Chapitre 2
« Si la vie est véritablement un cadeau, pourquoi la mort a-t-elle été créée ? Qu'elle ait été une libération ou une malédiction, celui qui m'a offert ce présent de vivre doit être bien plus sadique que moi. Après tout, donner c'est donner et reprendre c'est voler. »
Moi (paroles de Hella Doux)
Lorsqu'on y réfléchissait un peu, les enterrements n'étaient pas si mal que ça. Pendant une heure, un gars lisait un texte qu'on lui avait donné, décrivant le défunt comme une personne qu'il n'était pas. Une personne merveilleuse que tout le monde aimait et qui était partie trop tôt.
Chacun acquiesçait de la tête alors qu'ils étaient plus de la moitié à se faire la liste d'adjectifs qui décriraient parfaitement ce mort comme étant un bâtard qui avait mérité son sort. Du côté de la famille, certains faisaient déjà les comptes en repensant aux objets de valeur qu'ils prendraient et emporteraient avec eux. Et bien sûr, tout le monde pleurait.
Oui, tout le monde pleurait, à l'exception de ceux qui se fichaient éperdument de la cérémonie et du défunt ainsi que ceux qui n'arrivaient toujours pas à prendre conscience que l'un de leurs proches était mort.
Évidemment, il y avait des personnes qui exprimaient une douleur sincère. Tout comme moi qui, même si je n'avais pas pleuré à l'enterrement de ma mère, avais ressenti une profonde tristesse en ne trouvant pas de bonbon dans mes poches.
Pourtant, malgré l'absence de bonbon et de sucrerie durant plus de trois heures, je préférai revivre cette torture plutôt que de continuer à écouter ce cours de sociologie qui m'ennuyait plus qu'autre chose.
« Libérez-moi, par pitié ! »
Ce n'était pas comme si je détestais vraiment ce genre de matière, mais je m'en fichais complètement. J'avais des cours à rattraper, des livres à lire pour les prochains jours de la semaine. Et je devais sérieusement m'y mettre pour ne pas prendre de retard. Surtout que j'avais un devoir de philosophie à terminer. J'en venais à prier pour qu'il y ait un nouveau mort parmi mes proches.
Mais lorsque le cours se termina un peu en avance, j'en vins à me dire que la chance me tombait peut-être enfin dessus.
Il était temps.
Première à ranger mes affaires, je fus également la première à fuir l'amphithéâtre. Et en sachant que nous n'étions qu'une poignée d'étudiants, la concurrence ne fut pas rude dans cette course de fuite.
— Hella, attends-moi.
Oh non, cette voix... Tout, mais pas ça...
Une fille quittait son groupe d'amies composées de top-modèles en peinture tant elles étaient maquillées. Du maquillage pour cacher quelques défauts, d'accord. Mais là...
« Tu es mauvaise langue, Hella. »
Bref, elle s'approcha de moi avec un grand sourire.
— Ah... toi...
— Tu as oublié mon prénom ?
— Non, pas du tout. Tu t'appelles... euh... Aurélia, oubliai-je volontairement en espérant que cela la fasse fuir.
— Oanelle. Je m'appelle Oanelle. Ce n'est pas gentil de m'oublier alors que nous sommes amies.
Elle se mit à bouder. J'étais peut-être un peu méchante ou trop directe dans le message « Je ne suis pas ton amie » ?
— Écoute Aurelle...
— Oanelle.
— Oui. Je dois aller bosser là, maintenant. Genre, tout de suite. Donc...
— Tu ne veux pas aller manger un truc avec moi ? Il y a un salon de thé qui existe pas loin. Il y a des pâtisseries énormes.
— Le salon de Mathilda ? demandai-je alors avec des étoiles plein les yeux.
— Oui.
J'avais vraiment été méchante en faisant exprès de ne pas me souvenir d'Oanelle.
Les pâtisseries de Mathilda étaient juste excellentes. Un salon de thé entre le British et le français. J'adorais m'y rendre, mais j'étais rarement accompagnée.
Alors que je m'apprêtai à accepter, une main s'écrasa sur mon épaule comme une menace.
— Non, Hell est déjà prise. N'est-ce pas, Miss Doll ?
— Strix, ne fais pas ça...
Mais ma supplication ne suffit pas.
— Je t'ai promis de t'aider à rattraper tes cours aujourd'hui. Alors cela sera fait aujourd'hui. Si jamais tu me plantes là, je prendrais tous tes bonbons pour les manger moi-même et m'assurerai que tu ne t'achètes aucune autre sucrerie de toute la semaine.
— J'y survivrai.
— Peut-être, si tes peluches sont là pour te réconforter. Mais malheureusement, elles aussi auront disparu.
— Tu n'oserais pas...
— Je pourrai même en éventrer une devant toi.
— Si Satan avait une fille, tu serais son engeance sans conteste.
— Merci du compliment. Maintenant, direction la bibliothèque.
***
Elle referma ses cahiers, une expression de surprise sur le visage.
— Tu es vraiment efficace. Je ne l'aurai jamais cru avec tes résultats.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? me vexai-je faussement.
En vérité, sa réponse allait être évidente. Après tout, je prenais soin de mon image de « jeune fille banale », puisque la vie était ainsi faite que lorsque tu étais normale, personne ne venait te nuire ou t'aimer. Ils étaient là, ils te saluaient parfois, ne médisant que rarement et te complimentant encore moins souvent. Des vacances reposantes dans un quotidien, parfois fatigant, qui aimait compliquer des choses là où la logique avait retiré toute possibilité de mystère et de magie.
Alors évidemment, la réponse de Strix à ma question devenait prévisible.
— Tu n'es pas nulle, mais tu n'es pas un génie non plus. Disons que tu es moyenne.
— Oh ta gueule.
— Miss Doll devient vulgaire ?
— Va chier, tu me saoules, ris-je en lui donnant une petite tape sur l'épaule.
Les gens énervés de nous entendre lancèrent des « Chut ! » encore plus bruyants pour nous ordonner le silence. Il était vrai que nous étions toujours dans la bibliothèque.
Rangeant nos affaires dans nos sacs, nous décidions de sortir du bâtiment. À nous deux nous avions été très efficaces pour le rattrapage des cours. En même temps, avec Oanelle qui m'avait parlé du salon de Mathilda, je n'avais eu qu'une envie : y aller pour manger. Une bonne motivation.
— Tu ne rentres pas aux dortoirs ? s'étonna Strix en me voyant prendre un autre chemin.
— Non, je vais manger un truc.
— OK, on se retrouve plus tard alors.
Nous nous séparâmes. Et tandis qu'elle partait vers notre chambre, je sortis du campus pour traverser un parc. Le salon se trouvait en dehors, à l'autre bout.
***
J'aimais bien ce parc qui s'étendait sur un peu plus de trois kilomètres à la ronde. Un endroit idéal pour faire son footing du matin, donner de la nourriture aux canards et, à l'occasion, se faire violer dans les bois sombres qui l'habitaient. Presque personne n'entrait dans ces bois. Les rumeurs parlaient de drogue et de prostitution. Et pour y avoir vu des capotes usagées ainsi qu'une ou deux seringues, je supposais que parfois les rumeurs avaient un fond de vérité.
Après avoir terrifié des hordes de pigeons, tenté d'attraper des canards et salué quelques joggeurs en cette fin d'après-midi, je parvins enfin à sortir du parc. Et je le vis. Le Paradis.
Le salon de Mathilda se trouvait juste en face. Il n'y avait qu'à traverser la route. Un bien misérable obstacle que je pouvais affronter pour atteindre ce trésor comestible. Une fois surmonté, je pus pénétrer dans le lieu aux merveilles sans nom. Enfin si, elles avaient des noms.
Déjà les odeurs venaient m'envelopper d'une délicieuse souffrance alors que je trouvais terrible le fait de savoir que je ne pourrai pas goûter à toutes ces merveilles aux goûts et aux parfums divers. Mon portefeuille avait ses limites, tout comme mon estomac. La gourmandise était un vilain défunt, ou plutôt défaut, que la satiété savait calmer par des nausées douloureuses.
M'approchant du comptoir, je jetai mon dévolu sur des pâtisseries au chocolat et à la violette. Il n'y avait rien de plus écœurant, mais bon, c'était mon péché mignon.
— Est-ce que ce sera sur place ou bien à emporter ?
— À emporter s'il vous plait.
L'employée prépara ma commande avec un sourire entre le professionnel et le sincère. Elle semblait vraiment aimer son métier, une chance qui n'était pas donnée à tout le monde. Mais comme le disait si bien quelqu'un dans le monde dont je ne connaissais pas l'identité, mais qui devait exister, un métier n'était pas fait pour être aimé, mais pour payer. Après, j'avais envie de dire que pour ceux qui aimaient l'argent, avoir un métier qui rapportait était déjà avoir un emploi qui plaisait, non ?
Je m'emparai de mon précieux paquet ayant pu payer avec une petite pensée coupable d'avoir dépensé de l'argent. J'aimais l'argent, mais j'aimais encore plus les sucreries. J'irai déguster tout ça dans le parc. Ou plutôt j'irai dévorer mes pâtisseries dans ce lieu magnifique en quelques secondes.
— Merci Madame, me remercia-t-elle en français. Nous espérons vous revoir dans notre établissement bientôt.
Sortant du salon, je respirai une bonne bouffée d'air. Aujourd'hui était génial, pour la simple raison que je tenais des pâtisseries dans ma main. Alors, après avoir traversé la route, après avoir pénétré dans le parc, après avoir cherché et trouvé un banc libre, je m'installai avec une joie non dissimulée sur le visage.
Comme prévu, les pâtisseries furent mangées, englouties. Ce n'était pas de ma faute. Je les appréciais, vraiment. Mais je les appréciais très rapidement. Strix m'aurait surement dit un truc du genre « lorsque l'on veut apprécier quelque chose, on prend son temps Fiona ». Elle aimait bien Shrek, se disant que beaucoup d'ogresses humaines devaient maudire Fiona pour avoir eu la débilité de choisir de rester moche pour vivre dans un marais puant et plein d'insectes avec pour seul coin pour se laver une flaque de boue et des w.c. dehors à des kilomètres de la maison pourrie de Shrek.
Et tandis que je me léchais les doigts, me disant que mon amie devait parfois avoir raison, un frisson me parcourut. L'air semblait avoir changé. Et même si cela paraissait normal au vu des nuages qui venaient de cacher temporairement le soleil, un sentiment inquiétant m'envahit.
« Si ça se trouve, il y a un violeur dans les parages et je suis sa prochaine victime. »
En vérité, il n'y avait jamais eu de viol ici. Tout du moins pas à ma connaissance. Il ne s'agissait que d'une rumeur entre étudiants qui servaient d'excuses aux gars pour raccompagner les nanas qui leur plaisaient. Ce qui devait également expliquer les capotes, mais pas forcément les seringues.
Me levant de mon banc, je jetai l'emballage avant de me retourner. Je me retrouvai nez à nez avec un homme un peu plus grand que moi. Ou plutôt je me retrouvai nez sur son torse. Et ça faisait mal. D'ailleurs, je ne pris pas la peine d'être discrète là-dessus, lâchant un bruyant « aïe » pour lui signifier que je souffrais le martyre. Enfin, à peu près. La douleur passa vite.
L'homme s'était arrêté. Vêtu comme un gangster de type mafieux, mais genre Le Parrain. Sa peau légèrement basanée semblait briller alors que le soleil réapparaissait, libéré des nuages. Les cheveux sombres, par moment grisé, et les yeux d'un bleu perçant, il était plutôt canon, c'était un fait. Mais il était vieux, ça aussi je le voyais. Une barbe naissante, des cernes accompagnés de rides, il avait l'air sympathique. Même s'il avait une dégaine de mafieux avec ses fringues et ses mains dans les poches, il ne semblait pas méchant. Ou du moins pas vraiment.
« Enfin j'espère. »
Il me tendit un bonbon.
— Je suis désolé de vous être rentré dedans. C'est pour me faire pardonner.
En voyant le bonbon, la première pensée qui me traversa fut « Chouette, un bonbon gratos ». Je n'eus pas de deuxième pensée. Et mes doigts suivirent mes ordres, prenant le bonbon pour le sortir de son emballage. Il était à la fois argenté et doré.
— Il est magnifique.
— Vous ne trouverez pas de meilleure sucrerie. Je peux vous l'assurer. Ce bonbon est comme magique.
Le plaçant dans ma bouche sans la moindre inquiétude, je fus étonnée du goût. L'homme avait raison, je n'avais jamais rien mangé de tel. C'était si... bon. Vraiment bon. Pétillant et doux à la fois, j'en venais à me dire qu'il savait choisir ses mots. Le goût était vraiment magique.
— Je voudrais bien être percutée plus souvent, déclarai-je à haute voix en me disant qu'un autre de ces bonbons dans ma petite réserve personnelle ne serait pas de refus.
— Je suis content qu'il soit à votre goût. Je dois vous laisser à présent. Au revoir, mademoiselle.
Et il partit. J'en fis de même, profitant au maximum de ce bonbon. J'aurai pu le finir rapidement, mais en sachant que je n'en retrouverai sans doute jamais des comme celui-ci, je préférais me remémorer les conseils de Strix et le savourer le plus longtemps possible.
Pourtant, le temps que je retrouve le campus, le bonbon était fini.
— Hella, tu es là !
Oanelle accourut vers moi. Comment faisait-elle pour toujours être là où je ne voulais pas qu'elle soit ?
— Je pensais passer voir au salon de thé dans l'espoir de t'y croiser. Tu en viens ?
— En effet, j'ai déjà mangé.
— Dis, j'ai entendu dire que tu voulais être historienne. C'est vrai ?
— Oui, pourquoi ?
— Tu ne voudrais pas m'aider avec mon devoir ?
— Tes résultats sont bien meilleurs que les miens.
— Bon, d'accord. C'était juste une excuse pour que tu viennes chez moi en fait.
— Tu m'invites chez toi ?
— Sauf si tu ne veux pas. Je comprendrais, mais...
Une esquisse malicieuse se dessina sur son visage.
— J'ai quelques gâteaux venant de l'étranger. Il est assez difficile de s'en procurer.
Ma grand-mère m'aurait surement dit « Tu vas grossir à trop manger ». Et elle devait avoir raison dans le fond. Mais bon, j'étais le genre de fille qui ne se maquillait pas, qui se brossait les cheveux à l'arrache le matin et qui, parfois, se contentait d'un chewing-gum en se disant que c'était pareil que de se brosser les dents, sans oublier le fait que je reniflais mes vêtements pour savoir à l'odeur s'ils étaient encore propres. Bon, au moins je changeais tous les jours de sous-vêtements et je me lavais tout aussi souvent.
Pour résumé, j'étais une fille qui ne cherchait absolument pas à plaire. Alors que j'ai été grosse ou pas, ma foi...
Enfin, cela ne m'empêchait pas de faire beaucoup de sport pour perdre tout ça. Juste au cas où.
Suivant Oanelle jusqu'à sa voiture, je découvris que son frère attendait. Ah, donc il était le chauffeur. Super. Déjà son regard de gars bourré à la testostérone me poignardait pour me mettre en garde contre je ne savais pas trop quoi. Oanelle m'ouvrit la porte, mais alors qu'elle s'apprêtait à monter à côté de moi, elle se ravisa.
— J'ai oublié un truc !
Elle sortit, me laissant avec Michael qui me fixait avec son rétroviseur. Sérieusement, il ressemblait à un psychopathe.
— Hella, je te conseille de ne plus trainer avec ma sœur et de t'en éloigner.
Un sister complex, il ne manquait plus que ça.
— Écoute Bryan Mills, je ne vais pas enlever ta sœur ou un truc du genre. Alors, déstresse.
— Ce n'est pas ce que...
La porte s'ouvrit alors qu'Oanelle revenait avec un paquet de bonbon. Si elle continuait sur cette voie, elle deviendrait ma nouvelle meilleure amie.
— J'avais demandé à un ami de m'acheter des bonbons puisqu'il avait son après-midi de libre.
— Et il a accepté ?
— Bien sûr puisque je lui ai passé mon argent pour ça.
La voiture se mit à rouler, me faisant totalement oublier ma pseudo discussion avec Michael.
— En voiture, il nous faut une trentaine de minutes pour arriver chez moi. Tu vas voir, j'ai plein de gâteaux. Bon, la famille est nombreuse, mais ils ne nous dérangeront pas, promis.
Et elle piailla comme ça pendant pas mal de minutes tandis que son frère ne cessait de me lancer quelques regards dès qu'il le pouvait. Heureusement que les bonbons étaient là pour me soutenir dans cette difficile épreuve.
Mais quelque chose me dérangeait tout de même. Ces sons... Des grésillements et des bourdonnements. La radio devait être sur une mauvaise fréquence, pourtant Michael ne l'éteignit pas.
— Est-ce que vous pouvez baisser la musique s'il vous plait ? leur demandai-je à lui et sa sœur.
— La radio n'est pas allumée, Hella. Est-ce que tu vas bien ? s'inquiétait Oanelle.
Non, ça n'allait pas.
Les coudes sur les genoux, je pris ma tête dans mes mains. Les sons ne venaient que de ma tête que je sentais de plus en plus lourde tandis que ma vue commençait à me faire voir des couleurs qui n'étaient pas là, déformant la matière autour de moi.
— Ce n'est rien, surement le mal de transport.
Moi-même je n'y croyais pas. Était-ce ça d'avoir un genre de « bad-trip » ?
— Si tu vomis dans ma voiture, je t'égorge, menaça le frère.
— Mike, soit sympa. Tu vois bien qu'elle est malade.
— C'est pas une raison.
— Est-ce que... Est-ce que vous pouvez vous arrêter ?
La tête me tournait. Ma vision devenait bizarre. Tout ce qui m'entourait bougeait sans cesse, changeant en des vagues de couleurs et des images qui apparaissaient en flashs pour immédiatement disparaitre comme si elles n'avaient jamais existé.
Tous mes sens changèrent, même le goût qui me faisait goûter des saveurs alors que je ne mangeais plus de bonbons. Mon toucher aussi, devenant étrangement sensible pour presque disparaitre l'instant d'après.
— On est presque arrivé, expliqua Mike. Tu vomiras dans la cour.
Mais alors que la voiture s'engageait dans un sentier goudronné, passant un grillage pour aller dans une grande cour, face à un manoir immense, je me sentis partir.
Oanelle vint m'ouvrir la porte. Et sortant de la voiture, je m'effondrai totalement. Je perdis connaissance.
Que m'arrivait-il ?
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