Chapitre 24 - 1/2


« Je hais la vie et vous envie votre bonheur. »

Moi (paroles de Lettie)


La table en demi-cercle, sept confortables chaises l'entourant, la pièce qui les abritait se faisait appeler la Septaine. Autrefois, il était une tradition obligeant les Sept Sièges à réciter sept strophes. Celles d'un sortilège puissant. Un sort liant tous les Sièges entre eux le temps des séances officielles s'y déroulant. Aujourd'hui, cela avait été supprimé. Ce genre de lien était dangereux. Si l'un d'entre eux se faisait ensorceler, il partagerait sa malédiction aux autres. Et à une époque où des rébellions sorciers existaient, il avait été décidé d'arrêter cette tradition.

Aujourd'hui, à l'exception de quelques sorcières solitaires, les rebelles n'existaient plus, mais la prudence n'était jamais de trop.

Eszter leva une bouteille, attirant l'attention générale de tous ceux se trouvant autour de la table.

— Et si nous parlions un peu d'un sujet qui fâche ? rompit-elle le silence.

Chacun se tourna vers elle qui décida qu'elle avait l'autorisation pour continuer.

— Hella Doux. On la bute quand ?

— Surveille ton langage, la coupa Arnaud.

Annette la fusillait du regard. Elle semblait prête à lui planter sa baguette dans les yeux ou lui lancer un quelconque sortilège, une malédiction. Annette se spécialisait dans l'art de la tromperie. Et on ne parlait pas là d'une spécialisation magique, mais bien d'une arme humaine. Parfaite comme alliée, elle pouvait s'avérer être une ennemie redoutable. Du moins était-ce ce qui avait été supposé après évaluation de ses capacités.

— Désolé, j'ai bu, donna-t-elle pour excuse comme si ce genre de chose était exceptionnelle. Il n'empêche qu'on a affaire à une sorcière de sang pur qui a reçu un radix très tard alors qu'un sortilège camouflait ses pouvoirs. En temps normal, on aurait envoyé Hélios s'en charger.

— En temps normal ? questionna Annette.

— Ne jouez pas les innocents. Les Laga ont toujours suscité l'admiration et inspiré la terreur. Le nombre de créatures d'espèces différentes ne cesse d'augmenter autour d'elle. Si elle n'était pas une Laga, tu l'aurais déjà fait exécuter Bakoly.

Malheureusement, ce n'était pas aussi simple.

— Le sortilège liant sa mère à Hella a été supprimé, intervint alors la silencieuse Anis.

Bakoly pesta intérieurement. Pourquoi les plus silencieux étaient les plus dangereux ? Au lieu de parler, ils écoutaient et observaient, prenant conscience de bien plus de choses que la plupart des gens. Et Anis était de ceux-là. Il ne fallait pas se fier à son jeune âge. Le papillon avait beau être son familier, elle était terrifiante tant dans sa véritable apparence que par sa divinité.

— Bakoly, est-ce que c'est vrai ? demanda Thomas.

Lugubre, on se doutait que l'homme était dans sa mauvaise période. Les sorciers aussi pouvaient avoir leurs problèmes psychiatriques.

— Oui.

— Alors quel est cet autre sortilège qui l'oblige à se nourrir de sucreries pour ne pas lui faire perdre le contrôle ? insista la jeune sorcière.

Si Bakoly le savait ? Évidemment. Mais même si les secrets possédaient leur date de péremption, Bakoly se devait de la repousser. Juste quelque temps encore.

— Ce n'est pas un autre sortilège. Il s'agit des résidus de celui de Malaurie Doux.

— Et je ne connais pas de sorcière répondant à ce nom, continua Anis.

— Que dis-tu ?

Alors Anis sortit une télécommande, présentant sur l'écran plat accroché au mur des documents. Les nouvelles technologies avaient aussi leur utilité.

Des photos apparurent.

— Voici Malaurie Doux, femme d'Aurélien Doux. Problème, elle ne possède aucun passé. Dans la grande bibliothèque, il n'est pas fait mention de son identité, laissant comprendre qu'il ne s'agit pas de son véritable nom.

— Tu as été dans la bibliothèque sans mon autorisation ? commença à s'emporter le calme Arnaud.

— J'ai le droit à la consultation pour mes enquêtes sans avoir à demander la permission, Arnaud. Je suis le 5ème Siège.

Elle avait raison. Arnaud, en tant que 3ème Siège, se devait de garder la bibliothèque, d'y intégrer les nouvelles connaissances, de censurer ce qui devait être censuré et d'empêcher tout étranger d'y pénétrer. Seuls le 1er et le 5ème Siège pouvaient entrer en ces lieux sans autorisation.

— Mais après quelques recherches, voici sur quoi je suis tombée.

Les images changèrent pour présenter des clichés de cadavres en très mauvais état. Mutilés, démembrés, décapités, certains n'étaient que de la charpie. Un spectacle qui n'impressionnait personne ici. Après tout, qui n'avait jamais morcelé une selkie ou arraché le squelette d'un gashadokuro de son enveloppe humaine pour broyer ses os ? Il était rare que des créatures se mutilent de leur plein gré. Mais certaines concoctions demandaient la participation d'ingrédients particuliers.

— Des dépouilles de monstres, devina Eszter. Et donc ?

— De la négligence. Il s'agit d'un travail d'amateur. Mais ensuite, voilà ce que l'on trouve les concernant, fit-elle défiler sur des documents officiels. Ils sont tous déclarés comme des accidents. Erreurs techniques sur des machines, accidents de la route, suicides, il y a de tout. Ces créatures utilisées pour prélever des ingrédients sont éparpillées dans toute la France. Aucun lien apparent entre elles. Sauf un.

Elle montra le cadavre d'un groupe de Djinn.

— Des monstres au sens littéral du terme. Officiellement, il s'agissait d'un règlement de compte. Dans le même lieu, voici ce que l'on trouve. Une photo de Malaurie et de sa fille Hella.

Elle dévoila ainsi plusieurs autres cas avec à chaque fois des photos prises dans les mêmes zones à la même époque.

— Je ne sais pas qui est cette Malaurie, mais il est une chose dont je suis certaine. Elle a consciemment laissé sa fille développer sa magie de sorcière et lui a appris l'art de la sorcellerie. Dépecer une Selkie n'est pas une chose que le premier venu serait capable de faire. Maintenant, j'aurai d'autres questions. Hella avait-elle conscience d'être une sorcière avant de recevoir un radix fons ? Est-ce que Jalil était complice de tout ça ? Annette, avez-vous les réponses ?

— Hella est une sorcière innocente. Elle ne connaissait vraiment rien de la sorcellerie ou de ce monde avant que Jalil ne la piège avec un bonbon. Le Diable en personne aurait pu lui faire vendre son âme contre une tarte au chocolat.

Et cela n'étonnait personne ici, chacun ayant connaissance de l'attirance étrange d'Hella envers les sucreries. Même durant la fête du 1er Mai cette dernière avait dévoré un grand nombre de pâtisseries, ne touchant pas même aux autres petits fours salés qui avaient pourtant été très appréciés des autres invités.

Anis retourna s'asseoir et Eszter leva immédiatement la main.

— Je suis pour qu'on l'exécute. Elle est un danger, peu importe ses secrets. Sa mère est déjà morte, Jalil aussi, alors avec elle en moins, tout rentrera dans l'ordre.

Bientôt, trois autres mains se levèrent pour soutenir cette idée. Les seuls contre étaient Hélios, Annette et Bakoly. Et Bakoly comprenait la décision d'Hélios. Lorsqu'il y avait une exécution à faire, il était le bourreau. Tel était son travail. Son don d'attirer l'attention et l'amour de ceux posant ses yeux sur lui permettait de détendre et rassurer ceux qui étaient condamnés. Cela ne signifiait pas pour autant qu'il y prenait goût.

Le vote avait été fait, la sentence devait s'abattre.

— Je ferai ce qu'il m'a été ordonné, assuma Hélios.

— Annette Voisin, pour vous empêcher d'intervenir nous vous enfermerons dans l'hôtel étoilé d'Hélios.

L'homme au sourire resplendissant n'arborait plus son esquisse habituelle. La mine sombre, il devait se préparer. Demain, il devrait ôter la vie à Hella, l'image d'une nouvelle peur.


***


Ce qu'il y avait de bien avec mon université ? Le jury était rapide. Quelques semaines étaient suffisantes pour corriger et nous rendre nos résultats.

Et même si je n'aimais pas trop ça, la remise des diplômes était toujours mieux ici que dans une université française. Quoique, elle n'avait rien à leur envier finalement. Il y avait toujours autant de pleurs. Ceux qui pleuraient de joie, et ceux qui pleuraient leur échec. Parents ou étudiants d'ailleurs. Mais tout ceci m'avait donné peu de temps pour me guérir de cette fichue malédiction lancée par ma grand-mère. Heureusement que Ruth avait eu ce baume magique.

Un bras se saisit de moi alors qu'Oannelle semblait tout excitée.

— J'ai réussi à avoir de bon résultat, j'ai mon diplôme.

Elle semblait si heureuse, tout comme Michael qui se retenait de sourire. Ses « potes » arrivèrent et finalement il ne put s'empêcher de montrer son bonheur avec eux. Le froid et hargneux Michael qui grognait sur tout ce qui l'entourait arborait un franc sourire. Mignon.

Strix n'était pas aussi satisfaite.

— Je l'ai eu de justesse, mais je l'ai eu, c'est déjà pas trop mal, expliqua-t-elle. Au fait, pour ta grand-mère. J'étais contre...

— Je n'en doute pas, Strix. Tu es une incorruptible.

Mais tandis que chacun débattait de ce qu'il ou elle allait faire après, l'ambiance se plomba dans la cour ensoleillée du campus alors qu'arrivait devant moi Thérésa. Je m'éloignai de mes amis, allant à sa rencontre. Elle était seule, m'observant.

— Tu n'es pas morte.

— Ce n'est pas grâce à toi, Thérésa.

— Au moins, il ne semble pas t'avoir fait de mal.

— Si tu entends par là que quelques os cassés et un visage méconnaissable n'est pas trop grave, alors oui.

— Désolé. Mais j'ai appris que tu l'avais tué.

— Moi ? Non, j'ai juste un admirateur secret.

Un admirateur dont je ne savais toujours rien. Et j'avais franchement la flemme de chercher, même si cela aurait pu être intelligent de trouver son identité. Après tout, ce n'était pas un bouquet de fleurs, mais une tête de vampire qu'il m'avait offert. Et même si je préférais la tête d'un ennemi m'ayant torturé, le fait qu'il ou elle ait envoyé ce collie chez Hunter à mon attention ne signalait rien de bon. Cela signifiait que l'individu connaissait mes habitudes. Peut-être qu'en cet instant la personne était en train de m'épier ?

Enfin, après Oanelle, un deuxième ou troisième stalkeur ne ferait pas de différence.

— Mais je tiens toujours parole, Hella. Je t'ai promis de t'apprendre à contrôler ton don.

— Non, je me suis fait torturer par ta faute. Alors j'attends plus.

— Je comprends. Qu'est-ce que tu veux ?

— Eh bien, ma sorcière bien-aimée est partie...

— Qui ?

— Ruth, une amie. Et ma Méchante sorcière des bois aimant ôter sa beauté à une jeune fille innocente risque de me lancer encore un mauvais sort si je me pointe...

— Baba Yaga ?

— Tu ne m'écoutes pas. Je parle de ma grand-mère. Bref, et Mercredi Addams n'est pas vraiment douée pour enseigner. Elle perd patience trop facilement.

— La fille de Morticia.

— Tu le fais exprès ? Strix. Bref. J'ai entendu dire que tu étais une sorcière.

Si les vampires pouvaient devenir encore plus pâles, ils auraient surement le visage de Thérésa.

— Je veux que tu m'aides dans mon apprentissage de sorcière. Je veux devenir une vraie sorcière.


***


Talons immenses, fringues sombres et ongles semblables à des griffes, Thérésa abaissa ses lunettes de soleil. Tout en elle transpirait le luxe et le pouvoir. Aujourd'hui, elle avait hérité de toutes les possessions de son Maître. Elle était devenue Maîtresse.

Chacun ici venait l'accueillir comme une rock star.

— Thérésa, qu'est-ce qu'on fait dans une bijouterie pour gosse de riche ? m'inquiétai-je tout de même en remarquant les gens distingués du lieu qui se différenciaient de nous deux.

— Fais-moi confiance.

— Jamais.

Elle sourit avant de suivre le gérant dans une autre pièce, dans l'arrière-boutique. Après quelques couloirs, nous pénétrâmes dans une salle brillante de mille et une pierres précieuses. Des joyaux splendides.

— Voici nos pierres, Mesdemoiselles.

— Mon ancien Maître détenait de nombreux commerces, m'expliqua brièvement Thérésa sans rentrer dans les détails. Pour une baguette magique, il faut une baguette et une pierre. Choisis-en une, Hella. Celle qui t'attire.

— Un diamant. Je veux un gros diamant.

— Vous êtes une sorcière ? demanda le vampire. Dans ce cas, voici nos plus belles pierres.

Mais alors que l'homme nous accompagnant arrivait avec une sélection de diamant, mon regard se posa sur tout autre. Pierre violette...

— Améthyste, nomma l'homme.

Même sans son aide, j'aurai deviné. Mes doigts s'étaient emparés du cristal encore enfermé dans sa roche. La pierre au creux de ma paume se taillait d'elle-même tandis que la « baguette » travaillée chez Ruth sortait du Mani pour atterrir dans mon autre main. Les deux se joignirent, le bâton à hauteur de mes hanches se durcissant dans une sculpture formée par magie et, comme attirée par un aimant, la pierre vola jusqu'au haut de ce bois clair, devenant blanc. La pierre se mit à luire légèrement. Des symboles se gravaient sur le bâton.

— Évidemment, la grande Hella ne pouvait pas faire comme toutes les autres sorcières et se contenter d'une petite baguette magique, remarqua Thérésa.

— C'est plus pratique.

Le bâton disparu pour devenir une chevalière dont le centre était mauve, une pierre lisse, gravée d'un S. Un S pour Sadique, sans aucun doute.

— J'ai ma baguette magique. Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

— Dague et autres instruments de sorcières.

— Pitié, dis-moi qu'il ne s'agit pas d'objet à construire soi-même.

— Il faut qu'il soit de ta descendance en fait. Donc tu les trouveras dans ton Mani.

— Super. Alors maintenant je suis une vraie petite sorcière ?

— Pas encore. Maintenant, il faut te spécialiser.

Pourquoi fallait-il toujours qu'une nouvelle complication arrive alors même que je commençais à voir le bout du tunnel ?

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