Réalité 4


Arlo se trouvait devant la porte de l'appartement de Léon, attendant que celui lui ouvre ce qui ne tarda pas. À peine eut-il passé le seuil qu'il sentit les lèvres du jeune homme se poser sur les siennes. Il retira ses chaussures avec une certaine précipitation et, sans trop savoir comment, se retrouva allongé sur le lit de Léon, dans sa chambre. Alors que ce dernier embrassait fiévreusement son cou, Arlo regardait le plafond. Sa bouche était légèrement entrouverte, laissant passer sa respiration déjà saccadée, et ses yeux affichaient un air vague. Il voyait le plafond sans réellement le voir. Sa première fois allait-elle avoir lieu maintenant ? Avec cette personne qu'il connaissait peu et dans un lieu quasiment inconnu ?

Oui.

Le corps d'Arlo s'était tendu lors de cette nouvelle intrusion. Il avait cette désagréable sensation que tout le monde cherchait à s'immiscer en lui. On lui répétait sans cesse qu'on lisait en lui comme dans un livre ouvert, mais c'était faux. Personne ne voyait sa détresse. Personne hormis Léon. Il s'était mis à nu et il avait su voir sa détresse psychologique et aujourd'hui, il se rendait compte de sa détresse physique en se soumettant à lui. Quelques larmes roulèrent le long de ses tempes. C'était l'une des premières fois où quelqu'un lui faisait ressentir un sentiment positif.

Et ce fut à ce moment-là qu'Arlo commença à prendre du plaisir.


***


Arlo était détendu. Allongé contre le torse chaud et musclé de Léon, il reprenait tranquillement ses esprits. Il se sentait soulagé d'un poids. Poids qui retomba directement sur sa poitrine lorsqu'il sentit Léon caresser son bras. Il le retira pour se cacher, comme il l'avait toujours fait.


- Excuse-moi... souffla le jeune homme.

- Pas grave, répondit Arlo un peu plus durement qu'il ne l'aurait voulu, ce n'est pas quelque chose d'important.


Léon sembla frappé par la rudesse de ses mots. Il posa sa main sur sa joue pour l'obliger à le regarder. Arlo eut du mal à le faire.


- Ne néglige pas ta santé en prétextant que ce n'est pas important. C'est faux. Peut-être que des abrutis ont voulu te faire croire le contraire, mais chaque vie humaine se vaut. C'est en maltraitant des enfants qu'on en fait des monstres.


Arlo baissa les yeux.


- Arrête de te faire du mal... reprit plus doucement Léon pour ne pas le brusquer davantage.

- J'ai que ça pour aller bien...


Sa voix semblait éteinte. Il avait déjà tellement pleuré qu'il n'avait plus suffisamment de larmes à verser.

Arlo se redressa en position assise, faisant glisser la couverture. Elle tomba sur ses jambes et son bas-ventre, dévoilant ainsi ses hanches et son torse nus. Léon comprit alors qu'Arlo se sous-alimentait. L'os de ses hanches ressortait, ses côtes étaient visibles et il n'avait pas la moindre trace de graisse. Le souvenir de leur précédente rencontre lui revint alors à l'esprit : Arlo n'avait presque rien mangé. Il avait commandé un happy meal et n'avait pas touché à la moitié de son menu.

Arlo remonta la couverture pour se couvrir, pour se protéger. Les marques sur ses bras étaient relativement anciennes, il ne voulait pas que Léon voit plus bas. Il serrait effrayé, effaré et certainement dégoûté. Malgré leur précipitation, Léon avait pris le temps de faire attention à lui et de le préparer et Arlo avait précisé qu'il voulait le faire dans la pénombre, le drap sur eux. Il avait honte de lui, mais il avait encore plus honte de son corps qui n'était autre qu'un dégât collatéral de son mal-être. Il n'en prenait plus soin et il le délaissait. À quoi bon s'occuper d'une coquille vide ? On jetait la carcasse lorsque l'intérieur était pourri.

Léon le sortit de sa rêverie :


- Tu veux aller au restaurant ? demanda-t-il avec douceur.


Arlo secoua la tête.


- Je n'ai pas envie de sortir.

- Je peux commander à manger si tu préfères.


Le jeune homme se contenta de hausser les épaules. Il n'avait pas vraiment faim. Cela lui arrivait régulièrement de sauter un repas, mais il s'en fichait. S'il se forçait, il vomissait. Quand bien même cela ne lui arrivait pas que quand il se forçait... Bien qu'à ses yeux, il se forçait tous les jours. C'était un cercle sans fin.

À côté de lui, Léon se redressa à son tour dans la même position. Il souriait de toutes ses dents.


- Tu sais quoi ? dit-il joyeusement. Toi et ton petit cerveau malade je vais vous chouchouter.

- Mon petit cerveau malade... répéta Arlo, suspicieux.


C'était une étrange façon d'exprimer la chose. D'habitude, les gens ne parlaient pas de cela. Ils évitaient même le sujet. Cependant, Arlo n'était pas comme eux. Comme lui, il était différent, mais en mieux.


***


Arlo s'était entièrement rhabillé et, plus tard dans la soirée, il avait regardé Léon préparer à manger. Adepte des uber eats, il s'était également révélé être un très bon cuisiner, même si Arlo avait peu mangé. Ils s'étaient ensuite installés dans le canapé pour dîner tout en discutant de choses légères. Après quoi, Léon avait entrepris de lui masser les épaules.


- Tu es tout noué, constata-t-il.

- Je sais, j'ai tout le temps des problèmes de dos, répondit simplement Arlo.

- Tu sais, une fois j'avais pas mal de problèmes en tête et je n'en parlais pas. En parallèle, j'avais des maux de dos. Quand je suis allé voir mon ostéopathe, il m'a dit que garder mes problèmes pour moi se répercutaient ailleurs et c'est mon corps qui en a souffert, en l'occurrence mon dos. C'est lui qui parlait à ma place : ma souffrance interne est devenue physique. Et je suis prêt à parier que c'est la même chose pour toi.


Arlo soupira.


- On peut parler d'autre chose, s'il te plaît ?

- Désolé, je ne voulais pas te gêner...


Léon ne savait plus où se mettre, ce qu'Arlo remarqua. Il décida de parler d'un sujet plus léger, mais tout aussi important voire plus :


- Tu te souviens quand tu m'as parlé de tes dates Tinder, une fois ?


Léon réfléchit un peu avant de répondre :


- Ouais, je crois, pourquoi ?

- T'en avais parlé au passé alors qu'on était pas ensemble.


Le jeune homme sourit.


- Parce que j'avais arrêté de voir des garçons pour me consacrer pleinement à toi. J'ai rapidement compris que j'avais plus que des sentiments amicaux – ou sexuels – à ton égard.


Arlo fut touché par ces mots. Il resta silencieux un petit moment, laissant Léon dénouer les muscles de son dos avec ses doigts. Toutefois, il sentait bien qu'il mourrait d'envie de dire quelque chose – il pouvait presque sentir son sourire dans sa nuque. Finalement, après quelques minutes, Léon dit :


- Quand tu dis « alors qu'on était pas ensemble », est-ce que ça veut dire que maintenant nous le sommes ?


Arlo rougit malgré lui et se tourna vers Léon.


- Je ne sais pas...

- Alors je te le demande : veux-tu sortir avec moi ?


Arlo ne savait pas quoi dire. D'une certaine manière, il était déjà engagé auprès de Léon. Cependant, il ne savait pas à quelle vitesse il allait se lasser de lui. Il avait déjà près tenu deux mois, peut-être pouvait-il tenir un peu plus ?

Le jeune homme lia leurs doigts en souriant légèrement.


- Je veux... souffla-t-il.

- Parfait, c'est la réponse que j'attendais, sourit à son tour Léon avant de l'embrasser.


Les deux jeunes hommes restèrent un moment sur le canapé, lovés l'un contre l'autre, à échanger de doux baisers. Arlo se sentait bien, mais un doute planait dans son esprit. Il fit de son mieux pour le chasser, mais il restait bien présent.


- Tu sais, reprit Léon après un petit moment de silence, la première fois que je t'ai vu, j'ai eu un coup de foudre. Tu m'as touché l'épaule et quand je me suis retourné, à la seconde où j'ai posé les yeux sur toi, je suis tombé amoureux. J'ai essayé de te le dire il y a un peu plus d'une semaine, mais je n'ai pas réussi. Je suis loin d'être doué avec ce genre de choses, mais je pense qu'il faut que je te le dise maintenant, sinon j'ai bien peur de ne jamais réussir à le faire...


Arlo pouffa de rire, ce qui fit rougir Léon.


- Quoi ? Pourquoi tu rigoles ?

- C'est mignon...

- Je ne suis pas mignon, se renfrognât Léon.


Arlo se contenta de lui sourire.


- Et dire que lorsque je t'avais dit que tu m'aimais bien, tu avais répondu « ça reste à prouver ».

- C'était au tout début, ça, râla Léon.


Ils rirent tous les deux, conscients qu'ils s'étaient mutuellement plut dès le départ. Cependant, il fallait un peu plus de temps à Arlo pour tomber amoureux. Il ne connaissait pas tout cela. Il savait uniquement qu'il ne voulait pas souffrir plus qu'il ne souffrait aujourd'hui.


***


Arlo n'avait pas la moindre envie de rentrer chez lui, mais il n'avait pas tellement le choix. Il laissa Léon l'étreindre et se blottit contre son torse. Il pouvait entendre son cœur battre à une vitesse plutôt rapide contre son oreille. Cela le fit sourire. Au moins, il savait Léon ne lui avait pas menti.


- On essaye de se revoir le plus vite possible, dit-il.


Arlo se contenta de hocher la tête.


- Tu vas me manquer, ajouta Léon.

- Toi aussi...


Il devait partir, mais aucun des deux ne bougeaient. Ils auraient aimé que ce moment ne se termine jamais, comme à chacun des départs d'Arlo. Ils échangèrent finalement un baiser, puis le jeune homme s'en alla à contrecœur.

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