Chapitre 74 : Un conte aux allures de vérité

Mondstadt, Hauts du Mornevent, Territoire des Loups, camp des Sept, tente d'Elerinna, 28 février 2501, 20h

« Je suis épuisée... », se plaignit Elerinna en se laissant tomber sur son futon.

Son aînée rigola légèrement, bien que consciente qu'elle disait la vérité. Avec tous les blessés qu'il y avait, elle n'arrêtait pas depuis quelques temps. Cela donna d'ailleurs une idée à Mitsune, bien que cela allait en réalité à l'encontre de son projet de faire se détacher Elerinna d'elle.

« Tu veux que je te lise quelque chose avant de te coucher ? »

La blondinette sauta sur l'occasion et hocha la tête. Elle alla récupérer un livre parmi ceux emmenés pour les périodes de calme, puis le ramena à sa sœur.

« Ce n'est pas un livre que j'ai offert à Eri, ça ? », s'étonna Mitsune en lisant le titre.

« Si, mais il lui a tellement plu qu'elle l'a recopié spécialement pour moi ! », rougit Elerinna. « Elle pensait que Tianlong m'aiderait à tenir le coup pendant la guerre... tu ne me l'as jamais raconté, en plus ! Et c'est Eri qui a eu l'honneur de pouvoir en hériter, pas moi, alors que je suis ta propre sœur ! Sérieux, je l'ai un peu mal pris... »

« Désolée... », grimaça la Kitsune. « Je pensais qu'Eri en avait davantage besoin... inconsciemment, cette histoire m'a toujours apporté un profond réconfort, comme des souvenirs que l'on chérit de tout son cœur. Ce qui est un peu idiot puisqu'elle est le fruit de mon imagination... »

« Comment tu en as eu l'idée ? », voulut savoir Elerinna, curieuse.

« Je n'en ai pas vraiment eu l'idée. », nia son aînée. « En fait, je n'ai fait que retranscrire un rêve que je faisais souvent de mes cinq à mes neuf ans. Je ne le fais plus depuis, et je ne sais même plus de quoi ça parle, pour être honnête. »

Impatiente d'en savoir plus, la plus jeune des Shiota s'installa confortablement dans son futon et regarde sa sœur, avide qu'elle commence la lecture. Celle-ci rigola et s'assit près de la tête de sa sœur.

« Très bien ! », fit Mitsune en ouvrant délicatement le livre. « Il était une fois... »

***

A une époque révolue, une époque dont nous n'avons gardé aucune réelle trace – excepté le clan Hakushin – le monde n'était pas peuplé d'humains uniquement. Une multitude de créatures, qualifiées aujourd'hui de « mythiques », de « légendaires », arpentaient la même terre que les Hommes. Bien que se tenant à l'écart les uns des autres, les différents peuples étaient en paix les uns avec les autres et s'alliaient même parfois, notamment lorsqu'une épidémie ravageait une population et qu'il fallait faire appel à une autre qui détenait le savoir nécessaire à un remède.

Parmi toutes les créatures vivant sur Terre, le peuple des dragons était l'un des plus prospères, car l'un des plus anciens. Réunis sous l'étendard du Royaume de Tianlong, ils peuplaient une vaste chaîne de montagnes escarpées, auxquels quelques rares écrits feront bien plus tard référence sous le doux nom de « Monts Dosdragon ». C'étaient des terres étrangement tropicales dont le vert émeraude de la végétation et les éclatantes couleurs des fleurs et des fruits créaient une toile de toute beauté d'aussi haut que les dragons pouvaient voler.

Essentiellement composé de dragons, le Royaume de Tianlong n'en restait pas moins aussi diversifié que ses terres. Les créatures que l'on y retrouvait le plus étaient les Kitsunes, des renards dotés d'une intelligence à nulle autre pareille malgré qu'ils n'étaient pas doués de la parole. Ces derniers étant l'espèce la plus numériquement étendue après les légendaires reptiles, Kitsunes et dragons vivaient ensemble depuis les origines mêmes du Royaume. Quelquefois, il était même possible de croiser dans ces hautes montagnes des divinités, les médiatrices et dirigeantes du monde. Êtres humanoïdes et humbles en dépit de leurs immenses pouvoirs et de leur rôle, les dieux s'étaient donnés comme mission d'assurer la paix entre les différents peuples de la Terre.

Dans ce petit écosystème que composait le Royaume de Tianlong à l'échelle du monde, chacune des espèces vivait sans vraiment se préoccuper des autres. Mais, chose étonnante, toutes étaient capables de s'unir, de se venir en aide au besoin. Et c'est ce qui faisait leur force.

C'est dans ce petit paradis que vit le jour Serafrost, Prince de Tianlong. Sa naissance fut exceptionnelle car il naquit après un été qui fut d'abord brûlant puis glaciaire. D'ordinaire, les futurs dragons mourraient dans leur œuf lorsque la température était trop basse et leur naissance était accélérée lors de périodes de fortes chaleurs. Ainsi, le Roi et la Reine de Tianlong n'avaient que très peu d'espoir que leur enfant ait survécu à ces caprices de la nature. Pourtant, lorsque l'automne commença à envelopper le Royaume dans son étreinte de rouge, d'orange et de doré, le Prince sortit de son œuf, bel et bien en vie.

Il avait survécu.

Le couple royal était euphorique mais ils ne le restèrent qu'un très bref instant. Lorsque leur enfant fut complètement sorti de son œuf et nettoyé, les deux souverains prirent conscience de la particularité du bébé dragon : il n'avait rien en commun avec les autres dragonneaux. En effet, loin de l'apparence reptilienne commune, le jeune Prince ressemblait à un chaton. Blanc comme la neige, il n'avait aucune écaille et son pelage virait au rouge incandescent sur son dos et ses pattes avant droite et arrière gauche. Les deux autres semblaient faites de glace, tandis que deux petites ailes de dragon rouges se déployaient dans son dos. Ses yeux étaient entièrement bleus comme la glace, à l'exception des pupilles qui étaient tout aussi écarlates que ses ailes. Il n'avait de draconique que ses ailes et sa mâchoire, pourvue de dents effilées et tranchantes.

Dans un premier temps, la différence de leur enfant ne dérangea pas le Roi et la Reine : pour eux, il était leur enfant, leur fils, le fruit de leur amour. Ils le prénommèrent Serafrost, en référence à l'été bien étrange qui avait précédé sa naissance et qui était sans doute la source de l'aspect félin du dragonneau. Ils l'élevèrent donc de la même manière que chaque couple de dragons élevaient son enfant, sans se douter le moins du monde que leur réalité allait s'effondrer...

Cependant, le dragonneau ne fut pas le seul enfant à naître après cet étrange et mystérieux été. En effet, une Kitsune blanche était née.

Chez ce peuple où chacun était doté d'une fourrure plus ou moins orangée et qui devenait de plus en plus vert à partir d'un certain âge, la naissance d'une Kitsune arborant un pelage immaculé était une consternation, une aberration, une malédiction qui s'abattrait sur l'espèce toute entière.

Cette enfant n'était qu'une Kitsune du peuple, mais la première à naître après un été caniculaire puis glaciaire. Dans leur culture, lorsqu'un Kitsune naissait après un événement naturel particulier, il se retrouvait doté d'étranges pouvoirs. Intelligents, ils avaient jusqu'alors bien plus qu'encourager ces jeunes renards. Mais ce n'est pas ce que les parents de l'enfant firent.

Effrayés que la jeune Kitsune détienne un pouvoir aussi destructeur que le fut cet étrange été qui avait ravagé nombre de populations du Royaume, le couple rejeta publiquement cette enfant, ne la reconnaissant pas comme faisant partie de leur peuple. A peine née, l'enfant fut contrainte de fuir à travers les montagnes du Royaume de Tianlong.

Pendant un siècle, c'est-à-dire pendant la moitié de son enfance, elle survécut seule, grâce à son intelligence hors norme et le pouvoir de métamorphose avec lequel elle était née, qui lui permettait de se montrer bien plus rusée que les autres représentants de son peuple, et donc de s'en sortir. Malgré sa solitude, elle avait beaucoup appris des différents peuples qu'elle trompait pour assurer sa survie. Lorsque beaucoup d'entre eux s'unirent pour mettre fin à « l'ombre trompeuse » jusqu'à l'acculer et la menacer de mort, elle comprit que rien n'était plus fort que des créatures unies dans un même but, d'autant plus lorsqu'elles étaient toutes différentes.

Son histoire pourrait très bien s'arrêter là, mais ce ne fut pas le cas. En réalité, ce fut même l'origine de son histoire...

Que ce soit la chance ou la volonté des dieux, l'une d'entre eux, Stacia, la Reine des dieux, était venue à son secours et avait aplani les choses entre la jeune Kitsune blanche et toutes ces créatures qu'elle avait trompé, avant de prendre en charge la renarde. Elle commença par lui donner la possibilité de se transformer en humaine, capacités exclusives aux dieux et aux dragons normalement, ainsi qu'un prénom pour remplacer « Titania », celui qu'elle s'était choisie : Ashaisha.

Ce fut le réel commencement de son histoire, de leur histoire, car, à peu près à la même période, le seul Sithragon du Royaume de Tianlong était chassé de la demeure royale.

Un siècle. Ce fut le temps qui passa avant la rencontre des deux parias du Royaume.

Doté d'un pouvoir Cryo et Pyro lorsqu'un dragon normal ne contrôlait qu'un élément, Serafrost avait été chassé par le Roi et la Reine, ses parents, sous l'impulsion de tous les dragons. Trop différent, aucun ne voulait du jeune Prince comme héritier du Royaume de Tianlong. Il avait néanmoins trouvé refuge chez un dragon d'une grande sagesse, qui vivait à l'écart de ses semblables. Celui-ci s'appelait Dvalin et était au service de Barbatos, l'Archon de la Liberté et protecteur de Mondstadt, le continent sur lequel se trouvait le Royaume de Tianlong.

Reniée dès sa naissance par son peuple puis recueillie et élevée par la Reine de Celestia, Titania n'en restait pas moins seule. Elle avait survécu trop longtemps sans aide, sa bienfaitrice ne pouvait que lui inculquer le savoir et la sagesse des dieux car la jeune Kitsune refusait obstinément qu'elle lui vienne en aide pour demeurer en vie. Elle restera néanmoins fidèle à ses enseignements toute sa vie, ainsi qu'à son propre mantra appris au cours de ses années d'errance : l'unité amène la paix. Ce fut d'ailleurs pour cette devise que Stacia lui confia très vite son bien le plus précieux.

Leur rencontre fut totalement fortuite. Titania, sous sa forme d'enfant humaine malgré ses attributs de Kitsune, cherchait à faire des provisions en vue de l'hiver qui approchait et Serafrost fuyait, contraint de quitter le refuge de Dvalin lorsque le Prince avait senti l'approche de l'armée royale. Ils avaient fini par tomber l'un sur l'autre, et le jeune Serafrost avait quémandé son aide, la prenant pour une déesse.

La Kitsune blanche n'avait pas hésité, ayant compris la langue du Prince grâce à l'enseignement de Stacia. Sentant les troupes draconiques approcher, elle dégagea ses boucles mauves de la hanse de son sac et fit signe à Serafrost de s'y cacher. Celui-ci s'exécuta avant qu'elle ne prononce une formule en langue divine pour que le Sithragon échappe aux sens et à la magie des dragons. Elle avait alors continué sa recherche de provisions, comme si de rien n'était, esquivant son nouvel ami aux patrouilles royales.

Titania avait ensuite emmené le Prince dans une tanière protégée par de la magie divine, seule aide pour survivre venant de Stacia qu'elle avait accepté. Ils avaient alors discuté, échangé sur leur passif, et s'étaient trouvé de nombreux points communs.

Pour une fois, ils avaient eu l'impression de pouvoir réellement compter sur quelqu'un, d'être compris, d'être accepté dans leur différence. Eux qui étaient compagnons de la solitude ne s'étaient plus sentis si seuls, l'espace d'un instant. Un instant qui deviendra éternité, car plus jamais ils ne se quitteront, ils en avaient fait la promesse.

Ils seront toujours ensemble.

***

« Mais... c'est... », balbutia Elerinna.

« La genèse de l'histoire de Titania et Serafrost ! », réalisa Mitsune. « Comment j'ai fait pour oublier un truc pareil ?! »

« Du coup... c'est le fruit de ton imagination, ou... », hésita sa cadette.

« Une vision du passé, peut-être. Je ne sais pas. Mais je me souviens avoir retranscrit exactement ce que j'ai vu dans mon rêve, je n'ai rien rajouté. Donc, si c'est une fabulation de mon esprit, c'est étrange qu'il y ait autant de détails permettant de la raccrocher au réel... je veux dire, on ne connaît que la raison pour laquelle Serafrost a croisé Titania : il fuyait les gardes royaux. Mais pour notre ancêtre, on ne l'a jamais su. Tohru ne nous a donné aucun détail concernant sa rencontre avec Titania, mais cette version semble logique. »

« C'est vrai que ce qui est raconté des actions de Titania semble conforme à ce qu'on attend d'un Kitsune. En plus, quand tu as fait ce rêve, tu ne savais rien du tout de Serafrost, et tu ne savais pas qu'Ashaisha était la fille adoptive de Stacia, que son vrai prénom était Titania et qu'elle était l'Archon de l'Unité. Et tout un tas de trucs comme ça. Tu ne le savais pas, et pourtant, tu avais ces informations en toi. Sinon, ton inconscient n'aurait jamais pu te les ressortir sous la forme d'un rêve. »

« Donc, tu penses à une vision du passé ? »

« Oui, mais je pense que le fait que tu n'ais pas fait le rapprochement depuis que tu sais la vérité sur Titania, pire, que tu ne te souviennes même pas de ce « rêve »... je pense que c'est mauvais signe. Tu as une mémoire épatante, mais tu ne t'es pas souvenu de Serafrost quand tu as commencé à lire le journal de Titania, alors que les Sithragons n'existent pas, il était le seul. Dans ton rêve, tu avais une image précise de Serafrost, que tu as retranscrit à l'écrit, et tu n'as pas été capable de t'en rappeler quand Shoto t'a rapporté les infos apprises par Dvalin. Vraiment, il y a quelque chose qui cloche. Tu te serais forcément souvenue d'avoir écrit à propos d'un dragon ressemblant à un chat, même n'avoir qu'une impression de déjà-vu. Mais rien, n'est-ce-pas ? »

Mitsune secoua négativement la tête. Non, elle n'avait jamais pu deviner que son rêve était une version bien plus détaillée et précise du récit de la rencontre entre Titania et Serafrost, rencontre brièvement et vaguement racontée dans le journal de leur ancêtre.

Quelque chose clochait, Elerinna avait raison. Avait-ce un rapport avec sa mort ? Ou avec Shoto ?

« Oneechan... qu'est-ce-qu'on fait ? », demanda finalement la plus jeune des Shiota. « On en parle aux autres ? »

« Je... je ne sais pas... je vais en parler à Izuku seulement, pour le moment. Après tout, il peut contacter Titania grâce au One for All, autant essayer d'avoir des réponses auprès de la concernée... mais c'est vraiment étrange. », commenta l'Archon Hydro.

« En tout cas, je comprends mieux pourquoi cette histoire t'apportait du réconfort. »

« Ah bon ? »

« Oui. », affirma Elerinna. « Tu avais déjà rencontré Shoto quand tu as commencé à faire ce rêve, non ? Et tu l'as instinctivement reconnu comme l'autre partie de toi, la personne avec qui tu formais un tout indissociable. Vous vous êtes séparés plutôt brusquement lorsque vous aviez cinq ans. Si cette histoire t'apportait du réconfort, c'est parce que tu croyais au fond de toi que vous étiez destinés à être ensemble pour toujours, et donc que tu le retrouverais forcément. Je trouve ça vraiment très beau ! »

Mitsune rougit, se rendant compte que sa cadette avait sans doute raison. Elle avait commencé à faire ce rêve après avoir rencontré Shoto, et elle avait arrêté de le faire à partir du moment où leurs regards se croisaient régulièrement lors des soirées mondaines, celles auxquelles Manami et Endeavor les traînaient. Que cette histoire soit réellement ou non le début de celle de Titania et Serafrost, elle avait été le catalyseur de son amour pour Shoto, ce à quoi son cœur se raccrochait de manière inconsciente, comme s'il savait déjà qu'il serait la clé de son bonheur.

Au fond, c'était peut-être parce que Shoto était avec elle depuis le début qu'elle avait pu survivre et réaliser tant de choses en tant qu'artiste, avant qu'ils ne deviennent amis.

Un sourire tendre se dessina sur ses lèvres et elle déposa un baiser sur le front de sa sœur. Celle-ci lui sourit puis se coucha. Mitsune, elle, éteignit la lumière et sortit de la tente après avoir fait une copie du livre pour elle.

Que cette histoire soit la vérité ou une pure fabulation de son esprit, Elerinna avait raison...

Elle lui avait permis de croire à leur amour.

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