Chapitre 1 bis
Lou
À la fin de la journée, je repère ma sœur en train de sortir du lycée et presse le pas pour la rattraper. Elle va m'entendre, celle-là ! Je me suis pris une soufflante devant toute la classe, j'ai bien vu qu'elle se foutait de moi sans se cacher.
Tout ça parce que j'ai refusé de l'aider en maths !
Et elle, en anglais, elle m'aide peut-être ? Non, loin de là. La seule fois où j'ai cru qu'elle devenait enfin sympa, elle m'a appris des conneries que j'ai bêtement récitées à ma prof, ce qui m'a valu un mot dans le cahier. Alors, je ne suis pas assez mesquine pour lui rendre la pareille, mais je ne vais pas non plus passer l'éponge ni faire comme-ci de rien n'était. Surtout que la connaissant, elle aurait fini par me demander de rédiger son devoir à sa place. Je m'écrase peut-être face à Maman – parce que je sais que c'est inutile de réagir surtout – je ne le ferai juste jamais devant elle.
Il n'y a plus qu'Élise avec elle, je préfère. Aucune envie de me taper la honte devant tous ses potes. Même si sa meilleure amie n'est pas des plus agréables avec moi, ça reste largement gérable. Je dois régler mes comptes avant de rentrer, sinon elle va me mettre Maman sur le dos pour que j'arrête.
— Ton plan a bien réussi, tu dois être contente, sifflé-je une fois à sa hauteur.
— T'es encore de mauvaise humeur ? se marre Salomé. C'est pas grave, tu sais, tu t'es ridiculisée devant tout le monde, mais ça passera.
— Je m'en fous de ça. Arrête un peu tes gamineries !
— Ne me dis pas ce que je dois faire !
— Hey, les filles, nous interrompt Steve en enlaçant ma sœur. J'vous raccompagne ?
Je ferme la bouche pour contenir mon agacement.
— Ne t'embête pas avec la mioche, se moque Salomé.
Elle l'entraîne vers sa voiture, m'ignorant au passage. Mes poings se serrent et j'ai bien envie de taper du pied pour extérioriser ma frustration. Je ne réponds pas au majeur levé d'Élise. Je préfère leur tourner le dos. Va falloir que je digère avant de rentrer à la maison, les dix minutes de marche devraient m'y aider.
Je me mets donc en route en essayant de ne pas trop ruminer sur ce qui est arrivé. Je ne réagis pas quand la voiture de Steve passe à côté de moi. Ma sœur se fend d'un grand signe de la main par la vitre ouverte. Je lève les yeux au ciel quand il fait brusquement un demi-tour, qu'il repasse non loin de moi et qu'il se gare quelques mètres derrière. Près de Dan. Salomé se penche par la fenêtre pour lui glisser deux mots. Je l'entends glousser d'ici lorsqu'il secoue négativement la tête. Le véhicule redémarre et file à vive allure sur la route.
Je jette un œil derrière moi, constatant que Dan n'est pas monté avec eux. Il emprunte le même chemin que moi. Je n'y avais jamais accordé le moindre intérêt avant, j'ignore où il habite, mais ça me saoule qu'il soit encore là.
Il aurait mieux fait de partir avec ses potes.
Ça m'aurait fait des vacances. Je me sens gauche, observée, analysée. Je n'ose pas me retourner pour vérifier s'il me suit toujours. Façon de parler. Quoique. Salomé serait capable de monter un coup tordu comme ça, juste pour me mettre mal à l'aise. Je secoue la tête pour ne pas virer parano et sors mon portable pour envoyer un message à Maëlle, ma meilleure amie.
[Dis-moi que tu reviens bientôt !]
[Demain normalement. Je ne vomis
plus ;). Tu ne survis pas sans moi ?]
[C'est ma sœur qui ne va pas survivre si tu
ne me surveilles pas !]
[Tu comptes sur moi pour t'en empêcher ?
T'es mal barrée XD]
C'est vrai. Maëlle déteste Salomé autant que moi, je crois bien. Parfois, elle arrive tout de même à me faire penser à autre chose. Ça m'évite de rester bloquée sur mes petits problèmes familiaux persos. Je souris en tapant ma réponse, mais je trébuche, lâche mon téléphone et tombe en avant. Des larmes me viennent aux yeux sous l'impact de la douleur. Je me suis rattrapée sur les mains et les genoux, sauf que ça pique.
— Attention ! me gronde-t-on d'une voix bourrue.
Deux bras passent sous mes aisselles, me soulèvent et me déposent sur le trottoir alors qu'une voiture déboule, roulant pile à l'endroit où je me trouvais quelques secondes plus tôt.
— Tu ferais mieux de regarder où tu vas plutôt que d'envoyer des textos !
Il commence à me gaver avec ses phrases moralisatrices !
Je relève les yeux, furieuse. Dan ouvre la bouche, puis me fixe et soupire. Sans rien dire, il s'empare de mes poignets pour retourner mes mains. Mes paumes saignent, des graviers se sont incrustés dans les petites plaies. Je baisse la tête vers mes genoux et constate que deux taches rouges apparaissent sur mon pantalon.
— On devrait nettoyer tout ça, me dit-il en sortant une bouteille d'eau de son sac.
J'acquiesce et attrape un paquet de mouchoirs dans la poche de ma veste avec des doigts tremblants. Je tends ensuite mes paumes vers le ciel, retenant une grimace lorsque le liquide froid coule sur ma peau éraflée. Délicatement, Dan passe le papier doux pour retirer les petits cailloux. Il est tellement concentré que je peux le dévisager sans qu'il s'en rende compte. Sourcils froncés, il n'en perd pas son charme. Au contraire, cela lui confère un côté protecteur auquel je ne suis pas insensible. Des mèches claires tombent sur son front, il n'utilise aucun gel, tout paraît souple, donnant envie à mes doigts de s'y faufiler.
Je déraille...
Son travail terminé, un sourire éblouissant étire ses lèvres et me fait déglutir. On est vraiment proches. Très proches.
— Merci, murmuré-je, gênée, en reculant d'un pas.
— Wouah ! Tu connais la polit... hum... ouais, de rien.
Je me marre spontanément, surprise qu'il ait renoncé à sa petite phrase moqueuse. Phrase qui faisait référence à ma bousculade de ce matin. Dan glisse ses mains dans les poches de son jean et détourne le regard, ne souhaitant visiblement pas relever mon éclat de rire. Je descends prudemment sur la route cette fois-ci pour récupérer mon portable. Il a l'air de fonctionner, mais l'écran est fissuré dans l'angle, en haut à droite.
— Ça aurait pu être pire, intervient Dan alors que je peste.
— Mouais, je sais, soufflé-je en revenant près de lui.
Les secondes passent sans que nous trouvions quelque chose à nous dire. Je me sens empotée à ses côtés. Je décide de reprendre tout simplement la marche. On n'est pas potes, j'ignore totalement comment conclure notre échange. Il n'est pas réputé pour être très loquace, non plus. Au bout de plusieurs mètres, je me retourne et sursaute en l'apercevant si près de moi.
— Tu me suis ? m'exclamé-je, mi-outrée, mi-troublée.
Pourquoi je réagis comme ça face à lui, bon sang !?
— Je vérifie que tu n'aies pas d'autres accidents, me sort-il simplement.
— Je ne suis pas une enfant que l'on doit surveiller. Je vais me débrouiller !
Il se contente de me fixer. Ça dure tellement longtemps que mes joues me brûlent. Voilà maintenant que je deviens rouge pivoine, génial. Dan effectue un pas vers moi. Mon souffle se précipite, mon corps tout entier se fige alors que j'aurais aimé reculer, mettre de la distance entre nous. Ses yeux noisette me scrutent, descendent vers mes mains, puis remontent. Je suis quasiment sûre qu'ils s'arrêtent plus que de raison sur ma bouche.
Ou c'est moi qui rêve ?
Oh my... J'ai chaud. Sa proximité me déconcentre. On parlait de quoi, déjà ?
— OK.
Là, il me cloue sur place. Dan hausse les épaules, fait demi-tour et prend la ruelle à droite sans même se retourner, ni rien ajouter d'autre. Comme si ça n'avait aucune importance.
Belle douche froide, ma cocotte, hein ?
Je pensais que cette histoire serait sans conséquence. C'était sans compter son entêtement et son mutisme. Dan m'a suivie ainsi pendant une semaine. Peu importe mes horaires, il se retrouve toujours derrière moi sur le chemin. Impossible de dire si j'en suis agacée ou ravie.
J'en ai parlé à Maëlle, qui s'est bien moquée de ma maladresse, mais elle a surpris quelques regards de sa part en ma direction. Elle se fait des films. Et je m'en fais aussi à cause d'elle !
Bref, je dois régler tout ça parce que Salomé commence à me demander s'il se passe un truc avec Dan. Il ne rentre plus en voiture avec eux, préférant marcher. Élise ne sait plus quoi faire pour attirer son attention. Du coup, comme il est encore derrière moi aujourd'hui, je me décide à mettre les choses au clair.
Après une inspiration, je me retourne brusquement et suis étonnée de ne pas l'apercevoir. Pourtant, je n'ai pas dépassé la ruelle qui sépare nos chemins. J'étais persuadée qu'il se trouvait là, à me suivre, à m'épier. Je pivote alors de nouveau, déçue, et le découvre sous mon nez. Je hurle en bondissant en arrière. Son rire me caresse les oreilles. Une drôle de chaleur se répand dans ma poitrine.
Et dans mon bas-ventre. C'est normal, ça ?
— Mais à quoi tu joues ? m'écrié-je, vexée.
— Tu voulais me parler ?
— Arrête de me suivre !
Dan hoche négativement la tête. Comme ça, avec un petit sourire narquois qui m'horripile à ce moment précis. Ou qui me donne envie de croquer sa bouche, au choix.
— Qu'est-ce que tu me veux à la fin ? soufflé-je.
— Je vérifie juste que tu marches bien sur le trottoir.
— Ah, ah, ah, très drôle. Tu comptes me raccompagner peut-être ?
— C'est si gentiment demandé.
J'écarquille les yeux. Il est insupportable, ce type, en vrai ! Je le regarde avancer sans plus se préoccuper de moi. Je ne le comprends pas. On ne se parle jamais, et là, d'un coup, il décide de me tenir la jambe sur le chemin du retour ? Il a un grain, c'est évident.
— Tu ressembles un peu à un psychopathe, quand même, grogné-je en le rattrapant.
— Ah bon ?
— À suivre les gens comme ça ? Sans leur accord ? Non, non, c'est tout ce qu'il y a de plus normal.
Son petit rire discret fait papillonner mon ventre. Je suis étonnée d'être aussi à l'aise avec lui, de pouvoir parler sans bafouiller, de lui dire ce que je pense. C'est bien la première fois que ça m'arrive.
Je finis par me caler sur sa démarche. Il faut que je refoule toutes ces sensations étranges qui me donnent de drôles d'idées à son sujet.
— Par contre, tu t'arrêtes trois maisons avant. Hors de question que Salomé te voie.
— OK.
— Elle ne me lâcherait pas avec cette histoire, et ça va vite me saouler.
— OK.
Ouais, il a l'air très concerné. Je soupire, puis croise les bras.
— OK, dis-je à mon tour sur mon ton le plus neutre.
Ma réponse déclenche un ricanement de sa part.
Dan a respecté le deal à la lettre. C'est comme ça qu'une routine s'est installée entre nous. Au départ, on ne se parlait pas beaucoup, et puis je n'ai pas pu m'empêcher de le taquiner. Sur ses manières rustres, son entêtement, son côté bourru. Nos conversations sont vite devenues plus naturelles, plus franches.
Je me suis même mise à attendre la fin des cours avec impatience. Ma seule trouille ? Que Salomé découvre notre nouvelle amitié.
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