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Si Jonathan était coupable du « drame Roswell », Rosalie savait qu'il ne lui restait plus qu'à lister les éléments et indices nécessaires pour le faire arrêter avant que le crime ne soit commis, avant que Michael ne disparaisse. Avant qu'il ne soit trop tard.
Mais Jonathan Roswell était-il vraiment celui qu'il fallait condamner ? Pour être vraiment certaine de ce qu'elle avançait, l'adolescente se devait de demander des informations au principal concerné : Michael. Celui qui avait disparu, celui qui avait potentiellement survécu. Ce pourquoi Rosalie se trouvait devant le Nautilus, en ce début de soirée du 1er juillet 2017.
Immobile devant la devanture du café, le regard perdu, elle fixait les néons bleutés, n'attendant qu'une seule chose : voyager à travers l'espace-temps et atterrir en 1987 afin de mener à bien sa mission. Malheureusement, les choses ne se passaient jamais comme on le souhaitait.
Au bout de quelques minutes, Rosalie se rendit à l'évidence : elle n'arriverait pas à passer en 1987 en restant plantée là, devant la façade du Nautilus. Il lui fallait entrer, et ça, c'était une prise de risque supplémentaire. Parce qu'en effet, le dernier voyage avait été difficile. Presque trop douloureux. D'ailleurs, l'adolescente avait eu de la chance. En aurait-elle aujourd'hui ?
Après une lutte intérieure, Rosalie entra finalement dans le café, ferma délicatement la porte derrière elle, et se laissa envelopper par l'empreinte chaleureuse des lieux ainsi que les délicieuses odeurs qui émanaient du comptoir. Il planait d'ailleurs dans l'air comme un doux parfum qu'elle ne saurait définir, mais qui lui donnait appétit. Puis rapidement, d'un coup d'œil très bref, elle balaya la pièce du regard. Mais il n'était pas là. Il fallait s'en douter, c'était logique puisque l'adolescente se trouvait toujours dans le présent. Néanmoins, au fin fond de son être, Rosalie ressentit une pointe de déception. Comme une légère déchirure au niveau de la poitrine. C'était probablement stupide, mais son cœur venait de se serrer. Parce qu'elle était effrayée à l'idée de ne pas y arriver, d'être incapable de résoudre cette histoire, de ne pas être en mesure de sauver Michael. C'est vrai, les voyages étaient bien souvent aléatoires, en dehors de tout contrôle.
— Allez, Rosalie, reprends-toi, se dit-elle pour reprendre contenance. Tu vas y arriver.
L'adolescente se rendit dans l'autre pièce assez vite, ne prêtant aucunement attention aux gens qui l'entouraient et qui discutaient nonchalamment de tout et de rien. Des discussions sans intérêt, loin des préoccupations de Rosalie.
Une fois de l'autre côté, elle finit par s'arrêter devant le piano qui trônait fièrement contre le mur du fond avant de venir poser le regard sur la plaque en forme d'étoile, celle qui rendait hommage à Michael. Ensuite, ne sachant pour quelle raison, elle s'assit à sa place, sur le tabouret en cuir, et elle laissa ses mains caresser les touches du vieil instrument. Puis timidement, avec maladresse et émotion, elle se mit à reproduire la mélodie qu'elle avait en tête à chaque fois. Eternal Flame. Celle qu'elle avait entendu la première fois qu'elle avait mis les pieds à l'intérieur du manoir. Celle qu'elle n'oublierait jamais.
Elle jouait, elle jouait, jusqu'à perdre la notion du temps et de l'espace, jusqu'à oublier pourquoi ou bien comment elle se trouvait en ces lieux. Elle se laissait seulement aller à la musique, jusqu'à ce que finalement, elle ne sente une main se poser sur son épaule, la faisant doucement sursauter. Brusquement, elle s'immobilisa, non sans faire résonner une fausse note, et elle se retourna.
— Bouh ! fit la petite fille qui se tenait là, l'air tout à fait nonchalant, un grand sourire aux lèvres.
C'était Héloïse. C'était Héloïse... ce qui ne pouvait signifier qu'une seule chose... Mais sur l'instant, Rosalie ne réalisa pas qu'elle avait voyagé dans le temps.
— Tu vas bien ? s'enquit-elle ensuite, ne laissant pas le temps à l'adolescente de dire quoi que ce soit.
— Ça va, et toi ?
— Bof, Michael n'est toujours pas arrivé. Tu l'as vu ? Tu sais pas où qu'il est ?
Quand Héloïse prononça le nom de Michael, la réalité heurta l'adolescente de plein fouet. Rosalie comprit qu'elle s'était rendue en 1987 sans même y prêter attention. En effet, le voyage n'avait pas été douloureux ; au contraire, il s'était fait naturellement et en douceur pendant qu'elle jouait du piano.
— Euh... il n'est pas encore là ?
Ça, c'était tout à fait étrange. La petite fille secoua la tête pour simple réponse.
— Mais tu es là depuis combien de temps ? s'enquit soudain Rosalie.
Et si la petite Héloïse l'avait vue débarquer à l'improviste, tout droit venue du futur ?
— J'attends Michael au comptoir avec Tati depuis tout à l'heure. Du coup j'suis venue quand j'ai entendu le piano. J'pensais pas te trouver là, j't'ai pas vue rentrer.
— Haha, je me suis faufilée, expliqua Rosalie en faisant un vague geste de la main droite.
— Tu te faufiles souvent alors, fit remarquer la fillette avec un sourire.
Elle n'avait pas réellement tort.
— C'est mon pouvoir magique, plaisanta Rosalie en regardant tout autour d'elle.
Et ça non plus, ce n'était pas totalement faux.
*
Finalement, Michael arriva une demie heure plus tard. Il déposa ses affaires dans le bureau qui se trouvait derrière le comptoir du bar et alla se changer. Quand il revint, il portait sa marinière et son pantalon bleu marine tout en arborant ce même sourire qui le caractérisait tant. Ce dernier s'agrandit d'ailleurs quand le garçon aperçut Rosalie. Celle-ci tenait sa veste entre ses mains, l'attendant de pied ferme avec Héloïse. L'adolescente souriait également, mais elle était incroyablement nerveuse. Elle savait qu'aujourd'hui était le moment des révélations. Elle se devait de poser des questions à Michael. Et lui devait y répondre. Il fallait que l'enquête avance. Pour de bon. C'est vrai, pour l'instant Rosalie avait la terrible impression de faire du sur-place, de voyager dans le passé, mais de ne pas en profiter suffisamment... Elle perdait du temps. Et ces secondes, ces minutes, toutes irrécupérables, lui filaient entre les doigts.
— Salut ! prononça Michael quand il fut près d'elle.
Il était ravi de la voir ce soir-là.
— Comment ça va ? s'enquit-elle.
Le garçon haussa les épaules :
— Comme d'habitude.
Il avait l'air tout à coup légèrement empli de tristesse. Rosalie remarqua ce soudain changement d'attitude et d'expression du visage alors qu'il se reprit, l'air de rien, avec un nouveau sourire. Néanmoins, celui-ci était loin d'être authentique.
— Et toi ? demanda le garçon, sûrement pour détourner son attention.
— Comme d'habitude, répondit Rosalie.
C'est à ce moment précis qu'elle remarqua un hématome sur la peau halée du garçon. Sur son avant-bras gauche. Surprise, mais aussi troublée, elle ne sut quoi en penser.
— Je ne sais pas si j'apprécie ton humour, lui avoua ensuite Michael.
Il se tourna ensuite vers Héloïse dont il ébouriffa les cheveux, s'ensuivit alors un long « eh » réprobateur de la part de la fillette.
— Bon, c'est pas tout, mais je suis de service.
Ça, Rosalie l'avait presque oublié.
— On se parle tout à l'heure si tu veux, lui souffla-t-il avant de tourner les talons.
L'adolescente n'eut même pas le temps de répondre par l'affirmative qu'il était déjà parti prendre les commandes des nouveaux clients. C'est bizarre, se dit-elle ensuite, il paraît distant...
Rosalie se tourna ensuite vers Héloïse et sembla réfléchir à un moyen de tuer le temps. Elle avait peur de rester assise sans rien faire. Elle avait peur de l'attente. En effet, elle craignait de retourner au temps présent, en 2017, sans qu'elle ne puisse y faire quoi que ce soit. Il lui fallait donc trouver quelque chose à faire. Il fallait qu'elle se consacre à quelque chose.
— Et si on s'occupait de tes devoirs ? proposa-t-elle, pensant qu'il s'agissait là de la meilleure idée au monde.
L'heure avançait à un rythme lent et régulier sur le cadran de la montre de Rosalie, montre qu'elle avait achetée quelques jours auparavant pour le bien de son enquête. Dans de telles circonstances, il semblait évident qu'il valait mieux avoir un œil rivé sur le temps qui passe. Toujours. Ainsi, Rosalie comptait les minutes depuis son arrivée en 1987. Précisément quatre-vingt-dix-neuf s'étaient déjà écoulées.
Dans la pièce secondaire, accoudée à une table quelconque aux côtés d'Héloïse, Rosalie aidait cette dernière à finaliser ses devoirs pour le lendemain. Il passait en même temps un discours à la télévision, télévision qu'elle n'avait jusque-là aucunement remarquée. Il s'agissait du président Ronald Reagan, élu en 1981, et de son discours du 12 juin 1987 à Berlin, face au terrible mur qui séparait l'Est de l'Ouest durant la Guerre Froide. L'adolescente ne l'écoutait que partiellement, se souvenant l'avoir étudié en cours d'histoire au lycée. Ainsi, elle ne saisissait que quelques bribes, des phrases entrecoupées, certaines dont elle ne comprenait parfois pas le sens... « Nous accueillons le changement et l'ouverture ; parce que nous croyons que la liberté et la sécurité vont de pair, que le progrès de la liberté des hommes ne peut que servir la cause de la paix. »
— Tu penses que la guerre sera bientôt terminée ? demanda tout à coup Héloïse, le regard rivé sur la télévision.
Rosalie ne savait aucunement comment lui répondre. Comment lui dire que la guerre était elle aussi éternelle, intemporelle ? Qu'elle connaît certes un début, mais aucune fin ?
— Bien-sûr, répondit-elle tout de même. Mon petit doigt me dit qu'il ne reste pas très longtemps à attendre.
Ce n'était pas faux si l'on considérait que la Guerre Froide prendrait fin en 1991 ou en 1989 avec la chute du mur de Berlin.
« Monsieur le Secrétaire général Gorbatchev, si vous voulez la paix, si vous voulez la prospérité de l'Union soviétique et de l'Europe de l'Est, si vous voulez la libéralisation, présentez-vous à cette porte ! Monsieur Gorbatchev, ouvrez cette porte ! Monsieur Gorbatchev, abattez ce mur ! »
— Mais il y en aura d'autres ?
— Ça, il n'y a que l'avenir qui pourra nous le dire, tu sais.
— J'aime pas la guerre. Y a trop de gens qui meurent, ajouta la fillette tout en fermant ses cahiers. Ah... si seulement on pourrait voyager dans le temps pour les empêcher...
— Si on pouvait, la reprit doucement Rosalie, tu sais, les « si » n'aiment pas les « rais ». Mais tu as raison, si seulement on pouvait changer le cours des choses...
Si seulement elle savait...
*
Je vous souhaite à toutes et à tous une très bonne année !
J'espère que vous allez bien, que vous avez été gâté(e)s à Noël et que vous avez passé d'excellentes fêtes de fin d'année !
Je suis de retour avec le vingt-neuvième chapitre de Timeless et j'espère qu'il aura su vous charmer !
Michael est légèrement plus distant... Pourquoi à votre avis? Et pourquoi a-t-il un bleu sur son avant-bras ?
J'ai hâte de savoir ce que vous en avez pensé !
Je vous embrasse très fort ♥
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