12 - Et ils vécurent heureux...
LUNA
- En vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je vous déclare mari et femme ! Vous pouvez embrasser la mariée !
A la suite des paroles du père Francis, nos lèvres se scellent sous les ovations de tous nos proches. Mais nous sommes très vite interrompus par nos garçons et filles d'honneur qui nous tirent par le bras pour nous séparer.
- Ça suffit, vous deux ! Y en a marre de votre bonheur dégoulinant ! proteste Joe.
- Sept mois que vous nous faîtes subir ça. On n'en peut plus de vous ! s'écrie Kitty.
- C'est vrai quoi ! J'ai pris mon p'tit dej y a même pas une heure et vous voulez déjà me faire gerber, ajoute Reece, l'air désespéré.
- Et puis la cérémonie, c'est demain ! rappelle Holly. Là, c'est que la répèt' alors please, retenez vos ardeurs, les lapins !
Comme à chaque fois que nous sommes victimes de leurs taquineries - très souvent donc - nous éclatons de rire. Malheureusement pour eux, ce n'est que le début car plus les jours passent, plus les tentacules de notre symbiose s'imbriquent, créant entre mon magicien et moi un lien particulier qui parfois nous effraie. Nous en sommes au point où deviner les pensées de l'autre est devenu une évidence. Un exemple palpable est donné lorsque nous répondons l'un à la suite de l'autre :
- Désolés mais officiellement, nous sommes...
- ... mariés depuis hier.
Nous les narguons avec des sourires triomphants. Mais avant que mon mari n'arrive à m'attirer à lui, ses potes l'entraînent à l'autre bout de la véranda sous les rires des personnes présentes.
Après sept mois d'organisation, la cérémonie religieuse et la réception auront lieu demain sous les yeux de nos deux cents invités. Cependant, pour en finir avec la paperasse, Sol et moi avons, sur les conseils avisés de notre wedding planner, reçu la visite d'un juge hier matin devant qui nous nous sommes dits oui. Seuls étaient présents ma mère et William - le père de Sol - en qualité de témoins. Malgré le caractère impersonnel de ce rite officiel, l'émotion me submergea quand j'apposai ma signature sur ces bouts de papier qui attestaient que j'étais toute entière à mon soleil jusqu'à mon dernier souffle. Et si j'en crois les larmes qui bordaient ses paupières, ce fut réciproque.
De la terrasse sur laquelle nous sommes maintenant les filles et moi, j'observe à travers les baies vitrées les va-et-vient incessants des personnes qui se chargent de débarrasser le salon. Célébrer notre union dans l'appartement de Vestry Street fut une décision prise pour des besoins pratiques et stratégiques. Nos mères appuyées de la wedding planner auraient préféré faire louer les jardins d'une propriété mais Sol et moi réussîmes à leur faire changer d'avis avec nos arguments imparables. Pour commencer, grâce aux vigiles postés à l'entrée, aucun intrus ne pourrait s'infiltrer parmi nos invités. Ensuite, la superbe véranda située sur le toit - avec ses murs vitrés capables de passer du transparent à l'opaque - qui accueillera la cérémonie religieuse et l'immense salon qui fera office de salle de réception nous garantiront une discrétion absolue. Enfin, échanger nos vœux au coucher du soleil avec une vue imprenable sur l'Hudson River n'avait pas de prix. A part cela, les seules choses où nous eûmes voie au chapitre furent la liste des invités, nos vêtements de mariés et la date. Sol étant né trois jours après moi, nous décidâmes de le faire jour de mon anniversaire, de sorte à pouvoir célébrer toutes ces fêtes à la même date dans les années à venir.
Ainsi nos deux mères poules eurent-elles le champ libre pour organiser le mariage qu'elles souhaitaient pour nous. A voir ces deux fortes têtes si différentes l'une de l'autre, on aurait pu craindre que ça fasse des étincelles. Et pourtant, elles surent allier le style très familial et convivial de Janet la blonde avec celui plus sophistiqué d'Amelia la brune. En définitive, la seule qui s'arrache les cheveux dans cette histoire est la pauvre organisatrice qui a finalement plus un rôle d'exécutrice que de meneuse.
La répétition achevée, maman lâche momentanément sa nouvelle acolyte pour aller déposer le prêtre à sa paroisse avant de filer à l'aéroport chercher ma grand-mère. Savoir que mamie Dorothy pourra être présente est le plus beau cadeau de mariage - et d'anniversaire - qu'elle pouvait me faire. Sa mission au Pérou étant pratiquement achevée, elle s'est accordée un mois de vacances pour profiter de sa famille. Suivant le fil de mes pensées, Kitty déclare, excitée :
- J'ai super hâte de revoir mamie.
- Moi aussi ! Et surtout savoir ce qu'elle pense de Sol. Jusqu'ici, ils ne se sont parlés que via tel ou appel vidéo.
- Je ne suis pas inquiète. De ce que tu m'as raconté, elle semble déjà beaucoup l'apprécier. Donc, tout est parfait.
- Oui, tu as raison. Tout est parfait, soupiré-je.
- Alors pourquoi perçois-je une once d'inquiétude dans ta voix ?
Que répliquer à cette question dont j'ignore moi-même la réponse ? Après tant d'années à ployer sous le poids de souffrances indicibles, j'ai enfin tout pour être heureuse : l'homme de mes rêves, une famille géniale, de beaux parents adorables et un métier passionnant. Alors pourquoi cette ombre sournoise rôde-t-elle toujours ? Pourquoi cette terreur incompréhensible qui demeure tapie dans un recoin de mon cœur ? Pourquoi cette tristesse inexplicable qui m'émeut parfois jusqu'aux larmes ? Il est vrai que vivre en couple n'est pas toujours rose et encore moins lorsqu'on a pour rivale une addiction qui ruse à tout moment pour obtenir la préférence de notre homme. Des disputes, nous en avons eu évidemment au cours des mois qui viennent de s'écouler ; dont une qui fut mémorable parce que j'avais osé bloquer puis effacer le numéro de son ancien dealer de son tel à son insu. Et croyez-le ou non mais dans ces moments-là, nous ne le faisons pas à moitié. Je crois même que l'ampleur que prennent nos engueulades équivaut en intensité à celle de nos plus beaux moments de félicité. Est-ce cela qui me fait flipper ? Ai-je vraiment peur de perdre de mon époux au profit de cette pétasse ? Non, le problème ne vient pas de là parce que tout au fond de moi, j'ai la certitude d'être dotée du courage nécessaire pour affronter les démons de mon homme. Ou alors, ma gêne vient de son état de santé de plus en plus préoccupant ? Cette toux qu'il traîne depuis bien trop longtemps, ces essoufflements qui sont de plus en plus récurrents, cet élancement au cœur qu'il pense me cacher mais que je perçois même lorsqu'il est loin de moi,... Il a promis de consulter un médecin au retour de notre lune de miel et cette fois-ci, il ne se défilera pas parce que je prendrai rendez-vous pour lui s'il le faut ! Mes tourments viennent-ils de là ? Dans ce cas, pourquoi mon instinct me hurle qu'il y a autre chose ? Qu'est-ce qui cloche bordel ?
Devant le regard insistant de ma cousine attend, j'essaie de lui offrir mon plus beau sourire.
- Oh laisse tomber. C'est juste le stress habituel de la future mariée.
A moitié rassurée, elle me serre tout contre elle. Le rire sexy de mon soleil attire notre regard. Ses potes et lui se chahutent à l'autre bout du salon. Sa bonne humeur est un baume efficace qui apaise immédiatement toutes mes incertitudes.
- Alors ces vœux, vous les avez terminés ? se renseigne Kitty.
Un sourire sincère cette fois éclaire mon visage en repensant aux mots que nous avons couchés sur une même feuille et que nous comptons lire ensemble.
- Oui et je sens que j'aurai beaucoup de mal à les prononcer vu que je suis émue rien qu'en y pensant.
- Oh putain ! Il faut qu'on pense aux mascaras waterproof et à prévenir les invités pour les mouchoirs parce qu'avec vous deux, c'est certain que ce sera le déluge dans la salle.
Son air catastrophé me fait éclater de rire.
- Allez, accompagne-moi. Je veux rappeler quelques consignes à l'organisatrice. Pas de viande le jour de mon mariage !
Environs une heure plus tard, je suis avec toutes mes demoiselles d'honneur dans la chambre pour un essayage de dernière minute. Ayant choisi les années 20 comme thème, la seule condition était que leurs robes devaient être de la couleur champagne. Et je dois avouer que la styliste de renom choisie par Amelia a fait un boulot remarquable, s'adaptant aussi bien au caractère qu'à l'âge de chacune pour leur proposer des pièces uniques mais harmonieuses. En regardant Kate et Cindy toutes excitées par leurs tenues, je me réjouis de les avoir choisies. Même si l'adolescente est finalement rentrée chez sa mère après que celle-ci ait tenu parole de se reprendre en main, une relation fraternelle s'est créée entre nous. De ce fait, elle est devenue une habituée de notre petit cercle. Quant à Cindy, son dévouement lors de la campagne Light A Match fut tel que je lui proposai de travailler avec moi pour HOPE. Cette jeune femme aussi intelligente que timide devint donc mon assistante.
Les filles viennent à peine de se rhabiller quand on frappe à la porte. Quand nous voyons mamie Dorothy apparaître, mes cousines, ma sœur et moi nous élançons avec des hurlements de joie vers elle. Nous la serrons à l'étouffer. Que c'est bon d'entendre son rire chaud et communicatif ! Oui, maintenant tout est parfait ! Après des retrouvailles oscillant entre éclats de rire et larmes de bonheur, je lui demande en essuyant mes yeux :
- Mamie, tu as vu Sol ?
- Non mon ange, pas encore. Vous m'avez tellement manqué que je voulais vous tenir entre mes bras avant toute chose.
- Elle a même refusé de faire un tour par chez elle pour poser ses bagages, ajoute maman d'une voix amusée.
- Il aide sur la véranda je crois. Viens que je te le présente.
Tandis que nous regagnons toutes le salon en chantier, j'envoie un texto à mon mari pour le prévenir. A ce moment-là, sa mère, qui sort visiblement de la cuisine, se dirige vers nous à pas pressés.
- Amelia ?
Ma surprise est immense de constater que c'est mamie qui vient de l'appeler. Elles se connaissent ?
- Dorothy ? s'écrie la concernée en stoppant net. Mais...que faîtes-vous là ?
Pour une raison que j'ignore encore, je ressens comme un malaise s'installer lentement.
- C'est le mariage de ma petite-fille. Et vous, vous êtes une invitée du marié, je présume ?
A cette phrase pourtant banale, Amelia semble légèrement pâlir.
- Vous...Luna est votre petite-fille ? Vous êtes la mère de David ?
- Non, celle de Janet. Pourquoi ?
Cette fois, la mère de Sol devient couleur cendre. Je crains même qu'elle perde connaissance.
- Par...Parce...Parce que Luna est la fiancée de mon fils, Sol.
- Sol ?... Oh Mon Dieu ! Non !
Mon inquiétude se fait grandissante en voyant ma grand-mère, cette femme de 65 ans qui donne l'impression d'en avoir dix de moins en général, en prendre trente en une fraction de seconde. La voyant tituber, je la tiens instinctivement par le bras.
- Mamie ! Qu'est-ce que tu as ?
Avec l'aide de Holly, nous l'aidons à se poser sur l'une des rares chaises qui trainent encore dans la pièce. Ma mère s'agenouille devant elle.
- Calme-toi, maman. Où sont tes médicam...
- Non... Tu ne comprends pas...
Sa respiration saccadée et son agitation témoignent une panique qui nous rend aussi perplexes que craintives.
- Elle fait de l'hyperventilation, m'écrié-je.
Je me retourne avec l'idée d'aller lui chercher un sac en papier à la cuisine mais elle me retient fermement par le bras pour attirer mon attention.
- Vous ne pouvez pas vous marier... murmure-t-elle.
Un rire incrédule m'échappe.
- Mais si mamie. Tout est prêt pour dem...
Elle secoue fébrilement la tête puis reprend d'une voix plus affirmée :
- Vous ne pouvez pas vous marier !
- Et pourquoi cela ?
- Parce que...parce que...
- Parce que vous êtes frère et sœur.
- QUOI ?
Tous les regards se tournent vers Amelia car c'est elle qui vient de sortir cette ineptie. Adossée contre un mur, elle semble sur le point de s'évanouir.
- Sol et toi êtes jumeaux, précise-t-elle les joues baignées par les larmes.
Malgré mon ouïe parfaite, mes méninges peinent à décrypter ce message qui paraît pourtant si limpide. Dans une tentative de défense, mon cerveau se met en mode veille tandis que mon subconscient se réfugie dans une bulle protectrice, me coupant de tout et de tous. A peine ai-je conscience de mon corps qui s'échoue sur le sol et de ma nuque qui s'entrechoque avec le marbre. Je suis brusquement surprise par une douleur poignante qui parvient à transpercer mon bouclier, m'atteignant en plein cœur. N'ayant cure du chaos qui règne autour de moi, je cherche instinctivement Sol du regard jusqu'à ce que je l'aperçoive, étendu par terre. Il se tord de douleur tout en se tenant le bras gauche. Je comprends alors que la souffrance indicible que je ressens est en réalité la sienne. L'ombre qui m'habite depuis tous ces mois devient un ouragan qui distille son aura terrifiante au fur et à mesure qu'elle enveloppe nos deux âmes désormais prises et ballotées dans sa tourmente. « Regarde-moi Sol ! Je t'en supplie, regarde-moi ! » Ses prunelles se scellent immédiatement aux miennes, et malgré la torture qu'elles m'infligent, je refuse ne serait-ce que de cligner des yeux. Juste avant de cesser de lutter contre les limbes, j'entends quelqu'un hurler.
- Vite une ambulance ! Il fait une crise cardiaque !
Note : En lisant ce chapitre, je pense que vous comprenez mieux à présent pourquoi je l'ai placé dans la catégorie Dark Romance. Même si j'espère que vous continuerez à suivre les aventures de Sol et de Luna, je comprendrais parfaitement cependant que vous désiriez stopper votre lecture ici.
Bisous sucrés,
Caprice
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