Chapitre 13 : Je l'appellerai Monsieur Connard
"Monsieur ?"
Une voix fluette me réveillait alors que je m'étais bêtement endormi. En retirant le patch sur mes yeux, que j'avais posé là pour méditer un peu, je fus assailli par la lumière blanche et forte de l'intérieur de l'avion.
"Nous allons atterrir à Bangkok. Si vous voulez bien redresser votre dossier et ranger vos affaires sous votre siège, merci."
La jeune femme m'adressa un sourire forcé, des dents tellement blanches que j'aurais juré y voir mon reflet. Elle m'aida gentiment à me redresser et partit prévenir les autres passagers du vol. L'atterrissage se fit en douceur, et on quitta l'appareil en moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, une avance que je me devais d'avoir en première classe. Une fois sorti, après presque six heures de vol, j'allumai directement mon téléphone et me dirigeais vers la pancarte qui épelait mon nom en toutes lettres. Non sans quelques fautes...
KIM TAAEHYUNCG
"Monsieur Kim ! Monsieur Kim !" s'égosillait un homme thaï aux allures d'alcoolique mal famé avec un accent très prononcé. "C'est bien vous ?"
On se serra la main, et je regrettais tout de suite d'avoir l'impression de tenir une éponge usagée entre les doigts. Je me retirai directement avec un sourire poli.
"Oui, oui." Acquiesçais-je, pressé. "Allons-y, je suis épuisé, rentrons directement à l'hôtel."
Ce fut sans me douter que mon agent thaïlandais était encore plus bavard que certaines presses à gros titres.
Il n'arrêtait pas.
"Vous allez voir la Thaïlande, c'est un pays magnifique ! Vous ne voudrez plus jamais repartir ! Vous restez longtemps, Monsieur Kim ?"
"Non, je suis simplement là pour affaires-"
Il n'écoutait pas du tout ce que je lui disais.
"Vous pourrez visiter le Wat Phra Kaew ! Ou bien la Khao San Road ! Moui, vous devriez plutôt la faire de nuit. Oh, mais j'y pense, si vous êtes là pour affaires, vous allez sûrement manger dehors. Je peux vous conseiller de bons endroits où vous trouverez du Pad Thaï pour pas cher !"
De l'aéroport jusqu'à l'hôtel, et j'avais fait le calcul : il y avait au moins quarante-cinq minutes de route pour soixante kilomètres. C'était bien ma veine... Je commençais même à regretter le trajet en avion avec ses turbulences et ses bébés en crise de mort imminente.
"Surtout, pensez à moi si vous sortez, Monsieur Kim," dit Nit en m'accompagnant jusqu'à la porte de ma chambre.
Il me tendit sa carte, un bout de papier écrit à la main et taché de graisse, que j'attrapai à la va-vite en prétextant le décalage horaire pour fermer ma porte le plus vite possible.
Évidemment, le papier finit à la poubelle dès la première seconde.
Une fois lavé, changé et dans les draps de mon lit, j'envoyai un message à ma fiancée pour la rassurer et prévenir de mon arrivée dans le pays, en omettant le chauffeur trop bavard et l'hôtesse de l'air collante. Court, factuel et sans saveur, ma vie tournait en rond depuis des années déjà. Le fameux métro boulot dodo, comme toujours. Puis, je fermai les yeux en imaginant mon retour en Corée.
Le lendemain, je quittai ma chambre d'hôtel vers les coups de huit heures, pris un petit déjeuner tellement copieux que je crus redécouvrir les saveurs de certains fruits, et partis vers mon premier et dernier rendez-vous avec Nit.
Dans les grands buildings de Silom, le quartier des affaires de Bangkok, m'apprit Nit, je reconnus tout de suite les plus grandes firmes et représentants internationaux tels que Singha, une marque de bière très prisée en Asie, et Charoen Pokphand grp, celle qui s'occupait des seven/eleven déjà implantés en Corée depuis plusieurs années.
Je me frottai les tempes en appréhendant ma rencontre avec le PDG de l'entreprise d'Import-Export FFTP.
"Monsieur, nous sommes arrivés," précisa Nit, qui faisait office de traducteur, conducteur, assistant et même autoradio durant mon voyage.
Une fois dehors, dans la chaleur grimpante de mars, on nous conduisit vers les ascenseurs après une multitude de serrages de mains et de présentations grandiloquentes de ma personne.
"Kim Taehyung, quel honneur !" "Kim Taehyung, c'est un plaisir de vous recevoir chez nous !" et autres mensonges auxquels je ne m'embêtais plus à relever depuis longtemps.
À force de se faire lécher le cul, on ne sent même plus sur quelle chaise on s'assoit.
Nous arrivâmes dans un long couloir menant à une porte unique, le bureau du grand patron. Je redressai ma cravate, serrai les manches de mon costume trois pièces, et tournai une dizaine de fois mon anneau de fiançailles sur lui-même pour me donner du courage avant de m'élancer avec envie dans l'antre de la bête.
"Monsieur Kim !"
J'allais vraiment finir par tuer quelqu'un si on continuait de me rappeler mon nom toutes les trente secondes.
Cependant, ce fut un homme d'une cinquantaine d'années, ridé et au ventre bedonnant, qui m'accueillit avec un sourire en coin, ravi de me voir enfin ici bien qu'il semblât particulièrement stressé et mal à l'aise.
"Comment s'est passé votre vol ? Vous avez fait bon voyage ?" Il me désigna un siège devant un grand bureau, face à une vue prenante de Bangkok. "Venez, asseyez-vous là. Je vous sers quelque chose à boire ? J'ai du whisky si vous voulez, il ne boit que cela de toute façon..."
"De l'eau, merci."
Pas d'alcool pour signer peut-être le plus gros contrat de ma vie.
"Je suis Monsieur Tincap, mais vous pouvez m'appeler Cap, tout le monde m'appelle Cap ici." Il me pria de m'asseoir quand je me levai à son tour pour se présenter. "Non non non, ne vous embêtez pas, je sais déjà qui vous êtes."
Je me grattai la gorge en regrettant déjà tout le remue-ménage qui était en train de se passer et commençai mon discours.
"Bien, si je suis ici, à Bangkok aujourd'hui." Je me devais de préciser le déplacement qui n'était pas pris en compte par la société. "Et devant vous. C'est pour-"
"Oh non non non !" me coupa mon interlocuteur en essuyant une goutte de transpiration qui coulait sur son front, bien que la clim soit extrêmement forte dans l'ensemble du building. "Je ne suis pas le CEO de From Fast To Precise ! Non en fait...." Il rangea son mouchoir dans sa poche en ratant plusieurs fois l'entrée. "Monsieur Jeon est en retard, c'est pour ça."
Je me demandais comment ce type pouvait se faire appeler "Le Géant du Transport" alors qu'il était en retard. Son entreprise était la plus grande compagnie d'import-export de toute l'Asie et pourtant, ce fameux Mr. Jeon n'était pas fichu d'être à l'heure à un rendez-vous, dans sa propre boîte, dans son propre pays.
Et puis Jeon, franchement, ce n'était qu'un moyen pour cacher un nom tarabiscoté du genre Kunpimookjeon ou autre. Il aurait dû s'appeler monsieur Connard, c'était plus court et plus parlant, beaucoup plus véridique.
Quel pays de merde...
Plusieurs heures plus tard, le dit Mr. Jeon n'était toujours pas là. À la place, on m'avait fait visiter les locaux, Cap m'avait bombardé de blagues en essayant tant bien que mal de combler l'absence de son boss.
"Écoutez, je pense que je vais y aller. Vous n'avez qu'à m'appeler quand Mr. Jeon sera là, d'accord ?" lui dis-je en soupirant.
"Bien sûr. Au plaisir de vous avoir rencontré, M. Kim."
On se serra la main, il me raccompagna en bas du building et s'excusa encore une bonne dizaine de fois pour le comportement de l'autre malotru. J'espérais bien qu'il se fasse renvoyer.
Maintenant, il fallait que je me trouve un taxi et une occupation pour la soirée si je ne voulais pas devoir rappeler Nit et finir la journée en sa compagnie.
"Taxi ! Taxis !"
Les voitures ne semblaient pas me voir et continuaient leur route comme si j'étais transparent. L'un d'entre eux se gara, ouvrit sa fenêtre, me contempla de haut en bas puis parti en crachant une insulte thaï. Un truc du genre "Etranger de merde" ou je ne sais quoi, qui me mit encore plus sur les nerfs.
Un gros bruit me fit sursauter. Au tournant de la rue, un motard avait braqué et fonçait droit sur moi. Son manteau en cuir noir et la tenue qu'il portait me donnèrent chaud tellement il était couvert. Le bolide se gara à mes pieds, et son conducteur souleva sa visière d'un coup de maître.
"Vous allez quelque part? Je peux sûrement vous aider. Les taxis d'ici ne vous emmèneront nulle part si vous ne parlez pas thaï."
Enfin, un taxi normal qui respecte ses clients ! Le type n'avait pas non plus l'air d'un mauvais bougre et il parlait ma langue d'un accent parfait. Il m'expliqua même la marque et les détails de son engin en me donnant un casque.
"Monsieur Kim ! Monsieur Kim ! Mr. Jeon est- !"
La voix nasillarde du responsable marketing Tincap résonna dans mon dos, et je le vis courir vers moi, le téléphone en main.
Oh non, pas cette fois. Monsieur Connard attendra cette fois. Chacun son tour.
Je sautais alors sur l'occasion et enfourcha à mon tour, derrière l'inconnu, en enfilant le casque.
"On va où ?" Demanda-t-il.
"Peut importe mais emmener moi loin de ces buildings ou je vais finir par peter un câble."
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