Réalité 2


Arlo était pétrifié par la peur, appuyé contre la façade d'une boutique, le teint presque livide. Ses jambes tremblaient et il avait eu du mal à marcher jusque-là. Cependant, il n'eut d'autres choix que de repartir en entendant le vendeur du magasin vociférer contre lui, se plaignant de faire fuir les clients.

Le Blue Café n'était plus très loin. Le jeune homme avait pris le métro pour un arrêt puis il avait marché quelques minutes avant de se poser un instant. Il avait tellement été stressé par son rendez-vous avec Léon qu'il avait vomi à deux reprises dans la matinée. Arlo détestait être autant angoissé jusqu'à s'en rendre malade. C'était tout lui, à s'inquiéter pour peu.

Lorsqu'il sentit son portable vibrer, il s'arrêta de nouveau. Arlo avait reçu un message de la part de Léon. Le garçon était arrivé au café et l'attendait. Il avait également précisé qu'il portait une veste Lacoste rouge ainsi qu'une paire de Stan Smith. Visiblement, Léon avait un certain goût vestimentaire – ainsi qu'un porte-monnaie bien fourni. Arlo lui répondit qu'il arriverait bientôt.

Le garçon souffla un bon coup avant de parcourir les derniers mètres qui le séparaient du café. Arlo s'approcha d'un autre homme, dos à lui, qui correspondait à la description faite par Léon. Il lui tapota timidement l'épaule. Il était plus grand que lui, ce qui le rendait encore plus impressionnant !

Léon se retourna.


- Arlo ?


Le jeune homme se mordit la lèvre.


- Oui, c'est bien moi...


Il avait du mal à soutenir le regard de Léon. Ses yeux étaient d'un bleu perçant qui ne demandait qu'à plonger dedans pour s'y noyer.


- Ça alors ! Nous sommes tous les deux châtain, cela nous fait déjà un point commun ! s'exclama joyeusement Léon.


Arlo sourit. Il le reconnaissait bien... Il semblait être au moins aussi expressif et jovial en réalité qu'à l'écrit. À la différence que là, Arlo pouvait le voir sourire et voir ses yeux se plisser en le faisant. Il remarqua également une fossette sur chacun de ses joues.


- On s'installe ? Je meurs de soif, reprit le jeune homme.


Arlo se contenta d'acquiescer. De nature timide, il parlait peu à moins d'être à l'aise. Cela ne semblait pas être un souci pour Léon qui faisait la conversation pour deux. Arlo sourit légèrement, amusé.

Le froid de décembre eut raison d'eux : ils décidèrent de s'installer à l'intérieur. Lorsque Léon retira sa veste, Arlo put constater que son tee-shirt était également un vêtement de marque.


- J'espère qu'il ne va pas neiger cet hiver, dit Léon en se frottant les mains pour se réchauffer. Sinon les informations ne vont parler que de cela pendant des semaines.


Arlo était toujours aussi surpris de savoir que le garçon s'instruisait à la télévision. Pas qu'il le trouvait stupide, loin de là, mais il avait plus l'air d'être le genre de personne à regarder des téléréalités plutôt que des documentaires. C'était l'une des raisons pour lesquelles Arlo détestait le jugement : sans connaître la personne, il était quasiment impossible de savoir ses goûts. S'arrêter à la première impression était idiot. Cela risquait de perdre l'occasion de rencontrer quelqu'un d'incroyable !


- Tu m'écoutes ou je suis condamné à parler tout seul ? rit Léon, sortant soudainement Arlo de ses réflexions.

- Oh, pardon... grimaça celui-ci. Je ne voulais pas paraître impoli...

- Ça tombe bien puisque tu ne le parais pas du tout, pouffa Léon, amusé et sincère.


Arlo lui rendit son sourire. Un serveur leur apporta les cartes et les deux jeunes hommes le remercièrent. Arlo la lut ; il ne savait pas quoi prendre. Cependant, il ne voulait pas d'alcool. Il jetait quelques coups d'œil discrets à Léon de temps à autres. Il le trouvait assez mignon lorsqu'il était concentré ; ses sourcils étaient légèrement froncés.


- Qu'est-ce que tu vas prendre ? demanda soudainement Léon.


Arlo sursauta. Il était tellement pris dans sa contemplation successive entre la carte et Léon qu'il ne s'était pas attendu à ce qu'il lui parle !


- Euh... Je ne sais pas encore, j'hésite... souffla-t-il. Et toi ?

- J'ai envie de boire un truc frais, un cocktail.


Le jeune homme haussa les sourcils.


- Un truc frais alors que nous sommes début décembre ?

- Cela ramènera un peu de soleil et d'été justement, rit Léon.


Arlo sourit. C'était plaisant d'être avec Léon, il voyait du positif dans tout et partout. Il se mordit la lèvre en détournant le regard de son visage. Il était si hypnotisant qu'il ne faisait que de le fixer... Cela allait finir par devenir gênant !


- Je ne suis pas déçu, reprit Léon.

- Par rapport à quoi ?

- Tu as dit que je serais déçu si je te voyais en vrai, expliqua le jeune homme, et bien c'est faux. Je dirais même que c'est totalement l'inverse.

- Tu es gentil, répondit Arlo.

- Non, sincère.


Les deux garçons échangèrent un sourire, toujours un peu timide pour Arlo. Il n'avait pas l'habitude qu'on le complimente ainsi. Léon était quelqu'un qui semblait être vraiment attendrissant et attachant. Tout ce qu'il faisait respirait à plein nez la gentillesse.

Le serveur vint récupérer leur commande et repartit juste ensuite.


- Parle-moi de toi, dit alors Léon.


Arlo releva la tête. Parler de lui ? Il ne savait pas trop quoi dire... En réalité, sa vie était plutôt banale. Certes il avait des problèmes, mais ce n'était peut-être pas le genre de choses qu'il pouvait raconter lors d'un premier rendez-vous. Il posa alors les yeux sur la veste de marque de Léon.


- Hm... Ma couleur préférée est le rouge.

- J'ai bien choisi mes vêtements alors, rit son interlocuteur en touchant ladite veste.


Arlo lui sourit. Il avait extrêmement bien choisi. Il le trouvait vraiment beau.

Le silence retomba. Arlo en profita alors pour observer plus en détail Léon. Sa mâchoire carrée avait des traits marqués qui lui donnaient un air plus mûre, plus adulte. Ses lèvres roses n'avaient pas la moindre imperfection : le froid n'était pas encore passé dessus. Son nez fin était légèrement retroussé et ne comportait pas de bosse, comme beaucoup pouvaient avoir. Ses yeux bleus, comme l'avait déjà remarqué Arlo, étaient hypnotisant. Il remarqua une légère touche de noire, près de l'iris, donnant une profondeur plus importante encore à son regard.

Le jeune homme sortit de sa rêverie lorsque le serveur déposa sa boisson devant lui. Il avait finalement opté pour un classique Orangina alors que Léon était resté sur son idée de cocktail fruité en choisissant un Cosmopolitan. Arlo prit son verre en voyant Léon faire de même.


- À notre rencontre !


Les deux jeunes hommes trinquèrent avant de boire.


- Qu'est-ce que tu fais comme études ? Tu m'as dit faire un master, mais en quoi ? questionna Léon. Tu sais pour moi, mais je ne sais pas pour toi.


Arlo se gifla mentalement. Qu'allait penser le garçon s'il ne lui posait aucune question ? Il finirait par croire qu'il n'en avait rien à faire de lui et abréger leur rendez-vous. Cependant, même s'il l'envie était là, il n'arrivait pas à faire le premier pas. Il était bien trop timide pour cela !


- Je suis en sciences et ingénierie à la Sorbonne.

- T'es une tête alors ! s'exclama Léon.


Il se frotta la nuque, un peu gêné. Il n'était pas le premier à lui dire cela et, pourtant, Arlo ne se trouvait pas plus intelligent que la moyenne. Il excellait dans la plupart des domaines qu'il pratiquait, mais il s'agissait de ses passions. Quoi de plus normal que de réussir dans ce qu'il aimait ?


- Pas vraiment...

- Tu connais la circonférence de la Terre ?

- Quarante mille soixante-quinze kilomètres, mais...

- Quelle est la pierre précieuse la plus rare ?

- La painite, mais Léon...

- Question piège : quel est le nom du premier long-métrage sonore au monde et sa date de sortie ?


Arlo le regarda, blasé. Il ne l'écoutait pas ! Il n'aimait pas être pris pour un cerveau sur pattes. Il avait l'impression d'être retourné au collège où tout le monde se moquait de lui et de ses connaissances. Ce qu'il trouvait assez ridicule lorsqu'il y repensait... La culture et l'intérêt porté au monde devrait être encouragé, pas rabaissé constamment. Il n'y avait que des idiots pour rire des savants.

Léon sourit, fier d'avoir posé une colle à son rencard.


- C'est...

- The Jazz Singer, le coupa à son tour Arlo, ou Le Chanteur de Jazz, sorti à New York en 1927. Les français ont deux ans de retard sur les américains puisque le film Les Trois Masques ne sortira qu'en 1929.


Léon fit la moue. Arlo était bien calé...


- Mouais... Tu ne te débrouilles pas trop mal.


Il but une gorgée de son cocktail sous l'œil amusé de son interlocuteur. Arlo voyait bien que Léon voulait encore le questionner sur ses connaissances, mais il s'abstint.


- Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? reprit-il alors.

- Je ne sais pas vraiment... soupira Arlo. J'aimerais être dans l'astronomie. C'est l'un de mes rêves.


Le jeune homme baissa légèrement les yeux. Il n'avait pas pour habitude de parler de lui. Généralement, il se contentait d'écouter les autres en silence et d'acquiescer de temps à autres. Pas avec Léon. Malgré le court moment passé avec lui, il lui faisait se sentir quelqu'un : ils étaient égaux.


- Tu ne peux pas ?

- Je dois encore y réfléchir.


Arlo lui sourit, signe que cette conversation était terminée. Le jeune homme but un peu son Orangina en cherchant quoi lui demander. En y réfléchissant bien, il en connaissait déjà beaucoup sur Léon.


- Tu... tu vis seul ? demanda-t-il finalement.

- Oui, acquiesça Léon, j'ai un appartement dans le dixième arrondissement de Paris comme je suis à l'ESIS. Mes parents ont une maison à Versailles et je vais chez eux quand j'en ai l'occasion.

- L'ESIS ? répéta Arlo.

- Ah ! Tu ne connais pas tout finalement.


Arlo leva les yeux au ciel alors que Léon s'esclaffait.


- C'est l'École Supérieure de l'Image et du Son, répondit ce dernier, je fais un master communication-production cinématographique.


Arlo était impressionné. Cela semblait être assez technique, mais de ce qu'il connaissait de lui, cela paraissait lui correspondre. Il imaginait bien Léon passer ses journées derrière sa caméra.


- Si tu veux, je pourrais t'emmener avec moi pendant les vacances de fin d'année. J'ai quelques projets en cours sur lesquels je dois bosser. Tu pourrais voir comment cela fonctionne.

- Avec plaisir, sourit Arlo.


Ils terminèrent leur verre en continuant de discuter, Léon plus qu'Arlo. Ils avaient commandé deux autres fois et lorsque le soleil se mit à décliner, ils décidèrent d'aller payer. Ils quittèrent le café et marchèrent un peu. Arlo était un peu triste de voir leur après-midi toucher à sa fin, mais il se consola en se disant qu'ils pourraient se revoir prochainement.

Les deux jeunes hommes longeaient désormais les quais de la Seine en silence. Les rayons du soleil couchant se reflétaient dans l'eau. Ils s'arrêtèrent devant l'entrée du métro où ils se tournèrent l'un vers l'autre. Arlo gardait les yeux rivés sur ses pieds, toujours aussi intimidé. Il fut surpris lorsque Léon le prit dans ses bras.


- J'ai vraiment été heureux de te rencontrer... J'espère que l'on se reverra vite, souffla-t-il.


Arlo serra son rencard contre lui. Ils restèrent là un moment, l'un contre l'autre, au milieu des passants. Ils n'avaient pas envie de se quitter... Cependant, le jeune homme allait finir par louper son métro s'il tardait trop. Arlo se détacha donc de Léon à contrecœur. Il descendit les marches et s'engouffra dans la rame, après un dernier regard jeté en arrière, sans le moindre regret.

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