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S'il y avait bien une chose que Rosalie détestait plus que tout au monde, c'était bien l'action même de voyager dans le temps. Passer d'une époque à une autre, d'une temporalité à une autre, d'un temps et d'un monde tout à fait différents, c'était épuisant. Il arrivait parfois que le passage de 2017 à 1987 se déroulât sans problème et là, Rosalie ne ressentait aucun symptôme ou effet secondaire. Néanmoins, il arrivait parfois que ses voyages se révèlent être d'une pénibilité sans pareille. En effet, quand ses voyages étaient forcés ou bien pressentis à l'avance – c'est-à-dire quand les symptômes faisaient leur apparition bien avant ledit voyage – elle avait la terrible impression d'être un pantin à la merci du temps. Ne pas être en mesure de contrôler ses sauts entre les différentes époques était difficile à vivre. Et si un jour, par mégarde, elle se volatilisait au beau milieu d'un endroit assez fréquenté ? Comment ferait-elle pour l'expliquer ? Elle avait si peur de ce manque cruel de contrôle. De cette absence totale de pouvoir. Et puis, sans trop y croire, elle se mettait à penser que c'était Michael qui provoquait ses voyages dans le temps.
Rosalie se dirigeait maintenant vers la porte d'entrée du manoir. L'heure sur sa montre n'avait pas changé. Le cadran affichait toujours 9h53. C'était comme si elle n'avait pas vécu ce moment passé avec Michael. Comme si rien n'était arrivé. Comme si elle n'y était pas allée. Pourtant, elle avait passé une bonne heure en compagnie du garçon, si ce n'était plus. Est-ce que les aiguilles de sa montre s'étaient arrêtées dès son changement de temporalité ? Ou bien est-ce qu'elles avaient reculé dès son retour en 2017 ? Rosalie aurait bien aimé savoir. Elle haussa alors très légèrement les épaules d'un air pensif, mordillant sa lèvre inférieure – signe qu'elle était lointainement perdue dans ses pensées – et se dit qu'elle y prêterait attention la prochaine fois même s'il y avait de grandes chances qu'elle oublie.
Elle entra dans l'immense demeure quelques secondes plus tard à l'aide de la clé que lui avait donné sa mère pour l'occasion et referma la porte derrière elle, la verrouillant avec précaution. On ne sait jamais.
Rosalie avança lentement dans le hall. Bientôt, il ne restera plus grand-chose, se dit-elle. Le manoir sera vide. Comme si les Roswell n'avaient jamais existé.
Les cadres et les photos étaient déjà rangés dans un carton. Tous leurs souvenirs, volatilisés. Effacés. Les papiers, les classeurs, les pochettes, tout avait disparu. Il ne restait presque plus rien dans les pièces du rez-de-chaussée. Un sentiment de tristesse envahit immédiatement Rosalie. Plus le temps passait, plus elle se rapprochait de la date fatidique. Plus le manoir se vidait, et plus la peur enveloppait l'adolescente de ses bras puissants, l'emprisonnant jusqu'au plus profond de son âme.
Que faire ? Elle ne se sentait toujours pas prête à se rendre dans la chambre de Michael, comme si une force inconnue lui intimait de ne pas toucher aux affaires du défunt disparu. À vrai dire, elle ne s'en sentait pas vraiment légitime. C'était comme lui dire adieu. Finalement, c'était comme accepter le fait de ne pas pouvoir changer son destin. Et Rosalie s'y refusait catégoriquement.
Soudain, alors qu'elle s'occupait à ranger et nettoyer l'immense salle de séjour. Elle entendit du bruit. Cependant, il lui était impossible de discerner son origine. Il paraissait provenir de partout et de nulle part en même temps. Comme si Rosalie l'imaginait seulement. Puis ce furent des pas frénétiques qui martelaient doucement le sol. L'adolescente essaya de les suivre. Elle se mit ainsi à marcher, du salon au bureau, du hall d'entrée à la salle de bain, jusqu'à la cuisine. Enfin, elle crut entendre flotter un petit air de musique. Doux, mélodieux. Peut-être était-ce un vieux disque qui tournait. Rosalie ferma les yeux un instant, s'imaginant être en 1987. C'est alors qu'un doux parfum vint chatouiller ses narines. Des cookies, ou des gâteaux. Ils lui paraissaient dorer doucement à l'intérieur du four. Elle visualisa alors parfaitement Madame Roswell s'afférer aux fourneaux, cuisinant des pâtisseries de si bon matin. Elle écoutait très probablement quelques morceaux de musique, se laissant entraîner par ses chansons préférées. Jonathan Roswell travaillait peut-être, ou il dormait encore. Michael, lui, était en train de faire de la balançoire, profitant sûrement des températures déjà très agréables. Elle devina ensuite que le garçon l'avait invitée à goûter les gâteaux de sa mère quand elle lui avait avoué ne pas avoir pris de petit-déjeuner. Avec un léger sourire, Rosalie se dit qu'elle aurait adoré. Si elle avait pu, elle aurait accepté sans même hésiter une seule seconde.
Tout à coup, tous ses sens arrêtèrent de produire cette chimère. Plus de musique, plus d'odeur alléchante, plus de bruits dans la cuisine. L'eau ne coulait plus, on n'entendait plus la vaisselle être faite et être rangée. Le silence repris sa place. Le vide aussi. Et une clé tourna dans la serrure de la porte d'entrée. Comme pour marquer cette soudaine rupture avec 1987.
Rosalie jeta un coup d'œil à son téléphone qui était resté dans sa poche et s'aperçut que sa mère venait, à l'instant, de lui envoyer un message. Celui-ci l'informait simplement qu'elle arrivait pour récupérer des affaires. Rosalie se permit de soupirer. Ce n'était que sa mère.
La porte d'entrée s'ouvrit enfin.
— Rosalie ? entendit-elle alors, sentant en même temps son cœur tambouriner dans sa poitrine.
L'adolescente la prévint de sa présence et sa mère la rejoignit dans la cuisine. Rosalie était encore légèrement troublée à cause de ce qui venait de se produire, par conséquent elle ne dit pas grand-chose, préférant son mutisme aux paroles inutiles.
Finalement, Rosalie repartit en même temps que sa mère, celle-ci l'ayant déposée chez elle avant de se rendre à son bureau. Une fois dans sa chambre, l'adolescente prit la décision d'appeler Lane. Il fallait qu'elle lui raconte. Ses secrets étaient trop lourds pour ses frêles épaules. Son âme avait peut-être besoin d'un petit peu de répit. Puis à la deuxième sonnerie, Lane décrocha. Le cœur de Rosalie battait vite et fort dans sa poitrine, semblant rebondir contre les parois de sa cage thoracique. Elle était si nerveuse à l'idée de lui parler. Est-ce qu'il la croirait ?
— Mademoiselle Moore ?
Rosalie émit un petit rire et leva les yeux au ciel, habituée à ses bêtises. En effet, c'était comme devenu une habitude. Lane l'appelait assez souvent « Mademoiselle Moore » ou bien « Rosalie Moore » en imitant quelqu'un d'assez distingué. C'était un petit jeu qu'ils partageaient depuis longtemps.
— T'es naze. Arrête de m'embêter.
Mais elle avait beau se plaindre, il n'arrêterait jamais.
— Quoi, tu préfères « madame » ?
Cette fois, c'est Lane qui riait franchement. Il fallait avouer qu'il s'amusait beaucoup à provoquer l'adolescente.
Un court silence suivit. Lane reprit ensuite la parole :
— Sinon quoi de neuf ? Pourquoi est-ce que tu m'as appelé sinon pour entendre ma magnifique voix ?
Rosalie respira profondément avant de lui répondre :
— Lane, justement, j'ai un tas de trucs à te raconter...
*
Bouuuh !
Je sais... ça fait si longtemps !
Je suis désolée pour le retard, j'avais juste beaucoup de mal à écrire et surtout beaucoup moins de motivation... Mais je suis là! et j'espère que vous aurez aimé ce chapitre !
Est-ce que vous pensez que Lane sera à l'écoute de Rosalie? Qu'il la croira ?
J'espère à très vite pour la suite ! Bises ♥
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