27
Rosalie courait.
C'était une course contre la montre, une course contre le temps. D'autant plus que le tic-tac des horloges semblait vouloir lui rappeler qu'elle ne pouvait rien contre lui. En effet, les aiguilles du temps tournaient inexorablement sur le cadran et leur cri victorieux résonnait sans arrêt aux creux des oreilles de l'adolescente. Tu n'y arriveras pas, soufflaient les horloges, tu ne le sauveras pas.
Et puis Rosalie se réveillait, en pleine nuit, les yeux humides, se répétant mentalement qu'elle avait tort d'y croire avec autant d'ardeur. Cependant, quand le soleil se levait, il chassait doucement les étoiles comme il chassait ses craintes. Ses espoirs semblaient ainsi renaître avec lui. L'adolescente songeait alors au fait qu'elle était dotée de son pouvoir pour une raison - et que cette raison tenait en sept lettres : Michael. En effet, si son pouvoir ne pouvait pas sauver les Roswell, alors à quoi servait-il ?
Aujourd'hui, comme Rosalie se sentait un peu mieux, elle décida d'accompagner sa mère au manoir afin de continuer à le vider. Enfin, il faut avouer que Kristen ne lui laissa pas vraiment le choix ou bien le temps de refuser. Depuis quelques jours, les rangements se faisaient au ralenti et il fallait y remédier au plus vite. La mise en vente de la propriété ne devait pas être reculée.
Avant de partir, alors qu'elle était pressée, l'adolescente marqua un temps d'arrêt dans sa chambre, face à son calendrier mural. D'un coup d'œil, elle s'assura du jour qu'il était et soupira en réalisant qu'il ne lui restait plus que soixante jours avant le terrible « drame Roswell ». Soixante... ça lui paraissait si long et si dérisoire en même temps. Mais ça devait être suffisant. Pour comprendre, pour empêcher que les mêmes évènements ne se produisent... oui... il fallait que ça soit suffisant. Sinon, elle ne se le pardonnerait pas. Ce serait sa faute. Et elle s'en voudrait toute sa vie.
Je te sauverai, pensait Rosalie. Et comme pour matérialiser sa détermination, elle fouilla dans sa trousse - qui traînait quelque part sur son bureau - et prit un feutre noir afin d'écrire le décompte sur sa peau, sur son poignet gauche. C'était peut-être ridicule, mais elle en avait besoin. C'était comme se dire : « voilà le temps qu'il me reste. »
Dans la voiture, le silence était de mise. Rosalie était plongée dans ses pensées et Kristen restait muette, bien trop focalisée sur la route. La mère et la fille se ressemblaient beaucoup. Si l'une ne parlait pas, l'autre ne prononçait pas un mot également. Il faut dire qu'elles n'étaient toutes les deux pas à l'aise avec les conversations, surtout si elles n'étaient pas foncièrement utiles. Et puis, quand le silence durait trop longtemps, il était bien difficile de le briser. Toutefois, trop accablée par le fil de ses pensées, Rosalie ne put rester silencieuse une minute supplémentaire. Au moment où la voiture s'immobilisa devant le portail du manoir, elle posa finalement la question qu'elle gardait en tête depuis un moment :
- Tu penses qu'il a pu les tuer ?
Kristen coupa le contact et son regard se posa sur sa fille :
- Qui ça ?
- Jonathan Roswell. Tu crois qu'il a pu les tuer ?
Quand l'agente immobilière comprit à quoi Rosalie faisait allusion, elle haussa les épaules :
- C'est ce qui se dit... et c'est ce que j'ai toujours cru.
Mais la réponse était loin de contenter l'adolescente qui savait au fond d'elle que sa mère pouvait lui en apprendre davantage.
- En vérité, je ne sais pas, reprit Kristen en se grattant doucement le menton, signe qu'elle réfléchissait. On dit beaucoup de choses sur le manoir et sur ce qui s'est passé à l'époque.
- Mais c'est possible ? insista Rosalie, brûlant de savoir ce que pensait sa mère de toute cette histoire.
Peut-être qu'elle pourrait lui donner quelques pistes...
- Oui... je suppose.
L'adolescente se remémora la transcription de l'appel émis le jour du drame et ne put s'empêcher d'imaginer Jonathan menacer sa femme et son fils avec une arme à feu. Dans sa tête, elle croyait même entendre la voix d'Elizabeth - celle-ci criait à l'aide...
- Mais pourquoi est-ce que tu veux savoir tout ça ? C'est encore à cause de ton père ?
Cependant, Rosalie n'avait nullement besoin de formuler sa réponse à haute voix pour que Kristen en fut convaincue. Alors une fois qu'elles furent toutes les deux descendues de la voiture, elle reprit la parole :
- Je sais que t'adores t'occuper avec ce genre de choses, Rosalie, mais tu ne devrais pas prendre les choses trop à cœur. Cette affaire a été classée sans suite, tu sais. Tu ne trouveras sûrement jamais les réponses que tu attends. Le mieux que tu puisses faire, c'est de te concentrer sur autre chose. Oublie le manoir, oublie la famille Roswell. Bientôt, tu n'en entendras plus parler.
Comme si elle savait... comme si elle savait que soixante jours plus tard, tout sera fini.
Seulement, quelque part, Rosalie ne pouvait pas accepter une telle requête, même si elle venait de sa mère. Et à la simple pensée d'abandonner ses recherches, d'arrêter de voyager dans le temps, son cœur se serra. Elle sentit un poids compresser sa poitrine, amoindrissant ses réserves d'air, si bien qu'elle voulut crier au monde entier qu'elle n'arrêterait pas - qu'elle ne manquerait pas à sa promesse. Non, elle ne pouvait pas oublier. Ni le manoir, ni la famille Roswell. Dire au revoir à Michael lui serait bien trop douloureux.
L'adolescente acquiesça tout de même d'un hochement de tête, elle ne voulait pas froisser sa mère.
- Mais bon... tu es aussi têtue que ton père. Si tu as quelque chose en tête, tu ne m'écouteras pas et je le sais très bien, concéda Kristen avec un soupir.
Rosalie ne put s'empêcher de sourire. Cependant, il s'effaça très vite. En effet, l'effroyable mal de tête qui avait commencé à attaquer son crâne au moment où sa mère avait éteint le moteur de l'Audi s'amplifiait de minutes en minutes.
Elle savait ce que ça signifiait.
- Alors si tu tiens tant à avoir des réponses à tes questions, je te conseille d'en parler à tes grands-parents, ils sauront t'aiguiller mieux que personne. Et en plus, on va manger chez eux demain midi.
Et sur ces mots, Kristen franchit le portail du manoir, plusieurs cartons sous le bras. Derrière elle, légèrement hésitante, Rosalie n'osait pas la suivre. L'adolescente savait pertinemment que ça allait recommencer. Et depuis qu'elle faisait face aux grilles du manoir, elle avait peur. Ce n'était pas tant qu'elle craignait de faire un autre voyage, c'était plutôt qu'elle appréhendait les vertiges, les douleurs ; en somme, tout le mal que son pouvoir lui causait. Et puis, si sa mère se rendait compte de son absence, ou si elle commençait à se méfier, Rosalie aurait des problèmes. Enfin, plus le temps passait, et plus elle se disait qu'elle risquait de bouleverser le continuum espace-temps de la pire façon qu'il soit. Et ça, ça la terrorisait également.
- Tu viens ? demanda soudain sa mère après s'être retournée, impatiente d'en finir avec le manoir.
Cependant, la voix résonna étrangement à ses oreilles. Comme un écho, elle lui parût lointaine, faisant froncer les sourcils de l'adolescente. Ce n'était pas normal. La vue de Rosalie se brouilla ensuite, le monde tournoyait presque autour d'elle. Les couleurs semblaient se mélanger, tantôt le soleil brillait, tantôt les nuages le remplaçaient.
Comme si... Rosalie avait déjà un pied en 1987. C'était d'ailleurs une sensation bien étrange que d'avoir l'impression d'être entre deux mondes, de se tenir entre deux époques différentes. Et ce serait mentir si elle disait qu'elle appréciait ce nouveau symptôme issu de ses voyages dans le temps ; car ce manque cruel de contrôle contribuait à la tuer à petit feu.
Par miracle, l'adolescente réussit à articuler une vague réponse et fit quelques pas en avant, suivant difficilement sa mère. Elle essayait de tenir bon, de rester ancrée dans la réalité, dans l'instant présent. Elle ne voulait pas se rendre dans le passé, pas maintenant, pas tant que sa mère était avec elle.
En même temps, afin de se rassurer, elle songeait qu'il y avait des chances que le voyage ne se produise pas, après tout. C'est vrai, ça s'était déjà produit auparavant. Les symptômes étaient pourtant là, mais il ne se passait rien. Seulement, c'était si rare qu'elle ne comptait pas énormément dessus.
Néanmoins, quand Rosalie fut à la hauteur du portail, elle se sentit tout à coup tomber dans le vide, comme happée par une force inconnue. Seulement, elle se tenait encore sur ses deux jambes. Elle voulut crier, mais le souffle coupé, elle n'y parvint pas.
Elle ferma les yeux pour les rouvrir l'instant d'après.
Sa mère n'était plus là.
- Respire, ça va aller... Tu vas bien, se dit alors l'adolescente pour se rassurer.
Mais les vertiges, eux, étaient toujours présents. Rosalie voulut avancer d'un pas, mais se retrouva toute vacillante. Elle ferma de nouveau ses paupières, se tenant à une barre du portail.
- Tout va bien ?
La voix de sa mère lui parût bien plus distincte que précédemment.
Je suis dans le présent ? se demanda Rosalie tandis qu'elle rouvrait les yeux. Apparemment, oui...
Elle hocha ensuite la tête pour répondre à la question de sa mère et se rendit compte que Kristen la regardait, inquiète.
- Juste un petit vertige, rien de bien méchant, essaya-t-elle de se justifier alors.
Sa mère arqua un sourcil, légèrement méfiante, mais ne releva pas quand Rosalie s'avança pour marcher à ses côtés. De toute façon, l'adolescente ne lui aurait rien dit.
Plus tard dans l'après-midi, la mère de Rosalie s'absenta à cause d'une petite urgence qui survint à l'agence. Kristen laissa donc sa fille seule dans la grande demeure des Roswell et lui promit de rentrer le plus vite possible. Seulement, elle n'avait pas conscience qu'elle rendait là un grand service à Rosalie qui désirait être seule pendant un moment.
En effet, l'adolescente souhaitait s'entraîner avec son pouvoir et savoir si oui ou non, elle pouvait contrôler ses voyages dans le temps. Elle savait au fond d'elle que c'était possible, qu'elle finirait par comprendre le mécanisme de son « don » et qu'elle arriverait à le maîtriser. Ce n'était qu'une question de temps. Seulement, du temps, elle en avait, mais pas suffisamment.
Ainsi, l'heure qui suivit fut intense.
Rosalie, debout sur le perron à l'extérieur du manoir, tentait de faire un voyage. Cependant, un problème majeur se posait : les symptômes ne voulaient guère se montrer. Aucun mal de tête, aucun vertige... Et ils semblaient impossible à provoquer.
Comment faire, alors ?
Rosalie redoubla d'efforts, ses pensées tournées vers la seule et même idée : voir Michael. Néanmoins, ça ne fonctionnait toujours pas. L'adolescente alla même jusqu'à sortir de la propriété Roswell pour faire face au grand portail. C'était l'endroit le plus symbolique à ses yeux et, par ailleurs, là où tout avait commencé.
Rosalie ferma les yeux, essaya de visualiser le manoir de 1987 : la balançoire loin d'être rouillée à l'époque, les arbres joliment fleuris, la charmante façade sans ses lierres... Mais à chaque fois qu'elle soulevait les paupières, rien n'avait changé. Rien n'avait bougé.
- C'est pas possible ! soupira-t-elle vivement agacée. Pourquoi ça ne fonctionne plus ?
Aussitôt, de nouvelles pensées, plus vicieuses que toutes les autres, prirent racine dans l'esprit tourmenté et fatigué de Rosalie :
Et si son pouvoir ne pouvait pas être contrôlé ? Et si elle ne pouvait pas être présente le jour du drame et qu'elle n'arrivait pas à sauver Michael ?
Est-ce que c'est de cette façon que les choses doivent se passer, finalement ?
*
Bouuuh, désolée de l'attente pour ce chapitre ! J'ai vraiment été débordée :(
En tout cas, j'espère que vous aimez toujours !
Sachez aussi que j'ai adoré lire vos théories ! Certain-e-s d'entre vous se rapprochent beaucoup de la vérité, c'est fou !
Pensez-vous que Rosalie arrivera à sauver Michael ?
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