Chapitre 3 - Don't Blame Me For Falling
J'aidai Dean à bouger les fauteuils. D'habitude, nous n'étions que cinq, alors deux canapés suffisaient. De plus, ce soir, il ne devait y avoir que quatre personnes à la Résidence, notre villa. Une fois les canapés et fauteuils placés autour de la petite table rectangulaire, tout le monde s'installa dedans. Dean se laissa tomber dans un des fauteuils, Eze dans celui d'en face, les deux sœurs dans un canapé et le couple dans celui opposé.
Je restai debout et posai mes main sur le tissu du sofa de Zoran.
« - Zo, je vais faire à manger, tu veux quoi ?
- Pâtes, s'il te plaît, » répondit-il en se massant l'estomac.
Je savais qu'Ezechiel avait mangé - il avait commencé avant que nous ne partions -, de même pour Dean, Loam et Adeline : ils avaient commandé des pizzas dont l'odeur flottait toujours. Restait Laura.
« - Laura, as-tu mangé ? demandai-je, d'un ton que j'espérais neutre.
- Il est minuit et demi, William. Oui, j'ai mangé, répliqua-t-elle aussi froidement qu'au téléphone.
- Parfait. »
J'avais plutôt bien compris le message.
Je sortis de la pièce et traversai le hall en direction de la cuisine. Il faisait chaud dans la pièce. Les cartons de pizza traînaient sur le plan de travail, alors je les jetai à la poubelle. J'ouvris un placard et en extirpai un bocal de pâtes. Je pris une casserole, la remplis d'eau et la mis à chauffer en soupirant. La soirée s'était déroulée très vite mais elle avait été éprouvante pour tout le monde.
Nous avions passé l'après-midi avec Line, qui arrivait tout juste de Manchester, puis Zoran et moi avions décidé d'aller dîner au restaurant. Ezechiel était un peu malade, alors il avait mangé tôt et était allé se reposer dans sa chambre. Les trois autres avaient commandé leurs pizzas et nous étions partis autour de vingt heures.
À peine arrivés au restaurant, nous avions commandé à boire et le téléphone de Zoran s'était mis à recevoir des messages. Ne voulant pas passer sa soirée sur son téléphone, il avait désactivé les notifications et activé le mode « ne pas déranger », mais c'est mon portable qui s'était mit à sonner, puisque Dean m'appelait. Comprenant la visible urgence, Zoran avait allumé son téléphone, consulté ses messages et son visage avait perdu ses couleurs. Il m'avait montré la vidéo volée de lui et Loam alors que j'étais toujours en conversation avec Dean. Nous avions payé rapidement et étions rentrés en catastrophe. Meina et Andrew étaient déjà arrivés, tout le monde était réuni dans la salle de musique. Nous avions essayé de trouver des solutions.
La rumeur d'un possible couple entre Loam et Zoran existait depuis longtemps, avant même le couple lui-même. Mes deux amis avaient toujours été proches. Ça déplaisait aux managers, mais honnêtement, tout le monde s'en fichait. En tant que membres du groupe, nous avions juste envie de les encourager, les musiciens les trouvaient mignons, le reste des équipes comme les maquilleurs, coiffeurs, techniciens et chorégraphes les adoraient pour ce qu'ils étaient. Seulement, « afin d'éviter des polémiques et des débats inutiles », ils n'avaient pas le droit d'être publiquement en couple. En vérité, cette excuse couvrait sûrement une homophobie certaine. Mais nous n'avions pas le choix, et, au moins, ils pouvaient être eux-mêmes derrière les portes closes.
La réponse apparemment logique des managers était de faire croire que l'un des deux - ou les deux - était déjà engagé avec quelqu'un. Prétendre que Zoran n'apparaissait pas dans la vidéo était impossible ; mais on ne voyait de Loam que sa chevelure blonde. Il fallait donc trouver une jeune fille blonde à mettre dans la confidence, une fille de confiance. C'est donc naturellement qu'Ezechiel avait proposé Laura, alors que Line étouffait un rire pas franchement convaincu.
« - Elle n'acceptera jamais, avait-elle dit.
- Pour aider Zoran et Loam ? Bien sûr que si, avait répondu Dean en haussant les épaules.
- Tu pourrais sortir avec Loam, avait ajouté Ezechiel.
- Non, pas possible, on a posté nos fiançailles avec John, avait terminé Adeline en secouant la tête. J'aurais aimé pouvoir vous aider, mais désolée. »
Finalement, Dean avait eu raison, Laura avait accepté. Ça me déplaisait. Parce que ça voulait dire qu'elle allait passer plus de temps ici. Et je n'aimais pas ça. Notre rupture était compliquée car elle n'était pas dûe à un manque d'amour, non. Elle était dûe à notre désaccord par rapport aux médias : moi, ça ne me dérangeait pas tant que ça d'être reconnu et photographié ; elle détestait ça, selon ses dires. Et elle venait d'accepter de s'exposer volontairement avec Zoran... et ça me restait un peu en travers de ma gorge.
Je mis les pâtes dans l'eau et j'attendis. Dean entra dans la cuisine, s'adossa au plan de travail à côté de la plaque puis s'y percha. Je me reculai pour lui laisser de l'espace.
« - Je vois que vous êtes toujours des merdes en termes de communication.
- Merci, Dean.
- Je suis sérieux, mec. Vous devriez parler. »
Je soupirai encore, le temps de structurer ma pensée.
« - Premièrement elle n'a pas l'air de vouloir communiquer dans l'immédiat. Elle est froide avec moi, elle est distante, elle me regarde à peine et quand elle le fait, elle est effrayante. Puis question de communication, je pense qu'on a assez donné. Je veux dire- Quand elle a voulu rompre, c'était une décision réfléchie de sa part, on en a parlé, beaucoup, même. Oui, on s'est beaucoup engueulés et oui en soit, on s'est séparés à cause de la dispute de trop, mais ça veut pas dire qu'on s'est pas parlés du tout. »
Dean haussa les épaules. Je savais bien qu'il n'était pas d'accord avec moi, mais nous n'avions tous les deux exposé nos avis, qui différaient. Ceci dit, je rangeai sa remarque dans ma tête, j'y réfléchirai. Il descendit du plan de travail et se dirigea vers le frigo, en sortit un pack de six bières et une canette de coca, les déposa sur un plateau rond et sortit de la cuisine, le plateau posé sur le plat de la main - cet homme avait travaillé comme serveur.
Je sortis deux assiettes, des couverts, du pesto et dressai les plats, puis je rangeai et je me dirigeai vers le salon.
Je déposai son assiette devant Zoran sur la table basse avec ses couverts et je fis de même pour moi en m'asseyant entre l'accoudoir et Line. Les deux sœurs se chamaillaient à propos du pull porté par Laura, qui appartenait à leur père et que Line cherchait depuis quelques semaines, apparemment. Elles se turent et un petit silence plana avant que Laura ne reprenne :
« - Non mais vraiment, ça fait un an et demi et j'ai jamais remarqué, j'en reviens toujours pas.
- Même les fans avaient remarqué, t'aurais pu faire un effort, Laura, se moqua Dean.
- Non, mais, par contre certaines de leurs « preuves » c'est Zoran et Loam qui sont proches et tactiles, sauf que vous êtes tous toujours très tactiles.
- On ne l'a pas toujours été, souligna Eze avant de prendre une gorgée de bière. Tu dois pas t'en souvenir, c'était au début. On était proches mais pas autant que ça. Juste eux. Quand les deux loulous se sont mis en couple, on nous a demandé de changer de comportement envers les uns et les autres, pour les couvrir. Après, c'est devenu naturel, mais à l'origine, ça ne l'est pas.
- Au final, ça collait avec l'image qu'on voulait donner, ajoutai-je.
- Et ça vous va bien, termina Line en haussant les épaules.
- Ceci dit, c'est bizarre que tu n'aies jamais rien vu sur les réseaux sociaux, reprit Ezechiel après un court instant de silence.
- Pas sûre que ce soit le genre de contenu sur vous qu'elle consomme, » glissa la sœur de Laura dans leur langue maternelle, que je comprenais un peu malheureusement.
Personne ne releva, tout comme personne ne releva le regard qu'elle m'avait lancé en prononçant ses mots, tout comme personne ne jugea utile de lui préciser que j'avais appris un peu de français au collège et au lycée. Laura lui donna simplement un petit coup de coude. Des deux, on avait parfois l'impression qu'elle était l'aînée.
Dean posa son téléphone sur la table en souriant, j'étais presque sûre qu'il discutait avec Moïra, sa partenaire. Le silence n'était troublé que par des bruits de bouteilles ou de couverts sur nos assiettes. Puis Laura le brisa une nouvelle fois :
« - Attendez. Adé, tu savais ? »
La concernée pouffa en se penchant pour attraper sa bouteille. En face de nous, Zoran avait baissé la tête et posé sa main sur sa bouche pour cacher un sourire incontrôlable et Loam avait détourné le regard en se mordant la lèvre inférieure, lui aussi hilare. Eze, Dean et moi nous regardions un peu perdus et intéressés : nous n'avions jamais eu l'anecdote qui se jouait dans leurs têtes. Nous avions simplement eu droit à un « Bon... Line est au courant pour Loam et moi. » de la part de Zoran. Rien de plus. Et quelques rougissements, aussi, et des regards amusés d'Adeline.
« - Absolument, ma belle. C'était à Noël en 2021, ici. Il y avait nous sept, la copine de Dean, celle d'Ezechiel à l'époque et quelques-uns de vos amis aussi - désolée, je ne me souviens plus du tout des noms. Il était tard, quelques personnes étaient sorties dans le jardin, d'autres traînaient dans le salon et il me semble que toi et William étaient dans la salle de musique. D'ailleurs, heureusement que tu t'es tournée vers l'écriture parce que, mon Dieu, le piano c'est pas ton truc. »
Laura éclata de rire et lui assena un nouveau coup de coude. Elles avaient beau avoir dix-neuf et vingt-quatre ans, elles agissaient toujours comme les enfants qu'elles avaient été. Et pourtant, elles étaient loin d'être immatures. C'était simplement le lien sororal. Elles se comportaient un peu comme moi et mon frère, en y réfléchissant.
« - On reparlera de tes cours de triangle, Adé.
- Non, rit la sus-nommée. Bon, je continue mon histoire. J'avais soif, alors je suis allée dans la cuisine. Et en poussant la porte, qui vois-je, en train de s'embrasser ? Un petit brun et un petit blond. J'étais tellement sûre qu'ils étaient sortis dehors que j'ai mis cinq secondes avant de réaliser que, non, ils étaient bien là, dans la cuisine. Et qu'ils ne m'avaient pas entendue, alors j'ai juste toussé. J'admets que j'aurais pu partir, mais j'avais soif et j'étais pas très sobre.
- Des excuses, des excuses, se moqua Laura.
- Chut, lui répondit sa sœur. Du coup, j'ai découvert ça comme ça, il y a un an. C'était drôle de vous voir lutter pour pas faire de gaffe, mais je suis sincèrement soulagée de savoir que vous n'aurez plus besoin de vous retenir chez vous.
- Nous aussi. Ça enlève un certain poids, c'est vrai, mais si on peut se relâcher ici, on doit faire très attention en public. Le truc c'est que dès qu'on met un pied dehors, on est automatiquement en public, » fit Zoran en changeant de position pour s'asseoir en tailleur sur le canapé.
Loam posa la main sur sa cuisse et posa sa tête sur l'épaule de son compagnon.
Mon ami me fascinait. Nous nous connaissions depuis plus longtemps que les autres - même si c'était d'un mois. Nous avions passé des castings ensemble et nous étions bien entendus dès le début parce que nous avions le même caractère. Pour être totalement honnête, nous étions deux colériques au sang chaud qui pouvions partir au quart de tour, mais lui se métamorphosait en guimauve lorsqu'il était question de Zoran. Loam était très gentil avec nous, ses parents, ses sœurs, les fans et les gens en général, c'était vrai, tout comme je l'étais. Mais, avec son petit-ami, c'était vraiment différent. Il n'était pas calme et doux, il devenait indescriptiblement bien plus que ça. Parfois, il était aussi mignon qu'un chaton endormi. Loam frotta son nez contre le creux de l'épaule de Zoran avant d'y déposer un petit baiser. Il se redressa et ajouta :
« - On peut toujours passer du temps ensemble dehors. Il faudra juste que Laura soit là et te tienne la main.
- Je tiendrai la chandelle autant que vous le voudrez, si ça peut vous permettre d'être un peu tous les deux, » répondit la jeune femme avec un sourire dans la voix.
Je ne savais pas pourquoi j'avais douté d'elle à l'instant où Loam lui avait avoué la vérité.
A vrai dire, je ne savais pas pourquoi je doutais toujours d'elle. Nos deux mois de rupture m'avaient sans doute fait oublier que Laura était une femme incroyable et sublime - autant physiquement que mentalement. Je l'aimais tant que j'en exaspérais mes proches et j'en avais conscience. Mon petit frère m'avait déjà fait remarquer que quand je l'appelais, Laura apparaissait systématiquement dans la conversation à un moment ou à un autre.
« - Tu ne supportes pas de rester seule avec des couples, rappela Line.
- Oh, tu serais surprise, glissa Dean et tous nos regards se tournèrent vers lui. Ça date de quelques mois maintenant.
- Ah oui, ce jour-là, » se souvint mon ex-compagne.
Elle était de l'autre côté de sa sœur donc je ne pouvais pas voir son expression. Cependant, je décelai dans sa voix un certain amusement et un petit soupir. Je la connaissais suffisamment pour savoir qu'à cet instant, elle levait les yeux au ciel en fronçant un peu le nez. Elle faisait ça quand on l'embêtait et qu'elle en était amusée. J'avais beaucoup vu cet air sur son visage. Sûrement trop.
Il me ramenait des mois précédents le moment présent. Des années, presque. Par exemple, lorsqu'elle se levait de mon lit, au matin, et qu'elle se dirigeait dans la salle de bain alors que j'émergeais doucement. Je me souvenais de beaucoup de choses. Le doux bruit de ses pieds nus sur le parquet. Sa chaleur sur le matelas à mes côtés. Son odeur délicate sur l'oreiller. Le bruit régulier de ses ongles tapotant sur le meuble de la salle de bain. Ce sourire sur ses lèvres roses lorsqu'elle s'adossait au cadran de la porte. Ses bras croisés alors qu'elle disait avec son petit accent français : « L'étagère est toujours trop haute, Will » et ensuite cet air mi-amusé, mi-(faussement) exaspéré quand je lui répondais : « Trop haute ? Non, c'est juste toi qui est trop petite, Minimoy. ». Son haussement de sourcils quand je me levais à mon tour du lit, puis son éclat de rire quand je la prenais par la taille pour l'élever de quelques centimètres, son dos contre mon torse. Ses mains pinçant mes bras pour me faire lâcher prise, mais prenant toujours le soin de ne pas me blesser avec ses ongles. Le soupir surpris qu'elle laissait échapper lorsque que la déposais sur le meuble de la salle de bain pour l'embrasser.
Mon téléphone vibra dans ma main. Le sujet de la discussion avait changé. Line, Laura, Eze et Loam parlaient de quelque chose comme les fiançailles d'Adeline. Zoran s'était adossé à l'accoudoir sur le canapé, les jambes étendues sur celui-ci. Loam était allongé entre elles, le haut de son crâne calé sous le menton de son compagnon, qui écoutait distraitement le groupe en passant les doigts dans la masse de cheveux blonds de Loam. Dean envoyait des messages.
Je mis quelques secondes à réaliser que les textes qu'il tapotait sur l'écran m'étaient destinés.
« Mec ? »
« Ok, t'écoutes plus »
« Tu fais même pas l'effort de paraître inverti mdr »
« Bon, je te fais un résumé de la conversation, pour pas que tu sois paumé. Tu me remerciera plus tard »
« J'ai raconté un souvenir où Laura a tenu la chandelle entre moi et Moï, puis Eze a rebondi sur le sujet, disant qu'elle et moi étions mignons »
« Ensuite Zo a souligné que les plus "adorables" étaient Line et John, donc maintenant ils parlent de la demande en mariage. Et du fait qu'on est invités. Et Laura est témoin »
J'éteignis mon portable avant de le ranger dans ma poche, avant de murmurer un « merci mec » à Dean. Il me sourit en réponse et je me remis à écouter la discussion une vingtaine de minutes sans intervenir.
Rendus à une heure vingt, une série d'anecdotes commença. C'était un peu toujours comme ça entre nous, quand on ne s'était pas vus un long moment. On désignait une personne et quelqu'un devait raconter une anecdote inédite à son sujet. Dans les limites du respect.
« - Eze, lança Loam.
- Je me sens déjà attaqué, mon Dieu, répliqua celui-ci.
- J'ai, fis-je avant de me tourner vers mon ami pour avoir sa confirmation. La soirée du trente. »
Ezechiel plaça son visage dans ses mains en riant.
« - Putain, elle est nulle en plus. Vas-y, je veux savoir à quoi ça ressemblait du point de vue de quelqu'un qui s'est marré de A à Z. »
À vrai dire, j'avais eu un peu mal pour lui, mais, enveloppé dans les limbes de l'alcool, je n'avais pas eu le temps de m'en soucier. Lui était parfaitement sobre ce soir-là. Nous étions à une soirée à Purley, à une demi-heure de voiture de Bromley - notre ville de résidence - et il conduisait. Eze était un fêtard, mais il était aussi raisonnable. Il n'y avait que lui et moi, ce soir-là, avec tous ces inconnus.
Zoran et Loam étaient dans le Kent depuis le vingt-cinq décembre, pour fêter les dix-sept ans de Zoran et le nouvel an dans l'orphelinat dans lequel il avait grandi. Dean était en Écosse avec sa copine et la famille de Moïra depuis la veille. Ma famille vivait à Londres et j'avais prévu de me rendre chez eux le trente-et-un vers midi pour passer la soirée avec mes parents et mon frère, tandis qu'Eze devait prendre le train pour Manchester le lendemain matin.
« - On était à une soirée, Eze et moi. Des amis d'amis, il me semble. Vous connaissez Ezechiel, il a essayé de flirter avec une demoiselle, expliquai-je alors que mon ami se retenait de rire. Au début, je croyais que le courant passait bien, mais allez savoir pourquoi, à un certain moment, elle a posé son verre et elle a dit qu'elle était désolée, qu'elle n'était pas assez ivre pour continuer. Et elle est partie.
- Partie... Partie ? demanda Dean en haussant les sourcils.
- Partie. En courant, confirmai-je avant d'éclater de rire. Et je crois qu'elle n'est jamais revenue à la soirée.
- À ce point-là ? » demanda Loam.
Ezechiel acquiesça avec un grand sourire et Zoran laissa échapper un éclat de rire avant de s'excuser. Et d'un coup, tout le monde s'esclaffa.
« - C'est dommage, elle sait pas ce qu'elle rate, fit Loam en secouant la tête, chatouillant le menton de Zoran avec ses cheveux par la même occasion.
- Tant mieux, d'un autre côté. Au moins, ça laisse de la place pour les demoiselles honnêtes. Et de toute façon, je doute qu'ils auraient pu faire quoi que ce soit : ramener la fille et aller à Manchester, ça fait court.
- Franchement, tu sais pas. De nos jours, les jeunes font leurs affaires rapidement, papy, » me répondit Zoran.
Loam pencha la tête en arrière pour regarder ce dernier et dire en fronçant les sourcils :
« - T'as à peine dix-sept ans et tu tiens ce genre de propos, toi ? »
Zoran inclina son torse en avant pour murmurer quelques mots dans l'oreille de son compagnon. J'aurais pu lire sur ses lèvres puisqu'il n'essayait pas de les cacher, mais franchement, j'avais deviné les grandes lignes et la vie intime de mes amis ne m'intéressait pas plus que ça. Les pommettes de Loam rosirent un peu et il pouffa avant de souffler un petit « Pas faux. » Il se redressèrent et Zoran désigna Line.
« - Quelqu'un a une anecdote sur Adeline ?
- Moi, » fit Laura en levant la main.
Les deux sœurs étaient restées silencieuses le temps de mon anecdote. La plus jeune reprit :
« - C'était y'a quatre ou cinq ans...
- Chérie, si c'est ce que je pense que c'est...,» l'avertit Line.
Laura ne répondit pas et se contenta de lâcher un petit rire, nous assurant de cette façon qu'effectivement, il s'agissait de ce que sa sœur pensait.
« - J'avais fait une soirée chez moi avec des amies, je devais avoir quinze ans. Adénine était là aussi. J'avais une amie de dix-sept ans qui avait un gros, gros crush sur ma sœur, sauf qu'Adé n'avait pas compris que c'était réel. Elle a juste passé la soirée à flirter avec une fille qui était amoureuse d'elle.... Mes amies et moi, on n'osait rien dire jusqu'à un certain moment. »
Adeline plaça ses mains sur la bouche de sa sœur pour l'empêcher de continuer. La blonde riait à gorge déployée et la brune lui frappait gentiment le haut de la tête, puis elle relâcha la plus jeune et se mit à rire.
« - Donc je disais, reprit difficilement Laura. À un certain moment, je sais plus du tout pourquoi, mais Adé a embrassé ma pote. J'en ai entendu parler pendant quatre mois. Quatre. À l'heure actuelle, je crois bien que cette amie ressent toujours un truc pour ma sœur.
- J'apprends ce soir qu'elle avait vraiment des sentiments pour moi, je vous jure, se défendit Line.
- D'accord mais en général, ça se voit quand quelqu'un a des sentiments pour toi, non ? demanda Loam.
- T'es très, très mal placé pour parler, toi, » répondit Dean avec un rictus.
Considérant que Loam et Zoran s'étaient rencontrés mi-novembre 2020 et avaient eu un certain coup de foudre pour l'autre, et qu'ils s'étaient mis ensemble le quatorze septembre de l'année suivante... Oui, Loam était mal placé. Dean, Eze et moi avions fait des paris. Nous avions tous perdu. Dean avait dit qu'ils seraient ensemble avant 2021, j'avais parié qu'ils le seraient avant mars et Ezechiel, sans trop y croire, avait dit juin. Même moi, j'avais trouvé quelqu'un avant eux. Même moi.
« - Mais c'était pas mon amie, je l'avais vue, quoi... Maximum deux fois avant ça ?
- Quatre, en fait, mais oui, effectivement.
- Bon, fit Ezechiel après un petit silence. Line, tu veux prendre ta revanche sur ta sœur ?
- Eh ! protesta cette dernière.
- Avec grand grand plaisir, rétorqua l'actrice. Il faut savoir que ma petite sœur a une mémoire nulle. Mais alors vraiment nulle.
- Oui, se souvint Zoran. Quand on a écrit « Because I Don't Know », elle arrivait jamais à se rappeler des couplets précédents. Qu'on avait écrits, genre, cinq minutes avant.
- J'y suis pour rien, affirma Laura.
- Mouais, répliqua Adeline. Enfin, elle a une mémoire de merde mais elle a appris par coeur une chanson qui dure dix minutes trente.
- Dix minutes treize, corrigea la concernée.
- Ça revient au même. Et tu vas la chanter maintenant. »
Laura secoua la tête alors que Dean se pencha un peu en avant. Loam s'assit de nouveau normalement, Zoran suivant le mouvement. Eze passa la main dans ses cheveux en réfléchissant. Il sembla avoir trouvé la réponse qu'il cherchait et s'installa plus confortablement dans le fauteuil.
« - Alors déjà, chanter, c'est leur travail, pas le mien, répondit Laura en nous désignant d'un geste de la tête. Ensuite, la chanson dure dix minutes et c'est long, dix minutes.
- Oh, allez, s'il te plait..., demanda Zoran et je savais que c'était presque gagné.
- Tu commences à « Photo album » et tu t'arrêtes juste avant « I'll get older », après ça devient un peu chiant. »
Laura frappa gentiment le bras de sa sœur.
« - Émotionnel, pas chiant.
- Si tu veux, ma belle. Allez, chante nous ça.
- J'ai pas accepté. »
Le fait qu'elle n'avait refusé voulait dire qu'elle avait accepté. Tout le monde le savait.
« - Échauffe ta voix un peu avant. Ça va plus bas ou plus haut que ta voix normale ? demanda Loam avec un sourire.
- Mh, un peu des deux.
- D'accord, alors suis-moi. »
Il commença à faire vibrer sa voix et Laura l'imita pendant deux minutes. Ensuite, il lui demanda de se lever et de chanter. Elle se plaça derrière le fauteuil d'Ezechiel et posa ses mains sur le dossier. Elle attendit encore quelques secondes et se mit à chanter.
Laura avait une petite voix douce. Du point de vue objectif du chanteur, elle se débrouillait, mais c'était un instrument dont elle n'avait jamais appris à se servir - et donc elle avait quelques difficultés. Ses yeux étaient dirigés vers ses ongles mais elle faisait de son mieux pour garder la tête droite. Son accent ressortait vraiment lorsqu'elle chantait. Ce petit accent français que j'aimais tant.
Elle transmettait les émotions contenues dans les paroles, mais pas les siennes. Jusqu'au refrain. Elle sembla s'éveiller et chanter pour de vrai ce qu'elle ressentait, elle vivait les paroles et c'était douloureux. Je connaissais la chanson - elle avait insisté pour me dire que c'était un chef d'œuvre et me la faire écouter quand elle était sortie. Elle parlait d'une relation amoureuse terminée et des souvenirs qui restaient, dont la chanteuse se souvenait « trop bien ».
Elle regarda sa sœur avant de lui faire un clin d'œil et de continuer.
« - Not weepin' in a party bathroom, some actress askin' me what happened. You, that's what happened, you... »
Des frissons étaient apparus dans mon dos ; ses yeux avaient glissé sur moi sur la deuxième phrase. Je ne savais pas comment je me sentais par rapport à ça, et j'espérai que personne n'avait remarqué.
Malheureusement, toujours regardant sa sœur, Adeline glissa la main qu'elle avait posée sur le canapé vers ma jambe pour me tapoter le genou. En relevant les yeux, je remarquai que Loam m'adressait un petit regard désolé.
Laura continua de chanter, puis elle s'arrêta. Adeline et Eze furent les premiers à applaudir - manifestement, ils connaissaient bien la chanson - suivis par le reste du groupe et moi. Elle revint s'asseoir et prit une grande gorgée de bière. Elle fut félicitée et j'arrêtai de suivre la conversation à peu près à ce moment-là. Je continuai de rire et de répondre aux autres, mais sans faire très attention.
Vers deux heures et demi, tout le monde était en train de s'endormir, alors on décida d'aller se coucher. Eze et Adeline montèrent en premiers pour préparer la chambre d'amis au dernier étage, tandis que Dean et le couple rangeaient le salon. Laura et moi ramenions les bouteilles dans le silence complet. En arrivant dans la cuisine, je me fis la remarque qu'ouvrir le réfrigérateur me réchaufferait sûrement, vu la fraîcheur de l'ambiance.
Je ne le fis pas.
Je montai les escaliers vers le premier étage, juste derrière Laura. L'échelle vers le grenier était sortie ; Ezechiel en descendait. Il salua Laura, qui monta à sa place, et se rendit à sa chambre au fond du couloir. Dean monta depuis le rez-de-chaussée à ce moment et je rentrai dans ma chambre, à l'opposée de celle d'Ezechiel et donc la plus proche des escaliers, en lui disant bonne nuit. Tout de suite après, j'entendis Zoran et Loam monter et entrer dans chambre de Loam, entre la mienne et celle de Dean - on aurait pu avoir que quatre chambres à cet étage, sincèrement.
Ce serait mentir que de dire que je me sentais parfaitement bien.
J'étais triste et déçu que Laura ne soit venue que lorsque j'avais mentionné Zoran. Je savais que ces deux-là avaient un truc particulier, mais je savais aussi qu'elle l'aurait fait si ça avait été n'importe lequel des garçons. Juste, pas moi. C'était injuste de penser ainsi : les garçons étaient ses amis et j'étais son ex. J'en étais conscient.
Simplement, une part de moi espérait qu'elle ne m'ait pas complètement oublié. Une part de moi voulait que Laura soit toujours amoureuse de moi. Probablement la partie de moi qui était encore fou d'elle.
***
Bonjour, merci d'avoir lu mes 4619 mots matinaux !
J'espère que vous avez aimé ce chapitre, donnez-moi votre avis. Personnellement, je ne sais pas. Mais vous avez bien (mieux, en tous cas) rencontré mon petit préféré, Dean !
On se retrouve la semaine prochaine pour le chapitre 4 - à l'heure cette fois-ci.
Encore merci de votre lecture.
- Alex.
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