3 - I'm yours
LUNA
L'arôme de mon Sol, le goût de mon Sol, la chaleur de mon Sol, l'étreinte de mon Sol,...Mon Sol ! De mes cinq sens, seul celui de la vue est occulté volontairement pour mieux attiser les autres, leur permettant ainsi de déployer toute l'étendue de leurs capacités jusqu'à l'étourdissement. Il est là, enfin là, avec moi et si j'en crois la passion dévorante avec laquelle il investit mes lèvres, le calvaire du manque a été réciproque. Que c'est bon de sentir ses doigts forts fourrager dans ma crinière ! Que c'est doux de se délecter des taquineries de sa langue conquérante ! J'aurais aimé que cela ne finisse jamais mais nous sommes bien obligés de nous séparer, nos corps réclamant l'air qui leur est indispensable, le mien encore plus du fait qu'il soit essoufflé par la course effrénée que je lui ai imposée. Front contre front, nous faisons maintenant appel à notre sens visuel, prolongeant ainsi la beauté de ce moment : nos retrouvailles. L'intensité de son regard que les larmes qui y dansent rendent encore plus translucide, me déstabilise et pourtant j'en redemande encore. Spectacle féérique !
— Luna, tu es vraiment là ? chuchote-t-il, le sourire chevrotant.
Une voix d'homme, grave et sensuelle que l'émotion rend encore plus rocailleuse et qui fait courir des fourmis le long de ma colonne vertébrale.
— Oui mon magicien, c'est moi, ta Luna, le rassuré-je, sanglotante, soucieuse qu'il ne reparte dans cet état léthargique dans lequel je l'ai trouvé en arrivant. Tu m'as tellement manquée, tellement, tellement,...
— Je sais, je sais, me console-t-il, illustrant chacun de ses mots d'un baiser rapide.
Alors qu'il me serre encore une fois dans ses bras, un flash fait soudain éclater la bulle d'isolement dans laquelle nous flottons depuis quelques minutes. Levant la tête, j'aperçois des dizaines, voir des centaines de smartphones braqués sur nous. Bien ! Nous sommes bons pour être la prochaine vidéo virale sur Youtube, pensé-je en émettant un gloussement mi-ironique mi-résigné. Et ma relative notoriété n'arrangera certainement pas les choses. Me redressant tout en restant à califourchon sur lui, je prends un air d'excuse en lui déclarant :
— Je suis désolée Sol. Je n'imaginais pas que j'attirerais autant de personnes...
— C'est plutôt à moi de te faire des excuses, corrige-t-il en chassant les derniers pleurs de mes joues. Mes fans sont parfois un peu... envahissants.
— Tes fans ?
Il se gratte la nuque d'un air gêné tout en éclairant ma lanterne :
— Euh...Oui, disons que je suis un personnage public. Mais je t'expliquerai tout dans les détails plus tard. Nous ferions mieux de décamper d'ici avant que les paparazzi n'apprennent ce qui se passe.
Au comble de la curiosité, je me lève mécaniquement. Sol, une célébrité ? Si cette foule est bien là pour lui, il doit être aussi sinon encore plus populaire que moi. Mais alors, comment avons-nous pu nous louper ainsi ? Il interrompt le cours de mes pensées en élevant la voix pour s'adresser à notre public visiblement au comble de la curiosité.
— Bon bah, je pense que je vous dois une petite explication, dit-il d'un air amusé.
— Ah bon ? Tu crois ? s'écrie un mec en survêtements.
Ce qui fait rire toute l'assistance, nous compris.
— C'est ta meuf Sol ? demande une petite rousse d'environs 18 ans.
Passant son bras autour de ma taille, il pose son regard pénétrant dans le mien en affirmant :
— Non ce n'est pas ma meuf. C'est ma vie.
L'émotion qui m'étreint alors est si grande que s'il ne me tenait pas, je crois que je vacillerais. Je me mords la lèvre inférieure, prête à laisser couler un nouveau torrent de larmes. Heureusement, une voix dans la foule m'interpelle.
— Eh mais c'est Luna !
— La bloggeuse c'est ça ? confirme un homme à l'allure d'un hipster.
— Me voilà démasquée, plaisanté-je.
— J'adore ce que tu fais, me complimente-t-il. Te consacrer aux autres comme tu le fais, peu de personnes l'envisagent de nos jours.
Un chahut approbateur traverse la foule.
— Merci beaucoup.
Puis croisant les bras et prenant un air faussement menaçant, j'ajoute :
— Je suppose donc que vous avez tous téléchargé l'appli.
Une salve d'hilarité collective résonne quand j'entends Sol me souffler à l'oreille :
— Je vois que je ne suis pas le seul à devoir donner des explications.
Nous pouffons ensemble, complices. L'énergie positive qui se dégage de ces personnes à notre égard doit certainement contribuer à l'euphorie grandissante qui nous anime.
— Je me suis toujours demandée à qui s'adressait tes chansons Sol, lance une femme d'une trentaine d'années aux longs cheveux bruns. Les paroles sont toujours si profondes. On ressent une vraie attente de l'être aimé, une adoration sans borne.
Un nouveau brouhaha approuve son analyse.
— Bah maintenant vous savez tout, leur répond-t-il.
— Pas besoin d'en dire plus, reprend la rousse. Ça se voit direct sur ton visage. C'est la première fois que je le vois aussi illuminé.
Le rire sexy de mon magicien se fait entendre.
— Bon, nous devons y aller maintenant. Mais avant cela, j'aimerais vous remercier pour votre présence ces dernières semaines. Je sais que je peux paraître indifférent parfois voir même carrément à l'ouest mais je vous assure qu'il n'en est rien. Je ressens chacune de vos présences et bien plus que vous ne le pensez. Donc merci à tous !
— Tu ne reviendras pas chanter ici alors ? s'informe une voix perdue dans la masse.
— Je n'ai plus à le faire puisque j'ai enfin trouvé ce que je cherchais, affirme-t-il en posant délicatement un baiser sur mon front.
Captifs de nos regards respectifs durant un bref laps de temps, nous entendons à peine plusieurs soupirs éperdus et même un « c'est trop chou». Nous daignons par la suite nous détacher pour offrir quelques autographes avant de nous éclipser. Cependant, tandis que nous nous dirigeons vers la sortie, nous entendons une petite voix appeler Sol. Nous nous retournons pour apercevoir une jeune femme brune d'une vingtaine d'années, à la peau pâle et à l'air timide qui tient une guitare à la main. Toute tremblante, elle la lui tend en bégayant :
— Tu...Tu l'as laissée tomber tout à l'heure lors...lorsque tu courais vers la rame.
— Cindy c'est ça ? l'interroge-t-il en souriant.
Cette fois, la pauvre paraît sur le point de s'évanouir. Incapable de répondre, elle hoche frénétiquement de la tête.
— Tu suis le groupe depuis ses débuts. Je t'ai souvent aperçue lors de nos concerts. Et chaque fois que tu me demandais un autographe, tu me donnais ton prénom. Normal que je finisse par le retenir, non ?
— Oui...Oui bien sûr. C'est juste que...que tu as toujours l'air ailleurs. Du coup, on a l'impression que tu ne fais pas vraiment attention à ce qui t'entoure. Oh, ce n'est pas un reproche que je te fais...
Mon magicien l'interrompt d'un rire joyeux.
— Ne t'excuse pas. Tu as parfaitement raison et je suis désolé de donner cette impression. C'est tout le contraire en réalité, la rassure-t-il en reportant son attention sur moi, je vous ressens tous.
Je n'ai qu'à plonger mes prunelles dans les siennes pour ressentir toutes les épreuves qu'il a dû subir au contact de ces personnes qui l'adulent tant. Dans une maigre tentative de réconfort, je pose ma main sur sa joue droite et en réponse il ferme brièvement les yeux, penchant légèrement la tête comme s'il s'y reposait avant de la saisir pour y laisser un baiser. Un frisson me traverse le bras à ce contact. Que ces lèvres sont douces et chaudes !
Se retournant vers Cindy, il lui demande si elle a un stylo. Elle fouille dans un sac fourre-tout qui pend à son épaule et en sort un feutre. Alors, sous les yeux ébahis de la jeune femme, Sol dédicace la guitare avant de la lui tendre.
— Elle est à toi maintenant.
Autour de nous, un brouhaha stupéfié se fait entendre tandis que la concernée fond littéralement en larmes.
— Eh Sol, tu me confierais aussi ton VTT ? s'exclame le hipster pour amuser la galerie.
Le prenant au mot, celui-ci lui lance la clé de son anti-vol.
— Tiens ! Mais tu as intérêt à en prendre grand soin parce que c'est mon préféré, menace-t-il.
Son interlocuteur, scotché, semble quant à lui avoir perdu sa langue.
Puis me tenant fermement la main, il me chuchote :
— Dégageons vite d'ici sinon je finirai à poil à cette allure et j'ai assez fait gagner d'argent à la presse à scandale. Pas la peine de rajouter une arrestation de la police pour attentat à la pudeur.
Riant tous les deux, nous nous élançons à pas de course vers la bouche de métro. Une fois dehors, il arrête un taxi dans lequel nous nous engouffrons toujours hilares. Quand le chauffeur, un fan absolu apparemment de Sol nous demande notre destination, je donne mon adresse sur le conseil de ce dernier. Il m'explique que les paparazzis campent devant chez lui et que ses amis squattent son loft. Aussi n'aurions-nous pas l'intimité que nous recherchons.
Durant tout le trajet, nous n'échangeons pas un seul mot, trop occupés à nous bécoter tels des ados et nous toucher comme pour nous rassurer que ce n'est pas un rêve. Arrivés devant mon appartement situé au troisième étage d'un immeuble fait en grès rouge, le chauffeur – un pakistanais quarantenaire du nom de Imran – refuse de nous laisser payer et demande à la place un autographe de chacun. D'après lui, il gagnera encore plus avec un tel butin.
Nous en rions encore lorsque nous sortons de l'ascenseur. Je laisse mon magicien pénétrer dans mon antre, soudain animée d'une timidité absurde causée par le fait que nous soyons réellement seuls pour une fois. Je referme doucement la porte d'entrée en prenant une grande inspiration avant de me retourner...pour voir sa main tremblante levée vers moi et un sourire hésitant courir sur ses lèvres. Et dans ses yeux...Oui dans ses yeux se refléter toute mon anxiété. Que je suis idiote ! Evidemment, il sait ! Et cela a toujours été comme ça entre nous deux. Pas besoin de mots inutiles.
Constater qu'il ressent les mêmes craintes que moi me soulage et c'est d'un pas plus alerte que je viens vers lui, entrecroisant nos doigts puis nous dirigeant vers les portes coulissantes transparentes qui séparent mon salon de ma chambre. Une fois dans celle-ci, je vais en direction des fenêtres dans l'intention d'ouvrir les rideaux mais il m'arrête en me tirant à lui.
— Non, laisse-nous dans cette pénombre. Que rien, même pas les rayons du soleil ne viennent troubler ce moment. Rien que toi et moi mon astre.
— Rien que nous deux mon soleil, acquiescé-je en souriant.
Je me débarrasse de mon perfecto, de mon sac en bandoulière et de mes bottes noirs et lui fait pareil avec son blouson, ses boots et son bonnet que nous laissons choir sur le parquet. Nous nous installons ensuite dans le lit, moi confortablement couchée dans ses bras, la tête posée sur son épaule. Ses lèvres impriment délicatement leur empreinte sur mon front. Puis il me demande :
— Où étais-tu Luna ? Que faisais-tu toutes ces années loin de moi ? Je t'ai cherchée partout ! Je t'appelais dans chaque chanson que je composais pour mon groupe, j'espérais te voir chaque fois qu'on sonnait à ma porte, sentir ta présence à chacun de nos concerts,...
— Tu sauras tout Sol, le rassuré-je. J'ai tenu ma promesse. Je n'ai pas cessé de t'écrire durant toutes ces années. J'ai une malle remplie de tous les passages de ma vie. Quand tu les parcourras, tu comprendras tout.
— Et quand tu liras les miens, tu sauras tout également.
Une idée me vient subitement à l'esprit et me fait éclater de rire.
— Ris encore poppet*. Je kiffe ce son.
Alors pour lui et aussi pour le simple plaisir que cela me procure, je m'esclaffe jusqu'aux larmes.
— C'est juste, dis-je essoufflée par mon hilarité, c'est juste que vu d'un œil extérieur, nous devons vraiment passer pour des fêlés finis.
Et nous voilà partis tous les deux dans un fou rire, certainement dû en partie au bonheur parfait que nous vivons d'être enfin réunis.
— C'est vrai que je ne vois pas qui à part moi serait aussi fou pour se tatouer sur le corps tout ce qui lui fait penser à une meuf qu'il n'a vu qu'une seule fois à six ans et durant quoi dix minutes à tout casser.
Cette révélation tombe comme une bombe, au point que ma gaieté s'envole net.
— Qu'est-ce que tu viens de dire ? Tu es sérieux ?
Toute trace d'amusement ayant déserté son visage, il me transperce de ses iris.
— Tu es ancrée en moi bébé. Je suis tout à toi.
Se redressant, il retire son tee-shirt noir afin de mieux illustrer ses paroles. Levant le bras gauche, il me montre du doigt un tatouage situé sur son flanc gauche en me révélant :
— Mon tout premier fait à quatorze ans.
Je sens les larmes me monter aux yeux et mon cœur près à éclater quand je lis « on va s'écrire » et juste en dessous « Mercredi 12 Novembre 1997 ». Oh Seigneur, la date de notre rencontre ! Il fait le guide et m'explique ce que chacune de ces marques inscrites à l'encre indélébile signifie pour lui, pour nous. Mon émotion ruisselle le long de mon visage parce que je comprends qu'il est couvert de...moi. Les titres et extraits de chansons qu'il a écrits, des vers de poèmes qui lui ont fait pensés à moi, des proverbes qui auraient pu illustrer notre histoire,... J'essaie à travers ma vue brouillée de lire ces mots et d'apercevoir ces croquis qui traduisent sa douleur, son manque de moi et son attente désespérée mais confiante. Et puis mon regard tombe sur sa colonne vertébrale tapissée tout du long d'une série d'esquisses représentant les différentes étapes d'une éclipse. La lune semble vouloir enlacer le soleil jusqu'à ne plus faire qu'un avec lui juste sous la nuque et au cœur des deux astres enfin réunis, je peux lire « I'm yours »,...
Ivre de bonheur, je lui saute au cou, l'abreuvant de baisers que mes sanglots rendent humides et saccadés. Nous retombons sur le lit et il me serre contre lui, me berçant avec des mots doux murmurés à l'oreille. Je ne pouvais espérer meilleure preuve d'amour. Car oui, Sol m'aime ! Aussi improbable, aussi invraisemblable, aussi fou que cela puisse paraître, mon magicien m'aime autant que je l'aime et ce depuis la première fois que nos regards se sont posés l'un sur l'autre. Un coup de foudre réciproque à 6 ans ? Il semblerait bien oui puisque nous en sommes la preuve vivante. Apaisée par sa voix envoutante qui me chante son amour inconditionnel, je finis par m'endormir.
Lorsque je me réveille, une fraction de seconde me suffit pour savoir qu'il n'est plus là. La nuit est tombée si j'en crois le noir complet dans lequel la chambre est plongée. Son parfum imprégnant encore mes draps et mes coussins me confirme que je n'ai pas rêvé. L'intensité du vide abyssal qui m'habite subitement me fait courber l'échine. La seconde suivante, seulement vêtue de ma robe en pull pastel, pieds nus, je sors de mon appartement, dévalant les marches à me tordre le cou. Une fois dehors, je jette des regards paniqués autour de moi, faisant fi des regards stupéfaits que me lancent les passants. Je dois avoir l'air d'une folle avec ma crinière ébouriffée et mon allure peu habillée pour ce mois de novembre mais je m'en fiche. Prise d'une terreur sans nom, percluse de douleurs atroces, une seule prière repasse en boucle dans ma tête, telle un mantra : « ne m'abandonne pas Sol, ne m'abandonne plus. »
*Chérie
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