de la bibliothèque. Jette les coussin d fauteuil à l'autre bout de la pièce. En éventre un. Éparpille les plumes sur le sol. Je lance la vaisselle contre le mur. Je ne sais plus comment contenir toute la haine que j'ai en moi. Comment la libérer. Alors je crie, je hurle à en perdre voix. Je me déchaîne, je cogne les meubles, frappe les murs, casse les choses. Non, tu n'es pas mort. Tu me testes juste. Tu veux savoir quelle serait ma réaction si tu mourrais. Et bien voilà. Un ouragan de colère suivi d'une pluie de larmes, entrecoupée de rires. Oui, tu n'es pas mort. Je le sais. Et pourtant. Vois dans quel état je suis. Moi qui ne te connaissais pas. Moi qui t'aimais pourtant. Moi qui souffrais de te voir dans les bras d'une autre. Je sens le sang battre dans mes veines. Je sens l'eau rouler sur mes joues.

On ne se connaissait même pas.

          Mais je t'aimais. Tu dégageai toutes ces choses que je n'incarnerai jamais. Tu étais fort, puissant, vaillant, courageux. Et tu paraissais pourtant doux, sensible, attentionné, compatissant. Tandis que moi, je n'ai toujours été que faible, misérable, couard et lâche. Et je n'ai toujours paru qu'acerbe, antipathique, indifférent et cruel. On était tellement différent. Et pourtant je t'aimais comme jamais.

          « Nous sommes trop différents pour qu'il ne passe un semblant de relation entre nous.

          - Non, tu as tord Fried. »

          Et voilà que tu es revenu. Je savais que tu n'étais pas parti. Mais je n'ai pas tord.

          « L'amour est possible malgré toutes nos différences. »

          Je tourne subitement la tête vers toi, surpris par tes paroles qui résonnaient dans ma tête. Puis je souris.

          « Tu n'es pas Luxus. »

          Son corps se dématérialisa. Je pleurai. Et j'éclatai de rire.

          Un jour tu m'as regardé droit dans les yeux. Et tu m'as dit ceci :

« Si je meurs, vis pour moi. »

          Mon coeur avait cessé de battre pendant une seconde. Tellement tes mots, tes paroles, m'avaient rendu heureux. Aujourd'hui je suis vêtu de noir. Je ne sais même pas comment je me suis retrouvé à porter cette couleur. Je ne sais pas non plus comment je me suis retrouvé au cimetière. Soit disant à ton "enterrement".

          Tu n'es pas mort. Je le sais. Quand je me pencherai au dessus de ton cercueil, ce n'est pas toi que je verrai à l'intérieur. Ce ne sera pas toi.

          Je m'avance vers le cercueil, hésitant.

          « Je suis mort, Fried. »

           Je secoue la tête pour ne pas entendre cette phrase que tu me répètes sans cesse depuis hier. Lorsque mon regard tombe au fond du cercueil, je recule d'un pas. Puis d'un deuxième. Je manque de trébucher.

          « Non... Tu n'es pas... Tu n'es pas mort... »

          Je heurte quelqu'un. Bixrow. A côté Ever, mouchoir en main. Ils me dévisagent, l'air désolé.

          « Je suis désolé, prononce Bixrow.

          - Non... Non !

          - Luxus est mort.

          - Non ! je crie. Luxus n'est pas mort ! Il n'a pas pu mourir ! Ce n'est pas possible ! Ce n'est pas lui !

          - Fried... Fried ! Calme-toi !

          - Non ! Luxus est vivant ! Je le sais ! je crie.

          - Fried... je t'en prie... » sanglote Ever.

          Je regarde autour de moi. Les regards sont braqués sur nous. Sur moi. Je n'ai pas rêvé ? Luxus est vraiment dans ce cercueil au fond de cette tombe ? Non. Les larmes coulent toutes seules sur mes joues. A ce moment, je me fiche du monde qui m'entoure. Je crie ma peine. J'exprime ma détresse. J'ai besoin de me défouler. Alors je cours. Je cours plus vite que jamais. Je cours à en perdre haleine. Les larmes embuent ma vue. Alors je tombe. Je crie. Je pleure. Je frappe le sol. J'ai besoin de me libérer de toute la colère que je ressens. J'ai besoin de verser mes larmes. Je relève les yeux vers le ciel.

          Mon coeur me fait tellement mal. J'ai l'impression qu'il a éclaté en moi. J'ai l'impression de suffoquer. Me me redresse, face à la rivière. J'ai couru si longtemps ?

          Les souvenirs me noient soudain. C'était ici. C'était ici que tu m'avais dit cette phrase. Vivre pour toi. Sans toi ? Jamais.

          « Tu n'es pas mort Luxus ! Hein ? Dis le moi que tu n'es pas mort ! » je crie au ciel.

          Si je suis convaincu que tu n'es pas mort, pourquoi je regarde le ciel ?

          Je m'avance d'un pas. Jusqu'au bord de la rivière. Je lève ma jambe. Et j'éclate de rire.

          Jusqu'au bout. Jusqu'au bout on aura été différent en tous points.

          Tu as finis enterré. Je finirai noyé.

          « L'amour est possible malgré toutes nos différences Luxus. »

          Et je bascule. Je plonge. Tombe au fond de l'eau. Expire toute l'air qui me restait dans les poumons. Je ferme les yeux.

          « Je te hais Fried. »

          J'ouvre les yeux. Et te revoilà, au fond de cette eau, avec moi.

          « Et moi je t'aime Luxus. »

          Ça y est. Je n'ai plus d'air. Je commence à perdre connaissance. Je préfère mourir plutôt que d'être hanté par ton souvenir. Je préfère mourir plutôt que d'être fou de ta présence imaginaire. Je préfère mourir plutôt que de vivre sans toi.

The End