11 - Light a match

Note : Avant de lire ce chapitre, je tiens à vous avouer le pourquoi de cette longue absence. Voilà, j'ai longtemps traîné sur l'écriture de cette suite parce que j'ai hésité, oui hésité entre continuer avec ma trame de départ et changer complètement la suite de cette histoire. J'avoue, je me suis vraiment attachée à ces deux personnages atypiques. De tous les personnages que j'ai eu à créer jusqu'ici, ces deux-là tiennent la première place dans mon cœur. Je me suis donc demandé à un moment si ça valait vraiment la peine d'écrire cette Dark que j'avais en tête, de leur infliger toutes ces souffrances que je prévois, eux qui ont déjà tellement subi au cours de leurs vies... Je pouvais très bien continuer et en faire un new adult qui les maltraiterait moins... J'ai même écrit des ébauches de scénarios pour voir si c'était possible...Mais j'avais beau essayer, mon idée de départ me revenait sans cesse dans la tête, comme si Sol et Luna eux-mêmes me donnaient leur bénédiction et comprenaient que même si ça me tord les boyaux de leur faire du mal, je me devais d'écrire l'histoire qu'ils m'ont inspirées, cette histoire complètement folle que j'ai en tête depuis des années et que j'ai enfin eu le cran de mettre par écrit, leur histoire.

Bref voilà, je continuerai donc sur ma lancée, d'abord parce que sinon, j'y repenserais jusqu'à en faire une obsession mais surtout parce que j'aurais eu l'impression de les trahir si je faisais autrement.

Alors je vous laisse lire le dernier chapitre de leur félicité tout en espérant que vous me pardonnerez le tournant que pendra la suite de cette histoire.

Bisous sucrés,

Caprice

SOL

Suite à la publication de Reece, chacun d'entre nous met sa notoriété à contribution pour alerter un max de monde. Alors que Spleen et moi sommes scotchés sur nos tels, Luna après avoir mis sa cousine au parfum, s'installe dans la salle à manger pour faire une vidéo qu'elle postera ensuite sur sa chaîne Youtube. Sean, quant à lui, rameute nos trois autres assistants. Ensemble, ils se chargent de contacter une liste que Luna leur a remise et qui recense toutes les associations et tous les centres d'hébergement des environs susceptibles d'être intéressés. En observant l'enthousiasme de ma lune et de mes potes, je prie pour que tout se passe comme on le souhaite. A vrai dire, en bossant sur Light a match cette nuit, même si j'ai omis d'en parler pour ne pas alimenter leurs craintes, j'ai prévu un plan B au cas où nous ferions un bide. Apaiser les inquiétudes de Luna est mon unique priorité, quitte à devoir financer moi-même le projet en définitive.

Je suis plus contrarié que surpris quand une demi-heure plus tard, mon téléphone affiche le nom de mon manager.

— Merde ! grogné-je entre mes dents.

Un rapide coup d'œil à l'heure m'indique qu'il doit être 8h17 à Los Angeles. J'avais compté sur le décalage horaire de trois heures pour avoir le temps de prévenir les autres membres de la G-Nation – qui eux sont à New York en ce moment – avant que Caleb n'apprenne quoi que ce soit. Mais apparemment, mon plan a complètement foiré. Normal, mes appels insistants depuis que je suis debout ce matin sont restés sans réponse. Ce qui ne m'étonne pas vraiment. Ils doivent tous être en train de pioncer après une nuit à se déchirer la gueule. Je jette un regard discret pour être certain que personne ne fait attention à moi. Puis, je file dans ma chambre pour décrocher.

— Ouais ?

— Tu peux m'expliquer tout ce merdier ?! hurle Caleb. Putain Sol ! A côté de toi, tous mes artistes réunis passent pour des anges !

Irrité par ses invectives, je demande au comble de la mauvaise foi :

— Et pourquoi ce serait de moi que viendrait l'idée ?

— Tu te fous ma gueule ? Tu es le seul taré que je connaisse à penser qu'une telle connerie aboutisse !

Ok, il n'a pas totalement tort.

—Combien de fois devrais-je te le rappeler Sol ? continue-t-il. Tu ne peux pas sauver la terre entière merde !

Devoir reconnaître que ce rapace a raison me met soudain en rogne, précisément parce qu'il vient de mentionner l'un de mes tourments les plus récurrents : éradiquer la souffrance de ce monde. Me rappeler que ce souhait est une utopie ne fait qu'alimenter cette culpabilité – absurde comme disent mes proches – qui érode mes espérances un peu plus chaque jour.

— Arrête de me casser les tympans et laisse-moi t'expliquer !

— Tu aurais dû commencer par là avant de tout balancer sur Internet ! Vous pensiez me mettre au pied du mur hein ? Bah vous vous gourez si...

— Putain mais ferme-la ! Contrairement à ce que tu penses, je réfléchis avant d'agir parfois ! Sean a normalement envoyé le projet par mail ! Lis-le et on en reparle !

Je lui raccroche au nez. Bordel ! Qu'est-ce que ce mec peut être casse-couille ! Il mérite vraiment sa réputation dans le milieu. A seulement 25 ans, cet avocat de confession juive a su se faire une renommée de businessman impitoyable. En affaires comme au tribunal, c'est un vrai requin qui ne lâche rien tant qu'il n'a pas gagné, quitte à utiliser des moyens parfois à la limite de la légalité pour y arriver. Je veux bien reconnaître que c'est grâce à ce caractère hyper ambitieux qu'il a mené au sommet le label qu'il dirige et dont nous sommes chanceux de faire partie. Mais putain, il pourrait quelques fois faire semblant d'avoir un cœur, non ?

Un élancement soudain me fait instinctivement poser une paume au niveau du myocarde. Merde, encore cette légère douleur ! Elle est apparue pour la première fois quelques jours après ma sortie du centre de cure. Et depuis, elle me lance parfois, principalement au cours des moments d'émotions fortes. En vérité, elle est plus dérangeante que douloureuse et je m'en ficherais si je n'avais pas remarqué une légère perte d'énergie chaque fois que je me dépense. Je m'essouffle plus facilement, m'obligeant à temporiser mes efforts durant un court moment avant de reprendre. Ce qui pour un sportif n'est pas vraiment normal. Il faut que je pense à aller voir un doc, au moins pour m'assurer que ce n'est rien de grave. Je ne veux pas inquiéter ma lune pour des broutilles.

Je prends plusieurs inspirations pour relâcher la pression avant de rejoindre les autres. Malheureusement, si je peux camoufler mon humeur à mes potes, avec Luna, c'est mort. Elle ressent ma contrariété avant même de braquer ses pupilles azur sur moi. Toujours assise à son poste, elle demande le front légèrement plissé :

— Ça va bébé ?

Un sourire amusé éclaire mon visage. Qu'est-ce que je disais ? Impossible de lui cacher quoi que soit à ma magicienne. Après avoir semé un léger baiser sur ses lèvres, je contourne sa question.

— Tu as terminé ? posé-je en montrant l'écran de mon ordi sur lequel la vidéo passe en boucle.

— Presque. Je suis au stade du montage. Une fois prête, je vous la présenterai. Mais ne pense pas esquiver ma réponse. Qu'est-ce qui se passe ?

Son air résolu fait retrousser encore plus son petit nez. Super sexy !

— Tu sais que tu me fais peur quand tu fais ta tête de tueuse ?

— Tu ne me diras rien, hein ? soupire-t-elle.

— Exact, approuvé-je l'œil rieur avant de lui tourner le dos.

Mais elle me saisit la main pour m'arrêter.

— Promets-moi seulement que je serai la première informée si tu as besoin d'aide.

Nos rétines se scotchent les unes autres durant quelques secondes. Mon chérubin protecteur entré dans le chaos de ma vie pour sauver mon âme effritée... Avec elle, j'ai découvert qu'il est possible d'aimer à en avoir mal physiquement. Lui tenant fermement la nuque, je la rassure d'un baiser fougueux qui propage des pics électriques sous mon épiderme. Légèrement essoufflé, je lui murmure à l'oreille :

— Je te le promets.

Durant l'heure suivante, le salon, transformé en QG provisoire, bourdonne de nos voix et des sonneries de nos téléphones. Il semblerait que le buzz involontaire dont nous sommes victimes Luna et moi nous serve finalement car si nos assistants sont contactés par des associations demandeuses de partenariat, les appels les plus récurrents qu'ils reçoivent restent ceux des médias qui espèrent obtenir une exclu ou une interview. De notre côté, ce sont plutôt des stars et connaissances que nous avons dans le milieu qui se renseignent sur le projet en vue d'un éventuel soutien. Quand mon smartphone vibre pour la énième fois, le nom de l'interlocuteur m'arrache un sourire.

— Yo Biggy J !

— Yo mon pote ! salue-t-il de sa voix grave. On débarque chez toi là. Préviens les vigiles.

— Ça marche. A toute de suite !

Cinq minutes plus tard, l'ascenseur s'ouvre sur trois gaillards que j'attends dans le vestibule. Ils viennent vers moi de leur démarche nonchalante, insolente et légèrement dandinante qui rappelle une éducation tumultueuse reçue dans les rues des bas-fonds de L.A. Au premier abord, ce qui saute aux yeux quand on rencontre cette bande au complet, c'est la mixité raciale qui la compose. Ils ont tous des origines différentes et pourtant, ils sont amis depuis l'enfance. Mario est le premier à bénéficier de mon accolade virile. C'est un américain d'origine mexicaine aux boucles brunes et à la bouille d'éternel gamin qui se fait mener à la baguette par sa meuf. Ensuite vient Noah, un caucasien à la chevelure blonde assez longue qu'il retient avec un élastique. Il pourrait presque passer pour un surfer avec son teint hâlé, sa barbe de quelques jours et ses yeux bleus, enfin jusqu'à ce qu'on prenne connaissance de la signification de ses tatoos et de son casier judiciaire bien chargé. C'est le DJ de la G-Nation. J'embrasse enfin Jalen, alias Biggy J, un afro-américain et prodige du rap dont la légende dit qu'il a composé son premier titre en taule. Ses textes sont si poignants et son flow exceptionnel que les médias le proclament même digne héritier de 2pac. Son gabarit – plus d'1m90 et les muscles qui vont avec – et ses tatouages lui donnent une allure assez menaçante. Pourtant, ils ne dissuadent pas les minettes qui ont le « fantasme du bad boy », surtout quand il sourit. Ses fossettes et son regard bleu-gris sont de vrais attrape-meufs.

Après avoir distribué des checks à tout le monde et fait la connaissance de Luna, ils s'affalent lourdement dans les fauteuils.

— Putain, j'ai grave besoin de me pieuter moi, soupire Jay en se passant les mains sur le visage. Je vous jure les mecs, je suis complètement déchiré.

— On s'est mis la tête à l'envers hier, ajoute Noah dans le même état.

— Qu'est-ce que vous avez encore foutus ? demandé-je en riant.

— On peut pas raconter, man, reprend le rappeur. Y a ta meuf.

— Ouais et nous, on respecte ça, renchérit Mario.

Je me retiens de justesse de lancer à ce latin lover que s'il avait eu le même respect vis-à-vis de sa propre femme, il ne serait pas aussi à l'ouest aujourd'hui. Nous savons très bien ce qui se passe durant ces soirées chaudes. En même temps qui suis-je pour le juger ? Après tout, si lui est un baiseur compulsif, moi je suis un putain de junkie qui lutte constamment contre lui-même pour pas replonger ! Chacun ses merdes.

— Et les autres ? s'informe Reece.

— Min avait la flemme de se lever, nous renseigne Noah.

— Et DC bah...c'est DC.

Nous répondons à la tirade de Jalen avec des éclats de rire. Min est un américain d'origine sud-coréenne, un geek surdoué très connu dans le milieu des compétitions de E-sport*. C'est le plus jeune du crew**. Ce qui lui confère le statut du « petit frère ». Ils sont donc tous très protecteurs avec lui. Quant à DC, c'est le membre que je connais le moins. Ce rital est une véritable énigme pour tout le monde, même pour ses amis qui le connaissent pourtant depuis près de deux décennies. Malgré son physique avantageux et sa gueule d'ange, il n'est sympa que lorsqu'il s'en donne la peine. Finalement, c'est bien qu'il ne soit pas là parce que je suis toujours mal à l'aise en sa présence. J'ai l'habitude d'utiliser mon extrême sensibilité pour sonder les gens afin de détecter leur fiabilité. C'est un peu mon détecteur de trouducs. Mais avec DC, je n'y arrive pas. Si les yeux sont réellement le reflet de l'âme, alors ce mec n'est qu'une enveloppe charnelle certes qui fait mouiller les petites culottes, mais qui est désespérément vide. La seule chose que j'ai réussi à détecter chez lui, c'est une aura sournoise et d'une noirceur angoissante. Je me suis toujours posé des questions sur cette amitié soudée qu'il semble partager avec ses « frères de cœur » et plus encore sur cette fascination quasi-morbide qui le lie à sa meuf depuis l'enfance.

Jay interrompt mes pensées en demandant :

— Bon, vous m'expliquez ce qui se passe ? C'est à la demande de Caleb que nous sommes là. Il était en flip complet quand il nous a appelés tout à l'heure.

Avec l'aide de Luna, je les mets au parfum, leur expliquant de quoi il retourne réellement. A la fin de notre exposé, Noah s'exclame :

— Waouh ! Ça fait des semaines que vous préparez ce truc ou quoi ?

Devant mon air perplexe, Mario explique :

— Il dit ça parce que vous étiez vachement synchros.

— Carrément ! ajoute Jalen qui semble aussi scotché que ses comparses. L'un finit même les phrases de l'autre et tout... C'est fun. Bizarre mais fun.

Luna et moi nous regardons, amusés et complices. Je n'avais pas vraiment conscience de ça et je pense que c'est pareil pour elle.

— OK ! reprend le rappeur. Je vais être franc, j'ai rien pigé à votre truc de marchande d'allumettes là. Tout ce que j'ai retenu c'est que ça concerne des mômes dans le besoin. Alors, je vous suis les yeux fermés.

— Pareil pour moi, acquiescent Noah et Mario en chœur.

— Sérieux ?

J'avais bon espoir qu'ils fassent moins de drame que Caleb mais pas que ce soit aussi rapide.

— Ouais vieux ! confirme Jay. J'allume l'incendie moi-même si tu veux.

Le salon se remplit de nos rires.

— Mais on fait quoi de Caleb ? s'inquiète Joao.

La réponse de Jay m'apaise pour de bon.

—Rien à battre de Caleb ! Ce mec, c'est un stressé de la vie. Il a toujours été comme ça. Il va piquer sa crise, péter un bon coup et finira par capituler.

— Vous faîtes pas de bile, renchérit le blond. On sait comment il fonctionne.

— Ouais on gère, termine Mario avec un clin d'œil.

Chose promise... A la fin de la journée, nous avions l'aval de notre manager. Il faut dire que les autres co-fondateurs – excepté DC – le mirent au pied du mur en soutenant publiquement notre initiative. Cependant, je pense que la lecture du projet eut aussi un impact certain sur sa décision. Sachant très bien qu'il était plus facile de faire le tour du monde à la nage que de toucher sa corde sensible, j'avais décidé d'être pragmatique. Caleb ne résiste pas longtemps à l'appel du profit. Je démontrai donc en long, en large et en travers l'impact économique qu'une telle initiative rapporterait, arguant que cela nous assurerait une réputation de philanthropes et par ricochet, boosterait considérablement les ventes de nos albums. De plus, au cas où le projet échouerait, le label n'aurait rien à débourser puisque je m'engageais à prendre les éventuels dépenses en charge. Ce qui pour Giant Records était tout bénef.

A partir de là, tout alla très vite. Luna nous fit une place dans les locaux de HOPE où nous installâmes le QG officiel. Grâce à l'appui aussi bien de personnalités connues que de bénévoles – dont Cindy, la fan à qui j'avais offert ma guitare – le hashtag devint viral, à tel point que le projet s'étendit un peu partout dans le pays avant de se propager sur les six continents. Un vrai raz-de-marée humanitaire. Partout, les gens se mobilisèrent spontanément et créèrent des groupes d'entraide dans un élan de solidarité qui m'émut aux larmes. Penser à toutes ces familles dans le monde qui pourront fêter cette année dans des conditions optimales agit comme un baume qui atténua temporairement cette culpabilité avec laquelle j'ai dû apprendre à vivre. Mais ma plus belle récompense fut sans conteste de voir les larmes de bonheur dans les prunelles de ma Lune. La regarder s'extasier, rire, s'activer jusqu'à s'endormir crevée, sur une chaise avant de retourner au front dès le lever du soleil... Née pour aider, elle est née pour aider.

*

* *

Je jette un dernier regard aux convives réunis dans mon salon avant de me diriger vers notre chambre pour prévenir les filles de l'ouverture imminente des cadeaux. C'est Noël aujourd'hui et nous tenions à le fêter en compagnie de nos familles en plus des deux autres que nous hébergeons. En effet, Luna et moi avions déduit que puisque nous avions deux appartements, nous pouvions accueillir une famille chez elle et une autre chez moi. C'est ainsi que la famille Allen – composée de Brody, de Rachel, de leurs deux garçons et de leurs trois filles – logent chez moi tandis que la famille Rodriguez – Maria et ses deux adorables jumelles de 5 ans – occupent l'appart de ma magicienne et ce, depuis début décembre. Vous pensez que ça lui suffit ? Ça aurait été trop simple, n'est-ce pas ? En plus de ces locataires temporaires, elle prit en charge Kate, l'ado qu'elle avait repéré à Thanksgiving et qui habite désormais dans l'une des cinq chambres de mon loft.

Je secoue la tête d'incrédulité en repensant à tout ce que nous avons réussi à accomplir en quelques semaines. Light a match est un réel succès, si énorme que nous étendîmes le programme aux SDF sans famille. Sur la suggestion de Biggy J, nous écrivîmes un feat ensemble, lui s'occupant du rap des couplets et moi du refrain. On peut tout reprocher à ce mec, n'empêche qu'il faut lui reconnaître un sacré talent pour l'écriture. Les paroles de la chanson, nommée aussi Light a match, sont d'une telle profondeur, tour à tour poignantes puis pleines d'espoir que rien qu'en les lisant, je sus qu'elles sauraient atteindre les cœurs. Les fonds récoltés grâce au single sont reversés à des associations bossant pour la réinsertion des sans-abris.

Je trouve Luna, Kate et Peyton – l'aînée de 16 ans des Allen – en pleine conversation sur un sujet adoré de – presque – toutes les meufs : les fringues. Croisant les bras, je m'adosse contre le chambranle de la porte pour les contempler un petit moment. Il y a quelque chose d'apaisant à observer ces deux jeunes filles qui en ont bavé, parler de choses aussi futiles.

— Franchement, je suis trop jalouse de ta garde-robe, s'écrie Kate.

Elle est nonchalamment couchée en travers du lit que j'occupe avec ma magicienne depuis environs trois semaines. En effet, celle dernière a préféré laisser son deux pièces à Maria et à ses filles. Peyton, une rousse aux yeux émeraudes comme son père, elle, est assise par terre les pieds en tailleur. Elle ajoute :

— Grave ! Je tuerais pour avoir tes fringues Luna !

Ma lune, qui termine sa tresse devant son miroir, se retourne en émettant un petit rire.

— Vous savez quoi ? Demain, je dois comme au lendemain de chaque Noël, envoyer des vêtements que je ne mets plus à l'église. Si vous le désirez, vous m'aiderez à faire le tri, annonce-t-elle en leur faisant un clin d'œil. Comme ça vous pourrez choisir les vêtements que vous souhaitez garder.

— Tu es sérieuse ? s'exclament-elles ensemble.

— Ouais. Vous savez les filles, je n'achète plus de fringues depuis des lustres grâce à mon métier de bloggeuse. Les marques certifiées bio ou véganes me sollicitent pour des partenariats afin que je mette leurs vêtements, leurs chaussures, leurs sacs, ... Au final, je me retrouve avec toute une pile d'affaires neuves qui encombrent mes placards.

— Tu rigoles ! clame Kate, scotchée.

— Demain, quand on fera le tri, vous constaterez par vous-même. Ils ont encore l'étiquette.

Les deux ados émettent des gloussements d'incrédulité.

—La chance, soupire Peyton.

— J'avoue oui, minaude Luna qui est une vraie fashion victim.

Une toux malencontreuse que je traîne depuis une semaine les interrompt. Luna vient aussitôt à ma rencontre.

— Sol, commence-t-elle.

— Je sais, ... je sais...la coupé-je d'une voix entrecoupée par la quinte de toux. J'irai voir le doc...mais après les fêtes.

— Tu m'inquiètes de plus en plus mon cœur.

Non, ne me regarde pas avec ces yeux-là poppet. Jamais, jamais la tristesse ne doit ternir le bleu de ces magnifiques prunelles dont je suis accro.

— Mais non, essayé-je de la rassurer d'une voix rieuse alors que ma respiration s'apaise. Je ne suis pas la première personne à choper la crève durant l'hiver. Regarde, c'est déjà passé.

Puis, j'enchaîne pour changer de sujet, une technique dans laquelle j'excelle depuis quelques semaines.

— Allez les filles, dépêchez-vous. C'est l'heure des cadeaux.

Cinq secondes plus tard, les deux ados ont disparu de la chambre. Nous pouffons en les observant détaler dans le couloir. Puis Luna retourne devant son miroir pour essayer d'apercevoir son dos. Ce qui me fait sourire.

— Tu sais que tu ne lui cacheras pas ça toute ta vie ?

Rassurée que l'ébauche du tatoo que je suis en train de lui faire ne soit pas visible, son reflet me tire la langue. Elle a voulu que je reproduise les mêmes étapes de l'éclipse que j'ai le long de la colonne vertébrale. Et depuis, je reste scotché de savoir qu'il est possible d'avoir la trique pour un dos tatoué.

— Tu vas te mettre des écarteurs aussi ? la taquiné-je.

— Euh...Faudrait pas abuser non plus. C'est toi la rock star corrige-t-elle.

Je rigole de la grimace qu'elle fait pour appuyer ses dires.

— Alors tu as réussi à convaincre Kate de revoir sa mère ? demandé-je plus sérieusement.

— On va dire que c'est en bonne voie. De toute façon, sa mère a bien compris qu'elle risque de perdre sa fille si elle ne quitte pas cet homme. Elle m'a dit qu'elle le ferait alors j'attends qu'elle tienne parole.

La lueur de détermination qui brille dans le regard de ma lune m'indique qu'elle en a fait une affaire personnelle. Et je la soutiens à fond. Même s'il est clair que Claudia, la maman de Kate, adore sa fille, son choix de vivre avec un ivrogne à la main leste n'est certainement pas le plus judicieux qu'elle ait pris. Il est donc évident que la petite restera avec nous tant que sa génitrice n'aura pas repris ses esprits, quitte à faire une demande légale en vu de devenir ses tuteurs jusqu'à sa majorité.

Une demi-heure plus tard, le sol du salon est jonché de paquets cadeaux et de petits groupes se sont formés. Luna est avec deux de ses cousins, la troisième, Sin étant pleine discussion avec la troisième, Holly. Un pari secret a été lancé entre nous pour deviner combien de temps il faudrait à ces deux-là pour conclure. Mon regard s'attarde sur nos deux mères qui conversent avec Maria et Rachel. Mes géniteurs sont tombés immédiatement sous le charme de Luna, alors qu'ils ne discutaient avec elle que via Skype ou par téléphone. Une entente qui s'est vite étendue à ses parents lors de la rencontre qui a eu lieu hier, à l'occasion d'un dîner organisé par les Sullivan pour faire connaissance. Depuis, Janet et Amelia sont inséparables tandis que David et William ne se lâchent plus. Je suis heureux de nous voir entourés des personnes à qui nous tenons le plus. Leur présence est primordiale pour l'acte important que je m'apprête à poser.

— Respire mec, respire, murmure Joe.

— Ouais, tu es tout blanc et t'arrête pas de trembler, chuchote Reece.

— Alors qu'on sait tous que c'est dans la poche, assure Sky. Elle est folle de toi Sol ! C'est évident qu'elle sera ok. Bon prêt ?

J'inspire une dernière fois.

— Prêt ! affirmé-je.

J'appelle Elie, l'une des jumelles de Maria à qui je donne un petit paquet à remettre à Luna. Je regarde Luna prendre la boîte. Le format ne laissant planer aucun doute sur le contenu, je vois ses mains tremblantes ouvrir fébrilement le papier cadeau. Une fois le petit coffret entre ses doigts, elle l'ouvre lentement. Elle lève des yeux larmoyants vers moi, hésitant visiblement entre les pleurs et les rires. Je m'approche d'elle et quand je mets un genou à terre, un silence se fait autour de nous. Des hoquets de surprise puis d'émotions parcourent la pièce mais je les perçois de loin, enveloppé dans cette bulle que seule partage ma lune. La gorge nouée, je la racle avant de déclarer :

— Tu te souviens poppet, le jour de nos retrouvailles, j'avais prononcé des mots que tu avais qualifié de définition parfaite du mot « âmes-sœurs ».

Incapable de répondre, elle hoche vivement de la tête.

— Eh bien, aujourd'hui, devant tous nos proches, j'aimerais les reprendre. Le mercredi 12 novembre de l'année 1997, nos corps se sont devinés, nos yeux se sont rencontrés, nos cœurs ont fusionné et nos âmes se sont reconnues. Ainsi, pour concrétiser ces paroles et les clamer aux yeux du monde entier, acceptes-tu de sceller ton corps, ton cœur et ton âme aux miens pour l'éternité ?

Secouée de sanglots incoercibles, elle essaie tant bien que mal de se calmer pour pouvoir me répondre.

— Oui...Oui...Oui...répète-t-elle, en tombant à genoux, encore et encore jusqu'à nos lèvres se rejoignent dans un baiser passionné, maladroit et humide de nos larmes.

Pour détendre l'atmosphère chargée d'un trop plein d'émotions, j'entends Joao qui s'écrie :

— Eh, vous deux, les chambres sont faites pour ça. Y a des gosses ici !

Tout le monde éclate de rire, ma fiancée et moi les premiers. Nous nous séparons afin que je lui mette la bague. Il nous faut trois tentatives pour y arriver à cause de nos mains tremblantes. Une fois debout, tout le monde se rue sur nous pour nous féliciter. Ma mère, les joues humides, nous embrasse en murmurant :

— Merci de m'offrir une fille, Sol.

— Vous étiez destinés l'un à l'autre, mes enfants, déclare Janet en nous enlaçant à son tour pour un câlin à trois.

Le destin ! Nous pensions naïvement avoir trouvé en lui un allié de taille...Quelle blague ! Un putain d'enfoiré de première, une charogne de merde fourbe et moqueuse qui nous tournait autour depuis vingt-quatre années, trépignant à l'idée de lacérer la carcasse puante et sanguinolente de notre bonheur, briser les os de nos espoirs et déchiqueter le cœur de notre félicité. Lentement, péniblement, douloureusement... L'enculé se délectait déjà du spectacle de la torture indicible qu'il s'apprêtait à nous infliger. Et nous, pauvres ignorants, sous son regard ironique, emmaillotés dans notre candeur douillette, imaginions notre avenir radieux. Ouais, un putain d'enfoiré !

*Signifie sport électronique en français. C'est le fait de jouer en ligne, seul ou en équipe à des jeux vidéo.

**(équipe ou gang): dans le hip-hop, c'est un groupe d'amis réunissant rappeurs, graffeurs, DJ,...

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