Chapitre 25
« La mort est la liberté de la vie. »
Moi (paroles de Nastia)
Lorsque la nouvelle arriva, ce ne fut pas que la grand-mère d'Hella qui perdit son calme. La vieille femme, après avoir été libérée de sa cage dorée avait sombré dans un chagrin que l'on ne souhaitait pas même à son ennemi. Strix avait vu son monde s'effondrer et même Michael avait versé sa larme.
Lance et Hunter se rongeaient dans la fureur de ne pas avoir pu protéger la sorcière alors que le meurtre avait été commis devant eux. Et puis il y avait Oanelle, la seule qui ne semblait pas comprendre. Hella ? Morte ? La bonne blague. Ce ne pouvait être qu'une plaisanterie après tout. Comment son amie pouvait-elle mourir ? Impossible. Impensable. Après tout, Hella était son héroïne, son idéal. Une guerrière capable de déclencher une guerre pour récupérer un bonbon à la violette qu'on lui aurait volé. Elle aurait pu affronter la Soveraineté en personne pour ça.
Finalement, Thérésa était peut-être la seule à ne pas ressentir quoi que ce soit. En apparence tout du moins, puisqu'intérieurement elle était nerveuse. En tant que Maîtresse, elle avait le pouvoir et en tant qu'ami le devoir de sauver Hella. Une morsure, une simple morsure. Mais la mort remontait à trop loin, alors finalement elle ne savait pas et la neutralité sur son visage n'était pas de l'indifférence, mais de la perdition. Ses pensées se mélangeaient. Tenter le coup ? Ne pas le tenter ? Avec toutes les créatures présentent ici, peu de chance qu'on la laisse faire.
Ruth et Oscar avaient également pu venir. La rouquine se tenait dignement.
L'enterrement d'Hella était beau. Son cadavre dans un cercueil, la défunte avait réuni à elle seule des créatures venues de différentes espèces. De son vivant, elle aurait été le symbole d'une nouvelle Ère. Celle d'une harmonie nouvelle entre espèces.
— Nous sommes réunis ici pour un dernier hommage à Hella Doux, commença le prêtre, un faucheur. Ou Linda, comme ont tenu à le rappeler certains amis de son passé obscur.
Il salua d'un mouvement de tête un petit groupe composé de Frédéric et d'autres druides.
— Si quelqu'un souhaiterait dire quelques mots...
Strix se leva. Fière, elle s'avança pour prendre ce micro qui lui revenait de droit. Ses yeux rougis par les larmes des nuits précédentes, elle avait une tête à terrifier un cauchemar.
— Hell était gentille et généreuse. Elle... Non, en vrai c'était une garce sans cœur, incapable de partager quoique ce soit si cela ne lui était pas bénéfique. Jouant les pétasses lorsqu'elle le voulait, vivant une double vie, ce n'est que récemment que j'ai appris qu'elle avait vécu un enfer.
Strix était également furieuse envers Hell. Sa meilleure amie lui avait caché tant de choses. En fait, depuis qu'elle était devenue une sorcière, Hell s'était lentement éloignée d'elle, préférant la protection d'une meute de loups à la sienne. Préférant les conseils en sorcellerie venant d'une vampire et d'une sorcière solitaire alliée à des chasseurs plutôt que les siens.
— Pour autant, je l'aimais. Elle était ma meilleure amie. Emmerdeuse, avec un humour particulier, elle cachait tout de même un grand cœur. Elle m'a déjà sauvée à plusieurs reprises.
Par le passé, Strix avait été une bagarreuse, cherchant toujours les problèmes. Mais une nuit, alors que plusieurs gars l'avaient pris en embuscade et que ses chances de s'en sortir indemne étaient limitées, Hell était apparue à elle. Elle leur avait réglé leur compte et contre un chocolat, elle avait acheté le silence de Strix.
— Elle me ferait la peau si elle apprenait ce que je viens de vous dire. Mais pourtant c'est la vérité. Elle était prête à tout pour cacher sa capacité à être une bonne personne. Hell était la meilleure. Et elle a été injustement exécutée par le Convent, accusa soudain Strix, révélant tout haut ce que chacun pensait tout bas sans oser rien dire.
Après l'exécution d'Hella, Hélios avait disparu avec le corps avant de finalement le rendre à Annette Voisin.
Le Convent n'était pas présent, à l'exception d'Annette.
Strix retourna s'asseoir, aidée par Thérésa. Une fois de retour sur son banc, la cérémonie put reprendre. Le prêtre devant son pupitre sollicita d'autres interventions.
— Quelqu'un d'autre ?
Personne n'étant prêt à dire d'autres mots, chacun se leva pour aller saluer une dernière fois la défunte. On pleurait, on insultait et on s'effondrait. Puis on se taisait. Mais il en fut une qui se démarqua de la petite foule.
Une femme, vêtue tout de noir. Elle souleva son voile sombre en dentelle, le posant en arrière, sur son petit chapeau. Ses mains sur le bord du cercueil, elle observa de son regard émeraude, plissant les yeux. Ici, personne ne la connaissait. Ou plutôt, ceux qui la connaissaient étaient déjà partis, incapables de voir la suite. À savoir Ruth et Oscar, la Tantine aimante.
— C'est bien ce qu'il me semblait, murmura-t-elle surtout pour elle-même.
Elle retira son chapeau, révélant une chevelure sombre qui se soulevait dans un vent de puissance et de rage. Ses yeux s'illuminèrent dans une couleur surnaturelle. Chacun se tourna vers cette femme terrifiante qui possédait un visage familier.
Certains de ses traits semblaient à s'y méprendre avec ceux d'Hella.
— Ce cadavre n'est pas Hella. Où est ma fille !? s'écria-t-elle avec fureur d'une voix gutturale qui laissait s'échapper un écho étrange.
Et chacun le devina. La défunte mère était revenue de l'Au-Delà. Et elle était vraiment très en colère. Le cadavre d'Hella livra sa véritable apparence. Celle d'une vieille femme morte depuis des années. Un squelette.
Hella. Où était Hella ?
Malaurie, ne pouvant pas croire en la mort de sa fille, était sortie de sa cachette plus tôt que prévu. Elle avait formé Hella pour que cette dernière puisse être indépendante de tous et de toutes. Qu'elle meure ne pouvait être possible. Et à présent qu'elle en avait la preuve, sa rage était d'autant plus grande.
Hella avait disparu. Si elle était en danger, Malaurie détruirait tout sur son passage.
***
Le chant des oiseaux berçait les journées, remplaçant les bruits mystérieux et apaisants de la nuit. Les baies vitrées, souvent ouvertes pour laisser par moment un vent léger pénétrer dans la chambre, soulevant des rideaux en voile, permettaient aux rayons du soleil atténués par le feuillage de la forêt d'entrer pour se poser sur ma peau.
Mes yeux entrouverts voyaient l'intérieur de cette immense chambre ouverte à la lumière. Installée dans un lit à baldaquin, un drap de soie sur le corps, je me redressai doucement. Il faisait jour dehors. La résidence se trouvait perdue au milieu d'une forêt inconnue et ensoleillée. Des rires s'élevaient au loin, enchanteurs et enchantés par les nymphes s'amusant dans la piscine ou dans les arbres.
Un bras s'enroula autour de ma taille, me ramenant dans le lit sans brusquerie. La main se posa sur un bandage.
— Est-ce que ta blessure te fait de nouveau mal ?
— Non, tes soins ont fonctionné.
— Tant mieux.
Hélios me tourna vers lui.
Le Convent avait voulu me faire tuer. Hélios, le bourreau du Convent, n'était pas parvenu à m'ôter la vie. Alors, à partir d'aujourd'hui, je devais seulement rester ici. Peut-être jusqu'à la fin de ma vie. Si cela ne me paraissait pas problématique, il y avait des moments où une idée me traversait. Celle que quelque chose n'allait pas. Mais un simple regard d'Hélios me faisait oublier que la situation n'était pas normale.
Son regard dans le mien, comme un miroir.
— Toutes les sorcières ont une spécialité...
Et la sienne...
Hélios prenait ma main, glissant un baiser au creux de ma paume avant de plonger son regard dans le mien.
— Je suis comme toi, murmura-t-il.
— Je suis comme toi.
Et tout s'oubliait. Il n'y avait aucun problème, seulement le chant des oiseaux et le rire des nymphes au milieu de ce paradis calme, entre les mains d'un homme. Un dieu vivant et bienveillant. N'est-ce pas ?
Un sourire s'étira sur mon visage. Tout était parfaitement normal. N'est-ce pas ?
— Oh chaton, tu n'es pas comme lui.
Une nouvelle voix. Venue d'un passé effacé.
M'asseyant sur le lit, le dos se courbait pour devenir un bouclier arrondi. Les mains se posaient timidement sur les oreilles pour taire les mots.
Non, tout allait bien. Un paradis...
— Chaton, regarde-moi.
Hélios observa quelque chose venant de derrière moi. Quelqu'un.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il. Comment avez-vous trouvé cet endroit ?
Et soudain, comme poussé par une force inconnue, Hélios fut propulsé à l'autre bout de la pièce. Le charme se brisa. Oh... Que faisais-je ici ?
Une esquisse sur les lèvres, je me souvenais. Oui, Hélios m'avait bien sauvée. Mais étant un charmeur, au sens sorcier du terme, il m'avait également gardée ici par un charme. Mon visage sur le côté, je pouvais voir la silhouette d'une femme.
Je me levai, lui faisant face. Vraiment, ne serais-je jamais débarrassée de mon passé ?
— Me faire peur jusque dans mes rêves.
— Il n'y a que ton subconscient qui me craint, chaton.
Une araignée remonta le long de son bras. Arachné, sans aucun doute. Son familier sur l'épaule, la femme vêtue tout de cuir sombre fumait sa cigarette. Une main dans ses cheveux les fit passer du noir au rouge vif.
— Les Laga. Bien joué, je n'aurais pas pu te trouver meilleure descendance.
— Ce serait plutôt à moi de te féliciter. Me jeter un sort de lien et le nourrir avec des sucreries...
— Tu aurais préféré des brocolis ? Mon chaton, tu n'as jamais aimé le vert.
— Tu aurais pu m'apprendre à ne pas accepter de bonbon venant d'inconnu, maman.
— Je ne pensais pas cela nécessaire puisque tu es censée être intelligente.
Un point pour maman.
Hélios s'approcha et je m'en écartai.
— Tu m'as lancé un charme.
— C'était le seul moyen pour que tu ne partes pas. Si le Convent apprend que tu es encore en vie, il enverra quelqu'un d'autre pour te tuer.
— Charmant, félicita ma mère. Combien d'hommes sont à tes pieds, chaton ?
— Pas seulement des hommes.
— Oh, tu es plus douée que ta mère.
Puis elle tendit sa main vers moi. Malgré mon apparente assurance face à cette femme qui ne partageait avec moi que peu de traits de ressemblance, mes bras se croisèrent autour de ma poitrine pour cacher la vérité. Celle que je tremblais. Maîtriser ma voix s'avérait difficile, mais pas impossible.
À nous écouter, chacun aurait vu une complicité entre nous deux, ne remarquant pas le combat implicite dans ce dialogue. Pourtant, si nous avions été des animaux, ma mère aurait été la louve dominante tandis que la queue entre les jambes et les crocs sortis, je me serais baissée. Elle gagnait toujours et ne me laisserait jamais mon libre arbitre.
— Hella, on rentre.
L'ordre avait été donné, je sentais mon corps entier se tendre. Je m'étais débarrassée d'elle. Cela faisait moins de deux mois. Une liberté de courte durée que je voulais voir continuer.
— Non.
Le mot était sorti de lui-même. La main de ma mère retomba lentement le long de son corps et son faux sourire maternel disparut pour laisser place à l'expression habituelle. Une expression intimidante et terrifiante.
— Non ?
— Je ne t'ai pas tué pour rien.
— Et je ne suis pas revenue d'entre les morts pour rien. Enfin, techniquement je ne suis jamais vraiment morte puisque je vivais à travers toi, se corrigea-t-elle.
M'étant moi-même mise dans le pétrin, je décidais d'être digne de mes origines françaises dont le symbole était le coq gaulois. Le seul oiseau capable de continuer à gueuler même les pieds dans la merde. Bien décidée à ne plus rien à voir avec ma mère, je m'installai de nouveau sur le lit, jambes croisées et poitrine gonflée. Mais dans sa même détermination, ma mère attendait.
— Peu importe, je ne te demandais pas ton avis. D'ailleurs, nous ne devrions même pas avoir ce genre de discussion. On rentre.
— Non !
Ma bague changea, s'animant toute seule pour devenir un bâton dans ma main. Mon bras bougea de lui-même en harmonie avec mon arme, comme agité dans un instinct lié à cette baguette magique différente des autres. La pierre brillait légèrement.
La surprise passa un instant sur le visage de ma mère qui se reprit bien vite.
— Tu as raison, commençons par une petite leçon, chaton.
***
Chacun qui avait eu connaissance de quelques informations concernant Hella avait eu l'image d'une mère autoritaire, voire tyrannique, sans même l'avoir un jour rencontrée. Les morts laissés derrière les deux femmes, la peur dans le regard d'Hella malgré son comportement de jeune fille forte, imperturbable et presque insensible. Et surtout la peur excessive d'Hella devant une araignée.
Aujourd'hui, on ne pouvait que comprendre. La réalité proposait une image qui laissait place à de nombreuses nouvelles questions.
La veille, le jour de l'enterrement d'Hella, sa mère était apparue. Hella n'était pas morte. On avait vite fait de lier Hélios à tout ça. L'homme avait disparu et n'ayant aucun penchant particulier pour les cadavres, on ne pouvait que saisir cette vérité qu'il avait échouée dans sa mission. Mais Malaurie Doux s'était avérée être un problème plus urgent. Sa seule colère projetée avait fait s'effondrer l'église dans un coup de vent thermique. L'édifice en soi n'était pas entièrement détruit, mais cette bourrasque isolée était apparue comme la preuve que cette sorcière sortie de nulle part était une femme dangereuse et puissante.
La première question avait été « Qui est cette Malaurie ? » Une telle puissance supposée ne passait jamais inaperçue, pas pour le Convent qui pourtant ignorait tout de cette femme.
Mais là, en cet instant, une deuxième question se posait. Où se trouvaient Malaurie et sa fille ?
Les nymphes pleuraient encore tandis qu'Hélios se trouvait entre les mains de guérisseuses expérimentées. Le domaine moderne et immense, refuge de créatures de la forêt, cachée dans une montagne parmi les arbres épais et enveloppés d'un dôme magique de protection, était dans un sale état.
Le groupe de sorciers, les Sièges, n'avaient pas mis énormément de temps à retrouver Hélios. Mais bien plus que Malaurie qui avait eu le temps de tout dévaster. L'impression qu'une tornade venait de passer ici laissait un nouvel aperçu du danger immédiat.
— Hélios, où sont-elles ? questionna calmement Bakoly.
Hélios, à qui l'on guérissait un bras aux morceaux de chairs tombant et décollés, eut un sourire étrange. Les guérisseuses lui avaient donné des potions pour supprimer la douleur. Malheureusement, Hélios souffrait encore. Malaurie ne s'était pas contenté de déchiqueter son corps, elle l'avait ensorcelé pour que la douleur reste. Ça demanderait plus de temps pour les sorcières guérisseuses de le remettre totalement en état.
— Bakoly, sa mère est vraiment dangereuse, lui murmura-t-il pour être sûr que les autres du Convent qui visitaient les dégâts du lieu ne l'entendent pas. Hella n'est pas à condamner à mort. Elle n'a commis aucun crime.
— Elle a tué des créatures.
— On ne le sait pas. Et même si c'était le cas, rien ne l'interdit dans nos lois ou celles de la Soveraineté.
Bakoly chassa les guérisseuses, sortant de son sac ses propres concoctions.
— Hélios, que s'est-il passé ?
— Hella a refusé de la suivre. Elle a tenté deux ou trois sorts de débutante. Ça a seulement chatouillé sa mère qui ne s'est pas défendue. Puis elle a répliqué.
Il leva sa main non blessée pour présenter les dégâts tout autour d'eux.
— Elle est puissante, Bakoly. Peut-être autant que toi.
— Sa marque ?
— Derrière sa nuque.
— Tu as réussi à l'atteindre ?
— Évidemment. Et elle m'a remercié comme il se doit.
En effet, il était vraiment dans un sale état.
— Et son identité ?
— Muirgan.
— Les Muirgan ? N'étaient-ils pas censés être disparus ?
— Non, la dernière fois qu'on en a vu c'était il y a vingt-sept ans. Dans le Coven de l'œil.
— Celui supprimé par Jalil ? Ils étaient censés avoir tous péri. Et leur descendance principale se trouvait être celle des Bruiès.
— Il semble que non. Ce coven avait possédé un Muirgan d'après les rumeurs. Je pense qu'il devait s'agir de cette femme, Malaurie.
Tout ceci allait de pire en pire. Bakoly perdait son emprise sur la situation. Elle donna ses produits à Hélios pour qu'il se remette plus vite.
Il fallait retrouver Hella avant qu'il ne soit trop tard.
***
Tout était si calme. L'eau du lac dont l'écume s'échouait sur mes orteils, le parfum discret d'une fraicheur bien accueillie en été. Sous la lumière de la Pleine Lune, rien n'aurait été plus splendide. Mais cette nuit, l'astre avait revêtu sa robe écarlate, un symbole fort de ce qui attendait la soirée.
Pourquoi étais-je venue ?
Deux mains se posèrent sur mes épaules. Elles étaient grandes, elles étaient chaudes. Deux mains qui vinrent m'enlacer par-derrière tandis qu'un baiser se posait contre ma joue. Martin s'éloigna pour venir s'asseoir à mes côtés.
— Pourquoi restes-tu ici, toute seule ? Les autres ont sorti les Chamallows.
Un coup d'œil rapide derrière moi me permit d'avoir cette image qui se photographiait dans ma mémoire. Celle d'amis s'amusant autour d'un feu de bois, plantant des Chamallows au bout de leurs piques de fer. Ils allaient se brûler avec le métal, c'était certain et ils devaient en être conscients. Mais ils s'en fichaient, ils s'amusaient. Martin aurait dû rester avec eux.
— Je vous rejoins, lui promis-je.
Ses lèvres sur les miennes étaient un délice. Bien meilleur que n'importe quelle sucrerie. Il se leva pour les rejoindre. Mon regard se détacha d'eux pour se poser sur mes doigts. Sur mes ongles. La lumière du feu dansait sur eux, les révélant sous une réalité meurtrière.
« Si tu ne le fais pas, je m'en occuperais moi-même. Tu ne peux t'attacher à personne. »
Le souvenir de ces paroles me revint, me poussant à me lever.
— Je n'y arriverai pas...
Je pleurai, je pleurai et je ne parvenais pas à m'arrêter. Pourquoi était-ce si difficile ? Je l'avais fait auparavant. Le poison dans mes ongles durcis par leur vernis, il y avait également de nombreuses armes autour de moi. Les piques à Chamallow, le feu, mes talons de chaussures... Mes mains.
Alors pourquoi ?
Martin revint jusqu'à moi. Il essuya mes larmes.
— Tout va bien.
— Je ne peux pas.
Il se saisit de mon visage, posant son front contre le mien.
— Tout va bien Linda. Je suis là.
— Je ne peux pas...
— Je sais.
J'avais sorti un couteau et il acquiesça de la tête. Il savait. Mais soudain, les bruits d'étouffement de nos amis attirèrent mon attention. Ils s'effondraient à terre. Les Chamallows... Ma mère avait dû les empoisonner. N'était-ce pourtant pas à moi de m'en charger ?
« Et si j'en avais mangé ? », réalisai-je à demi.
Un regard sur Martin me donna ma réponse. Il était le seul que je devais détruire. Elle savait que tuer les autres ne m'aurait pas posé de problème. Mais lui...
— Fais-le.
Elle venait d'apparaitre. Sortant de derrière un arbre, ma mère attendait que je le fasse. Mon petit-ami me plaça derrière lui, fusillant ma mère du regard. Ses mains sur un couteau que je tenais, il m'aidait, j'en avais conscience. Savait-il pour ma mère, pour ce qu'elle était, ce que j'étais ?
— Je te pardonne.
Et la lame entra dans son corps, ne lui laissant que quelques instants dans mes bras. Ses yeux dans les miens, j'eus tout le temps de voir la vie le quitter. Cette lueur qui m'avait toujours fascinée dans le regard des autres choisis par ma mère. Mais en cet instant, il n'y avait que les nausées et le désarroi. Qu'avait-il fait ? Non, qu'avais-je fait ?
Lorsqu'il mourut, ma mère applaudit et je lâchai le seul être que j'avais eu l'erreur d'aimer.
— Tu as réussi mon trésor, me félicita-t-elle. Bon, je m'occupe de faire passer tout ça pour un accident. Toi, va en voiture.
Mes mains étaient couvertes de sang. De son sang.
— Maintenant que tu es capable de te débarrasser même de ceux qui te sont les plus proches, tu es prête.
Mais prête à quoi ?
Elle m'ordonna à nouveau de partir et je partais pour rejoindre la voiture, ne détachant pas mon regard de ces mains meurtrières. Si je ne l'avais pas fait, ma mère l'aurait tué en prenant son temps. Elle en était capable.
Martin s'était de lui-même ôté la vie. Pour moi, ou bien pour lui. Il s'était évité tant de souffrance, me permettant ainsi de ne pas subir la colère d'une mère aux attentes étranges. Le lendemain, tout avait été camouflé pour ressembler à un accident. Frédéric m'avait couverte, expliquant que ni moi ni lui ne nous trouvions à la petite fête ce soir-là. Je n'y avais pas été invitée d'après lui.
Mes paupières s'ouvrirent. Attachée à une chaise, au milieu d'un cercle anti-sorcière, ma mère attendait de moi que je ne bouge plus. Elle étudiait mon bâton et ses symboles avec une attention particulière qui me fit croire que peut-être elle m'avait oubliée. Mais son regard se leva vers moi qui ne voyais que d'un œil. Après les sortilèges nombreux qui lui avait permis de m'emmener, sa façon à elle de me soumettre était différente de la magie. Notamment lorsque, voulant de nouveau fuir, j'avais tenté de me battre avec mes capacités de combat. Mais l'élève n'avait pas encore dépassé le maître. Et le maître m'avait massacrée.
Elle se leva pour venir jusqu'à moi.
Son doigt passa sur ma joue, y recueillant des larmes que je ne contrôlais pas. Que je ne contrôlais plus.
— On continue ?
Ce qu'il y avait de pire après se souvenir de la mort de Martin ? De nombreuses choses, mais pas les apprentissages tordus de ma mère.
Dès ma naissance, j'avais été formée pour survivre, pas pour tuer. Ôter la vie de quelqu'un n'était pas toujours nécessaire pour survivre. Abandonnée souvent dans la forêt, elle me laissait plusieurs jours, parfois des semaines seule. Et survivre n'était pas simple. Le froid, la faim et la soif. Les bruits inquiétants de la nuit, plus inquiétants que ceux du jour. Les changements de température, les aléas de la météo.
Puis étaient venues les tortures. Tuer quelqu'un, c'était facile. Mais supporter de lui faire du mal...
Cela avait fait de moi une asociale à l'école. Me harceler était facile, mais dès que je me défendais, j'étais la coupable. Tout ce que je devais faire était d'apprendre, simplement apprendre. Les devoirs étaient faciles, mais vivre avec les autres...
Alors ma mère m'avait appris à plaire. Être jolie et surtout mignonne, toujours être souriante, mais savoir pleurer ou s'énerver lorsqu'il le fallait. Les émotions étaient une question de dosage à adapter selon les individus qui nous faisaient face. Et je m'étais fait des amis, goûtant alors le bonheur d'être aimée.
Plus douloureux que Martin ? Aurélien Doux et mon petit frère nouveau-né. Ils avaient été ma famille durant plusieurs années. Aurélien avait été un père si gentil, si attentionné. Et il était mort, avec mon petit-frère. Accident de voiture. Je n'étais pas stupide. Surtout lorsque le lendemain je devais détruire mes amis et qu'ensuite ma mère m'annonçait notre départ. Nouvelle vie, nouvelle identité.
Lorsque Aurélien Doux était apparu, Linda Desondes, mon identité de naissance, était devenue Hella. Puis Hella Doux. Linda vivait toujours. Elle avait vingt-deux ans, Hella n'en avait que quinze. Le maquillage faisait des miracles et manipuler des adolescents était d'une facilité enfantine. À vouloir toujours être différent, on finissait par n'être qu'une pâle copie des autres. Que de joie de se faire passer pour une jeune fille en pleine crise identitaire tout en faisant en sorte de se fondre dans la masse.
Ce fut à la fin de mes études en Histoires en tant que Linda que tout disparut. Plus d'amis de l'université, tous morts. Plus de famille aimante. J'avais perdu tout ce qui faisait mes espoirs. Aurélien et Martin. Ne me laissant plus que ma mère dont les projets étaient de partir à nouveau.
J'avais bien saboté sa voiture et ma dernière visite à l'hôpital lui avait été fatale. Elle m'avait appris à tuer et à tout maquiller en accident. Cela s'était retourné contre elle. Après son enterrement, j'avais été la plus heureuse des femmes du monde. La liberté s'offrait à moi. J'aurai continué mes études en tant qu'Hella Doux, jusqu'à l'obtention d'un doctorat. Mes études en France m'y avaient préparé. J'aurai eu ma vie. Celle que je méritais.
Jusqu'à Jalil qui ne m'avait pas laissé le temps d'en profiter. Comme si le karma avait été une sorte de justice cruelle, j'étais devenue une sorcière. Un aller simple dans un monde dangereux où chaque espèce surnaturelle semblait prête à se bouffer entre elles à tout instant. Un monde que je ne comprenais pas encore complètement, mais que ma mère connaissait depuis toujours.
Aujourd'hui, j'en étais certaine. Elle était une sorcière et elle allait m'arracher tout ce que j'aimais, tout ce que j'avais commencé à construire. Mes amis, ma personnalité, tout. Absolument tout. Les évènements avec Martin auraient dû me faire comprendre cet interdit.
Le bonheur n'existait pas.
— Tu le savais pourtant, chaton.
Sa main se saisissant de mon menton, elle leva mon visage vers le sien avant de le repousser.
— Ne t'attache jamais à ceux que tu pourrais tuer. Fais un effort, voyons.
Des efforts...
— Ta vie doit disparaitre, et avec elle, ceux qui la partagent.
Le Diable retirait mes liens.
— Mais avant ça, maman doit t'apprendre à utiliser la magie.
Si j'avais eu le choix...
Si j'avais eu...
Si...
Mais avec des si...
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