38

Le soleil commençait à descendre derrière l'horizon lorsque Rosalie pénétra dans le Nautilus. Comme à son habitude, elle longea le comptoir du bar afin de se diriger vers les toilettes. Une fois à l'intérieur, elle se changea, mit ses affaires de 2017 dans son sac et attendit. L'adolescente était dorénavant vêtue d'un jean plus large et d'un tee-shirt blanc caché sous une chemise fleurie. Elle avait échangé ses converses contre une paire de baskets noires plutôt discrète. Rosalie n'était jamais sûre de son look bien qu'elle y faisait tout de même attention. C'était difficile – surtout parce qu'elle n'avait pas grandi à cette époque-là. Mais il lui fallait se fondre dans la masse, ressembler à tout le monde. Alors Rosalie remerciait sa mère d'avoir gardé les vêtements qu'elle avait hérité de sa sœur dans sa jeunesse. Pour une fois que les vieux cartons de Kristen pouvaient servir à quelque chose.

Une fois changée, elle s'assit sur l'abattant des toilettes. Elle attendait son saut vers 1987 avec une impatience démesurée. Elle attendait, attendait encore, mais son voyage ne venait pas. Rosalie était encore là et commençait peu à peu à angoisser. Et si ça ne marchait plus ? Soudain, elle entendit la porte des toilettes s'ouvrir. Puis se refermer. L'adolescente resta immobile dans la cabine où elle se cachait. Là encore, elle attendait.

— Rosalie ?

Sur le moment, elle ne reconnut pas la voix féminine qui venait de l'appeler. À quelle époque se trouvait-elle ? Qui connaissait son nom ici ? Tatiana... Mais avait-elle voyagé ? Était-elle arrivée jusqu'en 1987 sans s'en apercevoir ? C'était déjà arrivé, c'est vrai, mais Rosalie n'y croyait pas. Elle se disait qu'il pouvait aussi s'agir de quelqu'un venant de sa temporalité à elle. De son présent. Dans ce cas, qui en 2017 pouvait bien savoir qu'elle était là ? Les deux hypothèses étaient tordues. Trop étranges. Rosalie n'avait aucune idée de qui cela pouvait bien être.

— Rosalie. Je sais que tu es là. Je t'ai vue entrer.

Même si toute cette histoire demeurait encore obscure à ses yeux, elle avait un indice. Si on l'avait vue entrer dans les toilettes, elle était forcément encore en 2017. Alors elle se dit que c'était peut-être Héloïse, mais pas l'enfant de sept ans, non. Plutôt la version « grandie » de la petite fille qu'elle connaissait en 1987 : une des serveuses actuelles au Nautilus. Celle du futur, celle que Michael n'avait pas connue. Cependant, même si c'était plausible, Rosalie restait dubitative. Comment connaissait-elle son nom alors qu'elle ne le lui avait jamais donné ? À moins que...

— Je me rappelle de qui tu es.

Rosalie sentit son cœur accélérer sa course dans sa poitrine. Il battait si frénétiquement que l'adolescente avait l'impression que son organe vital manquait de s'enfuir hors de sa cage thoracique. Puis elle se dit qu'elle avait fait une énorme bêtise, qu'elle avait manqué de vigilance. Elle avait laissé son empreinte dans le passé. On se souvenait d'elle. Pourtant, Rosalie aurait dû savoir que ce qu'elle faisait n'était pas sans conséquences.

Maintenant, il est trop tard.

—Je sais que tu voyages dans le temps.

Voilà, elle l'avait dit. Rosalie se sentait dorénavant comme prise au piège. Elle était effrayée à l'idée d'affronter le regard d'Héloïse. Elle la jugerait à coup sûr. Et si les forces de l'ordre l'attendaient dehors ? C'était possible. Alors que faire ? Rosalie ne savait plus quels mots prononcer ou quel comportement adopter. Elle était perdue et pas sûre de pouvoir se défendre s'il le fallait.

— Tu sais, j'étais jeune, mais je me souviens quand tu venais voir Michael au Nautilus. Et quand je t'ai vue entrer ici, la première fois, je n'y ai pas cru. Je pensais être folle, que ma mémoire me jouait des tours. Mais tu es revenue. Tu es revenue si souvent que c'est devenu possible.

Qu'est-ce qui est devenu possible ? Les voyages temporels ?

Rosalie se trouvait encore dans les toilettes, appuyée contre le mur de la cabine. Elle savait qu'elle devrait sortir, lui faire face. Elle ne pouvait plus mentir. Héloïse savait et il ne servirait à rien d'essayer de l'éloigner de ses convictions.

— Je ne sais pas comment tu fais ou comment c'est possible. J'ai encore du mal à l'admettre, mais je te connais. Je t'ai connue quand j'étais gamine. Et un jour, tu es partie, je ne t'ai jamais revue. Toi et Michael êtes sortis de ma vie pour toujours. C'est dur à admettre, mais en 1987, j'ai perdu mon grand frère.

— Je suis désolée, prononça difficilement Rosalie, profondément touchée par les mots de la serveuse.

Elle voulait tant lui dire. Se confier à elle, lui expliquer qu'elle enquêtait, qu'elle ne désirait qu'une seule chose : sauver Michael. Cependant, les mots ne venaient pas. Rosalie avait la gorge nouée. Les lèvres scellées. Le cœur lourd et douloureux.

— Je t'ai longtemps détestée. Tu es apparue dans nos vies et l'instant d'après, Michael disparaît. J'ai cru que tu me l'avais volé. Quand tu as refait surface, quand tu es revenue au Nautilus comme si c'était la première fois, j'ai su que je ne rêvais pas. Quand tu as posé toutes ces questions sur Michael, j'ai su que c'était réellement la première fois que tu prenais connaissances de cet univers, du Nautilus. Ça semblait complètement fou, parce que je t'avais déjà vue, parce que je te connaissais déjà et que toi, tu ne savais encore rien de moi. C'est là que quelque chose a changé. Je ne t'ai plus détestée. J'ai compris qui tu étais et d'où tu venais. J'ai changé d'avis sur toi quand j'ai compris pourquoi tu étais là.

Plus Rosalie écoutait Héloïse et plus elle avait envie de pleurer. Elle ne savait rien de tout ça et n'avait pas imaginé l'ampleur qu'avaient pris ses voyages temporels. Les paroles de la serveuse la bouleversaient et des larmes muettes menaçaient de brûler ses joues. Malgré tout, elle ouvrit la porte et décida de faire face à Héloïse. Cette dernière était assise entre les deux vasques, les jambes se balançant au-dessus du sol. Le miroir derrière elle reflétait son dos.

— Tu veux modifier le passé, sauver Michael. Je sais que tu veux comprendre comment et pourquoi il a disparu. Empêcher ce qu'il s'est passé à la fin de l'été. Moi aussi, c'est ce que je voulais.

C'est ce que je voulais. Rosalie remarqua l'usage du passé. Pourquoi ? Ne voulait-elle pas que Michael revienne ?

— J'aimerais tellement croire que c'est encore possible, que tu y parviendras. J'aimerais tellement que tu réussisses, que tu le fasses revenir. Mais il est trop tard. J'ai grandi sans Michael. Il n'était pas là, il n'était plus là. J'ai longtemps espéré qu'il revienne. Puis le temps est passé, je lui ai dit au revoir.

— Il n'est pas trop tard, répondit toutefois Rosalie.

Elle aimait croire que rien n'était encore joué. Du temps, il lui en restait encore.

— Tu ne comprends pas. Ça s'est déjà produit. Tu ne pourras rien empêcher. Tu ne pourras rien changer.

Non. Rosalie ne voulait pas la croire. Ce qu'Héloïse lui disait lui faisait si mal. Ses mots lui crevaient le cœur, si bien que l'adolescente avait l'impression que les paroles de la serveuse la vidaient de tout espoir. Son organe vital devenait de plus en plus lourd. Le vide était bien plus horrible que le néant. Le poids de la peur devenait insupportable.

— Je ne te crois pas. J'ai un rôle à jouer dans ce passé-là !

— Oui, tu en as un. Mais il ne s'agit pas de sauver Michael.

Rosalie croisa les bras sur sa poitrine avant de demander :

— Alors qu'est-ce que je fais en 1987 si ce n'est pas pour empêcher le « drame Roswell » de survenir ?

— Je crois que tu es là pour comprendre, et pour apprendre.

C'est tout ? Je ne peux pas y croire...

— Laisse-moi te dire une chose. Peut-être que ton rôle n'est pas celui de modifier le passé. Peut-être que tu ne dois pas le sauver.

Rosalie n'était pas d'accord. Elle avait un don, elle se devait de l'utiliser. Il y avait bien une raison. Elle ne pouvait pas abandonner.

— Peut-être que tu devrais laisser tomber.

Non, je te sauverai. Je ne te laisserai pas tomber. Il le faut.

Il le faut.

*

Je m'excuse pour l'attente entre les chapitres. 

Merci d'être encore là. 

Je vous envoie mes plus belles pensées. 

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