Chapitre 1 - Torn Leaf

Long manteau marron, large écharpe noire, bonnet et gants de la même couleur. Lunettes de soleil. Masque. Je n'avais aucune envie de sortir. D'ailleurs, j'étais enfermée chez moi depuis quatre jours. Je ne voulais ni affronter le froid de janvier, ni mon regard sur les couvertures des journaux.

Seulement, je ne pouvais pas rester indéfiniment cloîtrée chez moi à cause d'une stupide rupture.

Je refermai le portail derrière moi, avant de glisser soigneusement les clés dans mon sac, et de me faire aborder par un jeune homme en train de me filmer.

« - Excusez-moi, Laura Merryl ? Que pouvez-vous me dire au sujet de..

- Rien du tout, vous avez ce qu'il vous faut sur le net, désolée. Et arrêtez de me filmer, s'il vous plaît, je ne vous ai jamais donné mon accord. »

Bien entendu, je savais que je verrai cet extrait sur les réseaux sociaux dans la soirée. Je le disais simplement pour la forme. Je savais pertinemment que j'étais une « personnalité publique », maintenant.

Lorsqu'on cherchait mon nom sur Internet, la page indiquait : « Laura Merryl, auteure. ».

L'article Wikipedia, car j'avais cet honneur, commençait ainsi : « Laura Merryl, née le 17 juillet 2003, est une auteure franco-britannique. Elle serait également la parolière de certaines chansons du groupe Five Hearts. ». Je n'avais aucune idée de leur source pour cette information. Mon seul problème était qu'elle était terriblement véridique et absolument secrète. Je serai liée à ce groupe toute ma vie, que je le veuille ou non.

J'avais décidé de marcher jusqu'au centre-ville. L'air londonien me gelait les os, mais je continuais d'avancer. Les paparazzi n'étaient pas bien nombreux dans ma petite ville de banlieue, et beaucoup étaient dissuadés par le froid. En arrivant au Sainsbury's, mes yeux bleus sur les magazines people m'agressèrent en même temps que ceux de la pauvre vendeuse qui patientait derrière la caisse.

« William Taylor & Laura Merryl : tout savoir sur leur rupture ! ». Par curiosité, je pris le journal et l'ouvris à la page indiquée. « [...] Des sources indiquent que la jeune femme de dix-neuf ans aurait porté plainte contre le célèbre chanteur du groupe Five Hearts. La raison nous est encore inconnue. ». Eh bah. On en apprenait des trucs, avec ces articles. J'avais porté plainte ? J'étais pas au courant. « Leur rupture, annoncée en décembre dernier par William, daterait en vérité du mois d'août précédent. En effet, plusieurs témoins auraient affirmé les entendre se disputer violemment au domicile de la jeune femme. ». Ce qui m'effrayait le plus, c'était ce genre d'informations : véridiques, certes, mais formulées d'une façon particulière, visant à amplifier l'affaire. Tous les couples se disputaient, ça ne datait pas d'hier. Beaucoup disaient que se disputer était sain pour un couple.

Nous avions rompu en novembre, au terme de quatre mois de disputes et de conflits. Encore avant ça, il y avait eu un an et demi de couple. J'avais tout juste dix-huit ans, et William presque dix-neuf. Il était connu pour son statut de chanteur dans un boys band, et moi je venais de publier mon premier roman, un succès inattendu. Nous avions été mis en relation par ma grande sœur.

Adeline Merryl, dont le vrai nom était Adénine, m'avait invitée à l'avant-première de son premier grand succès cinématographique, une production Hollywoodienne dans laquelle jouaient les membres du groupe Five Hearts. C'était en mai, et, début août, nous avions commencé à sortir ensemble.

Tout ça pour terminer en une des journaux. Autant la situation en elle-même ne me dérangeait pas, j'avais commencé à m'habituer à faire les gros titres. Seulement, là, c'était à cause de ma vie amoureuse - et elle n'était même plus d'actualité.

Alors que je reposais le journal, je remarquai que le regard de la vendeuse était toujours sur moi. Sur moi, et sur le magazine qui avait retrouvé sa place. Sans y faire plus attention, je continuai mes achats majoritairement alimentaires. Au moment de passer à la caisse, la vendeuse laissa courir ses yeux vers les revues.

« - C'est vous ?

- Non, bien sûr que non. »

Par chance, personne n'aimait discuter par ce temps déprimant, alors elle ne continua pas son interrogatoire. Je me doutais bien qu'elle ne me croyait pas. Mais c'étaient mes affaires et mon identité, pas les siennes. Je devais bien reconnaître que porter une tenue telle que la mienne ne devait pas m'aider dans le contexte de cette petite supérette, mais honnêtement, elle convenait au froid et à l'anonymat banal de la rue, alors je la trouvais parfaite. Le trajet de retour se déroula sans accroche. Le froid s'était intensifié et les passants s'étaient raréfiés.

De retour à mon foyer, je rangeai mes provisions dans la cuisine avant de monter pour prendre une douche. En passant devant mon miroir, je remarquai mon air épuisé. Il était vrai que j'avais passé ma nuit à travailler sur un nouveau projet. Une pensée en entraînant une autre, la vue de mes cernes me rappela brusquement que j'avais oublié de répondre à mon éditeur, lorsqu'il m'avait envoyé un message. Il me demandait de quoi parlerait le nouveau roman. « Une romance lesbienne, j'ai envie d'essayer. ». Je reçus immédiatement sa réponse : « Non. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. ». Sauf que moi, je pensais que si. J'avais toujours utilisé des thèmes qui me tenaient à cœur pour mes romances : le thème de mon premier roman était l'innocence de l'enfance, j'avais dix-sept ans et je désirais parler des amours adolescentes, qui ont ému un large public, à ma grande surprise ; le deuxième roman abordait l'amour caché et la célébrité. Celui-ci était à propos de William, et la découverte de ce fait avait entraîné l'officialisation publique de notre relation.

Le message que je voulais faire passer à l'aide de mon nouveau roman était « Tolérance ». Cette cause me tenait réellement à cœur. Alors, je répondis : « Si tu t'inquiète de l'avis du grand public, je peux régler ça rapidement par un sondage. ». Si le problème était son cerveau d'une taille trop minime pour accepter l'idée que deux femmes puissent s'aimer, alors je changerais d'éditeur, là n'était pas le souci pour moi.

Je me dirigeai vers la salle de bain, où un débardeur, un jean et un sweat large beige - qui avait dû être jaune dans sa jeunesse - m'attendaient déjà. Je voulus mettre une playlist avec des musiques du moment dans le pays, mais la première qui se lança fut une des chansons du nouvel album du groupe de mon ex-petit-ami. Mon Dieu, j'étais sûre que si j'allumais la radio, les présentateurs en parleraient. Apparemment, c'était un succès - et pour avoir assisté aux enregistrements de certaines chansons et en avoir écrites... Je pouvais comprendre. Je mis donc une de mes playlist personnelles pour me doucher et me préparer.

Une petite demi-heure plus tard, j'étais prête à affronter le reste de ma journée. Il était environ onze heures, alors je me mis à la cuisine. Cela faisait quelques jours que je n'avais pas eu de journée classique, et je n'avais mangé que des plats réchauffés ces derniers temps. Au menu : tarte brocolis-lardons. Pendant la cuisson, je repris mon téléphone pour constater un message de mon éditeur, et un de mon agente.
L'éditeur, Tom Mayar, me disait de faire comme je le voulais. Mais avec plaisir, très cher. Je n'allais pas me faire prier.
Mon agente, Jeha Jucer, m'envoyait simplement une vidéo de moi, prise par un passant, de loin. Elle s'occupait principalement de la gestion de mes réseaux sociaux et de mon image. Elle était en contact avec mon avocat, notamment. Je lui répondis par un émoticône haussant les épaules. On ne reconnaissait rien de l'endroit, et on me voyait à peine. L'utilisateur m'avait mentionnée, apparemment. Je n'avais pas reçu de notification parce que j'avais désactivé cette option après avoir fait l'objet d'une sorte de fascination médiatique : « La jeune auteure qui a su prendre un des cinq cœurs ». Et j'étais ravie de cette décision, au vu de la situation actuelle.

En allant sur Instagram pour poster mon sondage - je partageais la gestion de mon compte avec Jeha -, je fus interpellée par une vidéo postée par une des personnes que je suivais. Il s'agissait de Zoran Evans, mon petit frère de cœur, meilleur ami de William et chanteur de Five Hearts.

En fait, tous les membres de Five Hearts chantaient - Dean jouait également de la guitare, William de la batterie et du piano, Zoran du piano également et Loam avait quelques bases de trombone. Du plus âgé au plus jeune : William Taylor, Ezechiel Lindley, Loam Davies, Dean Erskine, Zoran Evans. Ils avaient chacun leur truc et j'adorais autant leur travail de groupe que leurs chansons solo, bien que je n'écoutais plus rien d'eux depuis novembre, pas même leur nouvel album paru en décembre dernier.

Zoran avait posté une vidéo de lui, annonçant son premier album. Il n'avait jusqu'ici sorti que des singles, cinq. A la fin de la vidéo, un court bêtisier montrait Zoran bafouiller et, derrière la caméra, William éclatait de rire avant de répéter le raté de son ami. Je likai la vidéo avec un léger pincement au cœur avant d'écrire ma story. J'avais décidé de faire ça sous la forme d'une interrogation, leur demandant des recommandations de livres du style dans lequel je souhaitais écrire le mien.

Le four sonna et j'en sortis la tarte pour la laisser refroidir. Elle n'était pas très belle, mais excellente. En la mangeant, je regardais la télévision et le journal. Les nouvelles étaient déprimantes, alors je regardai un film. Ensuite, je récapitulai ce que j'avais écrit pour mon nouveau livre. Je relus mes premières idées, les corrigeai avant de noter de nouveaux éléments. Ensuite, je fis la vaisselle et un peu de ménage. Je tentais de retarder le moment où je devrai ouvrir mes messages privés sur Instagram, car je ne savais jamais à quoi m'attendre. Finalement, j'ouvris les trois premiers, qui, par chance, étaient trois messages enthousiastes et recommandations de romans avec avis détaillés. C'était parfait. Je les notai. J'irai les acheter dans les prochains jours pour les lire.

***

Il m'était impossible de regarder la télévision, d'écouter la radio ou de consulter les réseaux sociaux. Partout, je voyais et j'entendais William. Le groupe donnait beaucoup d'interviews et venait d'annoncer les dates de leur future tournée mondiale. Ils étaient considérés comme le plus grand boys band du monde à l'heure actuelle.

J'aimais toujours William, aucun doute là-dessus. Profondément et irrémédiablement. Notre rupture n'avait rien à voir avec une absence de sentiment, pas de mon côté en tout cas. C'était une suite de désaccords, de visions différentes de notre futur et un manque cruel de communication. Cependant, j'étais persuadée que c'était ce qu'il y avait de mieux pour nous. Au moins, je ne passais plus mes journées sur les nerfs et énervée contre lui.

Je l'aimais, mais le voir tous les jours, partout, l'entendre... C'était mentalement épuisant. C'était un peu comme remuer le couteau dans la plaie alors qu'elle peinait à cicatriser. Je n'avais pas envie de penser à lui, mais je n'avais pas non plus envie de me couper totalement du monde. Et puis, ce n'était pas forcément de sa faute, mais ça m'épuisait d'entendre ma sonnette tous les jours, plusieurs fois par jour. Je ne prenais même plus la peine de vérifier qui était à ma porte : j'avais dit à mes proches de m'appeler avant d'arriver. Et puis, qui voulait me voir en ce moment ? Mes parents vivaient en France, d'où Adénine et moi venions, celle-ci était chez son petit-ami à Manchester, mon éditeur et mon agente me contactaient par mail. Je n'avais plus de famille en Angleterre depuis le décès de ma grand-mère maternelle, avant ma naissance et je n'avais pas spécialement d'amis ici en Angleterre, puisque je n'avais tissé de relations qu'avec les membres de Five Hearts et que je ne savais pas si nous étions toujours amis - et puis, surtout, ils formaient un groupe, un bloc, jamais vraiment sans les autres. Ça leur arrivait - même si le duo Zoran et Loam était toujours ensemble - mais généralement c'était pour voir leurs familles respectives. Je vivais donc presque tout le temps avec des écouteurs, au sein de ma propre maison. Celle achetée avec l'argent des livres que j'avais écrits à propos de ma vie.

Il fallait que je bouge, aujourd'hui. Je devais aller à Londres. Pour acheter mes livres, par exemple.

Il faisait toujours froid, mais j'étais protégée dans ma voiture. Il y avait beaucoup de monde sur la route, et je savais que j'allais prendre la journée à faire l'aller-retour. Mais ce mercredi quatre janvier faisait partie des jours où je n'avais pas envie de me forcer à faire ce que je n'avais pas envie de faire. Et clairement, pour l'instant, je n'avais pas envie de marcher dans le froid jusqu'à la station de métro et d'explorer le sous-sol londonien.

Je fis mon trajet en musique avant de me garer devant ma librairie préférée. Je descendis de ma voiture et poussai la porte. La façade était une grande baie vitrée. C'était une pièce lumineuse de taille moyenne, rectangulaire, encombrée d'étagères remplies de livres en tous genres. Dans un coin, un escalier en colimaçon permettait d'accéder à l'étage supérieur. Elle était charmante et j'adorais me perdre entre les étalages d'ouvrages. L'odeur qui flottait était un savant mélange de café, de lavande et de pages neuves, et elle était accompagnée de la douce mélodie d'un piano et des pages qu'on tourne. Ici, tout était lent, calme et reposant. J'étais très heureuse d'avoir découvert ce lieu hors du temps dans une ville telle que Londres, capitale où tout allait si vite.

Bien sûr, au comptoir, mon regard accrocha son reflet en première page d'un magazine, et ma bonne humeur retomba un peu. J'avais tenté d'écouter la radio dans la voiture, avec pour seul résultat un échec cuisant, la voix de William ayant instantanément empli l'habitacle. J'en avais assez de voir son visage de partout. Il n'y avait donc aucun autre chanteur que Five Hearts dans ce monde ? Aucun autre drama entre célébrités ? Le monde était-il donc si calme ? Je me revoyais au collège. Lorsque tout le monde parlait à voix haute, en classe, et puis soudain, comme d'un même souffle, les conversations se tarissaient et on n'entendait plus que les deux amis n'ayant pas suivi le mouvement. Comme si le monde s'était stoppé, et que William et moi avions continué à danser.

Je me dirigeai vers les étagères étiquetées « romance jeunesse » quand une voix m'interpela.

« - Bonjour madame ! »

Je me retournai. C'était une jeune femme aux longs cheveux caramel et aux incroyables yeux noisette. Elle portait un badge qui indiquait « Anna-Maria, vendeuse/conseils ». Elle était vêtue d'un pull en laine beige et d'un jean slim, ainsi que de chaussures noires à plate-forme. Ses ongles de la main droite, courts et noirs, grattaient son index gauche dans un geste nerveux. Elle était très jolie. Esthétiquement, elle était très inspirante pour moi.

« - Bonjour ! Je cherche trois bouquins... j'ai les titres sur mon téléphone, dis-je en sortant mon portable.

- Bien sûr, dites-moi. »

Elle attendit patiemment que je lui donne les références des livres, qu'elle alla chercher dans la réserve, à l'étage inférieur. Au moment de passer en caisse, elle me tendit mon dû et m'interrogea :

« - Au fait, seriez-vous Madame Laura Merryl ? Je suis une grande fan de vos romans. »

J'hésitai, mais je finis par lui répondre par l'affirmative. Elle devait être nouvelle ici, car la plupart des employés savaient que je venais régulièrement ici. Elle me sourit alors que mon regard bleu tombait sur celui tout aussi bleu de William imprimé sur les couvertures des magazines.

« - Au fait, comment vous vous sentez, avec tout ça ? » fit-elle en désignant les tabloïds du regard.

Inexplicablement, les larmes me montèrent aux yeux et se mirent à couler, sans que je puisse y faire quoi que ce soit. La pauvre vendeuse, un peu paniquée, se mit à s'excuser et contourna le comptoir pour me tendre un mouchoir, mais elle finit par me prendre dans ses bras. Elle devait être un petit peu plus âgée que moi, alors c'était un peu comme enlacer une amie, dans ma tête. M'enfin, en étais-je à ça près ? Non, je venais de fondre en larmes parce qu'une libraire m'avait demandé comment je me sentais. Finalement, ma réaction avait été plutôt explicite. Comment je me sentais ? Manifestement mal.

Au bout de quelques minutes, je me calmai et je sortis de la boutique en lui laissant un pourboire. Le froid me gela les os quelques secondes, puis je rentrai dans ma voiture. J'allumai la radio. Five Hearts. J'éteignis la radio. Je démarrai ma voiture et me mis en route pour rentrer chez moi. Parfois, je me demandais comment aurait été ma vie si j'avais décidé de rester dans ma chambre ce soir de mai. Plus exactement, si, un mois plus tôt, j'avais refusé l'invitation de ma sœur à l'avant-première de son film.

C'était un film hollywoodien, Adénine jouait un rôle principal. Elle y avait rencontré le groupe Five Hearts, qui jouait des rôles secondaires. Ils étaient un jeune groupe, formé quelques mois à peine avant le tournage. Mais ils semblaient terriblement prometteurs - et s'étaient révélés à la hauteur des attentes de tout le monde, équipes et public confondus. Ma grande sœur avait droit à un invité, et, comme j'étais sur place, c'était moi qu'elle avait choisie. Nous rencontrions le succès au même moment et nos parents étaient très fiers de nous deux, et nous l'étions l'une de l'autre.

Elle m'avait prise par la main pour poser sur le tapis rouge, devant tous ces photographes. Des flashs partout. Se faire appeler de tous les côtés. C'était une habitude à prendre, d'un côté, mais je n'avais pas vraiment aimé ça. Et je n'appréciais toujours pas.
Ensuite, elle m'avait emmenée plus loin, vers ses nouveaux amis. Ils avaient environ mon âge - le membre le plus âgé avait un an de plus et le plus jeune en avait deux de moins. Il y avait une jeune fille rousse avec eux. Je connaissais un peu le groupe, comme tout le monde : leur premier album, sorti quelques semaines avant, était diffusé partout. J'étais un peu mal à l'aise et très timide, alors Loam avait pris les devants en me serrant la main.

« - Enchanté, Loam Davies, m'avait-il dit.

- Laura Merryl, de même.

- Merryl... Comme Line ? avait-il ensuite demandé.

- Line... Line, oui, c'est ma sœur, » avais-je répondu, me rappelant qu'Adénine avait troqué son prénom scientifique - la faute de notre mère - pour un autre, plus simple. Adeline. Plus anglophone. Et les garçons semblaient l'appeler par un diminutif.

Loam avait hoché la tête, puis ça avait été au tour de Zoran. Il était un peu plus petit que moi. Il était également le plus jeune de la bande, âgé de quinze ans. Il m'avait fait un petit coucou de la main, avant de se reprendre et de me la tendre pour que je la serre. Il avait l'air aussi à l'aise que moi, alors nous nous étions contentés de nous sourire timidement. Il possédait encore son visage d'enfant, avec des traits doux et un peu ronds, comme ses boucles brunes, qui étaient encore timides à cette époque. Puis William m'avait serré la main, en se présentant. Il avait ajouté qu'il aimait beaucoup mon accent français et j'avais été un peu vexée, parce que je travaillais dur pour m'en débarrasser. Il ne s'entendait presque plus lorsque ma grande sœur parlait, il apparaissait notamment quand elle était enthousiaste ou en colère. Mais, un compliment était un compliment. Sur le moment, il ne m'avait pas vraiment tapé dans l'œil : je ne connaissais pas sa personnalité et, physiquement, il était beau mais sans plus. J'aimais bien sa voix et sa façon de parler, et ses tâches de rousseurs. Tout comme j'aimais le bleu des yeux de Loam, les fossettes de Zoran, la façon dont Dean Erskine fronçait le nez assez régulièrement et les magnifiques yeux verts d'Ezechiel Lindley. Les deux garçons se présentèrent après William et je compris assez rapidement que Dean était écossais. Il m'expliqua plus tard dans la soirée qu'il venait de Glasgow. Quant à Ezechiel, il venait de Manchester, comme le tout récent petit-ami de ma sœur.

La jeune femme s'était présentée en dernière. Elle portait une robe avec une coupe similaire à celle de ma sœur, mais celle d'Adénine était du même bleu que nos yeux alors que la sienne était rose pâle. Elle s'appelait Moïra. Elle était la petite-amie de Dean. Elle venait en invitée, elle aussi, alors nous avions passé une partie de la soirée ensemble, elle et moi, laissant nos acteurs se faire accaparer par les photographes. Elle était douce et très gentille. Moïra venait également de Glasgow et elle avait rencontré Dean au lycée, où ils avaient commencé à sortir ensemble, deux ans plus tôt. Ils étaient tous les deux plus jeunes que moi, d'un an.

Je ne voyais pas souvent Moïra : elle vivait toujours à Glasgow, et moi, je naviguais entre Londres et Paris. Mais elle était toujours une bonne amie. Elle et Dean étaient toujours en couple, ce genre de couple qui me ferait perdre foi en l'amour s'il venait à se séparer. Mais heureusement, ça ne semblait pas à l'ordre du jour. Dean avait écrit une très jolie chanson sur elle l'an dernier, "Red-haired", issu de l'album éponyme. Elle avait été émue aux larmes.

Moïra était le genre d'amie à qui j'envoyais un message tous les deux mois mais nous nous entendions bien et lorsque nous nous appelions, cela pouvait durer des heures. Je pouvais la considérer comme ma meilleure amie.

Je finis par me garer chez moi. Personne ne m'attendait, car il pleuvait de grosses gouttes froides. C'était un point commun entre ici et Paris : même lorsqu'il faisait froid, c'était toujours des averses, jamais de la neige. Bon, ici, j'avais quand même la chance de voir des flocons. Plus qu'à Paris en tous cas.

Je sortis de mon garage et allai accrocher mon manteau au porte-manteau, avant de monter au premier étage et de déposer les livres sur la table à manger. Je les commencerai plus tard, ce soir ou demain, mais pour l'instant, j'avais besoin d'appeler ma grande sœur. Cinq ans de différence, c'était bien : elle avait l'expérience que je n'avais pas, mais elle comprenait également ma mentalité de jeune femme de dix-neuf ans. D'un autre côté... En sortant mon téléphone, je réalisai que je n'appelais ma sœur en me sentant mal pour une seule et unique raison : William. C'était un peu triste et me fit me sentir moins bien. Les larmes remontèrent. J'en avais marre : dès que je pleurais, c'était à cause de William. Ça me fatiguait. Plus je me disais ça, plus les larmes affluaient. La rupture était une décision que j'avais longuement réfléchie et elle ne datait pas d'hier mais c'était toujours pesant. Un poid lourd en travers de la gorge, dans la poitrine, sur les épaules, un pavé dans le ventre. Il me donnait envie de crier tant il était désagréable.

Adénine décrocha presque immédiatement.

« - Salut Laura ! Comment ça va, ma grande ? fit-elle en français.

- Pas... pas si bien, répondis-je en retenant mes sanglots autant que possible.

- Ok, raconte-moi tout, réagit-elle d'une voix aggravée par l'inquiétude, de ce ton maternel qu'il lui arrivait d'employer avec moi.

- C'est William. Je... Je sais vraiment pas comment passer à autre chose, comment penser à autre chose alors que je l'aime toujours de tout mon cœur. »

A l'autre bout du fil, Adénine était concentrée. Elle réfléchit en silence avant de me répondre en hésitant.

« - Bah... tu... Je pense que c'est compliqué, parce que tu vois, tu l'aimes encore donc tu n'es pas vraiment prête à passer à autre chose. Tu peux pas... C'est compliqué. Essaye de te demander si tu veux vraiment passer à autre chose.

- Oui ? Je pense. Tu sais, on s'est séparés y'a quelques mois donc maintenant il est temps de l'oublier, non ? C'est comme ça que les gens font en général.

- Tu te sens prête pour ça ?

- Non, bien sûr que non. C'est pour ça que je t'appelle. Parce que, peut-être, tu sais comment je suis censée faire.

- Malheureusement, non, soupira-t-elle. Mais je pense que tu as la réponse en tête et que tu essayes de l'éviter. Tu dois la trouver toi-même. C'est dans ta tête, dans ton cœur. C'est uniquement à propos de toi, je suis pas sûre de pouvoir t'aider là-dedans. Ceci dit, si t'as besoin d'aide, de réconfort ou autre, je suis là, je reste disponible. Tu peux venir à Manchester, je peux venir à Londres. Je fais rien de spécial en ce moment donc on pourrait se voir. Ça fait longtemps qu'on a pas mangé ensemble d'ailleurs - novembre je crois ? Tu étais seule à Noël et pour le Jour de l'An et je sais que ça peut-être difficile, surtout dans ces circonstances, donc n'hésites pas.

- Merci... Merci. »

Ses paroles avaient eu le don de me calmer et je considérais maintenant la possibilité d'aller la voir chez elle, ou voire même de rentrer chez mes parents en France. Une pause dans tout ça. Je repris :

« - Je penserai à tout ça, promis. J'y penserai. Je vais prendre un peu de temps pour moi.

- Bien sûr, excellente idée ! Prends-toi un bon bain chaud, mange des bons trucs, maquille-toi, je sais pas, fais tes ongles, écoute de la musique qui te fait te sentir bien. Fais une pause par rapport aux réseaux sociaux et à ton travail. Aussi longtemps que tu veux : juste ce soir, toute la semaine, un mois, un an... Tant que tu te reposes. Fais une sieste, dors, mange. C'est le principal. »

Je ris un peu, puis une minute complète de silence passa. Assez parlé de moi pour ce soir.

« - Au fait Adé, comment ça se passe pour toi ?

- Désolée, c'est à propos d'amour mais... John m'a demandée en mariage. Et j'ai dit oui !

- Adé, t'avais un truc à faire, dis-je d'une voix sérieuse. UN SEUL. Me le dire dès le début de l'appel ! C'est incroyable, félicitations ! C'est trop bien ! John est un mec sur-validé en plus. Vous vous mariez quand, du coup ?

- Ahah, probablement autour de 2025. C'est encore super compliqué de trouver des dates, à cause de tous les mariages annulés à cause de la pandémie. Et puis, on est ensemble depuis presque deux ans, c'est un peu tôt. Il a des projets personnels et moi aussi, donc on préfère prendre notre temps et faire les choses bien.

- C'est une bonne chose, oui.

- Et, d'ailleurs, je voulais te demander d'être ma témoin. J'ai envie que tu sois là, avec moi, en ce jour si important. J'aimerais vraiment. John a aussi demandé à son frère. Comme ça, ce serait la sœur de la mariée et le frère du marié. Un peu symbolique.

- Mais bien sûr ! Bien sûr ! Mille fois oui, bien entendu ! m'exclamai-je. Ça me fait vraiment plaisir que tu me demandes, sincèrement. Ça fait de beaux projets d'avenir, tout ça. Tiens, en parlant de projets, tu m'as dit que t'avais rien en ce moment, mais t'as eu des demandes récemment ? »

Adénine me répondit que oui, et qu'elle avait été demandée pour servir de modèle pour un jeu vidéo. Elle pensait accepter, alors je l'encourageai. Pour le reste, elle préférait se poser quelques semaines, car elle sortait d'un long tournage. Ensuite, elle irait rejoindre son compagnon en Nouvelle-Zélande. John travaillait dans le milieu du cinéma, lui aussi, en tant que scénariste. Son projet du moment était une série, et elle était tournée en Nouvelle-Zélande. Il devait partir le lendemain pour une durée de trois mois.

Ma sœur me demanda ensuite quels étaient mes projets et je lui parlai de mon roman. J'ajoutai que Tom n'était pas très motivé par l'idée mais que je m'en fichais : j'avais un message à faire passer et je le ferai passer. Tant pis si ça ne lui plaisait pas. Elle rit et répondit que j'avais absolument raison. Je lui présentai quelques-unes de mes idées et certains axes que je voulais emprunter, elle m'en proposa de nouveaux ; j'aimais ma sœur pour ça : elle s'intéressait à tout en général et particulièrement à tout ce que j'écrivais et que je faisais. Adénine était une femme qui supportait son entourage ; j'avais grandi avec elle comme modèle donc je m'étais toujours sentie encouragée dans ce que j'accomplissais.

Ma sœur était aussi brune que j'étais blonde - et j'étais très blonde. En revanche, nous partagions les mêmes yeux bleus, ceux de notre père. Nos cinq ans de différence ne s'étaient jamais vraiment ressentis, nous étions un binôme, un duo, deux moitiés d'un tout. Adénine était ma plus proche amie.

Une petite heure plus tard, je raccrochai et je fis ce que j'avais dit, c'est-à-dire une soirée relaxation entre moi et moi-même. J'envoyai un message à Jeha afin de lui indiquer que je serai injoignable pour la soirée, puis je désactivai les notifications sur mon téléphone. 

***

4826 mots, merci d'avoir lu.
Merci de vous engager dans cette nouvelle aventure avec moi !

Petit point prononciation
Adeline -> [Adelaïne]
Line -> [Laïne] (comme "ligne", en anglais)
Ezechiel -> [Èzikiel]
Eze -> [Izi]
Lindley -> [Linley]
Zoran [Zorane]
Erskine -> [Erskini]
Jeha -> [Jia]
Jucer -> [Juceur]

N'hésitez pas à poser des questions, commenter et me donner votre avis <3

- Alex.

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