6 - Mon rail à sniffer
LUNA
La sensation que j'éprouve en ouvrant les yeux est indescriptible. Le soleil matinal caresse mon visage de ses doux rayons. C'est la première fois que cela m'arrive depuis je suis rentrée aux Etats Unis. D'habitude, je me réveille avant l'aube, profitant un instant du silence pour méditer avant que le quartier ne s'éveille. Mais aujourd'hui, une telle paix intérieure m'habite que j'ai dormi plus que de raison. Et évidemment, le responsable de cette sérénité absolue n'est autre que l'homme contre lequel je suis paresseusement blottie. Un élancement à l'aine amène un sourire à mes lèvres. Mon rêve absolu s'est réalisé cette nuit : je me suis offerte corps, cœur et âme à l'homme de ma vie. Et ce moment unique a été au-delà de mes espérances ! Il a été doux et fort, tendre et fougueux, maladroit et passionné. Mon soleil, mon magicien, mon homme !
Je m'oblige à m'extirper lentement du lit pour ne pas le réveiller. Ramassant le pull qu'il portait la veille, je le mets pour compléter ma tenue sommaire composée que de mes chaussettes. Je pourrai ainsi conserver son odeur singulière et avoir un peu de lui lorsque j'irai dans la cuisine. Je sens que ce geste deviendra vite une habitude, me dis-je en refrénant un gloussement. Après un tour dans la salle de bain adjacente, je reviens dans la chambre avec l'intention de nous préparer un petit déjeuner à lui envoyer au lit. Juste avant de fermer doucement les portes coulissantes qui séparent la pièce du reste de l'appartement, je ne peux m'empêcher de le contempler encore. Emerveillée, j'observe attentivement mon âme-sœur. Seul son visage est hors de la couette. Son air paisible, ombragé par sa barbe de plusieurs jours, le rend encore plus canon. Je n'ai jamais vraiment eu d'attirance pour les hommes bardés de tatouages et de piercings. Et pourtant, je chéris ces dessins indélébiles qui parsèment sa peau, surtout depuis que je connais la genèse de l'histoire de chacune d'elles. Je trouve super sexy les boucles qu'il a à l'arcade sourcilière, sur le nez et sur le tragus. Je me surprends même à apprécier les écarteurs qui ornent ses lobes d'oreilles.
— L'amour rend aveugle paraît-il, murmuré-je amusée.
Installée derrière le comptoir de la cuisine américaine, je termine la préparation du coulis de chocolat pour les pancakes et les gaufres que j'ai faites quand j'entends les battants s'ouvrir. En levant la tête, j'aperçois mon magicien seulement vêtu d'un pantalon de survêtement et de socquettes noirs. J'aime de plus en plus ses piercings aux tétons. Inconsciemment, il me séduit de sa démarche désinvolte. Ce mec a un charisme de malade et il ne s'en rend même pas compte !
— Oh non ! m'écrié-je d'une voix boudeuse. Tu m'as gâché ma surprise. Je devais t'apporter le p'tit dej' au lit.
— Désolé poppet mais ton absence m'a réveillé.
Lorsqu'il arrive devant moi, il me soulève par la taille pour me faire assoir sur le bar. Les muscles de ses épaules nues ondulent sous l'effort. J'écarte les jambes afin qu'il puisse se mettre entre mes jambes avant de les croiser dans son dos. Il m'enlace et je pose mes bras autour de son cou. Tout en frôlant mes lèvres avec les siennes, il chuchote :
— Je peux faire quelque chose pour me faire pardonner ?
— Hum...Y a toujours moyen de négocier.
Il sème des baisers furtifs sur ma bouche dans un premier temps. Il l'effleure de la sienne, la taquine de ses dents, la tente de sa langue chaude réveillant en moi les vestiges du feu qui nous a consumés dans la nuit. Il m'aguiche ainsi jusqu'à ce qu'un gémissement de frustration m'échappe. Comme s'il guettait ce signal, il prend soudainement possession de ma bouche dans un baiser aussi fougueux que possessif, y laissant au passage le goût mentholé de ma pâte dentifrice. Lorsqu'il la délivre enfin de ses assiduités, nous sommes essoufflés et frémissants.
— Alors, demande-t-il, excuses acceptées ?
— Carrément ! Le souci, c'est que maintenant, je suis frustrée.
Il émet un rire communicateur. Me laissant ensuite un bécot sur le bout du nez, il glisse ses mains sous le pull et effectue de légères caresses du bout des doigts dans le creux de mon dos. Mille fourmis courent le long de ma colonne vertébrale.
— Tu vas me piquer mes fringues encore longtemps comme ça ? interroge-t-il.
— Bien sûr ! Tout ce qui est à toi est à moi mon cœur et vice et versa.
— Ça te va bien de dire ça ! Moi je ne peux pas mettre les tiens sans risquer de les déchirer.
— Chéri, tu ne peux pas les mettre tout court.
Nous éclatons de rire en l'imaginant dans mes vêtements féminins et trop petits pour lui. Il jette un regard aux mets posés près de moi.
— Alors, qu'avons-nous au menu ?
— Vu que j'ignore ce que tu prends en général, j'ai préféré te donner du choix. Tout d'abord, que serait un petit déjeuner anglais sans porridge, n'est-ce pas ? le taquiné-je en lui présentant la bouillie de flocon d'avoine.
Ce qui le fait sourire. Je reprends :
— Je l'ai fait avec du lait de soja. Là, tu as un panier des fruits frais que tu as achetés hier. Je te conseille d'ajouter quelques fraises et tranches de kiwi au porridge. C'est super bon !
Il lève un sourcil mi-moqueur mi amusé devant mon enthousiasme.
— C'est noté ! Autre chose ?
— J'ai aussi fait des gaufres et des pancakes végétaliens sur lesquels tu pourras verser le chocolat. Enfin, tu as du bacon d'aubergines, du jus d'orange fraîchement pressé, du café, du chocolat chaud et du thé ! terminé-je toute fière.
— Waouh ! Ma magicienne a encore fait des merveilles, me félicite-t-il en m'embrassant brièvement.
J'effectue un mouvement pour descendre mais il me retient.
— Non ! Reste comme ça, me prie-t-il, une lueur coquine dans ses prunelles troublantes.
Intriguée, je l'observe prendre un haut tabouret pour venir s'asseoir entre mes jambes. Ainsi, nous sommes presqu'à la même hauteur.
— T'ai-je dit que ces chaussettes étaient super sexy ? m'informe-t-il.
— Merci, minaudé-je en posant mon pied droit sur son torse nu. Dis Sol, as-tu déjà pris ton petit déjeuner d'une manière moins...conventionnelle ?
Nos iris ne se quittent plus. Les siens sont si brûlants que je sens mes entrailles prendre feu pour de bon. Saisissant ma cheville, il fait lentement remonter sa main droite le long de ma jambe pour l'insérer ensuite sous le pull.
— Pourquoi ? Tu aurais d'autres projets à me proposer ?
Le désir rend sa voix plus rocailleuse. Plongeant mon majeur dans la sauce chocolat sans même détourner les yeux, je l'amène à ma bouche pour le sucer entièrement.
— Je me disais juste que faire l'amour dans une cuisine est l'un de mes fantasmes. Et puis, pour apprendre, rien de mieux que la pratique régulière, non ?
— Mais tu n'as pas mal ? demande-t-il avec une lueur d'inquiétude dans le regard.
Il pose délicatement sa paume fouineuse sur mon bas-ventre nu pour me faire comprendre sa question. Je mets alors mes doigts sur les siens par-dessus le vêtement en souriant.
— Bébé, aucune douleur ne pourrait m'empêcher de revivre l'extase que j'ai connue entre tes bras cette nuit.
— Tu es sûre ? insiste-t-il.
Son pouce taquine doucement la légère toison qui protège mes lèvres intimes. Je me mords la lèvre. Il perçoit certainement le tressaillement de mon aine. J'acquiesce fébrilement de la tête.
— J'avoue avoir anticipé vos désirs les plus inavouables mademoiselle, confesse-t-il en brandissant un préservatif sorti de sa poche.
Un rire tremblant m'échappe. Je me penche vers son visage pour murmurer, mutine :
— Alors qu'attendez-vous monsieur ?
Il emprisonne mes lèvres entre les siennes dans un baiser gourmand tout en fourrageant dans mes cheveux de ses doigts gauches pendant que son autre main prodigue des caresses débridées à l'intérieur de ma fente déjà bien humide.
Mon magicien susurre d'une voix troublée :
— Je veux te toucher...là.
Et je sens son majeur me pénétrer délicatement pendant que son pouce joue avec mon clitoris sensible. Une plainte m'échappe. Mon souffle se fait plus rapide et mes hanches vont instinctivement à sa rencontre.
— Je veux t'admirer.
De sa paume, il me pousse en arrière, m'obligeant à m'appuyer sur les coudes. Il retrousse le pull et se penche vers mon entrejambe.
— Je veux faire de ton arôme mon rail à sniffer.
Son souffle chatouillant mon pubis associé à ses doigts en moi me font mouiller plus que nécessaire.
— Je veux faire de ton goût ma came.
Sa langue est douce et chaude entre mes parois. Cette nouvelle sensation est exquise. Je crois défaillir quand il referme ses lèvres sur mon bouton turgescent dans l'intention manifeste de le sucer.
— Oh Seigneur ! crié-je.
Durant l'heure qui suivit, la cuisine fut le témoin involontaire de notre désir exacerbé. Nous nous explorâmes mutuellement, mettant à contribution notre petit déjeuner pour agrémenter nos ébats.
Après une douche plus longue que d'ordinaire passée à se bécoter et à nettoyer nos corps collants et parsemés de miettes, nous voilà frais et dispos pour attaquer cette nouvelle journée.
— J'ai une super idée ! dis-je en sortant de la chambre. On devrait cacher des capotes un peu partout dans la maison. Comme ça, nous en aurons toujours à portée de main.
Puis m'arrêtant brusquement, je lui demande :
— Tu crois que c'est dingue de faire ça ou alors les autres couples font pareils ?
Il m'enlace par derrière en haussant les épaules.
— J'en sais rien poppet. Je te signale que je suis aussi novice que toi sur ce plan là.
— Oui, c'est vrai, gloussé-je.
Une pensée qui me comble de bonheur. Cette star du rock super sexy qui doit certainement en faire rêver plus d'une n'a été et ne sera qu'à moi. Un bruit étouffé venant de dehors attise ma curiosité. Je me dirige vers la fenêtre guillotine qui donne sur la route quand je vois une petite foule d'hommes et de femmes, tous munis d'appareils photos. Les paparazzi ! En riant, je m'écrie :
— Viens voir Sol. La cavalerie est là !
— Pff ces parasites font vraiment chier !
Mon magicien est tout en contraste : il est capable de me charmer avec des phrases d'une beauté sans pareil et la seconde qui suit, il jure comme un charretier. Et j'adore !
— Mes pauvres voisins, grimacé-je. En temps normal, les gens choisissent ce quartier justement pour sa tranquillité.
L'air faussement fataliste, il hausse les épaules.
— Bon bah, puisque nous sommes cloîtrés ici... marmonne-t-il en me reprenant dans ses bras. Nous trouverons bien de quoi nous occuper, n'est-ce pas ? De toute façon, je ne comptais pas me séparer de toi maintenant que je t'ai trouvé. Non, pas tout de suite.
Je me pends à son cou en murmurant :
— Je n'osais pas te le demander. Moi non plus je n'ai envie de rien ni de personne d'autre que toi pour les jours à venir. Je sais que le monde réel finira par nous rattraper. Mais j'aimerais t'avoir rien que pour moi tant que nous le pourrons. Nous avons tellement à rattraper.
— Adjugé ! Il faut juste que je prévienne les mecs afin qu'ils gèrent tout en mon absence.
Une pensée me traverse subitement l'esprit.
— Oh merde ! Kitty va me tuer ! Où ai-je encore mis mon tel ?
Je me mets à fouiner partout pour finalement le trouver sur une étagère. Comme je le craignais, j'ai une vingtaine d'appels en absence. Elle doit trépigner d'impatience pour avoir l'exclu du récit de ma première – et unique – histoire d'amour. Tandis que je compose son numéro, Sol commence à réparer les dégâts laissés dans la cuisine après notre passage. Elle décroche à la moitié de la première sonnerie.
— Mon Dieu ! Une revenante ! ironise-t-elle.
Etouffant un gloussement, j'essaie de l'amadouer.
— Hello cousine chérie. Tu vas bien ?
— N'essaie même pas, d'accord ? Ça ne marchera pas ! Non seulement, hier tu es aux abonnés absents au boulot. Mais il faut en plus que j'apprenne le pourquoi grâce aux réseaux sociaux ! Sérieux ?
— Tu as parfaitement raison. Désolée Kitty mais à vrai dire, ça s'est déroulé si vite... Promis, je te raconterai tout et dans les moindres détails, ok ? Mais là, j'ai vraiment besoin de toi cousine chérie.
Après quelques minutes de supplications et de négociations, elle finit par passer l'éponge. Je raccroche quelques instants plus tard en ayant la satisfaction d'avoir reçu sa bénédiction pour profiter au max de mon Sol pendant qu'elle s'occupe de notre start-up.
Laissant une cuisine nickel, celui-ci vient me rejoindre sur le canapé. Automatiquement, je me blottis contre lui.
— C'est ta cousine, c'est ça ?
— Oui. C'est ensemble que nous avons créé HOPE, une application qui récence progressivement toutes les organisations et associations sérieuses créées dans le monde, que ce soit au niveau alimentaire, médical ou encore social. Le but en fait, c'est que chacun se sente concerné par les maux qui sévissent aussi bien près de chez lui qu'à des milliers de bornes sans qu'il ne se rende compte. Aujourd'hui, grâce à la technologie, l'information est plus accessible. Et paradoxalement, les gens font moins attention à ce qui ne les touche pas directement, tu comprends ? Pourtant l'être humain est doté d'une empathie immense ! Il faut juste le lui rappeler. Et c'est le rôle que HOPE veut jouer. Grâce à cette appli, qu'une victime de maltraitance par exemple, se trouve à New York, à Edimbourg ou à Johannesburg, elle a la possibilité en quelques clics de contacter l'association la plus proche de chez elle qui saura l'aider et la guider efficacement. Il y a également la possibilité pour chacun d'aider financièrement ces organisations en faisant des dons en espèces et en nature pour celles qui le demandent. Que vous offriez un cent ou un million de dollars, ils seront acceptés avec gratitude et reconnaissance.
Me rendant compte que je me suis encore emballée comme à chaque fois que je parle de mon bébé, je me retourne, intriguée par le silence de mon compagnon. Dans son regard, je suis aussi étonnée qu'émue d'y rencontrer de la fierté.
— Tu es d'une telle générosité poppet. Ça doit représenter un énorme boulot de réussir tout cela, un réel don de soi... dit-il l'air impressionné.
Rougissant de gêne, j'essaie d'atténuer ces louanges qui secrètement me font très plaisir.
— Oh tu sais, j'aurais tellement aimé faire plus, comme aller au contact direct des personnes par exemple. Parce que je me dis qu'au fond, rien ne vaut le contact humain. Mais bon, tu comprendras que je ne m'en sente pas encore capable, n'est-ce pas ?
— Luna, tu n'as pas à culpabiliser. Crois-moi bébé, quand je te dis que tu en fais déjà assez. Quelle belle idée vous avez eu avec ta cousine ! Une application, c'est le moyen idéal de toucher un max de personnes.
— Merci mon cœur.
— Tu sais, avec Spleen, mon groupe, nous gagnons chaque jour plus de thune que nous ne pourrions en claquer même si nous vivions encore cent ans. Du coup, j'ai créé une fondation dont j'ai confié la gestion à des personnes très compétentes. Elle finance différents projets telles que les recherches sur les maladies incurables ou des associations de lutte contre diverses addictions. Dernièrement, nous avons même contacté deux ONG spécialisées dans les programmes d'aide aux refugiés pour une éventuelle collaboration. Ce serait donc un immense honneur pour moi de pouvoir intégrer votre équipe.
Les larmes aux yeux, je geins d'une voix chevrotante :
— Et c'est moi qui suis généreuse...
Je l'embrasse en y mettant toute l'admiration que je lui porte. Lorsque nous nous détachons, certainement pour détendre l'atmosphère, il clame d'un ton enjoué :
— Et si nous allions planquer ces capotes ?
Notre hilarité envahit la pièce alors que nous nous levons pour filer à la recherche des meilleures cachettes de l'appartement.
C'est ainsi que débuta notre cohabitation en autarcie. Durant pratiquement une semaine, nous demeurâmes dans notre bulle. Soucieux de rester exclusivement l'un avec l'autre, nous nous coupâmes complètement du monde, joignables seulement par téléphone si et seulement si il s'agissait d'une extrême urgence. Seule personne autorisée à y pénétrer quelques minutes, Sean nous amena toutes les lettres écrites par Sol. Voir ces milliers de feuilles recouvertes de son écriture nerveuse me toucha énormément. Contrairement à moi qui n'avais pratiquement noté que dans des journaux intimes, les mots de mon magicien, eux, étaient inscrits parfois dans des carnets, d'autres fois sur de simples feuilles déchirées certainement dans des cahiers. Il y avait même des post-it et des mouchoirs en papier. Tout cela traduisait le besoin qu'il avait de m'écrire parfois dans l'urgence, sans doute pour se décharger d'un poids trop lourd. Tout comme moi, il avait fait de ce geste une sorte de refuge duquel il pouvait se servir chaque fois que le besoin se faisait sentir.
On pourrait penser que nous étions impatients de nous lire. Mais il n'en était rien. D'un commun accord, nous décidâmes de remettre ça à un autre moment, préférant de loin profiter de l'instant présent et surtout du plaisir que nous trouvions à nous confier l'un à l'autre. Nous passâmes donc nos journées principalement à échanger sur nos vies respectives et nos soirées sur le toit, enlacés sous une couverture, contemplant la vue dans un silence paisible. Nous explorâmes nos corps, nos ambitions, nos espoirs,... Je lui appris les bienfaits de la méditation et il me montra les rudiments des accords avec sa guitare. Je lui cuisinai quelques unes des recettes indiennes faciles que je publie sur mon blog et il me fit un piercing au cartilage de l'oreille droite.
Notre osmose aurait pu être parfaite. Cependant au fil des jours, mon extrême sensibilité capta l'installation progressive d'une ombre insidieuse et dont j'eus du mal à déterminer l'origine. Elle se mit à planer au-dessus de nous. De son aura sombre, elle tâcha notre bonheur immaculé. Sournoise et inexorable. Je mis mon malaise sur le compte de la fébrilité que je perçus certaines fois chez mon magicien. Etant très observatrice, je remarquai à plusieurs reprises Sol en train de lire un texto qu'il venait de recevoir et qui le rendait très nerveux par la suite. En outre, à plusieurs reprises, je vis son corps émettre des signaux d'alarme : il semblait essoufflé comme sil avait couru le 100m alors qu'il venait seulement de me fredonner l'un de ses titres par exemple. D'autres fois, il fut pris de légers tremblements qu'il tenta vainement de contenir. Dans ces moments-là, il se montrait plus pressant à mon égard, plus passionné durant nos ébats. Il tenta vainement de me cacher son trouble et je ne lui en voulus pas pour ça, consciente qu'il agissait ainsi pour ne pas m'inquiéter. Ce qu'il semblait oublier par contre, c'est qu'il me transmettait inconsciemment sa gêne. J'observai son manège durant quelques jours, espérant qu'il finirait par m'en parler de lui-même. Mais lundi, je n'y tins plus.
Vêtue d'un de ses survêtements à capuche noir, d'un short bleu et de longues chaussettes blanches à bords rayés rouges, je sors de la salle de bain juste au moment où son téléphone vibre. Le regardant à la dérobée en faisant semblant de désinfecter mon piercing, je le vois jeter un coup d'œil à l'appareil posé près de lui avant de serrer les dents. Sans réfléchir, je jette le coton dans une corbeille. Puis grimpant sur le lit sur lequel il est étendu, je m'assieds en tailleur en interrogeant, impérieuse :
— Ok ! Qu'est-ce qui se passe ?
Il étrécit les yeux dans une expression interrogative.
— Quoi ?
— Qui t'envoie ces messages ? Pourquoi n'y réponds-tu jamais ? Et surtout pourquoi te sens-tu toujours aussi mal après les avoir reçus ?
D'abord interloqué, il détourne ensuite le regard, essayant d'esquiver mes questions en se levant, dans l'intention manifeste de quitter la pièce.
— Rien d'important Poppet. T'inquiète, je gère.
Plus prompte que lui, je lui barre le passage en m'adossant contre les battants.
— Non Sol, ne fais pas ça ! grondé-je. Ne me mets pas à l'écart ! Pas moi !
Nous nous jaugeons durant des secondes qui me semblent interminables. Pour la première fois, nos échanges non verbaux ne sont pas complices mais plutôt empreints de défi et de sévérité pour tenter de faire ployer l'autre. Soutenir les prunelles de mon magicien lorsqu'elles deviennent aussi sombres me broie le cœur. Le savoir en colère contre moi me répugne. Néanmoins, je me refuse de céder parce que je sais tout au fond de moi que j'agis ainsi pour son bien. Car comment l'aider si j'ignore de quel mal il souffre ?
Après un petit moment de réelle torture, mes efforts finissent par payer. Il se laisse tomber au bord du lit en se prenant la tête entre les mains. Voir l'homme de ma vie dans cette posture hurlante de douleur et de résignation déclenche en moi plusieurs émotions : en premier lieu vient l'immense peine de le voir en souffrance, ensuite une rage terrible contre cet inconnu qui le rend ainsi et enfin une envie possessive de le protéger de tout mal.
Précautionneusement, je m'approche de lui et je l'enserre dans mes bras en posant mon menton sur le haut de son crâne.
— Quelque soit l'objet de tes peines, je suis avec toi. Comprends bien Sol que maintenant tu devras partager tous tes moments de bonheur et tous tes instants de malheur avec moi. Parle-moi bébé, s'il te plaît.
J'essaie de garder un ton décidé mais je sais qu'il a perçu le tremblement de ma voix. Il ose enfin soulever la tête pour me regarder et – Mon Dieu ! – le calvaire dans ses iris me percute de plein fouet. Tel un venin, je le sens traverser et brûler mes veines pour investir chaque muscle de mon corps. Je retiens à temps un gémissement. Pour donner le change, je m'oblige à le solliciter encore.
— Dis-moi tout.
Il soupire puis murmure :
— Je suis un camé Luna, un putain de junkie qui essaie de s'en sortir pour ne pas foutre notre relation en l'air. Je pensais que ce serait facile de tourner cette page de ma vie. J'avais tout organisé avant notre rencontre : faire une cure de désintox dans un des meilleurs centres, suivre à la lettre les recommandations de mon psy et le tour était joué. Tu n'aurais pas eu à subir tout ça. Tu n'en aurais même jamais rien su. En tout cas pas maintenant. Mais bordel, je me gourais royalement ! Rester clean est une lutte perpétuelle. Ça me hante là putain !gronde-t-il en se frappant violemment le front avec sa paume.
Je lui saisis le poignet pour qu'il arrête. Mon geste le fait sourire. Il couvre tendrement ma joue de sa main.
— Heureusement que tu es là, reprend-t-il. Tu es la seule qui arrive à rivaliser avec. Chaque fois que l'envie revient, je me focalise sur toi et ta magie opère.
Cette révélation est un véritable choc. Néanmoins, j'ai appris au fil des années à ne pas me laisser distraire lorsqu'une situation d'urgence se présentait à moi. Et cette fois-ci, elle concerne l'homme de ma vie. Même si mille questions tourbillonnent dans ma tête, j'en fais abstractions. Il a besoin de moi alors seul lui compte pour le moment. Je dois le rassurer et lui montrer que je suis son appui.
— Mon cœur, tu n'as pas encore compris que je ne te lâcherais jamais ? Nous deux, c'est à la vie, à la mort !
Submergé par l'émotion, il m'enlace étroitement et me donne un baiser plein de fougue et soulagement. Nous recherchons notre souffle lorsqu'il me demande :
— Tu ne vas pas me quitter alors ? Même si je pète un câble des fois ou si jamais il m'arrive de replonger ?
J'émets un rire amusé.
— Non monsieur Roberts, vous ne vous débarrasserez pas de moi aussi facilement. Nous allons lutter ensemble contre cette saloperie, au jour le jour. Un pas à la fois !
Puis redevenant sérieuse :
— Mais qui t'envoie ces messages ?
— Mon ancien dealer. Il essaie de me vendre de la came.
— Bah alors, change de numéro de téléphone ! Si tu n'es plus joignable il arrêtera.
— Oui je sais que c'est la procédure normale à adopter. Ça tombe sous le sens. Mais...
— Mais...
— Ne plus avoir de nouvelles signifie que je ne pourrai plus jamais le contacter si jamais un jour...
— Si jamais un jour, l'addiction est plus forte ? C'est ça ?
Il détourne le regard.
— Je sais que c'est idiot de dire ça...mais oui. Et putain, j'ai les jetons rien que d'y penser !
Ses aveux me font prendre conscience de l'ampleur des dégâts. Il lutte férocement contre des démons dont il est complètement dépendant. Un cercle vicieux.
— Tu sais poppet, c'est grâce à toi que je tiens bon. Tu es cette bouée qui m'empêche de me noyer.
— Alors accroche-toi bébé, agrippe-toi à moi aussi fort que tu le peux, à me faire mal s'il le faut. Car aucune douleur ne serait plus pénible que celle que je ressentirais si jamais tu perdais pied.
Me prenant au mot, il me serre très fort dans ses bras. Une étreinte à laquelle j'essaie de répondre avec la même intensité.
— Ne t'inquiète pas, je ne te quitterai jamais mon magicien, jamais ! Je t'aime tellement Sol, aujourd'hui plus qu'hier et certainement moins que demain ! Je t'aime avec tes belles qualités mais surtout grâce à tes défauts et tes manquements car ce sont eux qui me séduisent le plus. Tes failles sont désormais les miennes. Donc, résolvons-les ensemble, d'accord ?
Les larmes perlant ses paupières, il répond :
— Je t'aime Luna ! Bordel, comme je t'aime !
La seconde suivante, je suis renversée sur le lit, mon magicien désirant sans doute illustrer ses propos passionnés par des actes qui le sont tout autant.
A partir de ce jour, il ne me cacha plus rien. Au contraire, nous en discutâmes librement, moi lui posant toutes ces questions qui me trottaient dans la tête afin de mieux le comprendre et lui m'expliquant cette sombre partie de sa vie. Nous tombâmes d'accord sur le fait que je doive voir son psy afin qu'il me donne les armes adéquates pour lutter efficacement aux côtés de mon homme.
Le jeudi suivant sonna le glas de notre retraite. Je devais aller passer Thanksgiving en famille. Cette année, il a été décidé que la famille se réunirait chez mes parents parce que ce serait la première fois que nous nous retrouverions tous depuis mon retour. Donc impossible de me défiler. Ne voulant pas me séparer de mon magicien, je demandai à mes parents s'il pouvait venir lui aussi. Papa fut comme à son habitude, curieux et enchanté de pouvoir le connaître. Mais je sentis ma mère réticente. En vérité, je ne fus pas étonnée. En catholique pratiquante, elle a dû halluciner de voir sa fille se donner ainsi en spectacle avec un mec au physique aussi... original. Et le fait que Sol soit un chanteur de rock n'arrangeait certainement pas les choses. Elle devait l'imaginer plein de vices. Lorsqu'elle m'a appelée dimanche et que je lui ai avoué n'être pas allée à la messe, elle en a incombé la faute à Sol. Et le fait que je lui répète être la seule responsable n'y a pas changé grand-chose. C'est donc avec une légère boule au ventre que je m'apprête pour la fête. Tout en mettant une jupe patineuse noire, je fais une petite prière silencieuse. « Seigneur, je Vous en prie, faîtes que tout se passe bien. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top