Chapitre 24 : Telle la chrysanthème à aubes
Japon, Tokyo, Yuei, bureau de Lilith, 28 septembre 2500, 3h
Mitsune se redressa brutalement, comme si elle s'était électrocutée. Machinalement, elle inspecta son corps. Son agitation ramena l'attention de Shoto sur elle, car il n'avait toujours pas lâché sa main. Bien entendu, elle n'avait aucune séquelle physique, mais la révélation avait été si choquante qu'elle l'ébranlait autant que vivre cette scène de violence.
Shoto ne l'avait pas ramené, elle ne le lui avait pas demandé. Alors, Kokomi avait décidé d'arrêter elle-même son voyage ? Pourquoi ?
« Mitsu ? Tu vas bien ? », s'inquiéta Shoto.
La blonde porta la main à son visage, retenant ses larmes.
« Oui, je... j'ai besoin de prendre l'air... toute seule, s'il te plaît. Va au dortoir... »
Shoto grimaça, réticent à l'idée de laisser seule sa liée alors que son voyage l'avait visiblement profondément ébranlée. Bien sûr, il s'attendait à ce qu'elle soit pas mal secouée, mais son ébranlement semblait plutôt venir de quelque chose qu'elle venait de réaliser, s'il se fiait à ce qu'il sentait.
« Mitsu, qu'est-ce-que tu as découvert ? », demanda avec douceur Shoto.
« Perce-Neige... je te raconterai... mais pas maintenant... j'ai besoin d'être un peu seule... vraiment... juste un peu... je t'en prie... »
Cette fois-ci, il soupira mais accepta tout de même, imposant néanmoins une condition.
« Je te laisse quinze minutes. Après, je viens te chercher et je te traîne au dortoir avec moi, par la force s'il le faut. Cela te convient ? »
« O-Oui, merci... Maman est où ? »
« Elle allait entamer sa onzième tasse de café, alors je l'ai envoyé se coucher pour qu'elle ne se ruine pas la santé. Je sais à quel point tu tiens à elle... »
« D'accord, merci... on se voit tout à l'heure... »
Il hocha la tête et déposa un baiser sur son front, avant de la laisser partir. Mitsune sortit donc de la pièce et alla à l'extérieur du bâtiment, sous un arbre, ce même arbre sous lequel Shoto lui avait promis de toujours l'aider si elle en avait besoin, même si elle n'en voulait pas. Du temps avait passé, depuis...
Japon, Tokyo, Yuei, cour
« Kokomi ? », murmura Mitsune en essuyant ses quelques larmes.
Sans un mot, la première Archon Hydro apparut, un sourire bienveillant sur les lèvres.
« Vous m'avez ramené ? »
« Il serait plus juste de dire que j'ai interrompu ton voyage. Tu es intelligente et mature Mitsune, tu n'avais pas besoin de revivre toute ta vie jusqu'à aujourd'hui pour comprendre l'origine de tes convictions. Enfin, c'est ce que je crois, en tout cas. »
« Et vous avez eu raison, enfin je crois... »
« Alors, dans quel but veux-tu unir le monde ? »
Mitsune baissa le regard sur ses mains, se triturant les doigts. Ce but la rendait tellement honteuse, elle ne voulait pas y croire. Mais, pourtant, elle savait que c'était vrai.
« Je... je veux unir le monde pour me venger, pour rendre les héros complètement inutiles, pour détruire ce monde, détruire les héros... », avoua Mitsune en laissant échapper quelques larmes.
« Es-tu bien sûre de ça ? »
« H-Hein ? »
« Mitsune, tu sais désormais d'où viennent tes convictions à l'origine, c'est vrai, mais tu oublies aussi quelque chose de tout autant important : les convictions d'un Archon, de n'importe quel être vivant en fait, se construisent durant son existence. Celles qu'on a aujourd'hui ne sont pas forcément identiques à celles qu'on avait avant. Tu voulais unir le monde pour te venger, mais est-ce toujours le cas ? »
Mitsune garda la tête baissée, en se mordant la lèvre. Si elle devait être tout à fait honnête...
« Je... je ne sais pas... je dirais que oui mais... paradoxalement, cela ne correspond pas à ce en quoi je crois... »
« C'est normal que tu sois perdue Mitsune. Tu viens de découvrir l'origine de tes convictions, c'est normal que tu ne saches plus vraiment pourquoi tu veux unir le monde. Tu ne peux pas le savoir à chaud, comme ça. Il faut que tu décantes un peu, que tu te calmes, que tu intègres ce que tu as appris. La voie t'apparaîtra d'elle-même ensuite. Mais, tu sais, aussi malsaine soit-elle, la raison originelle de tes convictions est tout de même louable : tous ceux qui veulent détruire le monde veulent le faire ou le font par la violence, mais pas toi. Toi, tu veux le faire en unissant les gens. Rien que ça, cela te rend unique. Même aveuglée par le désir de vengeance, tu es très loin d'être quelqu'un de mauvais. Ne l'oublie pas. »
Perplexe, Mitsue hocha la tête, avant de lui demander si elle l'avait suivi dans ses souvenirs.
« Oui et non. Je n'y étais pas, mais je savais ce qu'il se passait puisque j'étais dans la Chambre de l'Unité. Pourquoi ? »
« Perce-Neige... enfin Shoto... il m'a rencontré quand j'avais quatre ans, mais il ne m'a rien dit... »
« Si tu l'as découvert lors de ton voyage, c'est que tu l'as oublié. Probablement l'a-t-il oublié lui aussi, enfin que c'était toi. Mais savoir quand tu as vraiment rencontré Shoto change-t-il quoi que ce soit à ce que tu ressens pour lui ? »
« Bien sûr que non. Pour être sincère, plus j'en découvre sur lui et plus je l'aime... »
« Alors, laisse le passé dans le passé. Stacia disait tout le temps que toutes les réponses nous apparaîtraient quand le temps sera venu. Ne te tracasse pas avec ça maintenant, si cela n'a aucun impact réel sur ta relation avec lui actuellement. »
Mitsune hocha la tête et Kokomi décida de s'en aller, pour la laisser songer un peu. Maintenant, elle ne pouvait plus l'aider, c'était à elle de se rendre compte de ce que tous ceux qui la connaissent savent déjà. Ce serait uniquement lorsqu'elle prendrait conscience de sa plus grande force, de ce qui motive aujourd'hui son désir d'unité, que de nouvelles portes s'ouvriraient à elle...
Mondstadt, Ventlevé, grand chêne de Vennessa, 1er octobre 2500, 2h
« Je savais que tu viendrais ici. »
Mitsune leva la tête et vit Venti, assis sur l'une des plus hautes branches de l'arbre. Il n'y avait rien d'étonnant, c'était dans le secteur de Ventlevé qu'elle l'avait affilié, et cela faisait deux jours que les dieux valides avaient rejoint leur poste.
Sans répondre, la blonde s'installa contre le tronc du grand arbre, avant de lever légèrement la tête pour observer les étoiles à travers le feuillage.
« Tu as toujours aimé cet endroit. C'est là que tu me priais le plus souvent, c'est ça ? »
« Cet endroit m'a toujours apaisé, et j'avoue que je suis perdue depuis quelques jours... »
« Ça m'a fait le même effet, rassure-toi. », sourit Venti.
« Hein ? »
« La plongée dans notre passé nous change en profondeur. Elle nous révèle à nous-mêmes, nous fait prendre conscience de nos forces et de nos faiblesses. On se retrouve ébranlé de l'intérieur... mais c'est un passage obligatoire pour nous. Notre pouvoir d'Archon en ressort grandi, une fois qu'on a pris conscience de tout, de ce qui a motivé et de ce qui motive nos convictions. J'avais une conception de la liberté très restreinte avant. J'ai mis un mois, je crois, avant de comprendre ce que mon voyage intérieur m'avait révélé. Ce qu'il m'a révélé, tout le monde le savait bien avant moi. Tout le monde me l'avait dit des centaines de fois, mais je ne les avais jamais cru. »
« Un mois ?! Je n'ai pas autant de temps devant moi... on est déjà en octobre ! »
« Il est inutile de se presser Mitsune, tu n'as pas appris à maîtriser ton alter en un jour. Tu ne t'es pas non plus rendue compte de tes sentiments pour Shoto en un jour. »
« Comment tu sais ça, toi ? »
« Héhé ! Je l'ai su dès que je vous ai vu tous les deux ! », annonça fièrement le barde. « Tout le monde le savait avant toi, à l'exception du concerné. C'était tellement évident ! Pourtant, il t'a fallu un bon moment pour t'en rendre compte. Tu t'en es inconsciemment rendue compte, petit à petit, sinon tu aurais eu l'air ridicule devant lui, tu aurais bégayé en rougissant comme une dinde, tu n'aurais pas réussi à communiquer avec lui. J'étais comme ça avec Aether, au début. J'ai voulu comprendre pourquoi je me sentais bizarre avec lui. Ma mère m'a dit que j'étais simplement amoureux et, après, j'avais l'air d'un idiot à chaque fois qu'il était moins de quinze mètres de moi. Vouloir aller trop vite, c'est contre-productif. Un chef d'œuvre ne se fait pas en un jour. Il suffit de voir ta fresque sur les murs de Yuei. »
« Je ne vois pas le rapport entre mes sentiments pour Perce-Neige et ma fresque... »
« Il t'a fallu une bonne semaine pour réaliser de bout en bout ta fresque, de sa conception à sa réalisation, d'après ce que Fenrir m'a dit. Et c'est un chef d'oeuvre, une pure merveille, ou je ne m'y connais pas ! Mais tu n'as pas réalisé cette incroyable fresque en quelques heures, bien au contraire. »
« Clairement pas. C'est sûr que je l'ai faite plus rapidement que ce que d'autres auraient fait, mais c'était grâce à mon alter. Je l'ai utilisé pour que la peinture sèche plus vite, par exemple. »
« Tu vois ! »
Le barde se laissa tomber de l'arbre et retomba sur ses pieds, son béret manquant de tomber au sol. Il le replaça et s'assit à côté de sa comparse, avant de sortir sa lyre et d'en faire sortir de douces notes.
« La plume est plus forte que l'épée,
Mais ton pinceau illumine le monde déchiré.
Par plusieurs stades, tu es passée
Par plusieurs stades, ton art est passé.
Par l'art, remonte le temps
Pour découvrir la véritable toi qui attend,
Qui sommeille avec le pouvoir que tu révéleras,
Telle une chrysanthème à aube que seul le vent éveillera. », entonna Venti, d'un chant bienveillant mais mystérieux.
Mitsune pencha la tête sur le côté, perdue.
« Qu'est-ce-que tu veux dire par là ? »
« Héhé ! A toi de le découvrir ! Je sais que tu es assez maligne pour déceler le message de ce petit air que je viens d'improviser. »
Le silence plana, alors que les dernières notes de la lyre s'évanouissaient dans l'air. Les deux Archons restèrent un moment pensif, avant que Venti ne rompt une nouvelle fois le silence.
« Tu te souviens quand j'ai pris mes fonctions ? »
« Tu avais onze ans, et j'ai compris que tu n'avais entendu aucune de mes prières quand le Grand Maître a dit que, désormais, chacune des prières qui t'était adressée serait entendue. Je te haïssais tellement ! »
« Pendant deux ans et neuf mois, j'ai compté. Un petit vent m'a dit que tu m'avais un temps cru responsable du coma de ton père, parce que je n'étais pas venu vous aider... »
« C'est à moitié vrai. J'imagine que, inconsciemment, j'essayais d'étouffer toute la culpabilité que je ressens. »
« Tu crois encore que tous les malheurs du monde arrivent par ta faute ? Même quand tu n'étais pas plus haute que trois pommes, tu croyais ça ! Je me souviens, tu disais que c'était ta faute car les gens qui étaient malheureux, c'étaient ceux que tu n'avais pas pu aider. Arrête avec ce besoin maladif de prendre tous les malheurs du monde sur tes épaules ! »
« Haha ! », rit légèrement Mitsune. « J'ai appris avec le temps que je ne pouvais pas aider tout le monde, et que ce n'était pas de ma faute. Non, je parlais d'autre chose, même si j'imagine que c'est lié. Je parlais du fait que, depuis qu'Aiko a changé, je crois que chaque malheur qui arrive à ceux que j'aime sont de ma faute. Je me voilais juste la face... je sais même pas pourquoi je te raconte ça, je l'ai dit qu'à Perce-Neige... »
« Parce que je suis l'Archon de la Liberté, et que tu as présentement besoin de te débarrasser de cette culpabilité qui n'a pas lieu d'être. De grands sages ante-altériens ont dit : « Il y a une chose que même Dieu ne peut pas faire : c'est faire en sorte que ce qui est arrivé ne soit pas arrivé » et « ne veuille pas que les choses arrivent comme tu veux, mais veuille qu'elles arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux ». Tu ne peux pas changer le passé Mitsune, mais tu peux décider de ton futur. Tu peux faire en sorte de ne pas reproduire les erreurs du passé, que ce soit celles des autres ou les tiennes. Ce qui te caractérise, c'est que tu fais les choses comme personne, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle Celestia t'adore et te déteste en même temps. Alors, continue à faire les choses à ta façon, même si tout le monde est contre toi. »
« Comment faire les choses à ma façon, quand tout semble être motivé depuis toujours par la vengeance ? »
« Toutes les réponses sur toi-même se trouvent en toi Mitsune, tu dois juste t'écouter, pour une fois. Écoute ta mélodie, écoute chaque note de ton âme, chaque chant de ton cœur. Écoute ton être entier, n'écoute que toi. C'est parce que tu t'es oubliée que tu es perdue aujourd'hui. Toute la rage en toi, tu ne l'as pas vaincu malgré le temps, pas vrai ? Tu l'as juste enfouie au fond de toi. Tout ce que tu jugeais mauvais en toi, tu l'as enfermé à quadruple tour dans un coffre au fond de toi, et tu as oublié son emplacement, pour te convaincre que tu étais quelqu'un de bien. Rassure-toi, tu l'es, mais qui sème le vent récolte la tempête. Au lieu d'affronter tout ça, tu as tout camouflé et oublié. Et sous la pression de la guerre, tout explose. Cette fois, tu dois t'écouter. »
« Si je m'écoutais, je serais déjà terrée là où personne ne pourra me retrouver, afin de réfléchir calmement à tout, pour laisser tout exploser si j'en ressens le besoin. Un endroit désert, si jamais je perds le contrôle de quoi que ce soit. Un endroit où je n'aurais pas à m'obliger à garder un masque fort pour que personne ne perde espoir... »
« Si y'a que ça, je connais l'endroit parfait. C'est une minuscule île déserte, en pleine mer mais pas trop loin des côtés mondstadoises. A part des poissons et des crabes, il n'y a pas âme qui vive. Il y a juste un vieux temple en ruines, donc tu ne pourras pas t'abriter sans faire quelques travaux, mais personne ne connaît cet endroit. Et, point positif, tu pourras nous prévenir si tu détectes des ennemis en approche. Ton pouvoir porte super loin, si jamais il en détecte, ce sera plusieurs jours avant qu'ils n'arrivent, et on aura le temps de se préparer. Tu n'auras pas à surveiller la mer en continue, juste à nous prévenir si tu détectes quoi que ce soit d'ennemi. C'est dans tes cordes ? »
« Bien sûr. Mais je ne peux pas disparaître de la circulation comme ça, sans prévenir. Je dois en parler à Aizawa et m'organiser. »
« Rho lâche juste prise ! », râla Venti. « Prévenir je veux bien, mais pas besoin de t'organiser. Vas-y comme tu es. Je demanderai à Andrius de garder une ration pour toi après chaque chasse, je te les apporterai moi-même. Tu peux téléporter à toi tout ce que tu veux, tu n'as vraiment pas besoin de t'organiser. »
« J'imagine que je n'ai pas le choix... »
« Héhé ! Je crois que c'est juste ce que tu voulais entendre, tu n'aurais jamais abdiqué sinon. Allez, rentre à Yuei et reviens me voir demain matin, quand tu auras parlé avec Aizawa et terminé ta nuit, d'accord ? »
« Aye, Barbatos ! »
« Ah je t'ai déjà dit de m'appeler Venti quand je ne suis pas sous ma forme d'Archon ! On se connaît depuis longtemps ! »
« Je sais, mais Barbatos est le côté le plus sage de ta personnalité, et c'est lui qui ne fait que parler depuis tout à l'heure. »
« Sale petite... ah ! », s'énerva faussement le barde. « Tu es toujours aussi impertinente ! »
« Héhé ! Bonne nuit Venti. »
L'Archon Anémo salua sa consœur, avant qu'elle ne s'évapore dans une nuée de bulles. Il retourna sur sa branche et regarda les étoiles malgré l'épais feuillage, jouant distraitement de la lyre.
« Telle une chrysanthème à aubes, tu t'épanouiras quand le vent de la paix soufflera sur ton coeur, ton âme et ton esprit, Mitsune... »
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