Chapitre 11


« Koush engendra Nemrod. Il fut le premier chasseur sur la terre, lui qui fut un chasseur héroïque devant le Seigneur. »

Bible, Génèse 10, 8-9


« J'aime la magie. »

Les mouvements de sa main étaient à la fois souples et fermes. Elle semblait dominer l'invisible, ce que l'on ne pouvait voir. Pourtant mes yeux suivaient des courbes, des énergies symbolisées par des lumières. Et plus elle allait vite, plus les informations défilaient dans mon esprit.

Strix me montrait le contrôle des énergies. Les sorcières travaillaient avec ces fluides, les éléments de la nature, de l'espace et du temps, perceptibles ou non par les sens.

— Bon, ça suffit Strix, tu me donnes mal au crâne.

Elle s'arrêta brusquement, une jambe levée, les bras positionnés... étrangement.

— Qu'est-ce que tu racontes encore ? s'étonna Strix dans un haussement de sourcils.

— Le vert, c'est le cinq, libre, mais à la couleur plus sombre. Il est tourné vers l'avenir, mais cache sa vérité, oublie le passé. Le sept c'est le violet, perfide et créatif, sifflant comme le serpent et pourtant silencieux. Siffle le serpent silencieux, trois S pour un chiffre. Trois et sept s'unissent.

— Wow, calme-toi Hell.

Elle s'approcha de moi qui fermais les yeux pour me concentrer un instant.

— Désolé, c'est à cause de ce que tu dégageais.

— Attends, tu pouvais voir les énergies ? Mes énergies ?

— J'en sais rien, je ne suis pas experte en magie.

— Je pense que c'est ton don oraculaire. Les nouveau-nés, qui le possèdent de façon éphémère, ne voient pas autant de choses.

— C'est mauvais signe ?

— Non, ça prouve que tu as bien un don oraculaire et qu'il ne s'agit pas d'un retard dans ton évolution de sorcière. Et aussi que ta marque ne ment pas.

— Elle peut mentir ?

— Cela peut arriver si par exemple une entaille est faite dessus ou que tu t'amuses à la tatouer. Des actes stupides. Ce serait un peu comme tatouer les ailes d'une fée.

— Je ne vois pas le rapport.

— Les ailes des fées possèdent des formes et des couleurs spécifiques à leur variété avec des symboles importants, formant leur identité. Un peu comme nous.

— Elles ont des ailes, Strix. J'ai une grosse tache qui ferait croire à un cancer. Absolument rien n'est similaire.

Hell haussa des épaules.

— Bon, suis mes mouvements maintenant. Tu as enfin un familier et un élément, alors il faut que tu apprennes à canaliser, maîtriser et catalyser la puissance nouvelle en toi.

Deux femmes, en plein milieu des arbres durant une matinée fraîche et qui faisaient des mouvements incohérents en pensant jouer ainsi avec des énergies surnaturelles... Si quelqu'un passait par ici, nous passerions pour des folles. Ou des nanas ayant découvert une nouvelle méthode stupide sur Internet du genre « Comment maigrir avec des exercices en trois jours. Ça marche vraiment ! »

Ma jambe s'avança, mes mains suivirent.

— On dirait de la gym chinoise.

— Ce n'est pas très loin de ce genre de truc en fait. Excepté que le tai chi ou le qi gong sont des trucs d'humains et que ce que nous faisons est un entrainement de sorcière. Les mouvements sont plus tranchés, et surtout plus personnels. Tu mélanges ton énergie avec celles de la Nature et des dieux.

Malgré moi, je le voyais bien autour de Strix, qui à son tour me menaça du regard.

— Si tu me ressors un truc bizarre de personne atteinte de synesthésie, je te change en crapaud.

— Tu connais la synesthésie ?

— Qui ne connait pas ?

En fait, surement de très nombreuses personnes. Savoir que certains individus reliaient des sens entre eux sans le contrôler, c'en était presque de la magie. C'était bien plus magique que moi et mes mouvements de débiles qui ne faisions rien si ce n'était me donner un air encore plus stupide. Pas d'aura, de bandes colorées autour de mes mouvements. Pas de chiffre ni de goût particulier en bouche.

Il était bien loin le jour où une aura bleutée et enchanteresse avait enveloppé mon corps pour le flouter dans l'illusion d'une splendide image.

— Au fait, je pense à un truc, s'arrêta Strix. Tu as parlé de chiffre, de couleur, mais tu as aussi donné des mots.

— J'aurais pu continuer en te disant que tu avais le goût de la pomme. Sucrée, juteuse, mais avec une pointe acidulée qui plairait surement à certains, mais pas à moi. Je préfère la Pinkie Lady.

— Ah, ça c'est pas très commun.

Je m'arrêtai à mon tour, me tournant vers Strix qui réfléchissait.

— Non, Strix, je ne suis pas d'accord là. Tu m'as dit que c'était mon don oraculaire.

— Oui, oui, bien sûr. Je veux juste dire que tu as un don oraculaire bien trop développé pour une jeune sorcière inexpérimentée qui n'a même pas encore d'identité entière.

— J'ai tout de même un élément et un familier.

— Je devrais peut-être en parler à ta grand-mère. Tes parents étaient bien des sorciers, n'est-ce pas ?

— Ma mère oui.

— Alors peut-être que ses gènes t'ont transmis un genre de puissance héréditaire. C'est possible... Attends, tu as dit ta mère. Et ton père alors ?

Strix paraissait surprise, je pouvais la comprendre d'ailleurs. Même si elle était une amie de longue date, ma meilleure amie, elle en savait très peu sur moi.

— Je ne sais pas.

— Non, Hell. Ta grand-mère est la mère de ton père. Donc tu ne peux pas me dire... Oh, je crois que je comprends. Son fils, ton père...

— Il n'était pas mon père biologique.

— Ah merde, et tu sais qui c'était ?

— Strix. Pour moi Henry Voisin a été un véritable père. Celui qui m'a mis au monde m'a peut-être abandonnée, peut-être qu'il est mort ou bien que ma mère a seulement piqué le sperme d'un clodo, je m'en fous. D'accord ?

Mon amie eut un mouvement de recul alors que je sentais bien que mon ton était monté plus haut que je ne l'aurai voulu.

— OK, j'ai touché une corde sensible on dirait. Désolé Hell, je ne voulais pas dire qu'Henry n'avait pas été...

— Non, je m'excuse. Et si nous continuons ? J'ai envie d'aller en cours donc finissons vite.

Mais tandis que je m'apprêtais à reprendre, la pluie se mit à tomber.

— Hell, t'es sérieuse ?

— Quoi ? J'ai rien fait moi.

— Mais bien sûr. Tu es reliée à l'eau, c'est l'élément qui te répondra toujours à partir d'aujourd'hui, sans rien espérer en retour. Tu es en colère, la pluie tombe.

— Je ne... Je ne suis pas en colère, Strix. Et je t'assure que ce n'est pas moi. Elle est naturelle celle-ci.

— Ah bon ?

Je roulai des yeux.

— Oui, et elle va bientôt s'arrêter puisqu'il n'y a pas vraiment de nuages. Ensuite, nous aurons un joli arc-en-ciel sous lequel tu pourras passer tout en te sentant ridicule de voir de la magie partout.

— La magie est effectivement partout.

Lâchant un juron, j'allumai mon portable accroché à mon bras, plaçant mes écouteurs sur mes oreilles.

— T'es sérieuse, Miss Doll ?

— Eh ouais, Mercredi Addams. Je continue mon jogging, je vais ensuite manger et je vais en cours.

— OK, ne traine pas.

Et chacune, nous partîmes de notre côté.

Traversant les bois désertés, qui ne l'étaient pas tant puisque quelques joggeurs croisèrent mon chemin, je laissai défiler ma playlist. Du Babymetal, sur un son de Shanti Shanti Shanti juste pour rythmer ma course et me donner l'envie de danser et de me déhancher dans cette musique me rappelant l'Inde. Je m'imaginais bien faire des mouvements pseudo-indiens tout en ayant l'impression d'avoir l'air sexy alors que j'aurai surement plus ressemblé à une actrice d'un remake de L'exorciste plus qu'à une Pussicat Dolls dans Jai Ho.

De toute façon, j'étais blonde, Nicole était brune.

Mais tandis que je courais, quelque chose attira mon attention. Une sensation.

Ma course ralentit et je baissai le son de ma musique jusqu'à finalement décider de l'arrêter avec mon jogging. Il y avait ce sentiment soudain qui se glissait sur ma peau.

Je retirai mes écouteurs, les rangeant dans ma poche. Ça s'approchait de moi. Je pouvais le sentir, tout comme mon corps qui, en prévision, sécrétait plus d'adrénaline que nécessaire. Il était là. Il se cachait.

— Je peux sentir ton regard sur moi. Sors de ta cachette.

— Je ne me cache pas, Hella.

Hunter sortait de derrière un arbre auquel il s'adossa les bras croisés. Je copiai sa posture, prenant également le tronc d'un arbre pour appui.

— Que me veux-tu ?

— Je vois que tu ne t'es pas de nouveau fait kidnapper.

— Désolé de te décevoir, j'ai repris mon ennuyant quotidien d'étudiante en fac.

— D'après Oanelle, tu es une jeune femme gentille, souriante et bienveillante que tout le monde aime et apprécie. Une étudiante populaire que même les professeurs affectionnent. Un petit ange parfait ayant pour seul défaut d'aimer le sucre.

— Mais je suis une jeune femme pure et innocente. J'aime aider mon prochain.

— Autant que je suis un humain.

Il n'eut suffi que d'une fraction de seconde pour que le prédateur arrive devant moi, brisant mon espace privé. Hunter posa un bras au-dessus de ma tête. Il voulait surement m'intimider. Non, c'était certain en fait.

« Bon, laisse-le faire. Il sera peut-être plus rassuré comme ça ».

— Tu sembles être si désintéressée de tout.

— Tu n'es juste pas intéressant.

— Oh, vraiment ?

— Que fais-tu ici ? Serais-tu devenu mon nouveau stalker, après Oanelle ?

— Moi ? Non. Mais de nombreux parasites commencent à arriver dans les parages. Des sorcières sur mon territoire. Maintenant des vampires. Je suis juste venu te prévenir.

— L'Alpha est venu en personne pour me mettre en garde ? Que c'est gentil. Et tu vas me tenir la main pour me ramener chez moi ?

— Je suis sérieux, Hella.

— Moi aussi Hunter.

Ma main se posa sur son torse, il sembla frissonner.

— T'excite pas le louveteau.

— Tu te fais des idées la sorcière.

Je l'écartai, il recula.

— Comme je te l'ai dit, je suis une grande fille. Je sais me défendre.

Mais tandis que je m'apprêtais à repartir, sa main se saisit de mon bras avec une force qui me fit grimacer. Il flairait, observait les alentours.

— Quoi ?

— Quelqu'un d'autre traine dans les parages. Je peux le sentir.

— Ce doit être ton haleine putride.

— Je suis sérieux Hella. Je t'escorte jusqu'au campus, ce sera plus sûr.

— Sérieusement ? Mais fiche-moi la paix, nom d'un chien !

— Je suis un loup, pas un chien. Et tu devrais me remercier plutôt que de crier comme une banshee.


***


Ils s'en allaient, la sorcière luttant à demi. Ce n'était pas qu'elle n'avait pas la capacité de s'échapper de la prise du loup. Elle ne voulait simplement pas attirer l'attention. Il était inutile de faire une scène et de dévoiler toutes ses cartes à un Alpha. Logan le voyait très clairement dans ses faits et gestes.

Hella était maligne, cela ne faisait aucun doute.

Des années que Logan la cherchait, l'observait. Il la connaissait. Bien mieux que ce loup-garou. Bien mieux que la louve Oanelle qui l'avait espionné. Bien mieux que sa grand-mère aux nombreux secrets ou que Strix, la sorcière qui préférait se taire que de se dévoiler.

Tant pis pour aujourd'hui. Il avait cru pouvoir parler avec Hella, se dévoiler et entrer dans sa vie. Cela aurait été plus simple pour lui. Pour veiller à ce que rien ne l'approche et aussi donner l'alerte aux autres créatures qui approcheraient qu'elle n'était pas vulnérable. Qu'un être comme lui faisait partie de son entourage.

Il s'était fourvoyé. Hunter semblait déterminé à protéger la sorcière, mais surtout à lui tourner autour. Et du peu qu'il avait vu, il avait l'étrange impression que le loup en l'Alpha semblait accorder une curieuse importance à Hella. Ce n'était jamais très bon. Les Alphas pouvaient sentir la puissance, Hunter pourrait nourrir l'obsessionnel désir de la mordre pour l'empoisonner afin de la faire devenir une louve. Mais une morsure d'Alpha était bien souvent mortelle pour les créatures surnaturelles.

La main de Logan se posa sur le tronc d'un arbre alors que, furieux, il frappa dedans. Le tronc vola en éclat.

— Qu'il essaie seulement et je le détruirai avant qu'il n'ait eu le temps de poser ses sales pattes sur elle.

***

Je l'avais enfin semé.

Lorsque Hunter m'avait ramenée, comme promis, sur le campus, non seulement j'eus le droit à des regards confus, mais en plus sa sœur avait accouru jusqu'à nous. Moi, entouré de deux loups dont les rumeurs les disaient appartenir à la mafia...

« Ils ternissent mon image et détruisent tout ce que je me suis efforcée à construire. »

Enfin, j'étais tout de même parvenue à retourner aux dortoirs seule.

Mon premier cours de la journée commençait dans moins d'une heure, ce qui me laisserait le temps de prendre une douche et peut-être même de travailler quelques cours. Ou bien de m'entrainer à la magie. Savoir que je possédais un familier et un élément m'avait comme redonné la motivation nécessaire dans mon apprentissage sur la sorcellerie.

Mais lorsque je pénétrais dans ma chambre universitaire, je compris qu'aujourd'hui non plus ne se passerait pas comme prévu.

Strix était là, bras croisés autour de sa poitrine tandis que son regard était posé sur un visiteur. Un soupir ennuyé, je fermai derrière moi la porte alors que Michael se tournait vers moi.

— Il faut qu'on parle.

— Oui, je suis d'accord, lui accordai-je.

Ma meilleure amie haussa un sourcil.

— Sérieusement ? Hell, t'es pote avec ce... truc ?

— Je suis un loup-garou, pas un truc, se vexa-t-il.

— Strix, par pitié.

Elle leva les mains en l'air, abandonnant rapidement.

— Tu sais quoi ? Je m'en tape. Entre les loups-garous et les vampires, je ne sais pas à quoi tu joues, mais je ne veux pas m'en mêler.

— Ne sois pas comme ça.

— Comme quoi ? Une vilaine sorcière qui se tue à t'aider à en devenir une même si tu es incapable de faire quoi que ce soit ?

— Hé, j'ai un familier et un élément.

— Ah bon ? lança Michael.

Strix leva un doigt vers lui et je remarquai son aura qui se modifiait. Elle s'apprêtait à utiliser la magie.

— Strix, non.

— OK, j'ai compris.

Elle prit son sac de cours, sortant de la chambre pour me laisser seule avec Michael.

— Tu as vraiment un familier et un élément ?

— Qu'est-ce que tu me veux, Michael ?

— Je t'ai vu discuter avec Thérésa.

— Le vampire ?

— Tu sais ce qu'elle est. Vous êtes amies ?

— Bah à vrai dire je ne suis pas certaine que ça te regarde.

Il s'approcha de moi, déterminé et le visage sûr, entre la neutralité et la colère. Ou du moins une émotion qui s'en rapprochait. J'aurais pu reculer, je ne le fis pas. Alors il s'en chargea à ma place, posant une main contre ma poitrine pour me pousser dos au mur. Son visage se pencha vers le mien.

— C'est vraiment perturbant. Pourquoi n'es-tu jamais effrayée ou intimidée ? Si j'avais été un humain et que tout ce monde de créatures et de magie m'était tombé dessus, je me serais fait dessus.

— Je me fiche de ce que tu penses de moi.

— Qu'importe, je voulais juste connaitre tes rapports avec Thérésa. Hunter m'a chargé de te surveiller, ce que je compte faire. Et Thérésa est dangereuse. Le fait qu'elle t'approche alors que tu es devenue une sorcière... Mon instinct me pousse à me méfier.

— Très bien, alors écoute ça Michael. Je veux que toi et ta famille vous me fichiez la paix.

Ma main se posa sur son poignet, il grimaça tandis que mes ongles lui perçaient la peau.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Michael, vous êtes en train de souiller mon image.

Il recula, me libérant tout en enveloppant sa blessure de sa paume.

— Comment ? Avec seulement tes ongles...

— Tu ne sais absolument rien de moi, d'accord ? Ni toi, ni ta sœur, ni ton frère. Je suis contente qu'il ne m'ait pas tuée parce que je serai surement morte à ce moment-là. Mais j'apprends, et très vite. Alors je te conseille de sortir de ma chambre et de me laisser. Si Thérésa m'approche encore et qu'elle est aussi dangereuse que ça, je saurai me défendre.

— Hunter m'a ordonné de te protéger.

— Me protéger. C'est vrai.

Observant mes ongles, j'avançai vers Michael qui fit un pas en arrière, les sourcils froncés tandis qu'une araignée grimpait le long de ma jambe pour se placer sur mon épaule.

— Au risque de devoir me répéter, je n'ai pas besoin d'aide. Je suis une étudiante désireuse de décrocher son diplôme. Certains de mes profs attendant encore mes dissertations, je voudrais seulement que le surnaturel me fiche la paix.

Je posai mes deux bras autour du cou de Michael qui se contenta de se crisper tandis que ma main se glissait dans ses cheveux pour les agripper fermement.

— Alors, dis bien ceci à ton frère. S'il se met en travers de mon chemin, je me mettrais en mode Méchante Sorcière.


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