Chapitre 27 - 1/2
« Le chocolat soigne tous les maux du cœur. »
Moi (paroles de Lettie)
La fatalité ne possédait pas d'existence vraie. Jusqu'à ce qu'une âme perdue cherche un coupable qu'elle trouverait dans son reflet. Pas de destin, pas de fortune, la vie n'était que le fruit de choix et de leurs conséquences. Qu'ils aient été tes décisions ou l'influence d'un autre importait peu. Ils déterminaient le futur.
— Vous êtes certaine de vouloir vous arrêter ici ? me demanda à nouveau le chauffeur inquiet. Des rumeurs tournent autour d'eux. On dit qu'ils seraient de la mafia.
Les rumeurs avaient souvent un fond de vérité. Elles ne découlaient jamais de rien. Cette réputation que possédait la meute d'Hunter trouvait son origine dans la crainte de l'Homme qui saisissait la différence dangereuse de ceux vivants sur le domaine sans savoir qu'il s'agit de leur instinct. Un instinct qui a su repérer la nature bestiale de ces loups-garous.
Un sourire aux lèvres, je tendis mon argent à cet homme dont les joues rosissaient. Il repartit, me laissant devant deux grandes grilles. Mes mains posées dessus, je les ouvris en grand pour pénétrer le domaine.
Déjà le regard des prédateurs se faisait sentir oppressant. Amusant. Les loups guettaient, prévenant mon intrusion par un lien audible de la meute seule. Ma mère ne serait jamais loin, toujours tout près pour veiller à ce que ma loyauté subsistant par le chantage ne se briserait pas davantage. Ce qu'elle voulait lui appartenait déjà. Ce que je me devais de vouloir serait toujours ce qu'elle désirerait. Je ne serais jamais que ce qu'elle attendrait de moi à l'instant.
Je n'étais pas une femme fatale, manipulatrice à la James Bond venue séduire et profiter des hommes de pouvoir. Je n'étais pas une nymphomane épuisant dans une satisfaction torride la perversion d'individus affamés. Je n'étais pas une femme timide qui plairait aux taquineries et dont la réserve me donnerait l'image d'une fille sage. Végétarienne ou végan, obéir à un régime pour des normes sociales, j'aimais la viande et les bonbons. Un peu de sport suffisait amplement. Otaku ou geek, allant du nerd au gamer, que de termes inconnus.
Bien loin d'être la femme idéale, j'étais plutôt normale. Banale. L'image de ces hommes et de ses femmes taisant leur vérité au détriment d'un visage faux. Celui de la survie.
Ce que j'aimais n'avait pas plus d'importance que ce que j'étais. Pas lorsque ma mère tenait mes liens. Plus depuis son retour.
Je m'arrêtai. La porte d'entrée s'était ouverte, laissant sortir un homme qui s'appuyait contre l'encadré de l'arche. Il savait. Une main sur les hanches, je retirai mes lunettes de soleil pour regarder Hunter. Les bras croisés autour de sa poitrine laissaient rouler les muscles d'acier dévoilé lorsque le T-shirt blanc ne cachait bien que le torse du loup-garou.
Nous nous observâmes ainsi, moi de mon sourire en maquillage, lui d'un visage sérieux. D'un mouvement de la tête, il m'invita à entrer.
Une fois à l'intérieur, on remarquait l'absence d'individus. Tous les loups se trouvaient dehors. Hunter, qui me tournait le dos, me fit face tandis que je posais mes lunettes sur une table basse. Il craqua ses poings.
— Tes loups sont partis ?
— Tu provoques en duel un Alpha. Les loups n'ont pas le droit d'intervenir. Si je meurs, mon Bêta prendra ma place. Si tu meurs, rien ne changera.
— Tu serais capable de me tuer ?
— Bien au-delà de mes désirs, je suis un Alpha responsable d'une meute. Mais tu peux remédier à ça en ne m'attaquant pas.
Si j'avais eu le choix...
***
Elle avait retiré ses lunettes dans un geste lent et souple. Posées sur une table basse, ces dernières correctement installées, Hella battit des cils pour reporter un regard sur lui. Un sourire s'étira sur ses lèvres maquillées d'un rouge à lèvres clair. Et soudain, elle lui lança un plateau rond qu'il esquiva de peu. L'objet se planta dans un meuble, coupant et se bloquant dans le bois. S'il ne l'avait pas évité...
Elle voulait vraiment le tuer.
Le temps qu'il revienne sur la jeune sorcière, celle-ci lui bondissait dessus. La réaction qu'il eut fut totalement stupide. Au lieu de la repousser, ce qu'il aurait aisément pu faire, il la réceptionna dans ses bras. Ses jambes s'enroulèrent autour de sa taille. Elle passait sa main dans ses cheveux pour y retirer sa baguette, laissant la chevelure tomber sur ses épaules avec élégance, les boucles blondes bondissant un instant avant de se stabiliser. Il revint rapidement à la réalité alors qu'elle plantait la baguette dans son bras, lui arrachant un grognement sauvage. L'attrapant brusquement par le poignet, il la repoussa. Elle percuta un mur, tombant un genou au sol.
Hunter retira la baguette, la brisant avant de la jeter au loin. De l'argent.
Elle se leva et chacun se jaugea du regard. Puis elle courut vers lui, commençant à se battre avec ses poings. S'il parvenait à stopper aisément ces derniers, il ne vit pas le pied de cette dernière qui s'était penchée pour le frapper au visage. Sa mâchoire fit un drôle de son. Elle était déboitée. Hunter n'eut aucun mal à la replacer.
— Hella, tu sais comment ça va se finir. Ta sorcellerie ne pourra rien contre moi et tes petits coups de bébé guerrière ne viendront jamais à bout d'un Alpha aussi expérimenté.
Pourtant cela ne l'empêcha pas de le frapper au visage avant de lui porter un coup fatal dans l'entre-jambes. Il se tordit et leva sa main un instant pour demander silencieusement à Hella d'attendre. Et elle attendit. Lorsque la douleur s'amenuisa, elle sembla avoir le feu vert pour reprendre son combat. Il décida de répliquer d'un coup au visage avant de la repousser de son pied. Elle recula, le souffle coupé et la lèvre fendue, mais revint à l'assaut pour tenter de lui planter un couteau. Où l'avait-elle trouvé ?
Après quelques coups, quelques esquives et défenses, Hunter se saisit de l'une de ses magnifiques statuettes pour bloquer le poing d'Hella. La sorcière recula, s'appuyant sur la table du salon tout en arborant une expression de neutralité pour ne pas montrer sa douleur alors qu'elle avait frappé de la pierre.
— Déjà fatiguée ?
— La ferme.
Elle revint à la charge. Et elle prit appui sur un meuble pour lui sauter dessus, grimpant à la manière d'un ninja jusqu'à son cou. L'instant d'après, Hunter se retrouvait propulsé au sol par une force contre laquelle il ne put lutter. Allongé à terre, il regardait Hella qui se tenait debout. Elle avait retourné sa propre force contre lui.
— Déjà fatigué ? se moqua-t-elle.
Il se releva, elle lança un coup de pied.
Mais finalement agacé de ce combat, il l'attrapa et lui fit traverser la fenêtre. Dehors, le soleil avait laissé place à une pluie orageuse. Le temps pouvait changer très vite, surtout lorsqu'une puissante sorcière liée à l'eau se battait avec des émotions fortes tues dans son esprit. Il sauta outre la fenêtre brisée, la rejoignant.
Hella se relevait avec peine, se tenant un bras blessé. Elle avait mal, elle était blessée, mais elle voulait encore le combattre.
— Tu es vraiment têtue.
Il lui lança son couteau, qu'elle rattrapa pour le pointer immédiatement vers lui. Il s'approcha, laissant la pointe le toucher.
— Tu ne le feras pas.
— Te tuer ? Bien sûr que si.
Pourtant, la lame tremblait. Hella tremblait. Était-ce à cause du froid ? Était-ce à cause de l'adrénaline ? Non, c'était bien plus simple que ça. Mais surtout plus complexe. Une simplicité difficile à comprendre. Elle hésitait, mais ne comprenait pas pourquoi. Son corps savait, sa raison réfléchissait encore.
Il posa sa paume sur l'arme, elle ne le quittait pas des yeux.
— Autrefois, peut-être que tu aurais pu me tuer sans pitié. Mais plus aujourd'hui.
— Comment peux-tu en être si certain ? Je... Je l'ai aussi tué...
Elle pleurait, ses larmes se mêlant à la pluie. Son bras retomba le long de son corps.
— Tu as pu être libre ces dernières semaines, Hella. Tu as pu voir la vie, tu as pu la sentir. Comment pourrais-tu être capable à nouveau de l'arracher avec autant d'aisance que par le passé ?
— Tu ne sais rien de moi.
Elle dressa de nouveau sa lame, méfiante et menaçante. Mais cette hésitation serait la raison pour laquelle Hella ne pourrait pas le vaincre.
— J'ai tué Martin. Je pourrais...
Sa voix s'étouffa dans des sanglots qu'elle ne maîtrisait pas.
— Je pourrais aussi te tuer...
Et finalement elle s'effondra, à genou devant lui. Et elle pleura. Il n'en fallut pas plus pour Hunter qui se mit à sa hauteur pour l'attirer contre lui. Le couteau resta au sol, loin d'eux.
— Tu ne me tueras pas, Hella.
— Je dois le faire, je dois le faire...
Tout en répétant ces mots, elle s'agrippa au vêtement de l'Alpha.
— Sinon ma mère...
— Elle ne fera rien, lui assura Hunter. Tout va bien maintenant, tu n'as pas à obéir aux ordres d'une personne autre que toi.
— Je l'ai tué, je l'ai tué. Je pourrais aussi...
Elle était coincée dans ses souvenirs, se livrant complètement et se fichant de qu'il pourrait entendre. Elle pleurait et comptait sur lui pour la réchauffer sous cette pluie torrentielle.
— Hella, je ne mourrais pas aussi facilement que Martin.
Elle leva son visage vers lui, les sourcils froncés.
— Je suis un Alpha. Le jour où une sorcière aura la capacité de me tuer n'est pas arrivé.
Ses joues rosissaient et ses lèvres entrouvertes qui happaient de l'air devenaient plus colorées. Une langue timide vint les humidifier alors que la pluie le faisait très bien à sa place.
— C'est une promesse, Hella. Je ne mourrai pas.
Il se pencha vers elle, posa sa main contre la mâchoire de la vulnérable fillette. Savait-elle ce qu'il comptait faire ? Il s'approchait et soudain, prenant presque conscience de la situation, Hella se leva pour l'esquiver. Le visage rouge, elle le pointa d'un doigt accusateur. L'embarras était amusant à observer sur elle.
— Tu... Merci... Enfin non, va te faire foutre !
Et elle décampa comme un lapin, laissant à Hunter un avant-goût de sa prochaine et dernière chasse. Hella ressentait à son égard des sentiments forts, il en était persuadé à présent. Lui faire la cour devenait inutile, il fallait simplement lui faire prendre conscience et surtout la tenter.
Et assis sous la pluie, Hunter souriait. Pour la première fois depuis longtemps, il était vraiment heureux.
***
Fuir, oui, mais où ? Voilà la question que j'avais commencé à me poser lorsqu'une voiture m'avait pris en stop pour me poser en ville. Pas chez ma mère, elle aurait su ce que je n'avais pas fait. De toute manière, elle le saurait.
Pas chez ma grand-mère. Voir Strix me ferait culpabiliser pour ce que je m'étais apprêtée à faire.
Ruth ? N'était-elle pas en France ?
Alors finalement je m'étais rendue au seul endroit que je connaissais : l'université. Assise à un banc, ma seule activité du moment était de regarder la fontaine et son eau bruyante. J'avais faim. Mais vraiment. Ma mère avait supprimé tout ce qui était des sortilèges de lien sur moi, ce qui ne m'obligeait plus à me nourrir excessivement de sucreries. Les gâteaux me manquaient, mais pas aujourd'hui. Pas alors que je revenais de chez Hunter.
Mon doigt passa sur ma lèvre fendue. Mon poing était en bien moins bon état. Sa statuette m'avait peut-être brisé des os.
— Mais qu'est-ce qu'il s'est passé là-bas ?
Je n'étais pas parvenue à le tuer. Non seulement ça, mais cet enfoiré... J'avais bien cru qu'il allait m'embrasser. Ou alors il n'avait s'agit que de mon imagination ?
Ma main se posa contre ma poitrine. Mon cœur commençait à peine à se calmer et la fièvre soudaine qui m'avait fait fondre d'embarras était partie. Tout ce que je venais de ressentir n'était pas des sensations inconnues. La dernière fois, et la première également, avait été avec...
— Martin, achevai-je ma pensée.
Non, c'était différent. Ça l'était forcément.
Mon portable se mit à vibrer. On m'appelait. J'allais pour décrocher lorsque je vis le nom de mon interlocuteur. Il s'agissait de ma mère. Et merde.
Laissant sonner tout en sachant qu'elle m'aurait tué pour moins que ça, je rangeai le portable dans ma poche. À cause d'Hunter, mon souci premier m'était complètement sorti de la tête. Je n'avais pas rempli cette mission confiée par ma mère. Je n'avais pas tué Hunter et ce dernier m'avait complètement retourné l'esprit. Je ne me sentais même plus capable de tuer qui que ce soit dans mon entourage.
Mais si je ne le faisais pas, ma mère s'en chargerait. Et elle serait bien plus cruelle que moi, simplement pour me donner une leçon. Celle de tuer moi-même mes proches leur serait plus altruiste que de les épargner en pensant que cela les sauverait.
J'aurais pu tuer à nouveau ma mère, mais je n'étais pas certaine d'en avoir les capacités. Surtout qu'aujourd'hui elle avait la preuve que j'étais capable de vouloir lui prendre la vie. Elle se méfiait et se méfierait longtemps.
Beaucoup de questions, si peu de solutions.
— Lorsque je me pose des questions, je préfère chasser plutôt que d'attendre en espérant que le ciel m'envoie un signe, intervint une personne que je n'avais pas vue s'installer à côté de moi.
Un coup d'œil sur ma voisine me fit soupirer. Il s'agissait de Thérésa.
— Qu'est-ce qui tracasse ma sorcière bien-aimée ?
— Problème de famille.
— Oh oh, pour ça il n'y a pas beaucoup de solutions. Se prendre une cuite ou prendre quinze kilos en mangeant à s'en faire vomir. Je t'emmène au Salon de Mathilda.
Elle se saisit de ma main pour m'entrainer avec elle, nous faisant emprunter le parc.
Le salon de Mathilda, cela faisait une éternité que je n'y étais pas retournée. Tant de pâtisserie et de bonheur en sucre que j'avais abandonné à cause de toutes ces histoires de sorcière.
Alors, lorsque le salon au nom français apparut devant moi, et Thérésa qui me tirait encore, tous mes problèmes disparurent pendant une fraction de seconde avant de revenir à la charge. Comment faire pour sauver mes amis ? Si je ne les tuais pas, ma mère s'en chargerait.
La clochette de l'entrée émit un petit bruit apaisant. Le calme présent dans les lieux et l'odeur sucrée qui s'en dégageait avaient de quoi rassurer. Et apporter la joie. L'employée nous servit son plus beau sourire.
— Cela faisait longtemps que nous ne vous avions pas vu parmi nous, me salua-t-elle.
Thérésa passa sa commande et alla s'asseoir, commençant à manger sans moi qui continuais de choisir. Mais même en regardant toutes ces sucreries, je n'avais pas faim. Puis un chocolat se présenta sous mon nez que je levais vers l'employée. Son sourire magique sur le visage, elle me tendait un carré de chocolat.
— Parfumé à la violette.
— Comment est-ce que... ?
Je pris le chocolat, le laissant fondre sur ma langue. C'était si bon, tous mes soucis s'envolèrent.
— Le chocolat soigne tous les maux du cœur.
Et soudain, une aura enveloppa la femme. Deux ailes dorées et une apparence angélique, baignée dans la lumière. Ses yeux bleus en devenaient plus clairs tout comme ses cheveux blonds, cendrés, qui viraient au platine.
Puis tout disparu. Je commandai quelques pâtisseries, hébétée, avant de rejoindre Thérésa.
— Qu'est-ce qu'il y a ? On dirait que tu as vu un fantôme.
— Thérésa, les anges n'existent pas, n'est-ce pas ? demandai-je en français.
— Non, en effet.
— Alors pourquoi cette femme en avait l'apparence ?
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