9 - La fouineuse

SOL

Installé sur le rebord de la fenêtre, je lève les yeux de mon laptop pour la première fois depuis plusieurs heures avant de jeter un regard circulaire à la chambre. A cette heure tardive, elle est seulement éclairée par les doux rayons lunaires qui me tiennent compagnie. Cette pensée m'amène à poser mes yeux sur ma lune à moi qui pionce paisiblement sous la couette. Une pensée en entraînant une autre, les réminiscences de cette journée passée en compagnie de sa famille me reviennent en tête.

J'appris que chez eux, Thanksgiving se célébrait de l'aube au crépuscule. Chaque couple ayant amené de la nourriture en plus de ceux de Janet, la table de la salle à manger débordait de bouffe variée que chacun pouvait déguster à sa guise durant toute l'après-midi. Le sort de la dinde, lui, fut scellé au dîner. Ça s'est toujours passé ainsi paraît-il afin que Luna, végétalienne, puisse profiter de sa famille et s'éclipser juste avant le carnage.

Après avoir quitté la cuisine de Janet, nous ne cessâmes d'échanger avec les uns et les autres. Aussi, sautai-je sur l'occasion lorsque Luna suggéra de me montrer sa chambre d'enfant. Ce n'était pas que j'avais un souci avec l'attention constante de sa famille. Au contraire, j'apprécie beaucoup cet esprit de cohésion qui y règne. En tant que seul rejeton de parents eux aussi enfants uniques, j'ai toujours envié les familles nombreuses. Seulement, avoir l'exclusivité de la présence de ma magicienne commençait sérieusement à me manquer. Nos retrouvailles étant trop récentes, j'ai un besoin constant et urgent de la savoir toute à moi. Lui tenir la main ne me suffisait plus. Et je ne parle même pas de la gaule qu'elle provoquait dans mon futal chaque fois que je posais les yeux sur ses foutues chaussettes. Une seule idée m'obnubilait depuis qu'elle les avait mis ce matin : les enlever. Conclusion, dès que nous passâmes la porte de sa chambre d'enfant, je la saisis par le poignet pour l'attirer contre moi et l'embrasser avec une fougue à laquelle elle répondit favorablement la seconde suivante. Une frénésie aussi soudaine qu'enivrante nous posséda, accentuée par le fait d'entendre le bavardage de toute sa smala juste derrière la baie vitrée et les rideaux tirés qui nous séparaient du patio. Notre union se fit certes en sourdine – nos gémissements et nos cris étouffés par nos lèvres scellées – mais surtout pressante, ardente, bestiale. Une fois momentanément repus de cette faim inextinguible que nous avons l'un de l'autre, nous prîmes une douche ensemble avant de rejoindre les autres. Ce qui ne sembla échapper à personne. Nous eûmes même droit à l'une des blagues salaces de Holly. Heureusement, Janet nous sauva en indiquant que l'heure du dîner approchait. Je prévins Sean de notre départ imminent afin qu'il vienne nous chercher. C'est ainsi que juste après l'Action de Grâce* – durant laquelle Luna et moi exprimâmes notre reconnaissance pour nos retrouvailles – nous prîmes congés de nos hôtes et de leurs invités. Le seul regret qu'eut Luna concernant cette journée riche en émotions fut de n'avoir pas pu avoir sa grand-mère sur Skype à cause du réseau capricieux.

Une fois rentrés à l'appart, les mains chargées de la nourriture que Janet nous avait ordonné d'emporter, je raccompagnai Sean jusqu'au hall de l'immeuble et non jusqu'à la voiture pour éviter les paparazzi toujours campés devant. En remontant, je trouvai Luna endormie sur le canapé. A peine ouvrit-elle ses paupières quand je la pris dans mes bras pour aller la coucher. Après l'avoir déshabillée, lui laissant seulement ses chaussettes bandantes et sa culotte, je lui portai tant bien que mal l'un de mes tee-shirts. Je défis ensuite sa tresse pour étaler ses magnifiques boucles d'or ondulées sur l'oreiller. Muni par la suite de son produit démaquillant et de son paquet de coton en disque, tout en essayant de me souvenir de ses gestes quand c'est elle qui le fait, j'effaçai toute trace de maquillage de ses traits parfaits. Je terminai ma mission « coucher de Luna » en la bordant.

Une fois troqué mes vêtements du jour contre un pantalon de jogging gris et un sweat noir, je filai ranger la nourriture avant de me faire du café. Aussi crevé que mon astre, j'en avais besoin pour tenir. Car cette nuit serait consacrée à mettre par écrit la promesse que je lui avais faite dans la voiture un peu plus tôt : aider les familles sans abris à célébrer des fêtes de fin d'années dignes de ce nom. Je comptais bien lui faire la surprise au matin alors autant m'y atteler le plus vite possible. De plus, mettre ce projet sur pied m'aiderait à rester actif donc à repousser toute envie de me shooter. Ce qui n'est pas négligeable, n'est-ce pas ?

Les yeux toujours rivé sur elle, je m'étire alors qu'un bâillement me surprend. Juste à ce moment-là, je vois ma magicienne bouger et tendre le bras vers mon côté du lit. Elle recherche mon contact, même dans son sommeil. En être le témoin oculaire m'arrache un sourire mi-amusé, mi-ému. Aussi, ne suis-je pas même pas étonné de voir ses prunelles lourdes de sommeil s'ouvrir. Je la laisse constater mon absence dans le lit, puis me chercher dans la pénombre jusqu'à ce que nos mirettes se croisent. Son air légèrement paniqué fait rapidement place à un sourire apaisé.

— Je ne te quitterai plus poppet, la rassuré-je dans un murmure.

Comprenant que ces quelques mots lui expliquent qu'elle n'a plus à craindre de me perdre, elle répond simplement d'une voix rendue rauque à cause du sommeil :

— Je sais.

La voyant repousser la couette dans l'intention manifeste de venir vers moi, je l'arrête :

— Non ! Reste couchée.

— Alors, reviens près de moi, se plaint-elle.

J'aime voir son nez en trompette se retrousser quand elle fait mine de bouder.

— Accorde-moi une quinzaine de minutes et tu m'auras tout à toi.

— Mince, j'ai complètement oublié de me démaquiller. Je dois ressembler à une chouette...

— T'inquiète, c'est fait, assuré-je tout fier.

— C'est toi qui... ? demande-t-elle interdite.

— Yep ! Pourquoi ça te surprend ?

— Bah parce que je suis peut-être une novice en matière de relations amoureuses, mais je n'ai jamais entendu ni mes cousines ni mes amies relater un fait similaire.

— Alors réjouis-toi poppet d'avoir trouvé l'homme idéal.

Cette réflexion nous fait pouffer. Elle semble enfin remarquer l'ordinateur posé sur mes jambes.

— Que fais-tu ?

— Désolé mais tu ne sauras rien avant le lever du jour. C'est une surprise, ajouté-je en lui faisant un clin d'œil.

Aussitôt, je vois l'éclat de la curiosité briller dans le ciel bleu de ses iris. Avant qu'elle n'émette un seul mot, je l'interromps d'un ton résolu :

— N'essaie même pas de l'ouvrir pour en savoir plus. Je ne te dirai rien.

Elle paraît d'abord déçue. Heureusement pour moi, la fatigue semble la plus forte parce que ses paupières se referment tandis qu'elle murmure :

— Ça a un rapport avec la visite qu'on doit rendre à tes potes demain ?

En effet, alors que nous rentrions de chez ses parents, j'ai demandé à Sean de prévenir les mecs que j'irais à mon appartement avec Luna pour la leur présenter et qu'ils avaient tous intérêt à être présents.

— Il se pourrait bien oui, réponds-je énigmatique. Maintenant, chut ! Fais dodo.

Quelques instants plus tard, le dernier point de mon rapport écrit, je ferme mon ordi avec un sourire satisfait avant de filer retrouver ma place auprès de ma lune.

La nouvelle journée est déjà bien entamée quand l'odeur du bacon d'aubergine me réveille. J'ouvre les yeux pour voir Luna, assise sur le lit, les sourcils froncés, visiblement en train d'essayer de pirater mon laptop placé sur ses belles gambettes.

— Ferme cet ordi, espèce de sale fouineuse, m'écrié-je, un rire dans la voix.

Sans une once de honte d'avoir été prise sur le fait, non seulement elle me tire la langue mais en plus, elle ose prendre un air indigné :

— Je suis franchement déçue ! Mon prénom n'est pas ton mot de passe ? Sérieux ?

— Ah ! Parce que Sol est le tien peut-être ? ironisé-je.

Toute autre personne aurait abandonné l'affaire. Mais pas mon entêtée de petite-amie qui change de tactique. Refermant l'appareil pour le mettre près du plateau de p'tit dej installé au pied du lit – manifestement à mon intention – elle me fait des yeux de merlans frits pour espérer me faire plier.

— Allez mon cœur, s'il te plaît, dis-moi, c'est quoi cette surprise ?

— Ah non sorcière, n'essaie pas de me corrompre, déclaré-je en sautant du matelas pour la fuir.

Juste avant de fermer la porte de la salle de bain à clé, je lui dis, mesquin :

— Tu sauras tout dans pas longtemps, alors patiente.

Je l'entends émettre un grognement de frustration. Ce à quoi je réponds en riant :

— Moi aussi je t'aime ma lune.

Environs une heure plus tard, c'est douchés, habillés chaudement et le petit-déjeuner avalé goulûment que nous nous engouffrons à l'arrière de la voiture. Evidemment, elle et Sean ne cessent durant tout le trajet de me tirer les vers du nez mais je reste muet tout en les narguant avec un sourire guilleret.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top