Chapitre 14 - 2/2


Hunter avait tenu sa promesse. La table débordait presque littéralement de pâtisseries. Enfin, ce n'était plus vraiment le cas. Les viennoiseries avaient été dévorées en une fraction de seconde, et je n'exagérais jamais, et les gâteaux simples avaient déjà disparu. Il ne restait que la forêt noire et la pièce montée, que j'avais bien entamées.

Mais il y avait bien une chose sur laquelle Hunter avait menti. Oanelle n'était pas là. D'ailleurs, il n'y avait personne. Juste moi et Hunter que je commençais à soupçonner de magouiller quelque chose de pas très net.

« Bravo petit génie ! Je pense que n'importe qui l'aurait vu dès le départ ! Si tu pouvais une fois dans ta vie arrêter d'être sûre de toi et inconsciente des dangers, ce serait super ! »

Enfin, au moins j'avais des gâteaux gratuitement.

— Tu as vraiment tout mangé.

Hunter venait de briser le silence qui, pourtant, était devenu mon meilleur ami alors que je préférais manger que de parler.

— Je n'ai pas encore tout manger. Mais ne t'en fais pas, je compte bien le faire. J'ai l'impression de manger ton argent en pensant au fait que tu aies vraiment engagé un chef pâtissier rien que pour moi.

Il se mit à sourire, se saisissant de ma main pour la porter à sa bouche. Il croqua dans une part de gâteaux, non sans se détacher de mon regard.

— C'est vraiment sucré.

Il me laissa ma part.

— Tu es rouge. Serais-tu tombée sous mon charme ?

— Ne rêve pas, je suis furieuse.

Mon gâteau... Il venait de manger une part de mon gâteau.

Finalement, me laissant finir les sucreries, il se leva pour aller jusqu'à son bureau. Les bouchées chocolatées ne m'empêchèrent pas d'observer le loup qui fouillait dans ses tiroirs. Il finit par sortir une boite en bois, mais continua ses recherches.

— As-tu accroché l'attrape-rêve que je t'ai donné ?

L'attrape-rêve ? Ah oui, l'attrape-rêve...

Je me souvenais vaguement d'avoir reçu un tel objet du loup-garou qui comprit rapidement que non, je l'avais simplement laissé dans mon sac.

— C'est important Hella. Tu dois l'accrocher au-dessus de ton lit, ou non loin, et surtout à un endroit où chaque matin il pourra être baigné par les rayons du soleil.

— OK.

— Tu t'en fiches, n'est-ce pas ?

— Complètement.

Il arrêta ce qu'il faisait pour se focaliser sur moi. Sursautant, je vis ses yeux émettre une lueur surnaturelle alors que l'aura du loup commençait à l'envelopper comme une seconde peau. Je devais me concentrer, Thérésa me l'avait appris. Je pouvais contrôler les visions, ne plus les voir. Je pouvais bloquer tout ça.

Mais avant d'avoir eu le temps de quoi que ce soit, ma main se posa contre mon nez. Merde, mais qu'est-ce que c'était que ça ?

— Je suppose que ton don ne se limite pas qu'à voir avec tes yeux, réfléchit à haute voix l'Alpha qui semblait comprendre bien plus de choses que moi sur ce que je sentais en ce moment.

Une odeur étrange commença à se propager dans la pièce, prenant même une couleur. La teinte ne devait être visible que par moi, j'en étais certaine. Pour autant, cette poussière colorée s'échappait d'Hunter pour envahir tout l'espace. Je ne savais pas vraiment ce que c'était, mais lorsque cela se mit à toucher ma peau, un sentiment étrange me submergea. Non, pas un sentiment, mais une émotion. La peur.

Était-ce ce que l'on ressentait lorsque l'on avait peur ? Il semblait s'être passé une éternité depuis la dernière fois où cette émotion m'avait traversée. Quoique, la nuée d'araignées lorsqu'Arachné était apparue à moi m'avait terrifiée.

Mais cette émotion, en cet instant, n'était pas réelle. Il n'y avait rien pour la provoquer. Pas de danger, pas d'objet lié à une quelconque phobie. De toute manière, je n'avais pas de phobie. Quelques peurs tout au plus.

Hunter était revenu vers moi. Sa main s'était levée. Bon sang, mais pourquoi ne parvenais-je pas à bouger ? Où donc étaient partis mes instincts de survie ?

Les doigts se posèrent sur ma main pour la retirer de sur mon visage. Son regard plongea droit dans le mien, tentant de voir quelque chose.

— Tu as peur ? C'est étonnant venant de toi. Je pensais que derrière ta carapace de jeune fille insolente se fichant de tout se cachait une personne forte, répondant à la menace par un grognement agressif. Pourtant, tu es aussi terrifiée qu'une petite fée dont j'aurai froissé les ailes.

Il m'insultait. Je ne répliquai pas. Pourquoi n'y arrivais-je pas ?

Puis une image passa dans mon esprit, effleurant mes pensées. Elle venait d'un souvenir que j'avais oublié et que je préférais ne pas laisser resurgir. Celui d'un sourire. De son sourire.

La main d'Hunter ne s'arrêta pas, se posant sur mon visage. Il me toucha et un frisson me parcourut.

— Petite Hella, si vulnérable en cet instant.

— Arrête ça...

Je dus faire une tête étrange puisqu'une expression de surprise s'affichait sur Hunter. Était-ce mon regard larmoyant qui ne lâchait aucune larme ? Était-ce mes lèvres entrouvertes, tremblantes ? Était-ce mes mouvements lents ? Ou bien le frottement de mes genoux ensembles pour calmer la sensation de brûlure palpitante ?

Mon regard se baissa.

— Tu n'as pas peur, comprit alors Hunter. Tu es excitée.

— Je sais ! Et ça me fait peur ! Alors, pousse-toi et arrête de dégager cette putain d'odeur !

Mais l'odeur s'intensifiait au contraire de disparaitre. Même si je ne savais pas comment il s'y prenait, Hunter produisait cette senteur.

— Hella, regarde-moi encore.

— Non.

Il tourna mon visage vers le sien. La distance entre nous deux était trop petite et il trouvait le moyen de la raccourcir encore.

— Hunter, je ne...

Aussitôt, la porte s'ouvrit sur d'autres loups-garous, interrompant ma phrase qui n'aurait jamais eu de fin.

— Alpha, que se passe-t-il !? Nous avons senti votre... Oh.

L'homme qui venait de parler nous observa. Quel genre de scénario était en train de se dessiner dans sa tête ? Surement pas quelque chose de prude à la Candy en tout cas.

Hunter s'éloigna de moi retournant près de son bureau.

— N'avais-je pas ordonné que l'on ne me dérange pas ?

— Mais vos phéromones se répandant sur tout votre territoire. Nous pensions que peut-être vous étiez en danger.

— Avec une sorcière plus faible qu'un bébé démon ? Je ne pensais pas avoir la réputation d'être un Alpha à la puissance misérable.

— Ce n'est pas... ! Veuillez nous excuser Alpha !

Les pauvres avaient voulu venir en aide à Hunter sans savoir que c'était moi qu'ils venaient de sauver. Et même si les « phéromones » avaient disparu, je n'osais pas me lever pour partir. Mes jambes ne me porteraient pas très loin. Il fallait d'abord que mon corps se calme.

Hunter chassa sa meute d'un mouvement de la main, prenant alors sa boite. Il revint vers moi, posant l'objet sur la table et s'asseyant à mes côtés.

— Des phéromones.

— Oui. Lorsque les créatures veulent donner un aperçu de leur puissance, il leur arrive de libérer une partie de cette dernière par le biais de phéromones. Si mon hypothèse était juste, en réponse aux miennes rien ne se serait passé, excepté la peur ou la colère. Ou l'excitation, même si je ne comprends pas pourquoi. La puissance t'exciterait-elle Hella ?

— La ferme. C'était quoi ton hypothèse ?

— Tu as été entravée.

Il ouvrit sa boite, révélant son contenu. Des fioles, des brindilles, principalement.

— Qu'est-ce que tu entends par « entravée » ?

— Il arrive que des enfants naissent sorciers, avec une puissance déjà grande. La plupart du temps, ces derniers absorbent un radix et leur puissance est atténuée. Avec de l'entrainement, ils parviennent à la maîtriser et l'utiliser. Mais il arrive aussi que certains soient si puissants que la plupart des radix ne fonctionnent pas. Il leur faut une puissance plus grande. Comme celle des Laga par exemple.

— Oh, attends. Le radix « Laga » ne m'a été donné que récemment.

— Laisse-moi terminer.

Il trifouilla dans sa boite, regardant les étiquettes sur les fioles. Aucune ne semblait correspondre à ce qu'il cherchait.

— Ces enfants, s'ils ne se tuent pas ou ne détruisent pas tout autour d'eux, c'est simplement parce que souvent on les détruit avant que cela arrive.

— Le Convent, je suppose.

— Faux. Cela fait des années que le Convent n'a pas repéré ce genre d'enfants. Pour cause, aujourd'hui il arrive que des enfants non issus de l'union de deux sorciers deviennent ce danger. Dès lors, c'est une autre organisation qui se charge de les détruire avant qu'ils ne détruisent le monde malgré eux.

— Qui donc ?

— Les exécuteurs. Ils travaillent pour les Soverains.

— Les souverains ?

— Non, les Soverains. Ils sont une famille royale régnant sur le monde surnaturel et régissant leurs règles. Pourquoi crois-tu que les catastrophes liées au surnaturel soient si rares ? Parce les Soverains font tout pour les couvrir et faire respecter les règles aux créatures surnaturelles.

Bon, nouvelle information à enregistrer dans mon bestiaire : les Soverains étaient des créatures inconnues, une famille royale, dont le royaume est « le monde surnaturel ».

— Mais je pensais que les créatures avaient leurs propres règles selon leur espèce.

— C'est exact. Pense que chaque espèce est un pays. Chaque pays possède un chef d'État et parfois des genres de sous-chefs. Eh bien les Soverains sont les chefs du monde. Tant que les règles sont respectées, chaque créature est libre d'avoir ses traditions et ses lois. Par exemple, en tant que loup-garou, j'ai le droit de tuer une sorcière, mais aucun humain ne doit être témoin de nos natures.

— Si un humain était au courant de l'existence du surnaturel, qu'est-ce qu'il se passerait ?

— Il serait tué. Ou bien on devrait l'enfermer le temps d'envoyer une demande auprès des Soverains pour le laisser vivre. Ou alors on le transformerait. De ce côté-là, les sorcières sont privilégiées. Elles ont parfois le droit de divulguer leur nature de sorcière à la condition de ne pas utiliser certaines magies. Cela leur permet d'être des voyantes, des médiums ou bien encore des botanistes. C'est de la discrimination je trouve. Enfin, je m'éloigne du sujet.

Il sortit enfin une fiole au contenu très coloré.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Entre autres, de la lavande avec de l'armoise, du santal, de la quintefeuille et du jasmin. Et aussi un peu de rose, apparemment elle permet de calmer certains désagréments que l'on ressentirait à cause de la concoction.

— Attends, attends. Tu as dit « entre-autre » et « désagréments ».

— Oui.

— D'accord, alors pour commencer quel est l'ingrédient que tu me caches ?

— Eh bien... Du sang.

— Encore du sang de cheval ?

— Non, pas de cheval. Celui d'un miroir brisé ayant capturé l'image d'une métamorphose et le visage de la Mort. C'est assez difficile d'en avoir.

— Je n'en doute pas. Déjà qu'un miroir qui saigne...

Il haussa des épaules, comme si un miroir saignant n'était pas si rare que ça. Pourtant, si les miroirs pouvaient saigner, le monde entier serait au courant, non ?

— OK, admettons. Deuxième question. Pourquoi « désagréments » ?

— Parce que je vais forcer ton corps à révéler ce que tu caches. Ça va faire mal. La rose te permettra de te sentir bien. De ce que la sorcière qui me l'a donné m'a dit, un goût sucré se posera sur ta langue et tu auras l'impression d'être amoureuse pour la simple raison que la douleur sera si intense que ton cœur tambourinera très fort dans ta poitrine, mais que le sentiment d'être bien enivrera tes sens. En d'autres termes, tu auras autant mal que tu te sentiras bien.

— Génial. Tu m'expliques maintenant pourquoi je devrais prendre de ta potion simulatrice du sentiment d'amour ?

— Parce que tu as été entravée.

— Non, je n'ai pas été entravée. D'ailleurs, je ne sais même pas ce que ça veut dire.

— Je te l'ai expliqué.

— Non, tu m'as dit qu'il existait des enfants si puissants qu'il fallait utiliser des radix encore plus puissants pour les contenir et que les Soverains les faisaient tuer.

— Ah oui.

Il posa sa fiole, ce qui me rassura. Surtout que je ne savais pas vraiment ce qu'il comptait en faire.

— Il existe un moyen d'entraver la puissance d'un sorcier. Un genre de maléfice ou ensorcèlement que l'on ne pratique que sur de vrais sorciers qui ont une magie stable.

— Autrement dit, ceux qui ont absorbé un radix.

— Oui, c'est tout à fait ça. Le but est de verrouiller une partie ou la totalité de la magie du sorcier. Ces sortilèges demandent d'être nourris si jamais il est rongé par la puissance du sorcier.

— Mais encore ?

— Je pense que tu es une sorcière depuis ta naissance, Hella, mais que l'on t'a entravée. Mais ta puissance est si grande que tu détruis petit à petit le sortilège qui te verrouille. Le sucre est ce qui le nourrit.

Bon. Le plus dur dans tout ça était de ne pas rire. Surtout, ne pas rire.

— Tu ne me crois pas.

— Mais si je te crois. Tout comme je crois que le Père Noël mange du chocolat avec le Lapin de Pâques en été sur la plage d'une île privée appartenant Jack O'Lantern.

— Je vois. Oanelle a remarqué que ta consommation en sucre a augmenté. Et je viens de te voir dévorer un nombre de pâtisseries en bien moins de temps que prendrait un participant dans un concours du plus gros mangeur d'hot dog.

— J'ai battu un record du monde, génial.

— Et ta puissance ne s'est pas manifestée lorsque j'ai libéré mon aura d'Alpha. Mes phéromones.

Là, j'étais larguée. Mais que racontait-il ?

— Toutes les créatures libèrent leur propre puissance lorsqu'il s'agit d'un combat d'aura à aura. Tu aurais dû toi aussi le faire, ne serait-ce que par instinct. Tu es une sorcière, tu n'es pas humaine. C'est naturel.

— Ce que tu dis n'a aucun sens.

— Citer Jack Sparrow ne t'aidera pas à fuir le sujet, Hella.

Il reprit la fiole, prêt à l'ouvrir.

— Je pense que lorsque tu as absorbé le radix fons, la puissance Laga a été capable de t'envelopper. Mais surtout elle a grandement fragilisé le sortilège qui te possède. Depuis, ton besoin de manger des sucreries n'a fait qu'accroitre. Et je serai prêt à parier ta marque n'est toujours pas complète parce qu'elle a été retardée à cause de ce sortilège qui cachait la sorcière en toi.

— Faux, ma marque est complète.

— Très bien, mais ça ne change pas le fait que son apparition ait été retardée.

— Bon, admettons que tu n'aies pas tort...

— Il ne s'est jamais passé de choses bizarres, de choses inexplicables quand tu étais en colère ou que tu avais peur ?

— Tu oses me critiquer lorsque je cite Jack, mais tu ne fais pas mieux.

— Réponds à la question d'Hagrid, Hella.

La vérité était que oui, Hunter avait raison.

« — Maman, je crois que j'entends des murmures. Est-ce que tu crois que la forêt nous parle ?

— Tiens Hella, prends ce bonbon et tais-toi. »

Mais si ce que disait Hunter était bien réel, alors cela délivrait une autre vérité.

— Ma mère était bien une sorcière.

— Et ton père ?

— Je ne sais pas.

Mais du coup, Ruth, la sorcière rousse qui m'avait kidnappée par le passé pour pénétrer mes rêves, n'avait peut-être pas menti en affirmant avoir été envoyée par ma mère. Combien d'autres amies sorcières possédait-elle et avait-elle envoyées à ma recherche ?

« Putain Maman, même morte tu arrives encore à me pourrir la vie ! »

— Et ta poudre magique, qu'est-ce qu'elle va faire ?

— Supprimer l'entrave pour révéler ton vrai visage.

— Mon vrai visage ?

— Chaque créature possède un visage qui lui est propre. Tu arrives à voir le loup en moi, le vampire en Thérésa. Et je suis certain que tu peux voir le véritable visage de certaines sorcières. Les plus puissantes possèdent bien plus qu'une aura.

Alors je repensais à Bakoly et son apparence venue des enfers, bien différente de l'aura verdoyante de Strix. Je comprenais de quoi parlait Hunter, pour une fois.

— D'accord, je veux bien sniffer ton truc, mais je veux un miroir pour pouvoir voir à quoi je ressemble lorsque je suis une sorcière.

— Comme tu voudras.

Il chercha dans la pièce et décrocha un miroir du mur pour le faire tenir en équilibre sur la table à l'aide de sa boite et des plats vides qui avaient contenu les pâtisseries.

Puis il me tendit la fiole.

— Et aussi, Hella.

— Oui ?

— Il s'agit d'une texture visqueuse. Ça ne se sniffe pas, ça s'avale.

« Bon, quand faut y'aller, faut y'aller ».


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top