Chapitre 8 - Just dumb enough to try
Madeline
Le froid prenant largement le dessus sur les dernières chaleurs estivales, nous nous installâmes en terrasse à côté d'un champignon chauffant. Edgar se commanda un demi litre de pression et m'interrogea du regard lorsque vint mon tour de commander. On était bien loin du café, mais je ne me laissais pas démonter.
— La même chose s'il-vous-plait, répondis-je au serveur impatient.
Edgar ravala un petit sourire tandis que je me triturais les doigts.
— Quoi ? aboyais-je.
— Rien du tout. T'es plutôt marrante, en fait.
Marrante ? Il commençait à m'agacer lui aussi. Mon humeur toujours aussi maussade qu'en quittant l'établissement quelques minutes plus tôt, ce n'était pas le moment de se moquer de moi. En plus, tant que je ne savais pas ce que je foutais réellement là, je n'arrivais pas à me détendre.
— C'est pour ça que tu m'offres un verre ? lui demandais-je irritée.
— Non. Tu m'as fait un peu de peine pour tout te dire.
Il se foutait de moi ? Son sourire à la con toujours affiché au coin de ses lèvres me perturbait. Il avait l'air obstiné à ... gâcher ce... moment - si je pouvais appeler ça comme ça. Je n'avais pas de temps à perdre avec un gars qui ne savait pas ce qu'il voulait. Je n'attendais cependant rien de lui, j'avais un crush comme presque toutes les filles de ce bahut et je ne comprenais toujours pas pourquoi je me retrouvais systématiquement dans ses pattes. Mortifiée, je préférais finalement rentrer chez moi.
— Je ne suis pas une bête de foire Edgar, je m'en vais, pestais-je sur la défensive.
Je rassemblai mes affaires et me levai, tandis qu'il attrapa ma main avant que je ne m'éloigne. Son geste me procura des picotements dans le bout des doigts et mon cœur s'affola. Ses doigts rêches à force de jouer de la guitare et écorchés par la bagarre de la veille me semblèrent étrangement doux.
— Excuse-moi. Reste. Je ne voulais pas dire ça, dit-il d'un ton sincère.
Il sembla plutôt choqué de ma réaction, ne s'attendant visiblement pas à ce que je prenne mes jambes à mon cou.
Toujours ma main dans la sienne, je déglutis bruyamment et me rassis, ne quittant pas des yeux nos doigts presque entrelacés.
S'en rendant compte, il me relâcha trop brutalement à mon goût.
— Je ne sais pas ce que tu cherches..., lui demandais-je finalement en saisissant ma main qui semblait me brûler.
— Je ne cherche rien. Tu m'intrigues c'est tout.
Le serveur déposa nos bières en attendant à côté qu'on le paie. Un comportement typiquement parisien dont je n'avais pas l'habitude.
Edgar lui tendit un billet avant que je n'aie pu sortir mon portefeuille et se focalisa sur moi.
— Désolé pour ton réveil.
— C'est oublié... Tu ne vas jamais en cours, sinon ?
J'avais les bras croisés et une moue boudeuse qu'il allait vite réussir à effacer de mon visage.
— Le prof était absent. J'allais repasser à l'école quand tu m'as foncée dessus. D'ailleurs tu ne devais pas être en cours toi aussi ?
— A vrai dire, tu m'as foncé dessus aussi. Et... On s'est fait virer...
— T'es donc une petite délinquante... éluda-t-il en se renfonçant dans son siège.
— Je... Non. Rien de ce que je fais en ce moment ne me ressemble, finis-je par avouer.
Je profitai du moment où il but une gorgée pour le regarder. Il portait un jean noir et un pull à col roulé en cachemire beige sous sa veste en cuir. Le contraste était saisissant entre nous deux. J'avais mon horrible sweat gris deux fois trop large pour moi et mon pantalon en simili cuir noir. Sans parler de mes converses, un peu plus abimées chaque jour que dieu faisait.
La perfection et son contraire, l'un en face de l'autre.
Je rougis. Je n'arrivais toujours pas à comprendre ce que je faisais là.
Ah oui, je l'intriguais apparemment !
— Pourquoi je t'intrigue ?
J'avais déjà bu les trois quarts de ma bière, et ça me donnait une forme de courage.
— Je ne sais pas... Tu es assez mystérieuse.
— Attend une minute, moi ? Mystérieuse ? C'est l'hôpital qui se fout de la charité !
Je bus d'un trait le reste de ma bière et enchainai :
— C'est toi, le mec le plus mystérieux de l'univers, qui me dit ça ! Et je ne l'invente pas ! Toute l'école te décrit comme ça. Je pensais que ça – je faisais des grands gestes englobant les verres et nous deux – Ce n'était pas ton truc. T'as deux personnalités, Edgar, ce n'est pas possible autrement. Par moment j'ai l'impression que tu vas m'assassiner sur place par le simple fait d'exister et d'autres moments, comme maintenant, tu es gentil et attentionné, et, et...et totalement différent de ce que tu laisses entrevoir.
Ma voix partait dans les aigus, tandis qu'il m'observait amusé en s'allumant une cigarette.
— Je peux t'en prendre une ?
— Tu fumes ? me demanda-t-il en me tendant la clope qu'il venait de s'allumer tout en en ressortant une nouvelle du paquet bleu posé sur la table. J'acceptais la cigarette en rougissant à l'idée qu'elle ait touchée ses lèvres.
— Ça m'arrive. Quand je suis énervée.
A vrai dire ça ne m'arrivait jamais. J'avais fumé ma première cigarette à l'âge de quinze ans pour faire comme tout le monde, pour essayer. Je n'avais jamais acheté de paquet, on fumait les clopes de la mère de Noé en cachette quand j'allais chez lui. Mais ça restait vraiment occasionnel.
— Tu es énervée, là ? me demanda-t-il avec un grand sourire.
— Oui.
— Tu veux reboire un verre ?
— ... Oui.
J'avais beau être contrariée, je voulais savoir où cette conversation allait nous mener. J'étais peut-être à deux doigts de percer à jour le mystérieux Edgar Laville. Cela n'était pas donné à tout le monde.
Un silence s'installa entre nous le temps de recommander la même chose.
— Je n'ai pas deux personnalités...
— Je pense clairement que si !
— Et je n'ai pas envie de t'assassiner ...
— C'était une image, Edgar.
— C'est juste que...
— Oui ?
— Non... Je ne sais pas.
— C'est... à cause de Julia ?
Pourquoi n'étais-je jamais capable de réfléchir avant de parler, bon sang ?
— Julia ? Pourquoi ce serait de sa faute ?
— Tu... Ne veux pas te rapprocher de moi... Parce que tu es avec Julia.
Je prenais des grosses pincettes. Je ne voulais pas qu'il pense que j'avais envie de sortir avec lui ou quoi que ce soit. Je cherchais juste à comprendre encore une fois. Même si je crevais d'envie de sortir avec lui. Non. Ça c'était mon inconscient qui s'excitait.
Il explosa de rire. Et voilà, je m'étais encore fourrée dans une situation embarrassante.
— Je ne sors pas avec Julia.
— Il faudrait peut-être songer à lui dire, parce qu'elle n'a pas l'air d'être au courant ...
Il rit de plus belle et je le rejoignis dans cette bonne humeur, histoire de cacher ma gêne.
Je dois dire qu'il me surprenait. Je ne l'avais jamais vu rire comme ça. Je sais que je ne l'avais pas vu beaucoup, mais j'avais l'impression d'avoir un gosse en face de moi. Pas un garçon qui semblait avoir le poids du monde sur ses épaules.
— Tu me fais rire, avoua-t-il.
— Je vois ça ..., Mais je ne cherchais pas à te faire rire.
Il avait repris son sérieux.
— Ce n'est pas comme ça avec Julia. C'est juste...
— Physique.
Je m'étonnais d'avoir fini la phrase d'Edgar de cette façon. Mais je le savais. Elisa me l'avait confié: Julia et Edgar couchaient ensemble.
— Ouais...
Sa réponse me toucha bien plus que je ne le voulais. J'étais maso de vouloir savoir ce que je ne voulais pas savoir, au final. Autant me fouetter pour le plaisir aussi ! Je fis mine que ça m'était égal mais j'avais beau me voiler la face, j'étais éprise ce garçon aux yeux bleus et aux cheveux ébouriffés. Et le savoir dans les bras d'une autre, c'était comme s'il prenait un couteau et le tournait et retournait dans ma poitrine.
Je m'étais toujours interdit de tomber amoureuse. Peut-être simplement parce que je n'avais jamais eu les picotements dans le ventre et les papillons qui s'envolaient au contact d'un garçon. On pouvait s'interdire tout ce que l'on voulait. Quand ça nous tombait dessus, c'était brutal, c'était frustrant et sans équivoque. Je n'étais pas en train de tomber amoureuse d'Edgar Laville. Je l'avais dans la peau, ce garçon.
La chanson de Father John Misty passait dans le bar et je tressaillis. Just Dumb enough to try.
Ouais, moi aussi, j'étais assez débile pour essayer.
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