Réalité 8
Arlo referma la portière après être monté dans la voiture de Léon. Ce dernier venait tout juste de venir le chercher pour se rendre à la fameuse et tant attendue soirée court- métrage. Arlo était assez content de pouvoir sortir de l'hôpital. Son comportement des dernières semaines étant très positif – et Léon ayant charmé les infirmières selon ses dires –, le jeune homme avait eu l'autorisation d'assister à cette soirée.
Léon démarra et sourit à son petit ami :
- Prêt ?
- Prêt ! répondit Arlo en lui rendant son sourire.
Il prit la main de Léon dans la sienne et entrelaça leurs doigts. Il avait tellement hâte de plonger dans l'univers de Léon après l'avoir attiré dans le sien, plus sombre et plus triste.
La voiture démarra et ils se mirent en route. Arlo se creusait les méninges pour savoir où ils se rendaient ; évidemment, Léon n'avait rien voulu lui dire. Il n'aimait pas les surprises... Il préférait avoir le contrôle pour éviter de laisser le stress l'envahir une fois face à la nouveauté.
Après une heure de route, Arlo s'endormit.
***
- Babe, réveille-toi...
Arlo ouvrit lentement les yeux. Il se redressa en bâillant et en s'étirant tout en regardant autour de lui. Ils avaient quitté la ville et ils se trouvaient dans une campagne qui semblait être isolée du reste du monde.
- Où est-ce qu'on est ? demanda-t-il en voyant une immense et vieille bâtisse un peu plus loin.
- Chez mes grands-parents, répondit Léon, ils sont en Espagne donc on sera tranquille.
Ils descendirent de la voiture. Arlo put apercevoir d'autres voitures garées et percevoir des rires provenant de l'intérieur de la maison. Il se sentit soudainement nerveux... Il ne réalisait que maintenant qu'il allait rencontrer les amis de Léon.
Arlo aida son petit ami à sortir toutes ses affaires du coffre. Il retardait le temps où il verrait les proches de Léon... Cependant, les sacs n'étaient pas infinis et ils finirent par rejoindre la maison.
À peine eurent-ils franchi la porte qu'un jeune homme sauta au cou de Léon. Arlo haussa les sourcils, quelques peu surpris. Il décida de faire comme si de rien était en observant les murs autour de lui. Les grands-parents de Léon semblaient avoir du goût... Il y avait de faux-tableaux de grands maîtres accrochés, ainsi que des portraits de famille. Il sourit en voyant plusieurs photos de son petit ami à différents âges. Il était adorable !
- Arlo, je te présente mon meilleur ami : Naël.
- Salut, sourit Naël.
- Salut.
Arlo lui serra timidement la main. Léon lui présenta ensuite le reste de ses amis : Léna, Enora, Finneas et Joseph. De prime abord, il les trouva tous sympathiques. Il espérait que cela durerait ! Néanmoins, si Léon les avait choisis comme amis, c'est qu'ils devaient forcément être géniaux.
Léon les emmena tous les sept hors dans la maison, dans une immense grange. Ils étalèrent des couvertures sur le sol à des endroits qui leur permettraient de s'adosser contre des bottes de foin. Arlo s'assit le plus au fond possible. Il était gêné de se retrouver ici, au milieu de personnes qu'il ne connaissait pas. Léon et Naël préparaient l'ordinateur et le vidéo projecteur qui projetteraient les courts-métrages sur une grande toile blanche. Il sourit lorsque son petit ami se plaça devant « l'écran ».
- C'est cool que vous ayez tous pu venir, dit-il en regardant plus longuement Arlo, on va projeter nos projets de courts-métrages d'abord solos, puis ceux en duo. Et parce que je suis le meilleur, on va commencer par le mien, rit-il.
Ses amis le sifflèrent et le huèrent pour plaisanter avant que Léon ne leur fasse un doigt d'honneur. Il lança ensuite son projet puis se dépêcha d'aller s'asseoir près d'Arlo. Il l'attira contre lui, son torse contre son dos, et ses mains posées sur son ventre sous son tee-shirt.
Alors que les premières images apparaissaient à l'écran, les premières notes de la musique de Finneas, Die Alone, débuta :
Vivre sur
Léon était seul dans le noir, enfermé dans une pièce. Assis sur le sol, il était recroquevillé sur lui-même. Il paraissait vulnérable, seul, abandonné.
Une faible lumière apparut dans le coin de la pièce. La caméra montra alors Léon qui relevait lentement la tête. L'hésitation et la surprise étaient visibles dans son regard. Il finit néanmoins par se lever, mais ses gestes restaient peu maîtrisés. Il fit un pas en avant puis s'arrêta de lui-même. Léon tourna le dos à la lumière et marcha à contre-sens quand une main invisible tira sur son tee-shirt pour le faire reculer. Il tenta de chasser cette main, en vain : d'autres commencèrent à l'attraper de tous les côtés. Plus il se débattait, plus ses tortionnaires invisibles le bousculaient.
Léon tomba, un genou à terre, la tête baissée. L'empreinte d'un pied déformait son tee-shirt au niveau de son dos. En relevant les yeux, il put voir que la lumière était de son côté. Cependant, le poids sur son corps était trop important pour qu'il réussisse à se redresser. Une larme roula sur sa joue, brouillant son regard désormais déterminé. Dans un élan de puissance, il serra les dents et se releva vaillamment. Il se mit à courir vers cette lumière qui rapetissait au fur et à mesure qu'il tentait de s'en approcher ; elle s'éloignait.
Les mains continuaient de le tirer de tous les côtés. Léon cessa peu à peu de courir et s'appuya contre un mur, le souffle court. Plus il luttait pour sortir de l'ombre, plus il s'y enfonçait. C'était un combat perdu d'avance. Il devait ignorer cet acharnement interne qui avait une emprise sur sa vie : accepter d'être dans le noir pour retrouver la lumière.
Les yeux fermés, Léon souffla un bon coup avant de glisser un pas l'un devant l'autre. Il avançait aussi lentement qu'un funambule perché au-dessus du vide : la moindre erreur et il fallait tout recommencer.
Les mains glissaient sur son corps comme une plume sur de l'eau. Elles ne pouvaient pas l'attraper, il ne leur en donnait pas la force. Lui seul pouvait se donner une confiance suffisante pour poursuivre son chemin. Personne d'autre. Son tee-shirt était déformé par les mains invisibles qui ne parvenaient pas à le saisir, jusqu'à disparaître totalement. Léon ouvrit la porte qui dégageait une intense lumière. La caméra s'approcha lentement de son visage puis il ouvrit les yeux.
Le court-métrage se termina et tout le monde applaudit, sauf Arlo. Le jeune homme était complètement scotché. Non pas temps par la forme, mais par le fond. Léon embrassa sa tempe avant de se lever. Il sourit.
- Merci, merci ! Je suis vraiment content d'avoir pu réaliser ce petit film, surtout que je n'avais pas d'idées et que j'ai dû réaliser cela un peu à la dernière minute... sourit-il, mais j'ai réussi ! Il est important pour moi car il traite d'un sujet important auquel je n'étais pas confronté avant quelques mois : la dépression. Et quoi de mieux que de me mettre dans la peau d'une personne en pleine dépression pour la comprendre ?
Arlo baissa immédiatement la tête, gêné.
- Tout est sujet à la métaphore dans ce film : la pièce sombre, les mains invisibles, la lumière, la porte... expliqua Léon. Les personnes souffrant de ce trouble sont souvent incomprises et on pense qu'elles exagèrent. « Prends sur toi », « ça va passer », « moi aussi j'ai des moments où je vais pas bien », et j'en passe. J'ai fait énormément de recherches pour en arriver à un résultat satisfaisant. Ces personnes sont plongées dans un cercle vicieux de pensées négatives et autodestructrices qui les empêchent de s'en sortir jusqu'à arriver au point de non-retour. C'est ce qui caractérisent la pièce dans le noir et les mains invisibles qui me tirent de tous les côtés. La lumière et la porte, quant à elles, sont l'espoir et la sortie de cette maladie. Toute personne dépressive peut s'en sortir, même s'il y a un long et tumultueux chemin à parcourir.
Les amis de Léon étaient impressionnés par la qualité de son travail et toutes les recherches qu'il avait fournies pour y parvenir.
- Vous devez vous demander pourquoi ai-je choisi « vivre sur » comme titre ? Et bien la réponse est simple : on vit tous sur quelque chose. On vit sur le fil de la vie. Certains en tombent et ne parviennent pas à se relever. D'autres s'y accrochent fermement et réussissent à remonter. Le vent à beau les pousser dans le sens contraire, ils parviennent à braver toutes épreuves, ils se battent. Ce n'est pas pour rien que l'expression « la vie ne tient que par un fil » existe. Ce fil rompe parfois trop facilement avant les personnes aient eu le temps de lutter. On ne leur en a pas laissé le temps alors que c'est uniquement ce qu'elles demandent : du temps. Ces personnes ne vivent sur rien, elles « sur vivent ». Merci.
Léon retourna s'asseoir, légèrement bouleversé. Arlo l'était tout autant. Ses mots l'avaient davantage touché que son film. Il avait vraiment réussi à le comprendre.
- Léon... murmura Arlo alors que Naël venait de lancer son court-métrage solo.
- Oui... ?
- Où as-tu trouvé ton inspiration... ?
Arlo posait la question, mais il connaissait déjà la réponse. Il voulait seulement en être certain et lorsque son regard croisa celui de Léon, il sut qu'il savait. Il l'avait attrapé. Léon baissa les yeux.
- Quand tu es parti aux toilettes, la première où je suis venu te voir... J'ai vu ce carnet posé sur ton bureau et je n'ai pas pu m'empêcher de regarder dedans. Je ne sais pas ce qui m'a pris, je suis désolé, surtout que ce ne sont pas dans mes habitudes... J'ai lu rapidement et j'ai trouvé cela tellement brillant que je n'ai eu d'autres choix que de filmer tes pensées. Ton texte était vraiment beau...
Arlo essuya rapidement ses yeux humides. Léon était vraiment un être extraordinaire... Il ne pouvait pas imaginer un seul instant passer sa vie loin de lui. Il prit sa main dans la sienne, la gorge nouée. Il aurait aimé lui dire qu'il l'aimait, mais il ne pouvait pas parler. Arlo se contenta de fermer les yeux et d'appuyer sa tête contre l'épaule de Léon. À défaut de lui parler, il voulait le sentir contre lui en souhaitant que ce moment ne cesse jamais.
Lutter contre ses démons intérieurs n'avait jamais semblé être aussi simple que depuis qu'il était avec Léon... C'était son remède. S'il n'existait pas, il aurait fallu l'inventer.
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