Chapitre 21
Enfin de retour à l'appartement. Les deux derniers jours se sont plutôt bien déroulés. Je les ai passé avec mon père, et surtout, Dylan ne m'a plus recontactée. Plus de messages, ni d'appels, et encore moins de cadeaux. Ça me libère d'un poids que j'aurais aimé porter encore quelques temps sur mes épaules. Sa disparition soudaine ne voudrait dire que deux choses. Soit il n'a jamais vraiment été intéressé par moi et il a fini par se lasser de me courir après. Soit il a bien reçu mon message le soir du réveillon du nouvel an. J'aimerais avoir simplement trop bien chanté pour être honnête. Tina est directement rentrée chez elle, ce qui signifie que je vais rester seule. C'est une habitude que je suis heureuse de reprendre en attendant le retour d’Alex et Adam. J'aime vivre avec ma mère mais...je me sens plus responsable ici. Je sais que je n'ai que 17 ans, mais j'ai toujours été trop maternée, alors je suppose que prendre mon envol plus vite est devenu logique pour moi. Je m'allonge dans mon canapé, où je reste confortablement installée pendant toute la journée du jeudi. Je ne pourrais même pas dire combien de films j'ai regardé. En tout cas rester en survêtements et dormir à n'importe quelle heure de la journée ça fait du bien. Surtout quand personne ne me donne de coups dans mon sommeil, ni ne me gronde parce que je devrais me bouger un peu. Je n’ai même pas commencé les devoirs que j’étais supposée rattraper. Je ne veux rien faire. Dans mon congélateur, des pizzas surgelées, dans mon placard des nouilles instantanées…j’essaie de ne pas me prendre la tête. Je veux juste finir mes vacances dans la tranquillité. Enfin…presque. Vendredi, 14h, me voilà assise dans le petit bureau de madame Frank. Cheveux bruns mi-longs, taches de rousseur, petites lunettes rectangulaires, elle a toutes les caractéristiques de la femme stricte qui regarde les gens de haut sur ses talons aiguilles de 20 centimètres. Mais au contraire, elle est très gentille. Son sourire illumine son visage et son regard plein de bienveillance. Même si je n’aime pas parler de mes problèmes, j’aime lui parler à elle. Elle sait écouter. C’est son travail après tout.
- Alors comment allez-vous Avery ? La dernière fois que nous nous sommes parlées vous veniez de faire une crise de panique qui avait conduit à une crise d’asthme…
- Qui m’avait conduite à l’hôpital.
Je ne sais même pas pourquoi j’essaie de faire de l’humour. Je n’ai plus aucune envie de m’amuser, je n’y arriverai jamais autant que quand j’étais avec lui.
- C’est ça, confirme ma psychologue en souriant. De nouvelles crises depuis ?
- Non.
Et avec tout ce qui est arrivé je trouve ça moi-même surprenant. Je suppose que j’étais trop fatiguée et que mon cerveau a décidé que pour une fois il me laisserait un peu de répit le temps de se recharger les batteries. Je trouve ça assez terrifiant.
- Comment se sont passées les fêtes chez vos parents.
- Chez ma mère.
Je trouve important d’apporter cette petite précision. Je ne veux plus qu’on parle de chez mes parents, puisqu’ils ne vivent plus tous les deux sous ce toit.
- C’était…ça s’est bien passé dans l’ensemble.
- Dans l’ensemble ?
- Ouais. Dans l’ensemble.
Je ne sais jamais quoi dire, ou ce que je peux dire. Je ne veux pas aller trop vite. J’ai passé des années à garder pour moi ce que je pouvais ressentir alors tout déballer d’un coup en une heure je ne crois pas que je pourrai y arriver. Ou même si j’en suis capable.
- Vos frères reviennent bientôt n’est-ce pas ?
- Dans trois semaines oui. Ils étaient partis pour trois mois.
- Vous devez être rassurée. Vous n’aurez plus à rester seule dans cet appartement. Il doit vous paraître vide non ?
- On s’y fait vite.
Je commence à aimer cette solitude si elle me permet d’éviter les questions, les remarques désobligeantes ou même…ces petites phrases supposées me remonter le moral qui ne font que me rappeler que je ne vais pas bien et que ça n’ira pas mieux avec un simple « ça va aller ».
- Et vous m’aviez parler d’un certain…
Elle se met à fouiller dans ses notes de la dernière fois, même si je sais déjà de qui elle parle.
- Dylan, finis-je par lui rappeler à contrecœur. Dylan O’Brien.
- Oui voilà. La dernière fois vous étiez inquiète de ne plus avoir de ses nouvelles. Il a fini par en donner ?
Pour mon plus grand malheur. Je me demande ce qui se serait passé si au final il n’était jamais revenu. Il ne m’aurait jamais avoué ses sentiments, je n’aurais jamais eu de doutes sur lui et je n’aurais jamais mis les pieds dans cette université. J’aurais toujours en tête cette image du beau mec mystérieux qui refuse de me parler de lui. Peut-être que j’aurais préféré ça. Toute vérité n’est pas bonne à savoir.
- Il en a donné.
- Et il vous a expliqué son absence ?
- Expliqué est un bien grand mot. Je dirais plus menti. C’est ce qu’il fait de mieux.
J’en ai dit plus que ce que je voulais révéler. Je ne voulais pas aborder ce sujet. Avant d’entrer je m’étais promis de ne pas parler de lui. Je pensais naïvement que ne pas parler de lui chez ma psy signifiait qu’il n’était pas un problème. Et un problème est bien plus difficile à oublier.
- Pourquoi vous a-t-il menti ?
- Je…
Je ne peux pas. Si je commence à tout lui raconter, je devrai parler de ce qu’il fait. Et je ne peux pas le dire, je ne veux pas lui attirer des ennuis. Je suis si bête de toujours me soucier autant de lui. Il s’est bien fichu de moi sans se gêner.
- Je suis désolée je ne vais pas y arriver.
J’attrape mon sac sur le sol et avant même qu’elle ait le temps de se lever pour me rattraper, je sors et dévale les escaliers pour sortir du bâtiment. Pourquoi tout le monde veut toujours me faire parler ? Ou me précipiter. Je ne peux pas simplement aller à mon rythme pour une fois ?! Je retourne à mon appartement pour me laisser tomber sur le canapé et enfoncer ma tête dans l’oreiller. Je me mets alors à hurler à pleins poumons. De toutes mes forces, à m’en faire mal à la gorge. Et quand je me redresse enfin je remarque deux points humides restés sur le tissu. J’ai encore pleuré. Je ne m’en étais même pas rendu compte. J’ai l’air maligne tiens, à me mettre dans des états pareils pour un garçon. Mon téléphone me tire de mes pensées. Adam. Je passe mes mains sur mon visage pour essayer d’essuyer les quelques larmes qu’il restait, je souffle un coup en fermant les yeux pour me recentrer un peu sur moi-même, et je réponds un grand sourire faux aux lèvres. Son visage apparaît sur l’écran. Quelques longues mèches brunes tombent devant ses yeux, emprisonnées par le bonnet posé sur le haut de sa tête. Il doit faire très froid là-bas. Bonnet, écharpe, pull…et mon frère n’est même pas frileux d’habitude. Il me sourit de ses dents parfaitement blanches.
- Salut frangine ! Comment ça va chez nous ?
- C’est…
Je jette un coup d’œil autour de moi, des sachets de chips vides sont éparpillés dans le salon, sans parler des miettes dans le fauteuil et de la flaque de jus que je n’ai pas eu le courage d’éponger sur la table basse.
- C’est niquel.
- Tant mieux.
Il détourne le regard un instant pour agiter son bras.
- Alex bordel bouge tes fesses et viens parler à ta sœur !
Toujours aussi charmant. A en croire le paysage derrière lui il est à la terrasse d’un café ou d’un restaurant. Heureusement que les gens là-bas parlent une autre langue sinon ils seraient vraiment effrayés par ces deux étrangers assez bizarres. Après quelques secondes, le visage d’Alex, identique à celui d’Adam, et tout aussi emmitouflé dans des vêtements chauds, apparaît sur la droite. Il n’y a vraiment aucune différence entre eux, pourtant j’ai toujours su les distinguer. Je suppose que c’est parce que je les connais depuis 17 ans. Adam est du genre dragueur incorrigible qui tombe amoureux de toutes les filles qui croisent son chemin. Je l’ai vu se prendre des dizaines de râteaux au fil des années, ce qui ne l’a jamais découragé à continuer. Celui-là quand il trouvera la bonne personne il aura plutôt intérêt à l’épouser sur le champ. Alex, au contraire, s’en fiche pas mal des filles, il est plus intéressé par la fête et à passer du bon temps. Il estime que les relations sont des pertes de temps dans lesquels un homme se retrouve emprisonné sans échappatoire. A croire que pour lui, les femmes sont des démons qu’il ne faut surtout pas approcher. Tina avait un faible pour lui à une époque. Je suppose que je ne pourrai jamais comprendre comment, ni même pourquoi elle a préféré jeter son dévolu sur lui plutôt que sur le plus romantique des deux.
- Comment ça va Avery ? J’ai entendu dire qu’ils annonçaient une tempête pour ce week-end de ton côté.
C’est vrai que j’en ai entendu parler dans le bus tout à l’heure. Je devrais peut-être me tenir plus souvent informée des choses de ce genre. Même si mes frères s’en chargent déjà pour moi à des milliers de kilomètres. Ils s’inquiètent tellement.
- Tu devrais faire attention, poursuit Adam, la dernière fois qu’il y en a eu une, une baie vitrée de l’immeuble d’à côté s’est brisée à cause d’un projectile. Il n’y a pas eu de blessés mais fais gaffe. Fermes tous les volets et protège-toi bien surtout.
- Je ferai attention.
- Tu devrais peut-être aller chez Tina, suggère Alex inquiet de ce qui pourrait m’arriver si je reste seule. Ou chez un des voisins.
- Je vais me débrouiller.
- Et Dylan ?
A cet instant précis, Alex ne se rend pas compte de la catastrophe qu’il vient de provoquer en prononçant ce nom.
- Ouais Dylan pourrait venir t’aider, renchérit Adam.
J’aimerais ne pas craquer. J’aimerais tellement. Mais je le fais. Je me mets à pleurer comme une idiote devant mes deux frères perdus et impuissants.
- Avery ? Qu’est-ce que tu as ?
Le cœur brisé Adam. Par celui qui était supposé veiller sur moi en votre absence. Je pourrais répondre ça, je pourrais tout leur raconter. Je dis tout à mes frères d’habitude, mais ça finirait par les inquiéter davantage et leur donner envie de revenir. Il ne leur reste que trois semaines. Je ne veux pas qu’ils gâchent cette chance à cause de moi. J’ai survécu plus de deux mois sans eux, j’y arriverai jusqu’à la fin.
- C’est rien, mens-je avec mal. Je viens de sortir de chez la psy et ça me fait toujours cet effet-là quand je vide mon esprit. Vous me connaissez, moi et mon hypersensibilité.
Ils n’ont pas l’air rassurés, mais ça leur suffit.
- En tout cas ne vous en faîtes pas pour moi, je saurai gérer la tempête.
Mais pas celle dans ma tête.
Déjà lundi. Tina ne m’a pas proposé une seule fois de sortir ou de passer chez elle ce week-end, elle doit comprendre que pour le moment j’ai juste besoin d’un peu de temps avec moi-même. La tempête a pris plus de temps que prévu à arriver. Elle devait être là hier soir mais, les météorologues l’ont annoncé pour cet après-midi finalement. Ce qui signifie que la rentrée devra attendre et je mentirais si je disais que ça ne me fait pas plaisir de pouvoir passer une journée de plus dans mon canapé. Je sais qu’il risque d’y avoir une coupure de courant, mais je profite qu’il soit toujours là pour regarder pour la dixième fois « Le journal de Bridget Jones ». Je fantasme sur Mark Darcy à chaque visionnage. Ce genre d’histoire d’amour n’est réaliste que dans les films. Un pot de glace à la main, je fredonne « It’s Raining Men » durant la scène où les deux hommes se battent pour Bridget, traversant la vitre d’un restaurant. J’adore vraiment ce film. Dehors le temps est affreux. Du vent à en faire plier les arbres, des gouttes de pluies énormes et un ciel gris terrifiant. Pas une seule teinte de bleu à l’horizon. Je m’apprêtais à prendre une nouvelle cuillère de glace, quand soudain quelqu’un sonne à la porte. Ma porte. Qui ça peut bien être ? Un voisin qui veut s’assurer que tout va bien ? Le vétéran est déjà passé tout à l’heure pour me proposer des boîtes de conserve et des bouteilles d’eau. Je me lève sans réelle conviction, contrainte d’arrêter mon précieux visionnage, et je vais ouvrir. Ce que je regrette très vite. Debout, sur le pas de la porte, trempé de la tête aux pieds, Dylan O’Brien se tient face à moi. Je ne croyais pas le revoir si vite. Et pas en étant vêtu d’un pull troué et beaucoup trop grand pour moi. Je l’ai volé dans l’armoire d’Adam en pensant bien faire. J’avais tellement tort. Et puis pourquoi je me préoccupe de ce que je porte alors que je devrais immédiatement lui claquer la porte au nez ? Il est si beau avec les cheveux plaqués sur le front par la pluie, et le t-shirt collé contre ses muscles qui laisse apercevoir des tablettes de chocolat qui m’avaient manquées tant je n’arrive pas à leur résister. Non. Non Avery ne le laisse pas entrer. Ni dans ton appartement, ni dans ta tête. Sans attendre qu’il dise quoique ce soit, j’attrape la poignée pour refermer la porte violemment avant qu’il puisse la bloquer.
- Avery attend.
Il se met à frapper sur la porte.
- Je suis venu te rendre le double des clés que j’avais et prendre les affaires que j’avais oublié ici mais j’ai été pris par surprise par la tempête. Je pensais que tu serais en cours aujourd’hui sinon je ne serais pas venu.
Je m’en fiche. Je ne veux pas lui parler. Je ne veux pas le voir. Je ne veux pas…
- Si tu veux que je m’en aille alors…je le ferai. Mais je ne te cache pas que j’ai une trouille monstre de le faire.
Tu m’étonnes. Avec le temps apocalyptique qu’il y a dehors moi non plus je ne voudrais pas avoir à refaire la route. Je le déteste. Je le déteste vraiment. Mais je ne peux pas le laisser prendre ce risque, je ne suis pas cruelle. Alors après une dernière seconde d’hésitation j’ouvre la porte et me décale pour lui faire signe d’entrer. Je ne dis rien, ne le regarde pas, ne bouge pas. Je veux simplement que le temps s’accélère pour qu’il reparte. Soulagé, il n’attend pas plus pour entrer. Toujours muette et agacée, je vais dans la salle de bain lui chercher une serviette. Il est mouillé, je n’ai pas envie de gérer un rhume en plus d’un parasite.
- Merci.
Il me sourit, comme si rien ne s’était jamais passé. Comment peut-il se comporter aussi normalement avec moi ? Comment peut-il être à nouveau dans cet appartement ? Je n’arrive pas à croire qu’il est là. Il y a encore quelques minutes je regardais un de mes films préférés en me plaignant de l’amour, et voilà que ce dernier vient frapper à ma porte en pleine tempête. Il prend la serviette dans ma main, mais je n’arrive pas à la lâcher tout de suite. Je la serre toujours fermement en la fixant. Je suis tentée de lever les yeux, mais j’ai aussi très peur de le faire. De plonger mon regard dans le sien. Ça ne m’a jamais apporté du bon. Je dois me ressaisir.
- Je vais prendre une douche.
Les premiers mots que je lui dis depuis des jours. J’ai imaginé ce moment tant de fois. Nos retrouvailles. Je m’étais joué tous les scénarios dans ma tête. Dispute, larmes, passion…je ne pensais pas qu’elles finiraient par être si…froides. Je lâche la serviette, pour faire demi-tour, tête baissée, et aller m’enfermer dans la salle de bains. Je vais ouvrir l’eau mais au lieu de commencer à me déshabiller je me laisse glisser le long du mur et pose ma tête entre mes jambes. Pourquoi je l’ai laissé entrer ? Qu’est-ce que je suis en train de faire ? On ne sait même pas quand cette tempête sera passé ou combien de temps elle restera. Je suis sûre d’une chose, même si je me répète depuis des jours que je ne veux plus de lui, le revoir a suffi à faire disparaître toute ma haine. Si je sors de cette salle de bains, qui sait ce qui pourrait se passer ? Je pourrais lui pardonner, lui sauter dans les bras. Que ferait Bridget Jones à ma place ? Elle écrirait dans son fichu journal intime. Depuis le temps qu’on me dit d’en tenir un. Je dois arrêter de trop penser. Je vais prendre cette douche, sortir, et on verra bien. Dans l’idéal je ne lui adresserai pas la parole et il comprendra que je n’ai aucune envie de parler. On passera le reste de la tempête dans le silence, sans chercher à communiquer, ou à s’expliquer. Il est adulte après tout, il devrait comprendre ça. Mais moi ? Est-ce que je saurai tenir ma langue plus longtemps ?
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