Chapitre 27 - 2/2
La femme vampire se tourna vers l'employée qui nettoyait ses vitrines avant de les remplir de nouvelles sucreries tout en chantonnant avec le sourire.
— Des ailes ?
— Oui, avec de la lumière et tout le tintouin.
— Des Ténèbres ?
Je me tournai discrètement vers la femme, me concentrant pour faire comme à l'entrainement et forcer ma vision à voir l'invisible.
— Maintenant que tu le dis, je crois que ce qui est doré sur elle possède des reflets sombres.
— Un genre mixte ? C'est assez rare.
— Thérésa, qu'est-ce que c'est ? la questionnai-je de nouveau en tournant le dos à cette femme qui avait toujours tenu le salon de Mathilda depuis que je le fréquentais.
Thérésa croqua dans un gâteau avant de finalement accepter de me répondre.
— C'est un Oiseau de Joie. Ils sont assez rares puisqu'il est rare qu'ils vivent plus de quarante ans. Elle doit être jeune, avoir un peu moins de la trentaine, je pense.
— Donc les sorcières ne sont pas les seules à ne pas être immortelles.
— Non, mais concernant les Oiseaux de Joie, c'est un peu particulier. Ils ne meurent pas naturellement. Ils se suicident.
— Quoi !?
Mon cri attira l'attention de la femme qui eut une mine inquiète. Après l'avoir rassuré d'un sourire qui ressemblait à une grimace, je me remis à comploter avec Thérésa.
— Elle a l'air heureuse, n'est-ce pas ?
— Totalement.
— C'est parce que les Oiseaux de Joie ne peuvent pas s'empêcher de répandre la joie. Leurs sourires sont thérapeutiques. Tout comme de nombreuses choses sur eux. Seulement, deux problèmes. Pour commencer, ils ne savent pas ce qu'ils sont, ne connaissent rien du monde surnaturel et donc se pensent humains. Ce qui amène au deuxième problème, ils sont malheureux. Ce qui les conduit inexorablement au suicide.
— On ne peut pas les empêcher ?
— Parfois. Mais bon, on ne sait pas trop comment faire. Et puisqu'ils ne semblent pas si différents des humains, qu'ils sont à l'image d'humains dépressifs, bipolaires ou autres, il n'y a que des personnes comme toi, avec un don oculaire, qui peuvent les différencier. Et vous êtes rares. Donc pas évident d'étudier ce genre de créature.
Si j'avais su que le monde était si complexe...
« Quand je serai grande, je ferai de la recherche sur les créatures surnaturelles », me promis-je à la manière d'une gamine rêveuse.
— On devrait la capturer, proposa soudain Thérésa avec un total sérieux.
— Quoi ?
— Les Oiseaux de Joie valent une petite fortune sur le marché noir du surnaturel. Certaines potions ne sont réalisables qu'avec leur salive, leurs larmes, leurs plumes ou autres. Non seulement ça, mais ils sont la joie incarnée. Quiconque se sent mal n'aurait plus besoin d'aller voir un psy. Il n'aurait qu'à parler avec cet oiseau pour se sentir plus que mieux.
— On ne va pas vendre cette femme, Thérésa.
— Tu te sens mieux depuis qu'elle t'a parlé.
— Et alors ?
— Alors tu as eu un aperçu de ce dont elle est capable. Allez, une petite morsure pour la vider un peu de son sang et...
— J'ai dit non.
— Je te pensais plus amusante que ça. Ah, et tu devrais lui parler de tes problèmes. Les Oiseaux de Joie ont vraiment beaucoup de qualités.
Puis la sorcière jeta ses détritus avant de me saluer et de partir, non sans lâcher un regard pesant sur la pauvre employée qui le remarqua, mais se contenta d'un haussement d'épaules. En se tournant vers moi, nos regards se croisèrent et je me concentrais de nouveau sur mes gâteaux.
Manger et partir, mes seules intentions avant qu'un chocolat chaud ne se pose sur ma table. La femme s'installait en face de moi, sa tasse devant moi.
— Est-ce que tout va bien ?
— Qu'est-ce qui vous fait croire le contraire ?
— Oh, c'est vrai que ce ne sont pas mes affaires. Excusez-moi.
Elle se leva, prête à repartir. Pourtant, elle me laissait son chocolat chaud. Ma main se posa sur son poignet. Thérésa venait de me conseiller et stupidement j'allais l'écouter.
— Je suis désolée.
Elle se posa de nouveau sur la chaise, attendant en silence.
— J'ai un problème qui reste sans solution.
— Vous n'êtes pas obligée de m'en parler si vous estimez qu'il s'agit de quelque chose de personnel.
— C'est personnel au point où je ne pourrai même pas en parler avec mon entourage. Mais avec vous, je pense que je pourrais peut-être trouver une solution.
Je lui tendis la tasse qu'elle m'avait offerte et elle en but un peu tout en me remerciant.
— Alors voilà. Ma mère veut que je me sépare de mes amis et de ma vie ici. Si je ne le fais pas... Disons qu'elle se chargera de le faire en rendant la vie dure à ceux qui m'entourent pour me pousser à aller avec elle.
Omettre des détails était toujours mieux que d'expliquer que je devais tuer mes amis et que ma mère le ferait si je n'y parvenais pas. Si cette femme ne savait vraiment rien du monde dans lequel je vivais en tant que sorcière, elle me prendrait pour une folle.
Elle posa sa tasse.
— Si je peux me permettre, je pense que vous voyez le problème sous le mauvais angle.
Le mauvais angle ?
— Est-ce que vous voulez que votre vie actuelle change ? Ou plutôt, est-ce que vous préférez vivre votre vie avec votre mère, sous son autorité, ou préférez vous continuer votre vie avec ces amis que vous semblez tant aimer ?
— Si c'était aussi simple...
— Ça l'est.
— J'aime ma vie comme elle est, mais ma mère ne me laissera pas partir si facilement.
— Et avez-vous exprimé ce souhait à votre mère ? Le lui avez-vous imposé ?
Elle se remit à boire une gorgée, me donnant l'occasion de continuer ma dégustation.
— Vous n'êtes pas votre mère et ne serez jamais ce qu'elle attend de vous. Il faut qu'elle le comprenne et qu'elle fasse son deuil de l'enfant idéal, et il vous faut apprendre à lui dire non, à vous détacher de sa prise. Vous avez des visions différentes, vous êtes différentes. Cela ne signifie pas la perte de l'autre, mais une séparation nécessaire.
— Vous ne connaissez pas ma mère.
— Dans ce cas, imaginons qu'elle soit un parrain de la mafia. Elle souhaite que vous suiviez ses traces et vous a élevée, vous a formée dans ce but. Mais vous aspirez à quelque chose de différent. Refuser la succession pourrait vous condamner à mort.
Cet exemple ressemblait déjà plus à ma situation.
— Si vous obéissez, vous vivez, mais cette vie en vaudrait-elle la peine ? Vous serez comme morte, une personne qui se contente d'exister et de faire ce que l'on attend d'elle. Mais si vous osez refuser, alors en soi si vous perdez la vie ce sera en étant libre et en harmonie avec vous-même. Et si vous vivez, alors votre existence vous appartiendra.
— Et si elle décidait de tuer mes amis ?
— Alors, faites-lui comprendre que cela ne changera rien à votre décision.
Elle ne devait pas savoir que la question de vie ou de mort était réelle ici. Pour autant elle n'avait pas tort. Peu importait mes décisions, mes amis allaient mourir. Pourtant si je parvenais à convaincre ma mère de me laisser vivre ma vie, et que je restais dans cette conviction, elle pourrait se laisser convaincre. Et si elle refusait, je n'aurais qu'à résister et ne plus céder. Elle détruirait ma vie, sous mes yeux, mais elle n'aurait plus rien de moi.
Ou alors, avant qu'elle n'en vienne à ça, je tenterai le tout pour le tout et l'attaquerai. Je l'avais tué une fois et si la seconde ne serait pas aussi simple, les chances n'étaient pas de zéro.
— Merci pour votre aide. Je dois y aller.
— Bon courage.
Et je décampais tout aussi vite, emportant tout de même mes pâtisseries avec moi. Je savais ce que j'avais à faire.
***
La maison qu'avait choisie ma mère pour m'entrainer à la sorcellerie, et qui nous aurait servi le temps que je détruise ma vie ici, se trouvait un peu à l'écart des villes, perdue au milieu de nulle part. Une maison isolée, idéale pour faire de la magie sans être repérée.
Parfaite pour cacher ses méfaits, ses secrets.
Prenant mon courage à deux mains, j'ouvris la porte de la petite maison de bois. On pouvait entendre un chant, celui de ma mère. En entendant la porte claquée, elle sortit de la cuisine, un couteau à la main. Soudain, mon idée me parut bien moins raisonnable et intelligente. Juste complètement suicidaire.
— Chaton, comment ça s'est passé ?
Comment le lui avouer ?
— Maman, je voudrais te parler.
— Inutile.
Elle posa son couteau sur la table, ses mains à plat dessus tandis qu'elle fermait un instant les yeux avant de lâcher un soupir.
— Tu n'y es pas parvenue.
— Et je ne le ferai pas. Si tu veux les tuer, fais-le, mais c'est fini. Je ne t'obéirai plus et je ne ferai plus ce que tu me demandes. À partir d'aujourd'hui je vais vivre ma vie comme je l'entends.
— Leçon numéro 1 sur les relations avec autrui.
— Ne pas s'attacher.
— Leçon numéro 2.
— Ne pas se fier aux apparences.
— Leçon numéro 3.
— N'avoir confiance en personne. Pas même en soi-même.
— Leçon numéro 4.
— La numéro 4 ?
Elle se tourna vers moi, un sourire étrange sur le visage. Je ne lui connaissais pas cette expression. Quelle émotion reflétait-elle ?
— La raison, le cœur et l'instinct seront tes alliés les plus fidèles qui ne seront jamais d'accord entre eux.
Elle s'approcha de moi, prenant mon visage en coupe. Alors je compris cette expression. Ce n'était pas qu'une émotion. Elle était fière, et son visage exprimait de la joie. Tout simplement. Jamais son expression n'avait été aussi sincère et attendrissante.
De la joie et de la tristesse.
Son pouce essuya une larme sous mes yeux alors qu'elle posait son front contre le mien.
— Tu es capable de ne pas obéir aveuglément. Plus que tout, tu es capable de refuser et de résister.
— Tu n'es pas fâchée ?
— Bien sûr que si !
Et tout disparu. Elle reculait pour récupérer son couteau, le plantant violemment dans la table avant de se calmer. Son comportement était de plus en plus étrange.
— J'avais un rêve, Hella. Bien avant ta naissance.
Elle s'adossa au meuble, semblant réfléchir un instant. J'avais l'impression de revivre la même scène qu'avec ma grand-mère lorsqu'elle avait tenté de me forcer à retourner dans son coven. Chaque sorcière avait eu un rêve en devenant ce qu'elle était aujourd'hui. Des illusions disparues.
— Tout comme toi aujourd'hui, je rêvais de mener ma vie. Mais lorsque j'ai essayé, tout m'a été arraché.
Ce qu'elle me racontait me glaça. Ma vie se présentait ainsi.
— J'ai aussi voulu résister. Encore aujourd'hui, je résiste. Un jour, tu me tueras pour tout ce que je t'ai obligé à faire, à vivre. Mais avant tu m'aideras.
Puis elle éclata de rire. Devenait-elle folle ? Ma mère, la terreur de ma vie, plus terrifiante que n'importe quelle phobie, semblait révéler un côté d'elle que je ne connaissais pas.
— Non, tu ne m'aideras pas. Ce n'est pas ton combat.
— De quoi parles-tu ?
— Je ne sais pas, je ne sais plus.
Elle revint vers moi, me prenant alors dans ses bras. Une étreinte maternelle que j'avais rarement connue. Trop rarement. Elle me serrait contre elle, me berçant doucement. Si c'était un adieu, pourquoi ne parvenais-je pas à en être heureuse ?
— Ils te feront de belles promesses. Ne commets jamais l'erreur de les croire, murmura-t-elle soudain.
Dans ce chuchotement, je pouvais sentir de nouveau cette personnalité que je connaissais de ma mère. Puissante, indomptable et invincible. Jusqu'à ce qu'elle s'effondre dans mes bras, perdant pied.
L'accompagnant au sol, elle s'allongea, un filet de sang sortant de la bouche.
— Maman ?
— Tout va bien mon chaton. Tout va... Tout va...
Elle toussa, se tournant pour éviter de me cracher son sang à la figure. Que se passait-il ?
Elle plongea ses doigts dans sa bouche, ressortant une aiguille. Puis une autre, et encore une autre. Des larmes écarlates sortirent de ses yeux.
— Un nécromancien, devina-t-elle.
— Mais ils ne s'en prennent qu'aux morts.
— Je suis revenue d'entre les morts. Il ne doit pas être loin...
Se posant à genoux, elle se mit à vomir du sang, y mêlant des milliers d'aiguilles dans un visage déchirant de douleur.
Les sorts pareils embrouillaient l'esprit des vivants, mais agissaient sur les créatures mortes, à savoir des créatures comme les vampires ou les loups-garous par exemple. Des créatures qui devaient mourir pour renaitre. Si j'avais été comme elle, une conjureuse de sort, j'aurais pu arrêter ce sortilège.
Je ne l'étais pas.
Elle se leva, allant jusqu'à une armoire tout en se tenant le ventre. Ses vêtements trempés de sang rougissaient de plus en plus. Cela n'empêcha pas ma mère de sortir des babioles diverses. Elle s'empara d'un cordon, se mettant à le lier avec ses doigts, formant un genre de toile d'araignée.
Elle murmura quelques paroles et Arachnée arriva jusqu'à elle pour se poser sur son épaule tandis qu'elle se laissa glisser contre le mur, s'asseyant au sol. Elle ne crachait plus de sang.
— Est-ce que tu vois l'aura d'une malédiction autour de moi ? me questionna-t-elle.
— Je n'ai jamais fait...
— Hella, regarde mon aura.
Alors avec un peu de concentration, je tentai de voir quelque chose d'irréel. Les seuls flux de magie que je pouvais voir étaient ceux du fil dans les mains de ma mère. Elle semblait retenir quelque chose.
— Tout est là-dedans.
— Parfait.
Et elle tira, faisant disparaitre ce que le fil contenait.
— Tu me laisses vraiment vivre ma vie ? Tu ne vas pas tuer mes amis, comme tu as tué Aurélien et mon frère ?
Elle me regarda, un sourire en coin.
— Vengeance...
Cette dernière réponse apparaissait comme une énigme. Mais alors qu'elle s'apprêtait à me répondre, elle s'effondra, sa tête heurtant le sol. Ses yeux s'étaient fermés et ses lèvres entrouvertes ne laissèrent s'échapper qu'un dernier soupir.
Mes mains se posèrent sur elle, tentant de la secouer. De la réveiller.
— Maman ?
Elle ne répondait pas. Au même moment, la porte s'ouvrit violemment. Ruth et Oscar venaient d'apparaitre, l'une avec une baguette à la main et l'autre avec un fusil.
— Hella, est-ce que tu vas bien ?
— Ruth. Maman ne veut pas se réveiller.
Je la secouai de nouveau.
— Maman, il y a Ruth. Je ne t'ai pas présenté Ruth. Tu dois te réveiller.
Mais maman ne se réveillait pas. Et lorsque son corps se décomposa en poussière pour disparaitre dans le vent, rien n'était plus incompréhensible.
— Hella, elle est morte.
Mon regard se leva vers Ruth.
— Non, elle ne l'est pas. Elle s'est évaporée.
— Parce qu'elle était déjà morte.
— Non, tu as tort. Elle n'est pas morte. Elle l'a dit, je suis celle qui la tuera. Et je ne l'ai pas tué. Donc elle n'est pas morte.
Elle s'approcha de moi, m'obligeant à me lever.
— Non ! Elle n'est pas morte !
Je commençai à me débattre. Ce n'était pas réel. Ma mère était invincible, impossible à détruire.
— Elle est morte ! Hella !
Et je regardai enfin Ruth, dans les yeux.
— Elle est morte.
— Un nécromancien. C'est de la faute de ce nécromancien.
— Je sais.
Mais alors que je m'apprêtais à réfléchir sur un moyen de retrouver ce maudit sorcier, quelque chose tilta en moi. Ruth savait ?
— La première fois que l'on s'est rencontrée, tu m'as dit connaitre ma mère. Mais qu'elle n'était pas ton amie.
— Oui.
— Quelle relation aviez-vous ?
Elle grimaça.
— Je suis sa sœur.
— Sa... Tu es...
— Ta tante, Hella.
Mon regard alterna entre la place sur laquelle ma mère avait disparu et Ruth. Ruth et elle...
— Et tu savais pour le nécromancien.
— Hella, ta mère n'était une bonne personne.
— Je le sais ça ! Comment savais-tu pour le nécromancien ?
Elle posa ses mains sur mes épaules, frottant mes bras pour tenter de me détendre.
— J'étais sur les traces de ta mère. Je lui ai demandé de m'aider.
— Tu... Non...
Me débarrassant de ses mains, je reculai d'un pas.
— Tu n'avais pas le droit.
— Elle aurait détruit ta vie, Hella. Pensais-tu vraiment qu'elle t'aurait laissé partir ?
— Oui.
Elle l'aurait fait. J'en restais persuadée alors même que la raison me suppliait de croire en ce que Ruth venait d'affirmer.
Mais ce que j'avais vu... Ces quelques minutes...
Elle avait été une mère tout en étant ma mère.
— Pourquoi maintenant ?
Alors qu'elle venait de me donner une quatrième leçon, lui prouvant que j'avais fait le bon choix en décidant de ne plus lui obéir. Pourquoi maintenant, alors qu'enfin j'avais eu l'occasion de croire qu'entre elle et moi, une relation mère-fille pourrait commencer ?
Pourquoi maintenant ?
Maintenant, c'était trop tard. Elle n'était plus, elle ne reviendrait plus.
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