4 - A en crever

SOL

Les bras chargés, j'arpente les rues de Greenwich Village, pressé de retrouver Luna au plus vite. Une vague de honte me submerge quand je repense à la bêtise que je m'apprêtais à commettre il y a quelques instants. Quel crétin ! Bousiller presque sept mois de sevrage pour quelques heures entre les griffes de ces salopes ! Qu'est-ce qui m'a pris putain ?!

Pourtant, mes projets initiaux étaient tout autres quand je me suis réveillé deux heures plus tôt auprès de ma magicienne. Hypnotisé autant par la parfaite symbiose de ses traits que par l'aura dégagée par son âme généreuse, je la regardai dormir. Je savourai le divin tableau qu'était de la voir ainsi, complètement abandonnée sur le lit parce que se sachant en parfaite sécurité avec moi. Ce qui provoqua en mon être un sentiment de fierté et de gratitude de savoir qu'elle ne ressentait nul besoin de se protéger. Après de longues minutes de contemplation de ma perfection, mon ventre me ramena à des besoins plus primaires en m'indiquant que nous n'avions pas déjeuné. Aussi l'idée me vint-elle de nous faire à dîner. M'obligeant à quitter momentanément la douce chaleur de ses bras, je me rendis torse nu à la cuisine pour m'apercevoir qu'il manquait de quoi faire la salade composée que j'avais en tête. De retour dans la chambre, je m'habillai plus chaudement en veillant à mettre mon bonnet pour passer inaperçu. Je lui laissai ensuite un mot pour la prévenir de mon absence et après un rapide baiser posé sur son front, je quittai l'appartement.

Malheureusement, je n'avais pas prévu le gouffre béant qui m'ouvrirait en deux une fois dans la rue ni la boule d'énergie ambiante générée par le monde extérieur qui m'assaillirait. Plus je m'éloignais d'elle, plus le sentiment de manque s'emparait de moi. Les tempes bourdonnantes, je fus pris de tremblements qui s'accentuèrent au point que je m'adossai à un mur. Privé de mon rempart, voilà que mon autre addiction prenait ses aises en moi. Luna à mes côtés, je me sentais si bien que je laissais ouverte la soupape du bunker anti-émotion dans lequel je me barricadais habituellement. Avec elle, je n'avais plus besoin de mécanisme de défense. Alors, stupidement, j'avais omis de remettre ma carapace avant de sortir. Ce qui eut pour effet immédiat de décupler ma vulnérabilité face à ces passants qui me frôlaient et n'avaient aucune idée du mal qu'ils me faisaient. Et comme souvent, même après ma désintox, quand je me retrouvais dans cette position de faiblesse, mon corps réclama instinctivement ce bouclier certes éphémère mais néanmoins efficace que représentaient ces saloperies.

Bien sûr un malheur n'arrivant jamais seul, c'est ce moment-là que choisi mon ancien dealer pour m'envoyer l'un de ces sms restés sans réponse avec lesquels il me harcelait depuis ma sortie du centre. Il me proposa un « speedball », mon cocktail préféré : un duo de choc avec Coco et Blanche. Sans réfléchir, j'appelai Sean Jefferds, l'un des assistants du groupe en qui j'avais toute confiance afin qu'il aille les récupérer pour me les envoyer. Mais dès que je raccrochai, le doux visage endormi et serein de mon astre m'apparu. Tiraillé, le corps courbé par la douleur et le cerveau engagé dans une guerre dont les armes étaient faites de tentations et de manques, c'est évidemment ma magicienne qui prit le dessus et gagna. Tapant fébrilement sur le clavier de mon smartphone, je demandai à Sean de laisser tomber et de me prendre plutôt quelques affaires chez moi avant de me les envoyer à l'adresse de Luna. Après avoir raccroché pour la seconde fois en moins de cinq minutes, je soupirai de soulagement. Ouais pétasses, elle est bien plus forte que vous ! songé-je en rigolant. M'efforçant ensuite de me concentrer sur mon souffle – et sur Luna – pour me détendre, je repris ma marche et m'arrêtai dans une épicerie pour nous ravitailler en aliments frais et bio.

Alors que je ne suis qu'au coin de la rue qui mène à son immeuble, je suis surpris de ressentir cette paix intérieure que seule ma magicienne a le pouvoir de m'offrir. Je tourne à droite quand je l'aperçois toute échevelée et pieds nus, l'air complètement affolé. Aussitôt, je me hâte d'aller vers elle en l'appelant. Quand nos regards se croisent enfin, le désespoir que je lis dans les siens me déchire complètement le cœur. Elle s'élance vers moi et la seconde suivante, se jette sur moi, me pressant frénétiquement contre son corps frigorifié au risque d'écraser mon sac de courses.

— Qu'est-ce qu'il y a Luna ? m'écrié-je inquiet en lui passant mon blouson autour de ses épaules tremblantes.

Secouée de sanglots, elle a du mal à répondre.

— J'ai...J'ai eu...J'ai eu tellement peur...

— De quoi poppet ? Qui t'a effrayée comme ça ?

— Toi.

— Moi ? demandé-je ne pigeant rien à ce qu'elle me raconte.

— Je...Je me suis réveillée...et...et tu n'étais plus là Sol...Je ne... Je ne te ressentais plus...

Captant enfin, je la serre dans mes bras à l'étouffer, empli brusquement d'un féroce sentiment de possessivité.

— Pourtant, je t'ai laissé un mot sur la table de chevet.

— J'ai rien vu...Tout ce que...Tout ce que je savais, c'est que je t'avais encore perdu...

— Chut calme-toi mon astre. C'est bon, je suis là maintenant.

— Mais où est-ce...où est-ce que t'étais bordel ? questionne-t-elle sur un ton de reproche, fronçant adorablement son petit nez en trompette.

En riant, je lui donne un baiser sur le bout avant de brandir mes paquets.

— Je suis allé faire quelques courses.

Sa stupéfaction fait stopper net ses sanglots.

— Des courses ?

— Bah oui. Si je dois rester ici un bon moment, il faut bien que nous ayons de quoi nous nourrir tous les deux, n'est-ce pas ? Un ravitaillement en alimentation saine était donc nécessaire, déclaré-je tout sourire.

C'est ce moment que choisit Sean pour apparaître au volant de mon SUV noir, l'une de mes bicyclettes accrochée à l'arrière. C'est un ancien fan de la première heure aux cheveux châtains et aux yeux noisette. Il a su, au fil des ans, se rendre indispensable par sa capacité à pouvoir nous dégoter tout et n'importe quoi en un rien de temps. Aujourd'hui, il est devenu l'un des rares intimes du groupe.

— Rentrons avant que tu ne chopes la crève, dis-je à Luna en la prenant dans mes bras.

Tandis que Sean, les bras chargés des courses, essaie tant bien que mal de nous ouvrir la porte du hall, je fais les présentations. Une fois dans l'appartement, je conseille à mon léger fardeau d'aller prendre une bonne douche chaude. Sean profite de ce que nous faisons la navette de la voiture à l'appartement, lui muni d'une valise et moi de mon vélo pour me bombarder de questions.

— Eh man c'est Elle ? demande-t-il sur un ton de confidence.

Amusé par son air surexcité, je murmure :

— Ouais mon pote, c'est Elle !

— Oh putain ! Donc c'était vrai alors ?

Lui donnant un léger coup sur l'épaule, je m'écrie :

— Evidemment ducon ! J'ai pas arrêté de vous dire que j'étais pas gay !

Sans relever ma remarque, il reprend :

— Elle est nettement plus canon en vrai !

— En vrai ?

— Tu pensais que votre show dans le métro passerait inaperçu ? Vous êtes le buzz de l'année !

— N'écoute pas trop ce qu'ils disent surtout, ironisé-je.

— Pas besoin, les images parlent d'elles-mêmes. Bordel je te déteste ! T'es trop chanceux !

Je me tape des barres de rire alors que je pose mon vélo dans l'entrée de l'appartement et qu'il continue :

— Franchement il faut qu'elle m'explique !

Ce qu'il ne tarde pas à lui demander quand Luna vient nous rejoindre dans la cuisine américaine. Après un baiser échangé devant l'air envieux de Sean, elle se met à vider le sac de courses pendant que je m'occupe de notre dîner.

— Quoi ?

— Comment peux-tu préférer ce trouduc complètement perché, tatoué et percé de partout à ça ? demande-t-il en se pointant de ses pouces, souriant de toutes ses dents pour bien faire ressortir sa dentition à la colgate et ses fossettes de tombeur.

Mais tout ce qu'il obtient de mon astre c'est un éclat de rire moqueur.

— Comment te dire ça Sean ?...Tu vois, ce trouduc complètement perché, tatoué et percé de partout, eh bien je l'ai carrément dans la peau ! Rien que sa présence me prend aux tripes, son regard et sa voix me foutent des frissons dans tout le corps et son toucher...Merde son toucher me rend plus ardente qu'un volcan en éruption ! conclue-t-elle en m'enlaçant par derrière pour poser sa tête contre mon dos frémissant.

— Très poétique ! ironise mon assistant en tirant la langue comme un gosse.

— Tu trouves aussi ?

La cuisine résonne de nos rires. Je suis secrètement ravi de constater à quel point ils semblent déjà s'apprécier. Mais voilà mon pote reparti dans ses délires.

— Dîtes donc vous deux, vous ne nous auriez pas caché un truc par hasard ? interroge-t-il d'un air soupçonneux en s'appuyant sur le comptoir.

— Comment ça ? répliquons-nous en chœur.

— Bah oui ! Regardez-vous ! Vous êtes là tranquilles dans cette cuisine à vous affairer... On dirait un vieux couple marié. Vous êtes sûrs de ne pas être ensemble depuis un bon moment déjà ?

Luna et moi nous jetons un regard avant de nous esclaffer.

— T'as pas complètement tort Sean, acquiesce-t-elle. Je ne saurais te l'expliquer en fait. Peut-être parce que cela fait des années que j'imagine une telle scène. Du coup, maintenant qu'elle se passe pour de vrai, ça me paraît normale.

— Ouais, renchéris-je en haussant les épaules. Nous deux, ça a toujours été une évidence alors...

— Personne ne peut comprendre, terminons-nous à l'unisson avant de pouffer.

— Non mais regardez-les en train de répondre ensemble et tout... Pouah, vous me donnez la gerbe sérieux.

Pour le taquiner, ma magicienne prend un carré de chocolat qu'elle met entre ses dents en m'invitant à en prendre un bout. Une invitation à laquelle je réponds immédiatement, la lovant entre mes bras alors que nos langues se goûtent et nos bouches se dévorent.

— C'est bon j'me casse d'ici, grogne Sean en nous lançant de la mie de pain.

Ce qui ne fait qu'accentuer notre hilarité. Mais juste avant de nous quitter, il déclare :

— Eh Luna, ne le quitte plus d'une semelle ok ? Sans toi, il était l'ombre de lui-même.

— Promis Sean ! Merci ! le rassure-t-elle.

— Et puis son air niais est tellement pathétique que je me régale ! assène-t-il en refermant la porte juste avant de recevoir ma chaussure dans la tronche.

Pendant que je vais la récupérer, j'entends le rire chaud et généreux de Luna derrière moi qui se répercute en moi. Oh putain, c'est trop bon ! A cet instant, je sais que c'est le but premier de ma vie : la rendre heureuse, oui heureuse même si pour cela, je dois en crever. Une promesse que le destin se chargera de me rappeler dans un avenir pas si lointain.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top