Chapitre 80 : Embourbé dans la douleur
Japon, Tokyo, Yuei, Heights Alliance, bâtiment des premières A, salon, 10 avril 2501, 23h
« Shoto ? »
L'interpellé ne réagit pas, amenant la nouvelle venue à venir s'accroupir en face de lui.
« Tu devrais dormir un peu plus Shoto... ce n'est pas bon de se laisser dépérir ainsi... »
« Momo... »
« Oui ? »
« Tais-toi. »
La noiraude se retint de soupirer et le força à lever les yeux vers elle, malgré l'obscurité.
« Non. Je ne me tairai pas. J'ai promis à Mitsune de prendre soin de toi si jamais elle n'était pas en capacité de le faire, et ce n'est pas parce qu'elle n'est plus de ce monde que je vais arrêter. Tu dois te ressaisir ! Elle n'aurait pas voulu te voir ainsi. »
« Tu ne sais rien d'elle. »
« J'en sais suffisamment pour savoir que tu comptais plus que tout pour elle, et qu'elle préférait vivre le pire des enfers plutôt que de te voir devenir un légume. Tu dois continuer à vivre, pour elle. »
« Je ne peux pas. Elle était ma raison de vivre. »
Shoto se replia sur lui-même, s'échappant des mains de Momo qui maintenaient sa tête face à la sienne.
« Je sais que c'est difficile, mais tu ne peux pas rester ainsi. Tu comptes te laisser mourir à petit feu ? »
« Au moins, je la rejoindrai. »
« Tôt ou tard, tu la rejoindras. Tu n'aimerais pas lui apporter que des bonnes nouvelles quand ce sera le cas ? Des nouvelles du genre que le monde uni qu'elle voulait créer a fini par voir le jour, que les gens qu'elle aime ont une vie heureuse et ont réalisé leurs rêves. Y compris toi. »
« Elle faisait mon bonheur. Et je ne veux le connaître avec personne d'autre qu'elle. »
« Et c'est ton choix. Mais tu peux mener une vie bien malgré tout. Je ne te dis pas de la remplacer, parce que je sais que personne ne pourra un jour la remplacer, simplement de vivre ta vie sans être complètement malheureux. Comme ça, elle ne se sentira pas coupable quand tu la rejoindras, et tu auras de jolis souvenirs à lui raconter. »
« Tu dis ça comme s'il y avait une vie après la mort... »
« Parce que c'est ce que je crois. Pas toi ? »
« Je... je ne sais pas. »
« Ce n'est pas grave, tu sais. En ce qui me concerne, je crois sincèrement que la mort ne vous séparera qu'un temps, qu'elle vous réunira à nouveau lorsque viendra ton tour. Et il n'est pas encore venu. »
« Qu'en sais-tu ? »
« Rien, c'est vrai. Mais parfois, il vaut mieux croire que savoir. Je ne dis pas que ce sera facile, mais tu remonteras la pente, petit à petit. »
« ... et si je n'y arrive pas ? »
« Si tu pars défaitiste, tu n'y arriveras jamais. »
« Si je n'y arrive pas... tu m'aideras à la rejoindre ? »
Momo observa son ami, le cœur brisé. Elle savait qu'elle ne ressentait qu'une partie de sa peine et de sa tristesse, elle ne pouvait qu'imaginer comment il se sentait. Izuku l'avait prévenu des différents futurs que Mitsune avait vu, mais, actuellement, ceux qui avaient le plus de chance de se réaliser étaient ceux où Shoto faisait une telle dépression qu'il en venait à se suicider.
Comment empêcher n'importe lequel de ces futurs de se produire ? Comment faire en sorte de créer un futur plus heureux pour le bicolore ?
« Peut-être que, au final... un futur heureux pour lui est un futur où il la rejoint... mais ce serait si triste pour toutes les personnes qui l'aiment... »
Shoto était complètement brisé, et il n'y avait rien d'étonnant à cela. L'autre moitié de lui-même venait de lui être arrachée, et par quelqu'un en qui il avait placé sa confiance qui plus est.
Son regard se porta alors sur l'annulaire du bicolore, celui où brillait encore sa bague de fiançailles et la chevalière des Hakushin. Elle eut alors une idée.
« Shoto, regarde-moi. »
Le jeune Todoroki leva la tête, le regard vide de toute émotion autre qu'une tristesse et une détresse profondes.
« Shoto, si dans dix ans, tu n'as toujours pas remonté la pente, je m'engage à t'aider à la rejoindre. En échange, je veux que tu fasses tout ton possible pour faire ton deuil et remonter la pente. Promis ? »
Shoto écarquilla légèrement les yeux, surpris de l'engagement que venait de prendre la déléguée. Pourquoi faisait-elle cela pour lui ? »
« Shoto, tu n'es pas obligé de refaire ta vie avec une autre si tu ne le veux pas. Si tel est ton choix, tu peux vivre ta vie tout seul entouré de chats jusqu'à ce que tu la rejoignes. Le tout est que tu choisisses d'essayer de vivre, plutôt que de te jeter dans les bras de la faucheuse aussi facilement. Mitsune s'est battue pour vivre le plus longtemps possible, ne comptes-tu pas faire de même ? »
« Si... je lui dois bien ça, j'imagine... d'accord, je te promets de faire de mon mieux... », finit par murmurer Shoto.
« A la bonne heure ! Dans ce cas, il est temps d'aller au lit. »
« Non ! »
Momo soupira devant le regard affolé du bicolore. Cela était certain, il était bien loin le Shoto froid et sans émotion du début de seconde...
« Pourquoi ? »
« ... dès que je ferme les yeux... dès que je m'endors... je la revois... »
« Mitsune ? »
« Non... Titania... j'en ai marre Momo ! J'en ai marre ! C'est une véritable torture ! J'en ai marre de la voir dans mes rêves ! J'aimerais ne plus avoir à la voir ! Je ne veux pas la voir ! Cela ne fait que me rappeler sans cesse que Sweetie est morte pour que cette foutue Archon de l'Unité prenne sa place ! J'en ai marre... je veux que ça s'arrête... »
Momo ne trouva rien à répondre à cela. Dormir faisait souffrir son coeur, son esprit et son âme, et ne pas dormir faisait souffrir son corps. Qu'aurait fait Mitsune à sa place ? Chaque problème avait sa solution, encore fallait-il la trouver...
« J'aimerais vraiment pouvoir t'aider pour ça... mais je ne pense pas en avoir les compétences, il faudrait que tu ailles voir Titania, ou Miko, à la rigueur. La seule chose que je peux faire, c'est tester les différents mélanges de plantes qu'Elerinna m'a confié pour tenter d'endiguer ces rêves qui t'empêchent de te reposer. Tu devrais aussi éviter la chambre de Mitsune quelques temps. »
« Je ne peux pas, je me sens trop seul dans ma chambre... ça me fait peur... »
« Et si tu dormais avec Eri ? Si tu veux, on peut demander à Aizawa. Comme ça, tu ne seras pas seul, et tu ne seras pas non plus dans la chambre de Mitsune. »
« ... on peut toujours essayer... », marmonna-t-il sans conviction. « Autant dormir avec Eri que tes plantes. »
« Allons-y alors. »
Momo alla récupérer une bourse sur le plan de travail de la cuisine, contenant des sachets de divers mélanges de plantes préparés par Elerinna et amenés quelques heures plus tôt pour aider Shoto avec ses insomnies. Ensuite, ils allèrent dans les appartements de leur professeur principal pour obtenir l'accord que le jeune Todoroki dorme et vive avec Eri, ce qui lui fut accordé par la petite blanche et par Aizawa. Un futon fut donc installé dans la chambre d'Eri, dans lequel se glissa à contrecoeur Shoto après avoir avalé une tisane préparée par Momo à partir d'un sachet confectionné par la plus jeune des Shiota. La fatigue l'assomma assez vite, mais sa nuit n'allait pas être des plus reposantes...
Japon, Tokyo, Yuei, Heights Alliance, bâtiment des professeurs, salon, 10 avril 2501, 10h
« Bonjour Shoto ! »
Le bicolore leva la tête et fit un simple salut à Eri. Celle-ci ne s'en attrista pas, Izuku étant venu lui expliquer qu'il n'allait pas bien et qu'il n'était plus lui-même suite à la mort de Mitsune. Évidemment, la petite blanche était aussi très triste pour celle qu'elle avait fini par considérer comme une grande sœur, mais elle était certaine qu'elle était très heureuse là où elle était. A ses yeux, Mitsune était une personne exceptionnelle qui avait forcément rejoint un monde plus lumineux. Eri s'était donc donnée pour mission de rendre le sourire au lycéen, tout comme Izuku le lui avait rendu à elle.
Après s'être préparé un simple verre de lait à la cuisine, Shoto vint machinalement s'asseoir en face d'Eri. Celle-ci dessinait un château construit sur une falaise, au cœur des montagnes. Il la laissa à son croquis et reporta son attention sur un dessin déjà terminé. Il s'agissait d'un jardin sauvage, comme le démontrait la présence de cécilias, une fleur de Mondstadt ne poussant qu'à l'état sauvage. Dans ce jardin, il y avait un immense rond avec de petites vaguelettes dans l'espace entre les deux extrémités de ce dernier pour indiquer la présence d'une matière liquide.
« Eri, qu'est-ce-que c'est ? »
Surprise, la petite blanche leva le nez de son dessin pour regarder celui qui semblait avoir attiré l'attention du bicolore.
« Un portail magique ! », répondit aussitôt Eri.
« Ah bon ? »
« Pourquoi ? Ce n'est pas ressemblant ? »
« Je n'ai pas dit ça, c'est juste que cela m'étonne que tu dessines un truc pareil. C'est quand même assez spécifique... »
« Je ne savais pas... je n'y ai pas vraiment réfléchi. J'ai juste dessiné quelque chose qui permettrait aux dieux de contrôler le monde tout en laissant aux humains leur libre-arbitre. Mitsune m'a expliqué que c'était très important. Ah ! Pardon !! », s'affola Eri, venant de se rendre compte de sa bourde.
Pour la rassurer, Shoto posa une main sur sa tête.
« Ce n'est pas grave. Tu peux me parler d'elle, si tu veux. Pourquoi un portail ? »
« Oh... euh... eh bien... je me disais que cela permettrait aux humains de voyager entre les différents lieux de cultes des dieux, pas uniquement des Sept, afin de leur demander conseil. Une sorte de réseau de portails, un peu comme dans Harry Potter. Les dieux ne devraient pas vivre cachés des humains qui ne peuplent pas une des sept nations, au contraire. Je sais pas si c'est clair... »
Shoto hocha la tête pour lui indiquer que oui, c'était clair.
« Et le dessin que tu es en train de faire ? »
« Une nation neutre, gouvernée par l'Archon de l'Unité. »
« On dirait plutôt un château paumé au milieu de nulle part. »
« Mitsune n'est pas faite pour gouverner, c'est pas son truc. J'imagine plutôt cette nation comme un territoire neutre, refuge pour tous, qu'ils soient humains, dieux ou animaux. C'est pour ça que j'ai fait un château. Les demeures trop grandes, c'est pas son truc, mais ce château servirait de demeure aux dieux et humains qui lui demanderaient l'asile. Je trouve... que c'est quelque chose qui lui correspond. »
« ... Eri... pourquoi ? Pourquoi tu fais ça ? Elle... », murmura Shoto, la voix triste.
« Je sais... », répondit la fillette sur le même ton. « Mais peut-être que... je sais pas... quelqu'un aura le courage de reprendre son flambeau, un jour. Dessiner m'aide à faire du tri dans ma tête et à comprendre ce que je ressens. Ces deux dessins sont la manifestation de l'espoir que j'ai en un avenir plus paisible pour tous. L'art est la fenêtre de l'âme, ou quelque chose du genre elle disait Mitsune. »
« Les yeux sont la fenêtre de l'âme, et l'art n'a pas besoin de mots. », corrigea Shoto, un léger amusement perceptible dans sa voix.
« C'est ça ! », sourit Eri. « Et puis, c'est un peu comme ça que j'imagine Tianlong aussi ! »
Le bicolore sursauta à l'entente de ce mot, comme s'il le connaissait. Pourtant, cela ne lui disait rien du tout.
« Tian... long ? »
« Oui. C'est dans le Royaume de Tianlong que se passe le conte Tianlong que Mitsune a écrit. Tu sais, un de ceux qu'elle m'a offert à Noël. Pourquoi ? »
« Je... j'ai l'impression de connaître ce mot... c'est quoi le Royaume de Tianlong ? »
« Je ne sais pas vraiment. », admit Eri. « Mais d'après le conte, c'est l'ancien nom des Monts Dosdragon, ou quelque chose comme ça. Serafrost en était le prince apparemment. Je ne sais pas si ce conte est une histoire vraie, mais il donne beaucoup d'espoir ! De tous ceux que Mitsune m'a offert, il reste mon préféré. »
Shoto resta silencieux, surpris que sa belle ait écrit à propos du Sithragon sans même connaître son existence. Il aurait été curieux de l'interroger à propos de ce conte qu'elle avait inventé, mais cela lui était malheureusement impossible.
« Veux-tu le lire ? », lui proposa Eri. « Ce n'est probablement qu'un conte pour enfant, mais on a tous besoin de redevenir un enfant, de temps en temps. »
« J'imagine que je peux toujours essayer... »
Eri lui sourit et abandonna son dessin pour aller dans sa chambre récupérer le livre. Elle le confia ensuite au bicolore, qui le récupéra machinalement.
« Merci Eri. »
« Avec plaisir ! Si tu veux le lire tout seul, tu peux aller dans ma chambre, je n'y irai pas avant ce soir. D'ailleurs, tu dors assez ? Les plantes d'Elerinna font effet ? »
« Pas du tout, mais je n'attendais pas un miracle. »
« Tu sais, peut-être que tu dors mal parce que tu as à chaque fois peur de revoir Titania dans tes rêves. »
« Que veux-tu dire ? »
« J'y connais rien, mais peut-être que si tu accueillais ces rêves avec bienveillance plutôt qu'avec angoisse, cela se passerait mieux. »
« Peut-être, mais je ne peux pas les accueillir autrement alors que je vois une personne qui ressemble en tous points à Sweetie dans la voix, les traits du visage, le sourire, les mimiques... mais je dors quand même un peu mieux qu'avant, tu renvois de bonnes ondes. Te regarder dormir me détend. »
« C'est toujours ça de pris. »
« J'imagine. »
Shoto regarda le livre confié par Eri puis se leva et monta en direction de l'étage. La fillette le regarda partir, se doutant qu'il allait lire le conte. Avec un peu de chance, il lui apporterait autant d'espoir qu'il en avait apporté à Mitsune durant son enfance et qu'il lui en apportait depuis qu'elle l'avait lu pour la première fois...
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