Chapitre 36 : Je serai ton bouclier, je serai ton épée
Âme de Mitsune, Chambre de l'Unité, 27 octobre 2500, 1h
« Je sais très bien ce que tu vas me dire ! », cracha hargneusement la petite Mitsune, âgée de sept ans. « Tu es faible ! Si tu ne l'étais pas, tu nous vengerais !! »
Mitsune ne répondit pas, se contentant de faire face à cette part d'elle-même qu'elle avait refoulé pendant très longtemps. Cette facette de sa personnalité, c'était toute sa rage, sa haine, sa douleur, qui s'étaient unies pour mieux la dévorer de l'intérieur. Lorsqu'elles auraient tout annihilé de celle qu'elle était, il ne resterait plus rien d'elle et elles ravageraient tout sur leur passage, y compris ses amis et son Inari.
Cette facette de sa personnalité, c'était ce qu'il restait de l'influence que Manami avait sur elle. C'était ce qu'elle était avant qu'on ne lui tende la main pour lui montrer une autre voie. Il était strictement hors de question qu'elle laisse sa génitrice tout détruire ce qu'elle avait construit à la sueur de son front. De sa famille biologique, il ne restait que son cousin de vivant et duquel elle était proche. Elle ne voyait que très rarement les parents de Nagisa, et son propre père était sans doute partie dans un monde meilleur, même si elle ne pouvait se résoudre à le débrancher tout de suite. Probablement espérait-elle au fond d'elle-même trouver dans son grimoire ou le journal de Titania quelque chose pour ramener son père...
Ses amis et Shoto étaient devenus sa famille, et elle avait toujours protégé farouchement les membres de sa famille, du mieux possible. Elle n'allait pas laisser ce monstre créé par sa génitrice ravagé tout ce qu'elle avait ! Elle devait le faire pour eux, mais aussi pour elle. Ce monstre l'avait aidé à se construire, à se forger une personnalité et un caractère tels que peu de choses arrivaient désormais à l'ébranler. Mais, désormais, cette facette de sa personnalité devait laisser la place à celle qu'elle était vraiment. Elles devaient s'accepter l'une l'autre, redevenir une seule et même entité, que Manami avait séparé.
« La vengeance n'est pas un but en soit, et elle peut nous faire perdre de vue la personne qu'on est, celle qu'on veut être. Elle nous fait oublier ce qui compte réellement pour nous... »
« L'unité ?! J'en ai rien à faire ! Si je veux unir le monde, c'est juste pour rendre Aiko complètement inutile ! Le monde entier est mon ennemi ! Ils sauront tous ce que ça fait d'être humilié sans pouvoir faire quoi que ce soit, sans que personne ne lève le petit doigt pour nous aider ! »
« Et qu'est-ce-que tu feras, quand tu auras plongé dans le chaos absolu ta société unie ? Elle redeviendra divisée, et les héros seront encore plus importants pour le salut de tous. Tu te retrouveras seule, toute seule, contre le monde entier. Non seulement ton plan est complètement illogique, parce que tes convictions se contredisent, mais en plus, il ne résoudra rien du tout. Tu seras toujours seule, haïe, discriminée, violentée. La violence ne résout rien, la vengeance non plus. »
« Ça apprendra aux gens à ne pas se mettre à dos une Kitsune ! Ils respecteront tous les hybrides ! Ils nous respecteront ! »
« Dans l'improbable cas où cette espèce de mutinerie contre le monde entier apporterait le respect envers tous les hybrides, ce serait un respect dû à la peur, pas parce qu'ils nous respectent vraiment : il sera éphémère et ne durera que jusqu'au moment où une personne osera se rebeller. Et là, les hybrides seront encore plus discriminés qu'avant. C'est vraiment ce que tu veux ? Tout unir juste pour tout faire exploser ensuite ? »
« TAIS-TOI ! Ton cerveau est complètement ramolli ! Tu crois que tes « amis » et ce stupide bicolore seront encore là quand tu leur montreras qui tu es vraiment ? Tu as beau le cacher, tu n'es que flammes avides de se venger ! Toute cette pseudo gentillesse t'a fait oublier qui tu es ! Ce n'est pas la vengeance, mais le brouillard dans lequel on t'a plongé qui t'a écarté du bon chemin ! Fais éclater ta rage et venge-nous ! C'est ce à quoi on aspire depuis toujours !! »
« Toi, c'est la douleur qui t'aveugle. La rage et la haine ne sont que des murailles pour cacher ta douleur, ta peine. Tu ne t'en rends pas compte, mais mes amis et Inari t'ont également accepté. Ils t'ont déjà vu, et ils t'acceptent comme une partie de moi. Tu n'es pas entièrement moi, tu es juste une facette de ma personnalité qui m'a aidé à me construire quand je n'avais rien d'autre que Papa, Maman et Wolfy. Je suis fatiguée d'essayer de me venger, je n'en vois plus l'intérêt. Nous sommes l'Archon Hydro, la meilleure vengeance contre Aiko est encore de faire ce qui nous ressemble vraiment, de faire en sorte de ne pas lui ressembler, d'être différente d'elle. Nous sommes tous uniques, parce que nous sommes tous différents, mais nous pouvons unir les gens, quand Aiko les divise. Nous avons toujours été plus fortes quand on se bat pour les autres toutes les deux, et pas quand on lutte pour nous-mêmes. »
« T'es vraiment ramollie, c'est pas croyable ! Quand est-ce-que tu le comprendras enfin ?! Tu n'as jamais été cette insupportable pacifiste que tu prétends être ! Je ne suis pas uniquement un bout de toi, je suis toi ! La preuve, c'est que tu t'énerves pour rien, tu deviens agressive dès que tu ne te sens pas à ta place ! Tu mets toujours ça sur le compte de ta part animale, mais la vraie raison, c'est que tu es comme ça !! »
« Une partie de moi est comme ça. », corrigea Mitsune. « Et cette partie de moi, c'est toi. Nous avons besoin l'une de l'autre, que nous le voulions ou non. »
« NON ! C'est toi qui as besoin de moi ! La réciproque n'est pas véridique pour autant ! »
« C'est vrai, j'ai besoin de toi. Tu es ma part guerrière, j'aurai toujours besoin de toi. Je ne suis pas seulement une pacifiste, je suis aussi quelqu'un qui se bat pour protéger les autres et qui ne rend pas les armes avant d'avoir gagné. La vie n'est pas qu'un champ de bataille, c'est une clairière paisible et relaxante qui devient par moment le théâtre d'un combat. J'ai besoin de toi quand ces moments arrivent, mais tu as besoin de moi le reste du temps, quand tout est calme. »
« C'EST F... »
« Ecoute-moi. », la coupa gentiment mais fermement Mitsune. « Ecoute-toi, deux secondes. Ferme-les yeux et regarde au plus profond de toi, sous toute cette couche de haine, de rage. Demande-toi ce que tu veux vraiment. Tu ne peux pas me mentir, pas à moi. Ici, aucune de nous ne peut mentir à l'autre, nous sommes au plus profond de mon âme. Aucune de nous ne peut se cacher derrière des mensonges, des remparts de rage qui cachent une grande douleur. Alors, tiens-tu vraiment à aller jusqu'au bout ? »
« TAIS-TOI !! », hurla la petite Mitsune.
Tout en criant, elle balança sa main en avant. La Chambre de l'Unité se remplit soudainement de flammes. Mitsune ne bougea pas d'un pouce, le feu se rapprochant toujours plus d'elle. Inévitablement, il commença à la dévorer. Pour autant, il ne la brûla même pas, elle ne ressentit aucune douleur. Les flammes ne lui faisaient rien du tout, un sourire se dessina même sur ses lèvres.
« Tu vois ? Tu ne me veux pas vraiment de mal, sinon ces flammes me feraient souffrir. Alors, laisse tomber ce bouclier de rage que tu portes en permanence et dis-moi ce que tu veux vraiment. Moi aussi, j'ai longtemps caché ma douleur et ma peine sous des torrents de rage et de haine envers tous ceux qui n'étaient pas des hybrides. J'ai haï Barbatos pendant de longs mois, parce qu'il n'avait pas entendu mes prières, alors qu'il ne le pouvait tout simplement pas parce qu'il n'avait pas encore pris ses fonctions. Je ne le haïssais pas vraiment, c'était simplement une projection de ma haine envers le monde. Il m'a fallu beaucoup de temps pour abandonner ce bouclier, pour être celle que je suis vraiment. On est entre nous, tu peux laisser tomber cette protection ! »
« JAMAIS ! Je n'abandonnerai pas ma vengeance ! Tu devras me tuer pour ça ! Tu devras m'anéantir si tu veux protéger les gens que tu aimes ! »
Un sourire déformé par une folle colère et brûlant de vengeance se peignit sur ses lèvres d'enfant. Elle tremblait de rage mais, en face d'elle, l'adolescente était aussi calme et impassible que l'enfant était dépassée par ses émotions.
« Je ne le ferai pas, parce que cela te donnerait ce que tu veux : prouver à ceux que j'aime que je suis toi. Mais je ne suis pas toi, pas au quotidien. Je n'ai jamais tué et je ferai tout pour ne jamais tuer quelqu'un. L'assassinat ne mène à rien, je ne l'ai jamais cautionné et je ne le cautionnerai jamais ! »
« Tu parles ! Je sais très bien que tu es venue avec l'intention de me tuer ! Tout ça pour protéger les misérables qui te servent de « famille » ! Il me semble que tu as toujours été prête à tout pour eux, non ?! C'est ce que tu dis toujours ! Ne le nie pas, je suis en toi donc je le sais ! Jusqu'où tu es prête à aller pour eux ? », la défia l'enfant.
Mitsune pinça les lèvres. Elle était prête à aller très loin, mais tuer quelqu'un n'avait jamais été envisageable, jamais, même pour ceux qu'elle aimait. Eux-mêmes ne l'auraient jamais cautionné, d'ailleurs, ce qui était une raison supplémentaire pour ne pas prendre de vie en les prenant comme prétexte. Cela allait complètement à l'encontre de tout ce que son père et Lilith lui avaient transmis, ce serait comme profaner l'essence même de... de tout, tout simplement. Ce serait profaner son passé, son présent, et même son futur. Ce serait profaner son héritage, profaner ce qu'elle tentait de transmettre à sa petite sœur et à tous, et profaner ce qu'elle comptait bien transmettre à sa future descendance.
« On peut aller très loin, sans prendre la vie de quelqu'un. Tu fais partie de moi, même si je le voulais, je ne pourrais pas te tuer sans me tuer moi-même. Appelle ça de la peur, de la faiblesse, de la lâcheté, comme tu veux... mais je ne te tuerai pas. Cela va à l'encontre de ce que notre père m'a transmis et de ce que je m'efforce de transmettre à tous ceux que je croise. Cela va à l'encontre de celle que je suis, de celle que tu es... de celle que nous sommes. Alors, ferme les yeux et laisse tomber ce bouclier que tu brandis constamment. Qu'est-ce-que tu veux vraiment ? »
Mitsune plongea son regard d'un bleu brillant dans celui vert sapin scintillant de rage de l'enfant en face d'elle. Bien malgré elle, la petite fille se radoucit considérablement en quelques secondes, devant ces orbes brûlantes de franchise. Des larmes commencèrent à couler sur ses joues, de plus en plus rapidement. Elle baissa sa main en tremblant, avant de se recroqueviller sur elle-même, comme pour se protéger.
« Je veux... je veux être libre... juste libre. Libre, au sens mondstadtois. Je veux que Wolfy arrête de souffrir à cause de moi, que Papa et Maman arrêtent de souffrir à cause de moi... que n'importe qui arrête de souffrir à cause de moi. Je veux être en mesure de les protéger sans faillir à chaque fois, sans empirer le situation à chaque fois ! Je veux ce que nous n'avons jamais eu, toutes les deux : la Liberté, et une vie normale, une vie où on a une vraie famille, de vrais amis, des rêves qu'on peut réaliser, le véritable amour ! Mais ça, on ne l'aura jamais ! »
« Si. Si, on les a. On les a, parce que je les ai. C'est à toi de décider, ce n'est pas parce qu'Aiko a décrété que personne ne nous aimerait, qu'on apporterait aux autres que la souffrance, qu'on n'était bonnes à rien d'autre qu'à accomplir son rêve idiot, qu'on serait toujours seules... ce n'est pas parce qu'elle l'a décrété que c'est ce qui va arriver. C'est à nous de décider, et j'ai choisi depuis longtemps de ne pas tenir compte de ses paroles empoisonnées. Maintenant, c'est à toi de choisir, petite Kitsune. C'est à toi de choisir. Tu peux me rejoindre, t'unifier avec moi, et vivre pleinement ce que je vis, les bons comme les mauvais moments, plutôt que de rester recluse au fond de moi sans profiter pleinement de ce bonheur qui nous appartient à toutes les deux. Tu peux aussi continuer sur la voie de la vengeance, mais cela ne te mènera nulle part. », déclara Mitsune en se rapprochant pour s'accroupir à la hauteur de l'enfant, tendant une main amicale vers elle. « Tu m'as aidé à me construire, à devenir qui je suis, alors laisse-moi t'aider à mon tour. Devenons celle que l'on veut être, ensemble. »
La petite fille regarda longuement cette main tendue vers elle, cette main qu'elle avait toujours espéré qu'on lui tende un jour. Etait-elle prête à tout abandonner pour se fondre en sa version adolescente ? Etait-elle prête à abandonner tout désir de vengeance ? Si elle le faisait, il n'y aurait plus une once de désir de vengeance dans l'âme de Mitsune. Elle ne pouvait pas renoncer. Pourtant, elle avait envie de vivre pleinement tout ce que son autre Elle ressentait au quotidien, et pas seulement n'en ressentir qu'une goutte en se sentant complètement déconnectée d'Elle, alors qu'elles étaient une seule et même.
Cette adolescente, c'était elle tout autant qu'Elle était elle. Alors, Elle savait mieux que personne que sa rage et sa haine n'étaient qu'une armure qu'elle avait été obligée de se forger pour se protéger.
« Je serai ton bouclier. Je suis plutôt douée pour ça. », plaisanta à moitié Mitsune, avec un sourire rassurant.
L'enfant la regarda encore quelques instants, avant d'essuyer ses larmes et de se saisir de la main tendue par Mitsune.
« Alors je serai ton épée. »
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